L’éthique funéraire a-t-elle de l’avenir ?
La tenue réussie, sous le haut patronage de Jean-Pierre Sueur, sénateur, du colloque de septembre 2022 au Sénat sur les conséquences de la loi de 1993 - passée sous le filtre de trente années d’application - a permis d’ouvrir de nombreuses et intéressantes voies de dialogue entre les participants, opérateurs, chercheurs, élus, entre autres.
La mort est un invariant, c’est notre destin commun. Et bien que cet événement ultime de nos existences semble acquis, des questions se posent désormais. Des voix s’élèvent demandant notamment que la mort soit traitée comme peut l’être une pathologie faisant l’objet d’une prise en charge solidaire, à l’instar de la maladie. Ce type de problématique a le mérite de nous faire réfléchir sur le traitement et les interrogations que celle-ci soulève. D’autre part et d’un point de vue politique, un débat s’ouvre sur l’euthanasie, le droit pour chacun de mourir dans la dignité, sur ses modalités, ses conséquences sociales et humaines, son indispensable cadre juridique.
En s’ouvrant à la concurrence en 1993, le secteur funéraire a dû et su, en quelques décennies, se remettre en cause par de nombreuses propositions sur les plans économique et sociétal. La profession s’est adaptée aux exigences des populations, toutes désireuses d’un traitement empreint de dignité et de respect de la personne disparue. De ce point de vue, de remarquables efforts ont été produits tant par les professionnels que par le tissu associatif. La multiplication des équipements funéraires témoigne d’une préoccupation de la sphère publique et privée pour que le défunt puisse se voir appliquer un traitement respectueux des besoins du corps autant que de l’accompagnement moral des familles. En peu de temps, ils se sont dotés de moyens matériels et humains cohérents avec leurs différents bassins de population, aux attentes hétérogènes il est vrai.
Dire qu’aujourd’hui le secteur se banalise est une erreur, car il n’existe pas "un" funéraire mais "des" funéraires. Sociotypes en évolution constante, multiplication des confessions et des rituels, financiarisation du marché, modes variés de sépultures… Pour intégrer ces différents aspects, les appliquer avec discernement et précision, pour prendre en compte les aspects sociologiques et humains du deuil, pour agir dans l’intérêt des familles tout en respectant les impératifs économiques d’une gestion d’entreprise, les opérateurs se doivent de relever de nombreux défis. Or, créer un avenir au secteur funéraire passe par un regard pointu sur les composantes de celui-ci, c’est-à-dire les forces vives qui seront en charge demain de transmettre aux familles toute l’éthique indispensable que vous appelez de vos vœux.
Le défi est simple, car il s’agit de s’atteler sans délai au vaste et nécessaire chantier de la formation en commençant par la certification des compétences des personnes en charge de celle-ci et par la mise en œuvre d’un circuit diplômant reconnu au sein des différentes académies. Dispenser la formation d’un savoir-faire est une chose, s’assurer de la bonne transmission d’un savoir-être en est une autre tout aussi essentielle. À ce niveau de préoccupation, il ne faut d’ailleurs pas négliger l’ensemble de la fonction publique locale et territoriale qui est également en attente de réponses dimensionnées la concernant sur ce chapitre.
Le funéraire est un domaine qui a su retenir l’attention du législateur à juste titre et c’est une bonne chose. La formation de ses élites ainsi que de ses acteurs de terrain est un sujet dont on ne peut pas faire l’économie, il en va de l’intérêt général et du bien commun. Tout le monde est concerné, public et privé, fédérations, réseaux, indépendants, collectivités. L’avenir de la filière dépend des propositions et des solutions que vous saurez apporter aujourd’hui afin de pérenniser l’éthique que vous défendez et les compétences dont vous êtes les détenteurs… Ainsi, vous serez les artisans de votre destin et porterez vos métiers vers l’avenir.
Steve La Richarderie
Rédacteur en chef
La loyauté n’est-elle qu’un système féodal archaïque ?
Combien de fois avons-nous entendu "j’attends de mon personnel une loyauté totale à l’entreprise". Finalement ne donne-t-on pas à ce nom féminin une coloration plus proche de nos propres sentiments qu’à ceux réellement contenus dans ce terme. Oui, bien sûr, son antonyme a pour nom duplicité, hypocrisie, fourberie, traîtrise… Il est étonnant de constater qu’aucun système philosophique ne s’intéresse vraiment à la "loyauté". Peut-être est-il possible que, pour beaucoup d’entre nous, ce mot oscille entre féodalité et système mafieux et que l’exigence de celle-ci ne soit finalement qu’une mainmise d’un individu sur un autre, créant ainsi une dépendance supplémentaire.
D’un point de vue étymologique ce mot est un substantif dérivé de l’adjectif "loyal", qui lui-même trouve racine dans l’adjectif latin "legalis"… la loi. Ainsi, "loyal" devient le jumeau de "légal". Ne chipotons pas, nous sommes bien conscients que la définition originelle de la loyauté a besoin d’un sérieux dépoussiérage à l’aune des nouveaux sociotypes du XXIe siècle : "loyauté = fidélité manifestée par la conduite aux engagements pris, au respect des règles de l’honneur et de la probité".
Dans les faits, nous sommes à des années-lumière de ces considérations qui animent encore les plus âgés d’entre-nous. Alors, que faire pour que celles et ceux qui rejoignent nos entreprises assimilent des notions que leurs parents d’une part, les enseignants d’autre part, n’ont pas toujours réussi à faire entrer dans leur savoir-être ?
L’une des réponses tient dans une maxime qui, parfois, fait rire ceux qui la lisent : "Pour ce qui est de l’éducation, les parents enseignent la politesse, le respect, la probité… pour ce qui est de l’enseignant à l’école, il vous transmettra la connaissance de la littérature, des mathématiques, de l’histoire et de la géographie". Il est un fait que, sur certaines de nos recrues, il y a fort à faire et qu’une grande patience et motivation doit animer l’encadrement des sessions de formation. De ces rares cas ne tirons cependant pas une généralité mais observons que ces exceptions comportementales sont de plus en plus nombreuses et reflètent bien le malaise de notre société contemporaine.
Aussi, nous suggérons l’enseignement d’une matière qui va prendre force et vigueur dans les années à venir : l’éthique. Cette matière serait un condensé de ce qu’est le respect, le savoir-vivre et le savoir-être, la politesse, l’empathie, la bienveillance et tant d’autres considérations sans quoi la vie pourrait devenir un enfer peuplé d’irrécupérables "sauvageons" incultes.
Obtenir la loyauté ne signifie pas toutefois créer un lien de soumission aveugle à un homme ou à une entreprise, elle signifie la prise de conscience de ce que l’on est, d’où l’on vient et de la légèreté de son bagage intellectuel et moral, et qu’un jour une femme ou un homme se sont penchés sur votre existence pour vous suggérer une nouvelle voie, celle de l’apprentissage et plus tard celle de la transmission altruiste. Ceci faisait dire à un grand homme outre-manche "Que ta loyauté s’exerce sur ton propre soi. Ainsi, tu ne seras plus jamais traître envers les autres". Son auteur, Francis Bacon, est le père de l’empirisme moderne. Kant lui dédia à ce titre sa "Critique de la Raison pure". Il pose le premier les fondements de la science moderne et de ses méthodes qu’il conçoit comme entreprise collective fondée sur l’observation des faits naturels, des arts et techniques, et la recherche des causes naturelles. Pour ce qui est de la loyauté, c’est justement ce choix prémédité d’affirmer que finalement nous porterons notre détermination sur celui qui ne l’a pas forcément eu dans sa vie et que, par la patience, la pédagogie, l’accompagnement, l’éveil, la méthode, nous allons participer à l’émergence d’un être nouveau, réfléchi, autonome, prévenant, juste. "Vous le valez bien" dit une séquence publicitaire célèbre. Bien sûr que nous le valons bien, nous ne faisons qu’exprimer ainsi notre devoir altruiste de dignité et de respect envers les hommes, finalement une forme de loyauté et de reconnaissance fondamentales envers nous-mêmes. Charité bien ordonnée…
Ne tombons donc pas dans les raccourcis schématiques et caricaturaux qui font florès par les temps qui courent, mais bien au contraire, agissons intelligemment pour la refonte d’une part de notre enseignement professionnel, pour l’intérêt général, le bien commun et pour donner un avenir au futur.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Former sans déformer
Le recrutement des personnels n’est pas une mince affaire et il arrive parfois que nous fassions des choix inappropriés. Les a priori se paient cher et, comme il n’existe pas de remède miracle, nous nous en remettons aux différentes dispositions législatives et réglementaires de notre profession concernant la formation. La formation initiale ne faisant pas tout, il est indispensable de faire appel à la formation continue afi n de permettre aux salariés de parfaire leurs acquis. Tiens, la part de l’inné et de l’acquis dans la construction d’une personne, ça ne vous rappelle rien ? Bien évidemment, nous naissons tous avec un capital lié à notre patrimoine génétique issu de nos parents, "bagage hériditaire" qui se confi rme par la manifestation de traits de caractère particuliers qui se dévelop-peront en fonction de notre environnement culturel, social et de notre éducation.
Si une personnalité née avec des capacités intellectuelles importantes se trouvait plongée dès sa naissance dans un climat particulièrement défavorable, voire néfaste, il y a fort à parier qu’elle n’irait pas loin dans la vie, aussi intelligente soit-elle. L’acquis est donc essentiel afi n de faire valoir l’inné. L’éducation est donc un vecteur essentiel de valorisation de l’humain par la manifestation des valeurs inculquées depuis son plus jeune âge. La synthèse de l’inné et de l’acquis peut être rapprochée du concept "transcendantal" de Kant. Ce dernier dit que, si toute connaissance commence avec l’expérience, elle ne dérive pas pour autant de celle-ci car, pour en avoir une, encore faut-il disposer de cadres aptes à la réveiller ; et ces cadres qui sont des conditions de possibilité de l’expérience, ne sont pas eux-mêmes empiriques (ils ne découlent pas de l’expérience).
Pour revenir à la formation des personnels, nous sommes pratiquement dans le même cas de fi gure. Le formateur est la pièce centrale du dispositif, celle qui va façonner l’homme nouveau de demain, qui va contribuer à l’expression du sens en domaine contextuel. Encore faut-il que celui-ci soit du niveau attendu. De ce point de vue, nous sommes très nombreux à avoir des doutes, de gros doutes. Soit il possède une expérience irréfragable doublée d’un sens pédagogique reconnu ; soit, après avoir suivi une formation thématique, il s’autoproclame formateur. La déformation est en marche…
Les grandes enseignes ont bien compris les dangers représentés par les appren-tis sorciers de la branche. L’offre formation des "majors" du funéraire est non seulement crédible, mais elle porte ses fruits, et c’est bien le moins que l’on puisse en attendre.
Le législateur serait vraiment bien inspiré de remettre l’église au centre du village et de rappeler les fondamentaux. On ne s’intitule pas formateur par sa simple volonté. Un enseignant fait valoir ses titres afi n de dispenser son savoir dans l’enseignement. Rien de plus naturel, me direz-vous ? Il faut croire que non, si l’on en juge par les nombreuses réfl exions désabusées ed’entreprises. Une formation réalisée en dépit du bon sens impacte durablement celui qui la reçoit, c’est même une véritable catastrophe humaine et professionnelle. Tout est à reprendre, il faut reformater "le disque dur". Perte de temps, coût fi nancier et humain.
Alors que faire ? Exiger les qualifi cations des intervenants et le thésaurus précis de la formation. Parcourir le chemin d’expérience vérifi é du formateur et ne pas hésiter à lui poser des questions. Les grandes enseignes répondent déjà à cela car elles en comprennent bien les enjeux. Le contexte économique actuel est perturbant, voire anxiogène… La formation devient alors un investissement matériel et humain important pour une PME. L’étudiant porte les attentes de son entreprise, forge son avenir avec elle, reçoit, avant d’être un jour lui aussi en capacité de transmettre. Ainsi va la vie… Mais, pour que cela puisse devenir une réalité souriante, l’usage du balai semble une priorité, affaire d’intérêt général et de bien commun, et sur ce point, nous sommes tous d’accord, me semble-t-il.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Le civisme éclairé, renaissance du bien commun ?
Compte tenu de l’épisode épidémique que nous traversons, le confinement fut l’occasion d’effets secondaires inattendus. Le numérique et la diffusion télévisée sortent vainqueurs de deux mois de faible activité. Les chaînes d’information enregistrent de ce fait des scores d’audience exceptionnels. Les experts d’un jour se succèdent et nous assènent vérités après vérités, quitte à se contredire du jour au lendemain. Peu importe, selon eux, l’information est une denrée périssable à la date de fraîcheur qui se compte en heures.
Devant cette schizophrénie grandissante, et en réaction, le bon sens se fait jour parmi nos concitoyens et renaît ainsi un sentiment que l’on croyait disparu : le civisme. Il faut dire que notre société néo-libérale nous a plutôt habitués au culte de l’individualisme forcené. C’est pourquoi, avec bonheur, les citoyens se sont emparés de nombreux axes de solidarité, tout simplement parce qu’ils se retrouvent peu ou prou devant un État gérant au jour le jour pénuries et contradictions. La nature a horreur du vide.
"L’art qui s’occupe de l’âme s’appelle politique" soulignait Platon dans le Gorgias. C’est justement le civique qui permet à l’homme de penser avec son semblable et d’affirmer que celui-ci est un animal politique. Cependant le civisme est autre chose qu’un supplément d’âme, cette forme de civisme démocratique est en quelque sorte une adhésion à la théorie des droits. Hélas, les droits ne sont pas tout et certainement pas une propriété individuelle absente de devoirs. Une politique des droits de l’homme est nécessaire car il est bon de savoir ce que l’on veut faire en société. Par ailleurs, nous consentons à la démocratie car elle nous assure des droits mais nous sommes perturbés par l’impuissance à pouvoir parfois nous gouverner collectivement.
C’est bien le paradoxe français qui s’exprime. "Le triomphe de l’État social n’est cependant pas univoque. Il peut être équivoque. Même fondé sur la souveraineté du peuple, le régime démocratique peut être despotique. Une douce tyrannie civilisée où les individus se désintéressent du bien public", cite Frédéric Cohen, docteur et enseignant en philosophie politique et sciences politiques à Sciences Po, et d’ajouter : "la majorité est toujours la plus forte mais pas toujours la plus sage. Le nombre devient le critère du bien. On en vient ainsi à confondre la majorité avec le bien commun qui n’est plus une finalité. Le bien devient utilitaire à des fins particulières, c’est l’intérêt qui prédomine".
La grande leçon de ce confinement, où la vie économique s’est trouvée en grand péril et qui nous a donné du "temps de cerveau disponible", est assurément une bonne surprise. Les citoyens se sont à nouveau mis à réfléchir, à imaginer, espérer un "après", à envisager d’autres hypothèses. La solidarité a pris un second souffle et s’est exprimée avec force et vigueur. Les Français se sont affranchis de la tutelle de l’État et se sont organisés en petits groupes agissants, nodules communicants et proactifs. Est né un sens commun partagé par tous qui donne des repères à la vie "ensemble" et un réel plus collectif prend, contre toute attente, son envol. Cette forme d’économie sociale et solidaire n’est pas une réponse palliative. Cet épisode contraint créé de nouvelles espérances, de nouvelles exigences, l’utilité en est une.
Nous venons tous de nous rendre compte que la croissance forcenée dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée n’est pas nécessairement l’alpha et l’oméga de nos vies, ni de celles de nos enfants que nous hypothéquons sans vergogne. Le bonheur national brut n’est peut-être donc pas une utopie, il conjuguerait l’économie et l’humain, la capacité de faire raisonnable et les besoins essentiels du groupe.
De toute évidence, nous aurons l’occasion de ressentir les conséquences inattendues de cette épidémie qui a propagé un nouveau virus : le civisme éclairé, une lumière qui n’est pas près de s’éteindre…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Fraternité, ce supplément d’âme essentiel…
"La fraternité n’est qu’une idée humaine, la solidarité est une idée universelle." Cette citation de Victor Hugo résonne étrangement à l’heure où se ferment les frontières, où l’un des effets secondaires d’une épidémie non pré-vue est l’apparition d’une certaine fracture sociale, notamment sous la forme d’une solitude numérique amplifiée. Le clavier et l’écran sont devenus le média privilégié de nos existences confinées. Face à ce qui nous est imposé, à cette épidémie qui met à l’épreuve plus que nos organismes, nous devons profiter de ces journées de retraite forcée pour nous interroger sur le sens profond de la solidarité. Envisageons une autre hypothèse, et, au lieu d’invoquer la solidarité, invitons la fraternité sur le devant de la scène. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de convaincre, comme pourrait le faire Socrate, mais bien de persuader, comme le ferait Gorgias. Nous sommes dans le schéma classique opposant rhétorique et dialectique. Plus que la solidarité – mise à toutes les sauces ! –, réhabilitons le noble concept de fraternité.
Elle est un droit…
La lecture de l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme devrait être fixée à jamais dans nos mémoires : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité." C’est un opérateur funéraire public qui, il y a une quinzaine d’années, fi t apposer, en relief et dans toutes les langues de France, d’Europe et des communautés résidant sur le territoire de son agglomération – soit une trentaine de versions –, ce texte fondamental sur les murs jouxtant l’équipement funéraire. Innovation peu banale qui reflète un savoir-être essentiel, irremplaçable dans l’accomplissement de notre mission funéraire de service au public.
… un devoir
"Autant la liberté et l’égalité peuvent être perçues comme des droits, autant la fraternité est une obligation de chacun vis-à-vis d’autrui. C’est donc un mot d’ordre moral", résume le philosophe et essayiste contemporain Paul Thibaud. Elle est, pour nous, l’essence de la dignité.
… un choix
La fraternité n’est donc pas nécessairement innée. C’est souvent une patiente école de l’éveil pour celles et ceux qui ont fait le choix de l’embrasser. Cette démarche est une réelle initiation humaniste. Qu’elle se traduise par la tolérance, la charité, l’écoute, la compassion. Elle est notamment la promesse reconnue de l’apôtre Jean : "Demande et tu recevras, cherche et tu trouveras, frappe et on t’ouvrira."
… un don
La fraternité est un véhicule, un support, une dotation qui va nous permettre d’appréhender la puissance de notre démarche humaniste. Nous explorons par cette révélation le mythe de la caverne exprimé par Platon, où l’âme exilée doit affronter l’obscurité du monde souterrain pour sortir de "l’autre côté". Elle est la compagne fidèle de ce lent voyage initiatique qui va permettre de puiser les forces nécessaires à l’accomplissement de ce périple, à la mutation du "moi", pour laisser enfin apparaître la présence du "soi".
… une dette
La fraternité doit se concevoir alors comme le corollaire du savoir, de l’humilité, de la patience, de la sensibilité, de la réceptivité, de la lucidité. C’est un courant, une énergie motrice, un remède, une attirance, une logique, une transparence. C’est la première des énergies renouvelables, la permanence de toutes choses, la clé qui ouvre les portes de l’évolution, une drogue où l’accoutumance est la bienvenue. Elle est vecteur de communication, arme contre l’ignorance et la peur, pandémie de sagesse qui nous permettra de nous ancrer sur les voies de la connaissance et d’intégrer ses enseignements avec humilité et bonheur. La fraternité est l’amour qui ne se souvient pas du passé, qui s’exprime au présent, et qui pense toujours à l’avenir. Comme nous sommes contraints pour beaucoup à une activité ralentie, profitons de ces quelques instants pour nous interroger sur la façon dont nous pourrions traduire en termes concrets ce magnifique concept. Un devoir inflexible, pour resserrer les liens de notre humanité…
Maud Batut
Rédactrice en chef
La communication, un (bon) outil de gestion de la crise…
Cette fois, ça y est, nous sommes dans une vraie crise, sanitaire de surcroît. Les médias audiovisuels nous rendent paranoïaques à grands coups d’experts invités sur les plateaux, distribuant des discours plus ou moins anxiogènes à qui veut bien les entendre. À l’heure où nous paraissons, notre voisin transalpin décrète une quarantaine sur l’ensemble du pays… du jamais-vu ! Dans ces heures décisives, l’information dans les entreprises est déterminante, et à ne pas mettre dans des mains inexpérimentées compte tenu de ce contexte bien particulier de péril potentiel pour la santé. Il ne faut pas confondre la gestion de celui-ci et sa communication.
Pour beaucoup d’organisations, bien gérer une crise consiste surtout à bien communiquer. Cependant, il faut convenir que ce qui se dit de celle-ci devient aussi important que le phénomène lui-même, et que la communication est désormais une arme et une parade incontournable de la gestion des crises. Dans ces moments-là, la préservation de l’image et des intérêts des sociétés est privilégiée. L’organisation doit convaincre de la légitimité et du bien-fondé de son action. Pour cela, il lui faut suivre certaines règles qui peuvent se résumer en trois points principaux.
1 - Réagir : le temps de réaction est l’une des composantes capitales tant dans la gestion que dans la communication de crise. En effet, lors de celle-ci, l’entre- prise doit réagir immédiatement afin de maîtriser autant que possible tous les flux d’informations qui vont l’entourer. En étant réactive, elle montre qu’elle prend ses responsabilités vis-à-vis du problème, qu’elle en est consciente et ne le renie pas. C’est dans les toutes premières heures qui suivent le début du danger que l’organisation doit prendre la parole. Cette dernière sera jugée sur sa capacité à prendre la réelle mesure de la situation, et sur la réactivité dont elle fera preuve pour prendre des mesures concrètes.
2 - Informer : quel que soit l’objectif, le but permanent sera de garder la maîtrise sur les informations délivrées et sur les perceptions des acteurs de la crise. Si l’organisation ne prend pas clairement position, c’est d’autres qui s’en chargeront. Si elle fait de la rétention de données ou pratique la politique du secret, d’autres échafauderont des hypothèses et divulgueront des infos non contrôlables. Il est donc essentiel voire vital que l’organisation s’exprime par l’intermédiaire des médias afin de projeter une image de calme, de clarté, de compétence, mais aussi et avant tout d’empathie pour les victimes. L’information doit aussi mettre en avant les actions en cours ou à venir dans des délais très brefs.
3 - Occuper tout l’espace médiatique : la communication ne doit pas se contenter de quelques annonces, elle doit être présente dans tous les supports de presse, d’une part pour maîtriser les flux d’informations qui l’entourent, et d’autre part pour maintenir une image positive vis-à-vis du public, des clients de l’entreprise, de ses actionnaires, ses partenaires, sans oublier bien sur ses salariés. La communication de crise doit donc s’articuler autour de tous les médias, et prendre en compte leur complémentarité. Enfin, il ne faut surtout pas négliger le nouveau vecteur de diffusion que représente Internet, et se souvenir qu’au moment de la sortie de crise, cet outil laisse des traces (entre autres dans les fameux moteurs de recherche et réseaux sociaux).
En conclusion, le coronavirus ne va pas faire disparaître l’humanité. C’est une situation préoccupante mais avec un bilan pour l’heure inférieur à la grippe saisonnière ou encore aux accidents de la circulation. L’analyse a posteriori de cet événement, désormais planétaire mais historiquement loin d’être un inconnu, réserve des rebondissements intéressants. Tout ceci amène à s’interroger sur le principe de précaution. La peur n’écartant absolument pas le danger, or donc, rien ne sert d’avoir peur…
Maud Batut
Rédactrice en chef
La dignité est-elle une illusion ?
Constatant certaines dérives significatives, nous sommes en droit de nous interroger sur le principe de "dignité" qui, malheureusement, s’apparente de plus en plus à une illusion. Il faut reconnaître que ce nom féminin a été regrettablement utilisé de façon souvent opportuniste pour justifier l’injustifiable et que sa revendication semble de moins en moins crédible. Pourtant, quoi de plus beau que celle-ci ?
Cette notion trouve son sens tant au niveau philosophique, que juridique ou religieux. La dignité est l’essence même de l’humanité. Le philosophe Paul Ricœur nous invite à l’idée que "quelque chose est dû à l’être humain du fait qu’il est humain". Toute personne mérite donc un respect inconditionnel, quel que soit sa condition sociale, physique, sexuelle, mentale, religieuse, ethnique. Est-il besoin de rappeler à la lecture de l’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité" … Un ange passe…
Elle est de l’ordre des principes et ne renvoie non pas à un donné mais à un dû, c’est-à-dire à "quelque chose" qui n’est pas négociable ; ou encore, en d’autres termes, à ce que les juristes nomment "l’irréductible humain".
Le concept de "dignité humaine" occupe désormais une place éminente dans le droit international des droits de l’homme et notamment dans les textes relatifs à la bioéthique, tels que la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de l’UNESCO et la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe, toutes deux en 1997. L’idée de dignité humaine a donc une longue histoire et la difficulté de la définir vient de ce que l’accumulation des discours qui s’en emparent et celle des institutions qui la mettent en œuvre en modifient les contours.
Elle est sans doute le résultat d’un tissage entrelaçant ou appariant diverses influences, comme celles de la religion, de la philosophie ou du droit ; et elle marque l’apparition d’un système juridique qui se donne les moyens de penser l’homme débarrassé des présupposés de la foi, de ses coutumes et de ses institutions qui font son histoire concrète. Dès lors, on est passés de la nature à la nature humaine et à l’égale dignité des hommes entre eux.
Lors de périodes troublées, telles celles que nous vivons actuellement, où le doute s’empare de tous, où les valeurs fondatrices de nos sociétés sont mises à terre, où la précarité s’empare des plus faibles, il ne nous reste qu’elle en partage. Aussi, lorsqu’il est question d’accorder une pause à des personnes salariées venant de perdre un enfant, seule la dignité doit conduire notre approbation. C’est notre marque de solidarité avec des personnes qui vivent un authentique drame d’une douleur extrême qu’il va falloir porter jour après jour que d’accepter ce bouleversement de l’ordre naturel des choses, de prendre pitié… encore un terme oublié de notre vocabulaire…
Nous, professionnels du funéraire, nous connaissons hélas que trop bien cet épisode d’une fulgurante violence qui frappe une famille, qui anéantit toute forme d’espoir et d’amour. Nous en évaluons parfaitement les conséquences humaines et sociales pour celles et ceux qui sont frappés par cette tragédie. Peu importe ce que dit "la loi", ce qui compte avant toute chose, c’est ce que nous sommes, femmes et hommes qui connaissons cet univers sombre. Ce qui importe, c’est le regard que nous porterons et l’action que nous conduirons pour accompagner l’un de nos collaborateurs si le sort venait à le frapper aussi durement. En cela nous affirmerons haut et clair où se situe notre devoir de dignité et notre qualité d’être humain, notre signature.
Maud Batut
Rédactrice en chef
La volonté est-elle un pouvoir ou un désir ?
Tradition solidement ancrée, la présentation des vœux en début d’année est un passage obligé de civilité. "Je vous souhaite de…" exprime implicitement nos propres attentes, que nous projetons vers notre interlocuteur. Mais qu’est-ce que la volonté ? Définie comme un pouvoir de se déterminer à agir en fonction de motifs ou de raisons, la volonté est une faculté de projection vers des fins ou des objets parfois complexes.
"Il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne pas le donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions", affirme Descartes en 1644 dans "Les Principes de la philosophie".
Cet appel au libre-arbitre repose sur l’idée que la volonté et l’entendement sont deux facultés distinctes. Nous pouvons vouloir ce que notre entendement nous révèle être le pire. Pour Spinoza, cette appréhension relève d’un rapport imaginaire à soi-même et fait que le libre-arbitre est une illusion, et d’affirmer : "Nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n’appétons ni ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons." Dans ce cas, n’entrons-nous pas dans la caverne mystérieuse du désir ressenti comme une velléité ?
Le velléitaire veut tout et son contraire, il déborde de projets parce qu’il n’en met en œuvre aucun. Le volontaire, au contraire, reste sur le registre d’une certaine forme d’humilité, mais s’engage dans l’accomplissement de ce qu’il a projeté. Une bonne démonstration faite que l’on ne peut pas vouloir l’impossible.
Pour le philosophe Ricœur, "le désir peut signifier une mise à l’écart de la raison au profit d’une lecture idéalisée du réel". Il est une construction intellectuelle par laquelle nous imaginons, désirons et idéalisons. Finalement, c’est par l’échelle du temps que le plaisir du désir prend toute sa dimension. Un fois assouvi, celui-ci nous conduit-il à la satisfaction ou, a contrario, à la désillusion ? Schopenhauer disait avec raison que sa réalisation est comme "une aumône que l’on jette à un mendiant. Elle lui sauve la vie aujourd’hui pour prolonger sa misère jusqu’à demain". Il nous faudrait donc vivre perpétuellement dans le désir et exploiter cette force comme un "vouloir vivre". Désirer c’est vivre, vivre c’est exister.
Comment rapporter ces pensées à nos quotidiens ? Simplement en demeurant en quête permanente du désir, de ce "vouloir vivre" qui nous anime et nous transcende, quels que soient les obstacles et les dangers rencontrés au long du chemin. Il n’est pas synonyme de souffrance dès lors que l’on accepte l’enjeu et que nous nous concentrons sur notre capacité à faire et notre volonté à nous autodéterminer à partir d’un choix raisonné, fondé sur une analyse objective de nos forces et nos faiblesses.
C’est notamment le credo de tout initiateur d’entreprise, vaincre ses passions et les soumettre à la raison en gardant à l’esprit sa volonté et l’intégrité de son projet. Donc, dans cet esprit, le désir manifeste une volonté positive de puissance affirmative qui suppose imagination, créativité, audace. Celui-ci est l’incarnation de l’homme, c’est ce qui crée son relief, sa personnalité. Cette volonté s’inscrit dans l’allégorie de la caverne de Platon. Se découvrir à soi-même et rectifier ainsi les aspérités de notre pierre cachée pour tendre vers l’idéal.
Ainsi, le désir est bien cette volonté d’entreprendre qui monte du fond de nous-même vers notre raison et que notre vouloir aiguillonnera par la pointe du plaisir. Que vous souhaiter de plus à l’aube de cette année nouvelle, sinon le plaisir d’être et de faire ?
Maud Batut
Rédactrice en chef
Un peuple qui oublie son passé n’a pas d’avenir
Cette citation de Winston Churchill pose une bonne question. La mémoire est-elle le souvenir ? À bien y regarder, il semblerait qu’il ne faille pas les confondre, et que si ce sont les deux faces d’une même pièce, ce n’est qu’en apparence. Le mot "mémoire" est largement usité, notamment lorsque l’on évoque le "devoir de mémoire". Celle-ci nous permet d’avoir conscience à l’instant présent de ce qui n’est plus. Elle est un concept générique qui englobe les souvenirs. De ce point de vue, l’être humain est faillible et a souvent tendance à effectuer un tri de façon inconsciente pour ne conserver que certains aspects d’une période ; et à oublier ou à atténuer en surface les autres trop douloureux. Le terme "mémoire" invoque la psychopathologie, notamment les processus psychiques hétérogènes, voire contradictoires qui font que celui-ci ne signifie pas nécessairement "se souvenir" et "se rappeler".
Le concept de "devoir de mémoire" est récent. Il est venu sur le devant de la scène à l’aube des années quatre-vingt, et a migré inexorablement vers le discours politique. On pense immédiatement aux grands cataclysmes que furent les conflits mondiaux du XXe siècle, et plus particulièrement à la Shoah et à ses atrocités associées. Ce "devoir" s’applique également à d’autres périodes noires et récentes de l’humanité… Citons la traite des esclaves - qui perdure aujourd’hui sous d’autres formes -, le génocide arménien, les crimes contre l’humanité en ex-Yougoslavie, au Rwanda, etc., la liste est longue… Hélas trop longue et trop contemporaine, ce qui en dit long sur les leçons à tirer du passé et sur la capacité de l’homme à y parvenir.
Qui dit "mémoire" doit se pencher sur "l’oubli", inévitablement, ce qui fait dire que "le devoir de mémoire est justement destiné à valoriser ce qui est choisi pour être souvenu".
Or, la mémoire n’est pas une simple aptitude à se souvenir, car elle deviendrait alors un ordinaire disque dur de stockage de données sensorielles. La psychanalyse avec Freud offre une affirmation radicale : "La conscience naît là où s’arrête la trace mnésique". En termes clairs, conscience et mémoire sont "exclusives l’une de l’autre". Cette dernière relève de l’inconscient et se manifeste en délivrant un message dans les actes conscients faisant que le sujet peut se rappeler une situation ou un épisode, mais sans s’en souvenir précisément. Ce fait se vérifie au niveau de nos rêves qui ne sont que des succédanés de notre mémoire. Ce retour sur nous-même se fait à notre insu, nous visitons parfois notre passé sans pour autant nous en rappeler.
L’histoire tente de comprendre la complexité de ce qui s’est passé et de mettre en rapport les détails et les contradictions de la réalité. La mémoire peut simplifier la réalité pour devenir collective et, ce faisant, en néglige les détails et les contradictions. Si l’Histoire a un caractère scientifique, la mémoire, elle, est par nature collective. Le philosophe Emmanuel Kattan pose avec justesse le délicat problème de sa transmission. "Les idéaux et les valeurs qui ont animé la vie, inspirent les descendants et contribuent à orienter leurs choix. En se rapportant au souvenir de ses ancêtres, l’homme se situe lui-même au sein d’une trame narrative."
Qu’il s’agisse d’événements historiques ou de passé familial, le devoir de mémoire doit laisser peu à peu la place à une certaine forme de "droit à l’oubli"… dans un subtil mélange des deux, pour se réaliser au final dans une forme plus "apaisée", dans un rapport au passé de groupe ou d’individualités assumant leur histoire. L’Histoire est indispensable pour comprendre le passé, la mémoire est indispensable pour construire et vivre pleinement le présent.
Comme vous pouvez le constater, rien n’est simple dès lors que l’on pénètre dans l’inconscient de l’homme, une complexité qui ne souffre pas de manipulation, mais bien d’une prise en compte des réalités individuelles, de leur écoute et d’un accompagnement attentif. N’est-ce pas là justement notre vocation morale première ?
Maud Batut
Rédactrice en chef
Ce ne fut pas la Toussaint mais la Saint-Barthélemy des pompes funèbres !
Quelques centaines d’agences ont été contrôlées par des émissaires "ni vu ni connu" envoyés par Que Choisir. En conséquence, la grande majorité des opérateurs contrôlés ont reçu une lettre de cet organisme de consommateurs les enjoignant de rectifier leurs documents commerciaux et/ou leur attitude d’accueil de clientèle. Premier problème, le ton de ces lettres est comminatoire.
La profession funéraire est-elle toujours productrice d’un égrégore ?
Encore un mot bien savant mais qui convient bien à l’exercice d’un éditorial. L’égrégore, que l’on pourrait définir par l’inconscient collectif ou encore la mémoire collective, ou d’archétypes selon les travaux du philosophe Jung, est un phénomène qui fait l’objet de nombreuses recherches et qui est le produit d’un courant de pensée collective, une énergie qui nous fait focaliser sur des évènements ou des actions au sein d’un microcosme, qu’il soit familial, civil ou professionnel. Lorsque nous partageons un moment fort, celui-ci déteint sur nous et se dilue dans un mode collectif de pensée. Nos émotions mutualisées trouvent une extériorisation dans un esprit de groupe.
Souvenons-nous des événements tragiques de la tuerie de Charlie Hebdo, cette énergie intense se manifesta, c’est le moins que l’on puisse dire, par plusieurs millions de personnes dans la rue exprimant leur refus de l’extrémisme. La France est devenue Charlie, l’égrégore fut de la plus belle ampleur. On parle alors d’égrégore fécond. Celui-ci n’est pas nécessairement identique à la pensée de chaque individu. Il est un produit, une résultante, mais non l’expression personnelle, intime d’un ego.
Cependant, tout est égrégore. L’enfant né au sein de la cellule familiale subit l’égrégore de celle-ci. Nous impactons tous celui du milieu dans lequel nous évoluons. Il en est de même pour notre vie professionnelle, réalité alternative de ce que nous sommes, finalement très perméables à ses sollicitations. Si nous posons la question : "Le funéraire est-il toujours porteur d’un égrégore ?", nous sommes quelque peu provocateurs, mais à dessein. Comme tout est égrégore, la réponse est forcément : "oui". Mais en allant au fond des choses, ne sommes-nous pas en train d’en créer un, artificiel, qui n’est plus le reflet et le produit d’une multitude d’individus, mais au contraire une posture standardisée, diluée au sein d’une pensée unique globalisée qui veut, à l’instar d’autres secteurs économiques, le réduire à sa plus simple expression, cherchant a annihiler justement son énergie.
L’égrégore n’a de réelle valeur que s’il est le produit de la différence. Sa richesse est là et faisait dire à Antoine de Saint-Exupéry : "Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis." Retrouver le sens profond de l’égrégore, c’est avant tout mener un combat avec soi-même. C’est aussi retrouver la vibration des jeunes années où tout était possible, où rien ne semblait faire obstacle. Ce constat est transposable au monde de l’entreprise. À la banalisation des comportements, aux réactions cousues de fil blanc, aux discours stéréotypés, il est grand temps d’opposer un réveil et une prise de conscience du monde que nous construisons. Il est temps pour chacun de quitter sa zone de confort, un égrégore trop largement partagé, érigé en dictat, et qui finalement nous conduit à l’échec, sinon à une impasse.
Retrouvons le sens de l’entreprise, de l’innovation, du partage des valeurs qui fondent notre humanité. Nous ne sommes pas des produits financiers, mais des âmes en possible errance qu’il faut rassembler sous un nouvel étendard afin de produire une éthique qui soit autre chose qu’un mot de plus dans le dictionnaire. L’espoir réside dans la multiplicité et non dans l’uniformisation. L’énergie universelle est l’indocilité volontaire, non la soumission ; l’énergie personnelle est l’affirmation de notre éthique, non celle d’arguments collectifs fallacieux destinés à endormir… la femme ou l’homme que nous sommes… ou souhaitant être… dotés de raison, de créativité, de volonté d’entreprendre, d’altruisme. Cet égrégore s’appelle l’humanité, et il est grand temps de s’en souvenir, et d’y revenir sans attendre.
Maud Batut
Rédactrice en chef
"La peur n’écarte pas le danger"
Nous connaissons tous cette citation et, bien souvent, nous la complétons nous-mêmes par un définitif "alors ça ne sert à rien d’avoir peur", qui ne doit rien à l’auteur Misha Defonseca née Monique De Wael, écrivaine belge contemporaine, qui défraya la chronique par son ouvrage "Survivre avec les loups" retraçant son incroyable périple pendant la Seconde Guerre mondiale et vendu à plus de 200 000 exemplaires avant que l’auteure ne reconnaisse la non-authenticité de ses propos.
La citation en revanche est valide et intéressante à plus d’un titre, surtout si elle est considérée dans son ensemble : "La peur n’évite pas le danger, le courage non plus. Mais la peur rend faible et le courage rend fort." En qualité de responsables au sein d’entreprises ou dirigeants de celles-ci, nous sommes confrontés chaque jour à la prise de décisions et à l’inévitable doute qui accompagne notre réflexion. "Le doute est le commencement de la sagesse" est une citation d’Aristote. En effet, Aristote rappelle que le doute est la première étape vers une possible acquisition de la sagesse. Celui-ci conduit-il vers une connaissance meilleure ou bien vers un flou encore plus vaste ? Son origine commence par l’ignorance. En effet, douter débute par une non-connaissance d’un fait ou d’un sujet qui va conduire vers une remise en question de la personne. On peut donc faire le lien entre ignorance et doute parce que la première conduit au second. Lorsque ce dernier surgit, l’hésitation prend le relais. Douter, c’est en effet s’apercevoir qu’on manque de certitude.
Nous le savons tous, nous traversons une période de turbulences économiques et sociales et, bien souvent, cet état d’esprit s’installe dans nos quotidiens et vient perturber nos prises de décisions.
Persévérer dans le doute conduit rapidement au défaitisme face à la connaissance. Utilisons-le donc comme un ressort inévitable à toute forme de progrès, mais également comme une posture intellectuelle salutaire qui nous permettra de ne pas nous laisser abuser par des vérités toutes faites ou trop souvent relevant d’un bruit de fond urbain : la rumeur.
En un mot, positivons résolument face au doute !
Baisser les bras devant le premier obstacle, renoncer au premier avis de coup de vent n’est pas le bon exemple que nous, capitaines de nos navires entrepreneuriaux, devons donner à notre environnement. "Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles", Sénèque a raison sur toute la ligne.
La meilleure des réponses que nous puissions apporter aux incertitudes et remises en cause d’où qu’elles viennent est bien justement une forme de pédagogie positive que vous connaissez. Communiquez, expliquez, rétablissez les vérités, opposez aux caricatures toutes faites un discours transparent et loyal, battez-vous, ne laissez pas la morosité et le doute faire le lit du soupçon accusateur, procureur opportuniste qui, à force d’anathèmes, vous réduira bientôt à l’impuissance.
Nous n’avons à rougir de rien. Ce n’est pas parce que quelques oiseaux de mauvais augure se distinguent et défraient la chronique que l’amalgame doit s’appliquer à une profession tout entière. Très prochainement, notre profession se rassemblera lors du Salon du Funéraire de Paris. Il vous appartient au préalable de dire haut et clair la réalité de vos actions. Le scepticisme n’est qu’une façon de nier cette réalité et de faire de nous tous les victimes d’une paralysie de l’esprit, de la pensée et de l’action. L’heure n’est plus au vague à l’âme, mais bien à la lutte, aussi, les hésitations pénalisantes doivent être mises de côté sans attendre. Parlez, dites ce que vous avez à dire, osez, communiquez, expliquez, convainquez, luttez, résistez… Retrouvez votre âme de combattant d’entreprise, elle vous va si bien.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Savoir et connaissance, deux faces d’une même pièce ?
Nos métiers du funéraire reposent pour une large part sur la transmission du savoir. Depuis quelques années, cette transmission orale a fait sa mutation en créant une filière d’acquisition des compétences qui se traduit notamment par une reconnaissance officielle lors de formations diplômantes.
Entre savoir et connaissance, que faut-il retenir, et parle-t-on bien de la même chose ? En effet, dans le langage courant, savoir et connaissance sont souvent synonymes. Bien qu’appartenant au même domaine, il convient cependant de distinguer le processus actif de production, la connaissance, du résultat que nous nommerons "le savoir". La différence ainsi produite génère une mise en acte, donc une connaissance produit du savoir. C’est ce que résume la définition du Littré (1877). Le savoir désigne une construction mentale individuelle qui peut englober plusieurs secteurs de connaissance. Ainsi s’inscrit peu à peu le champ de l’expérience dans la construction du savoir. À ce propos, il est intéressant de noter que savoir et connaissance s’opposent au domaine de "la croyance".
"Il faut savoir, pas croire…" Que de fois, lors de formations, cette petite phrase est revenue…
La dimension qualitative du savoir est donc essentielle pour nos métiers, car elle suppose un processus continu d’assimilation et d’organisation des connaissances. L’application en pratique de l’ensemble de ces acquisitions démontre la volonté d’exécution et apporte ainsi une valeur ajoutée à l’expérience acquise. L’ensemble de ces acquêts lors de ce processus d’élaboration a pour nom : métacognition.
Le but de toute formation est d’apporter aux récepteurs de celle-ci la capacité de faire. "Savoir, c’est pouvoir." Il n’y a qu’un pas à faire pour intégrer le "savoir-faire" et, avec un peu de persévérance, le "savoir-être".
On l’aura compris, le savoir et la connaissance sont deux constructions intellectuelles qui ouvrent la porte à d’autres perspectives, tout aussi séduisantes, notamment dans les champs philosophique ou scientifique. Nous savons tous que l’éducation est essentielle, c’est un socle commun qui nous permet d’appréhender d’autres disciplines. Cette valeur collective va fonder notre société et permettre à chacun d’évoluer au sein de celle-ci. Longtemps restée le parent pauvre de l’entreprise, la formation est devenue aujourd’hui la composante essentielle de celle-ci. C’est elle qui est garante de la qualité, qui est au cœur de la transmission aux jeunes générations, qui permet l’émulation sociale de nos forces vives.
Si celle-ci est l’axe d’acquisition d’un savoir-faire, il est également grand temps de se pencher sérieusement sur le "savoir-être". Cette dimension ne s’acquiert pas nécessairement lors de nos cursus pédagogiques… et c’est bien dommage. La formation ne remplace pas l’éducation. Il ne reste que l’exemplarité de nos comportements et l’éthique que nous apportons à la mise en œuvre et à l’élaboration de nos procédures professionnelles. Sans cette dimension éthique, nos différents savoir-faire ne valent pas grand-chose.
À l’aube de cette rentrée de septembre, et compte tenu de différents événements périphériques d’actualité où l’éthique est mise à mal, penchons-nous sur l’impérieuse nécessité d’être, pour notre part, les gardiens de celle-ci, et de veiller à ce que ce message immatériel soit bien transmis, reçu, assimilé et restitué par celles et ceux qui collaborent avec nous au service rendu aux familles en deuil. L’éthique n’est pas un argument publicitaire qui ne satisfait que celui qui s’en vante, c’est un savoir-être déterminant, permanent et exigeant, qui fonde nos savoirs et connaissances ; et justifie pleinement notre mission de confiance.
De ce point de vue, il y a un formidable chantier à poursuivre… et l’heure du repos n’est encore pas arrivée.
Maud Batut
Rédactrice en chef
L’intelligence sans conscience n’est-elle que ruine de l’âme ?
Il n’aura échappé à personne que notre monde contemporain se focalise sur la recherche d’intelligences, sur terre comme dans l’espace infini. Celle-ci est devenue un critère social, à tel point que nous avons tous dans notre entourage des personnes qui, sur le ton de la fausse confidence, nous apprennent que leur fille ou fils est un(e) "surdoué(e)". Il n’y en aura jamais eu autant. La cerise sur le gâteau, si je puis dire, est l’apparition de l’IA, ou "Intelligence Artificielle", technologie qui risque d’envahir petit à petit nos espaces de liberté et qui mérite que l’on s’y attarde. Loin de nous l’idée d’en faire le procès, mais interrogeons-nous cependant.
Reconnaissance vocale ou faciale, credit-scoring bancaire, moteurs prédictifs ou de recherche… les capacités informatiques actuelles évoluent plus vite que nos propres imaginations, et la science-fiction s’installe dans nos quotidiens, à tel point que certains pays entament déjà une gestion civique de leurs ressortissants par des processus liés à l’IA. Vous avez un permis à points de citoyen !
Infractions routières, comportements individuels, ces données concentrées dans ce qu’on appelle le Big Data – pas loin de devenir le "Big Brother" du romancier Georges Orwell –, peuvent s’avérer vite liberticides, voire dangereuses. Le mouvement transhumaniste, thuriféraire de l’IA, gagnerait à méditer sur le fait que "la machine ultra intelligente sera la dernière invention que l’homme aura besoin de faire, à condition que ladite machine soit assez docile pour constamment lui obéir". Irving Good, par cette pensée, renvoie notamment l’humain à une réflexion simple : dès lors qu’une machine aura réellement la capacité de penser par elle-même et d’interagir, aurons-nous encore la capacité de nous interposer à des décisions que nous estimerions néfastes ?
L’IA est la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains, car elles demandent des processus mentaux de haut niveau, tels que l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique. Pour John Mac Carthy, l’un des créateurs de ce concept, "toute activité intellectuelle peut être décrite avec suffisamment de précision pour être simulée par une machine".
Peut-être pensez-vous que nous voyons les choses trop en noir. Malheureusement, ce sujet impose que les questions soient posées avant plutôt qu’après. Nous devons prévoir et non pas subir.
Jetons un coup d’œil sur l’IA rapportée à notre segment d’activité. Le Big Data nous permet aujourd’hui de puiser dans les banques de données publiques (et elles sont nombreuses) et de collecter des informations insoupçonnées sur les personnes, puis de les exploiter à des fins financières. La donnée informatique devient donc une arme commerciale qu’une législation hexagonale ne peut restreindre.
Chaque jour qui passe, les fonctions d’apprentissage automatique de ces machines s’accroissent, à tel point que des pans entiers de décision humaine pourraient bientôt être délégués à des automates. Les machines feront-elles les "lois" de demain ?
"Science sans conscience n’est que ruine de l’âme." Rabelais exprime finalement ce qu’est l’esprit humain : intuition, conscience, communion.
La conscience – cum scientia (latin) : activité psychique qui fait que "Je pense le monde et que je me pense moi-même, et ce parce que la conscience est une mise à distance de l’homme face au monde et à lui-même". C’est ce qui fait que je ne suis pas posé dans le monde comme peut l’être un objet, mais que "je" me rapporte au monde, que "je" le vise, que "je" m’y projette.
Que nous soyons en mesure de créer des "machines intelligentes", qui accomplissent certaines tâches pour le seul profit de l’humanité, est louable. La conscience prend alors une autre dimension, celle de la dignité qui permet à l’homme de penser le monde et de se penser lui-même. Mais celle-ci a un prix, elle est une libération qui impose la nécessité de devoir répondre de ses actes et de les assumer. Parallèlement à cela, parce qu’elle permet la pensée, elle est ce qui génère le questionnement philosophique.
À l’invitation "Connais-toi toi-même", Socrate répond : "Je sais que je ne sais rien". Humilité qu’une machine ne saurait avoir. Par moments, il est bon de ne pas pouvoir répondre à une question, car cela enclenche un processus stimulant pour l’homme comme la recherche d’hypothèses… ce carburant intellectuel, adrénaline de l’esprit, caractéristique propre à l’être humain.
Que deviendrions-nous si demain l’IA prenait le dessus ? Des morts-vivants ? Des esclaves d’une technologie inventée par nous mais dont nous aurions perdu le contrôle ? Peut-être… Alors, restons vigilants !
Maud Batut
Rédactrice en chef
L’exemplarité…
Ou comment incarner l’émulation
Nous devons bien avouer qu’au fond de nous-même, nous aimons parfois les images. Tout commence dès le plus jeune âge. Lorsque notre comportement en classe répondait aux attentes du maître, nous avions droit à une image. "Sage comme une image", être un modèle pour ses petits camarades, une référence…
Notre nature humaine a besoin de modèles, car souvent un manque d’imagi-nation nous incite à trouver chez les autres des points positifs que nous souhaiterions nous approprier. Mais attention, si rechercher une vertu semble positif, il faut qu’elle conserve néanmoins son caractère pédagogique, sous peine de dénaturer "l’exemple" et n’en faire qu’un simple copier-coller sans intérêt. Un modèle n’est pas une idole, notre libre-arbitre doit rester intact.
En cela, la notion d’exemplarité ne constitue pas un frein à la liberté individuelle, bien au contraire. Elle doit conserver son caractère profond qui a pour nom "l’émulation". Ce sentiment, considéré comme noble et louable, est supposé pousser à surpasser ses concurrents dans l’acquisition de compétences et de connaissances dans un périmètre d’activités sociales diverses. Celle-ci suppose donc au préalable une adhésion au modèle revendiqué. Et, ce qui en fait tout l’intérêt, c’est la volonté de transcender celui-ci. Que le contexte soit le défi personnel ou collectif, que l’objet soit culturel ou professionnel, la volonté initiale est la même… Progresser !
Appliquée au monde entrepreneurial, qui peut incarner ce concept d’exemplarité, si ce n’est le détenteur du pouvoir, celui qui imprime un cap à tenir et définit les moyens à mettre en œuvre ? Le dirigeant de la société doit être un exemple pour ses collaborateurs, car il est le pourvoyeur des références comportementales qu’il doit mettre en harmonie avec les propos qu’il tient.
Il ne doit pas y avoir d’interférence entre les traits de personnalité de celui-ci et les stratégies qu’il dicte. Un dirigeant est là pour incarner un modèle d’autorité, un diffuseur de politique d’entreprise, un gardien de l’éthique de celle-ci, un équilibre social juste. Si l’on prend la référence militaire, l’exemplarité du chef rejaillit sur ses troupes. L’admiration portée au commandement se traduit dans les faits par une transcendance des troupes dans un contexte martial où côtoyer la mort ne peut se faire sans une absolue confiance dans une hiérarchie et ses décisions. Être un modèle suppose ici d’incarner le respect, l’admiration, la confiance, l’adaptation, le don de soi…
Le modèle "exemplaire" doit également veiller à ce que l’image qu’il transmet est bien conforme. Elle ne devra pas être dénaturée par le fait qu’en qualité de référent initial, celui-ci n’est pas vraiment un critère absolu en soi ; ou encore que les récepteurs de l’image émise ne possèdent pas le même degré de volonté et d’énergie pour devenir eux-mêmes des relais positifs pour leurs compagnons de travail.
Les faits divers regorgent hélas de cas de ce type. Celles et ceux qui sont supposés être des modèles pour leur société cèdent parfois à des pulsions néfastes pour le plus grand nombre. Les collaborateurs ont besoin d’un "idéal" managériale pour pouvoir coopérer activement en situation de changement. La volonté de collaborer si celui-ci est absent se traduit très vite par une situation d’échec et de mise en danger de la firme elle-même. Nous avons besoin de références positives, pas de gourous ni d’apprentis sorciers, encore moins de chefs de bandes. La coopération des collaborateurs de l’entreprise passe par la confiance dans leurs dirigeants, et la notion d’engagement repose sur l’adhésion au modèle, à l’aspect rigoureux et exceptionnel de celui-ci, à la cohérence de son image.
Or donc, restons très attentifs à nos actions, en qualité de référents et de décideurs, nous sommes les artisans de nos destins professionnels. Si l’entreprise ne marche pas, c’est de notre responsabilité. Si un accident survient, c’est qu’il y a une faille sévère dans notre dispositif de sécurité au travail. Si nous sommes pénalisés, c’est que la faute est nôtre, volontaire ou non. Pour conclure, si nous devons trouver un mot qui colle bien à "l’exemplarité", adoptons sans hésiter la "responsabilité".
Regardons-nous dans une glace, et ne trichons pas… Sommes-nous vraiment en accord avec l’image du modèle que nous sommes censés émettre ?
Une bonne question à se poser chaque matin.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Vérité, relativité, opinion, ça se discute…
Nous le savons tous, il y a autant de vérités que d’individus et, de fait, la communication peut parfois devenir laborieuse, chacun campant sur ses propres affirmations avec le sentiment d’être propriétaire de l’objectivité…
Certains malentendus naissent de ce constat, les conflits également.
Ce que nous considérons comme vérité n’est en fait, bien souvent, qu’une opinion. La démarche d’élaboration d’une vérité doit se distinguer de cette dernière, et c’est là qu’intervient la notion de relativité. La formule "à chacun sa vérité" suppose une conception relativiste élaborée notamment par le philosophe sophiste Protagoras dans les dialogues de Platon (Théétète). Ce relativisme, en posant que c’est de l’être même des choses, et non seulement de leur connaissance, que chaque individu est le critère, fait de la connaissance un simple point de vue et abolit ainsi toute possibilité de vérité.
La célèbre formule "l’homme est la mesure de toute chose" tend à signifier qu’il n’y a pas de vérité absolue, mais une multiplicité de points de vue qui varient en fonction des époques, des lieux… des états d’âme. À la "vérité", préférons le concept "d’élaboration du sens en domaine contextuel", et soyons prudents dans nos affirmations.
Si nous développons ce thème aujourd’hui, c’est qu’en qualité d’organe de presse, nous sommes fréquemment confrontés lors de nos entretiens rédactionnels à un certain nombre d’affirmations, toutes initialement de bonne foi mais qui, journalisme oblige, imposent une vérification ainsi qu’une analyse croisée, mais aussi et surtout contradictoire, du sujet traité.
Bien entendu, dans la plupart des cas, nous nous trouvons devant deux personnes bien identifiées, supposées être de bonne foi, mais nous sommes également face à deux expressions d’une réalité dont l’angle de vue multiple génère une différence qu’il nous faut prendre en compte. De fait, la vérité a disparu et nous sommes devant deux opinions plus ou moins éloignées voire contradictoires.
Analysons rapidement ce qu’est une opinion, à savoir un jugement que l’on porte sur un être vivant, un phénomène, un fait, une situation, un objet ou une chose. Elle peut être considérée comme bonne ou mauvaise, tout dépend de la nature de l’individu, de son caractère, ses émotions, son comportement. Elle peut donner de mauvaises informations - et donc influencer - sur un sujet étudié au sein d’un groupe, d’une personne, d’un objet. Celle-ci est un ensemble de jugements que l’on se fait à propos d’un objet. Selon des définitions attribuées à Platon, elle est la "conception que la persuasion peut ébranler, fluctuation de la pensée par le discours, pensée que le discours peut mener aussi bien au faux qu’au vrai". Celles-ci peuvent donc être paradoxales, consensuelles ou douteuses.
En conclusion, qu’est-ce que la vérité et comment l’atteindre puisque l’on ne peut pas la confondre avec la réalité et encore moins avec l’opinion ? D’un point de vue théorique, elle s’oppose à l’erreur ou à l’illusion. D’un point de vue pratique, elle s’oppose au mensonge.
Vous comprendrez sans effort les choix cornéliens d’une direction de publication qui doit, selon la formule consacrée et parfaitement appropriée, "séparer le bon grain de l’ivraie", l’ivraie étant cette graminée sauvage et nuisible qui est censée provoquer une sorte d’ivresse.
Aussi, lorsque nous engageons le débat sur tel ou tel sujet, gardons-nous de nos opinions tranchées, méditons sur le sens caché des choses ou des faits, prenons la hauteur et le recul nécessaires à une bonne compréhension contextuelle des événements et, toujours pour invoquer les métaphores dont regorge notre belle langue française, "ne prenons pas les vessies pour des lanternes". Ceci étant fait, et après une bonne nuit de sommeil dessus, la vérité nous apparaîtra lumineuse et toujours surprenante, car elle n’est jamais celle que l’on croit, c’est en cela qu’elle est magique, une évidence universelle partagée.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Ne nous voilons pas la face…
Il est d’usage lors de nos éditoriaux d’élever le débat et, souvent, nous faisons appel à des références philosophiques universelles. Une respiration salutaire destinée à nous apporter un rayon de soleil par une réflexion apaisée. Hélas, la réalité nous rend parfois la vie dure, de même que les chiffres sont têtus.
Depuis quelques mois déjà, nous sommes régulièrement interpellés par nombre d’opérateurs fortement courroucés devant l’augmentation significative des impayés après obsèques. Il est un fait que le contexte économique actuel n’est pas des plus favorables, mais pas que… Les familles connaissant des épisodes tendus financièrement se manifestent en général et, bien qu’évoquer leur situation soit délicat et sensible, elles trouvent toujours auprès des opérateurs funéraires des réponses qui prennent en compte ces difficultés ; et ceux-ci aménagent des échéances de la façon la plus souple possible. Nous le savons tous.
Il y a également ce qu’il est convenu d’appeler "les personnes dépourvues de ressources suffisantes". Ces familles trouvent une écoute attentive auprès des services sociaux de leur commune, ainsi qu’un accompagnement dimensionné, de même qu’une médiation, voire une prise en charge financière des obsèques. Enfin, il y a les endettés chroniques, les furieux de la carte bleue, les "je-m’en-foutistes" de tout poil, pour qui tout est dû, se moquant totalement des conséquences de leurs actes. Ils connaissent parfaitement les textes de loi, comment les contourner et sont des adeptes conscients du "Comment vivre au-dessus de ses moyens"… référence à l’opus écrit par André Calles, Dominique Eudes et Nicole de Menthon, édité chez Denoël en 1981.
Là où la démarche commerciale (il faut bien à un moment parler d’argent lors d’organisation d’obsèques) devient délicate, c’est que les textes protègent l’insolvabilité par surendettement mais, malheureusement, ceux-ci ne séparent pas les inévitables et compréhensibles épisodes involontaires ou temporaires de ces autres moutons noirs.
Face à cela, il me vient en mémoire un article, dans le très sérieux China Daily, informant des faits suivants… qui ne présagent rien de bon. La Chine, dans sa province du Hebei, teste une application visant à donner une "note sociale" d’ici à 2020 à sa population. Cette application serait intégrée notamment au célèbre WeChat, majoritairement utilisé par les Chinois mais aussi chez nous. Cela permettrait de signaler sur votre smartphone la présence "d’endettés" et de "personnes inciviques" dans un rayon de 500 m. Dissolution de la vie privée, incapacité d’accès aux moyens de transport ou aux services publics, non possibilité de location d’appartement, d’accès à l’éducation… les pénalités prévues sont nombreuses et progressives, de même que les bonus pour la dénonciation de ces personnes. L’arrivée de l’intelligence artificielle va décupler les possibilités et initiatives de ce genre. Il y aura donc d’une part les "bons citoyens bien notés", et les "moutons noirs" d’autre part. Bien sûr, ce type de système de délation ne peut avoir nos faveurs…
Mais ne souriez pas en pensant que nous sommes exonérés de ce type de menace à la vie privée. Celle-ci s’arrête où commence celle des autres. Et bien que nous soyons attachés à la préservation de cette qualité de vie, je ne sais pas combien de temps nous pourrons encore résister au nom de ces bons sentiments, au train où vont les choses et la technologie.
Votre magazine "Résonance" s’est toujours attaché à traiter des innovations et de l’actualité funéraire de façon la plus homogène possible. Aussi, ne soyez pas étonnés si, dans nos prochains numéros, nous ouvrons nos colonnes à des juristes, des économistes, des réseaux ou des financiers, pour que soit abordé le sujet de l’endettement, mais de la manière la plus digne possible, sans démagogie, et également sans concession pour certains qui abusent de façon préméditée des dispositions sociales existantes. En conclusion, je citerai la phrase pleine de sagesse de l’une de mes amies chinoises : "Tu sais, tu vis au paradis, et tu ne le sais pas"…
Maud Batut
Rédactrice en chef
L’abus de faiblesse, le degré zéro de l’humanité
C’est un sujet qui est venu sur le devant de la scène avec ce qu’il est convenu d’appeler "l’affaire Bettencourt", aux contours flous, et soudain, passé la médiatisation de cet épisode, nous avons tous pris conscience que cette situation abusive n’avait rien d’exceptionnel, bien au contraire.
Le scénario est simple, une démarche individuelle ou commerciale "appuyée" peut rapidement se transformer en abus de faiblesse. La cible première est constituée par les personnes âgées. Pour la plupart, elles vivent seules (environ 25 % des hommes et 52 % des femmes) et ont plus de 75 ans. Ces personnes peuvent également être isolées socialement ou géographiquement, mais surtout, elles peuvent être affaiblies psychologiquement ou physiquement du fait d’une perte partielle d’autonomie.
La conséquence de cet état est que celles-ci seront tentées d’accorder leur confiance à celui ou celle qui saura recréer un lien avec elles et, de façon insidieuse, obtenir de leur part de l’argent, une signature au bas d’un contrat, voire des biens. Cette manœuvre sournoise et lâche tend à devenir banale. Il faut malheureusement avouer que l’état de décrépitude morale de certains ouvre la porte à tous les débordements frauduleux et indignes.
Le législateur sanctionne l’abus de faiblesse sur le plan civil aussi bien que sur le plan pénal. Ce dernier prévoit trois années d’emprisonnement et 375 000 € d’amende, et bien sûr sur le plan civil l’annulation d’éventuels contrats passés entre la victime et son bourreau. Mais, n’est-ce pas appeler les pompiers lorsque l’incendie a déjà ravagé la maison ? Bien évidemment, les moyens de recours existent, mais, si vous considérez le sociotype des victimes, vous imaginez aisément qu’elles ne sont pas en mesure d’appréhender une suite juridique pour faire valoir leurs droits.
Et si l’on inversait la tendance ? C’est-à-dire, dans le domaine qui est le nôtre et qui n’est pas exempt de tels comportements sordides, si le législateur avait la bonne idée de préciser noir sur blanc les domaines où la vulnérabilité des personnes est une évidence incontestable. Prenons par exemple le démarchage immédiat post-obsèques sur le conjoint survivant pour la prévoyance funéraire, que ce soit directement ou téléphoniquement, ou encore la survente lors de l’organisation des obsèques, inventaire à la Prévert…
Le problème est toujours le même. Notre profession est composée très majoritairement de personnes honorables et dévouées dans l’accomplissement de leur mission funéraire… Il reste toujours le 0,1 % de vautours qui estiment être au-dessus des lois humaines de dignité et de respect envers les personnes affaiblies, et qui justifient à elles seules que la République légifère pour protéger celles et ceux qui ne sont plus en mesure d’exprimer totalement et de façon indépendante leur libre-arbitre.
Alors, oui, un tel texte appliqué au funéraire est souhaitable, car il est hors de question que les pratiques délictueuses d’un nombre infime viennent jeter l’opprobre sur une profession tout entière. À bien regarder, un fort pourcentage des personnes qui font appel à nos services sont âgées, veufs ou veuves, isolées, parfois malades ou handicapées, certaines méconnaissent la langue française, leur niveau d’instruction peut être aussi faible ou inexistant, et cela va de pair avec la détresse économique… Vous connaissez, c’est souvent votre quotidien.
Notre devoir de dignité est de les accompagner de façon loyale au mieux de leurs intérêts matériels et moraux. C’est ce qui fait la grandeur de notre métier, et c’est ce qui nous fait chaud au cœur en fin de journée. Avoir agi humainement et moralement.
Soutenir des initiatives législatives et réglementaires afin de contenir les pratiques commerciales délictueuses en domaine contextuel, c’est avant tout nous protéger nous-mêmes d’individus qui n’ont rien à faire parmi nous, professionnellement et humainement. Méditons et agissons ensemble…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Les lois entravent-elles nos libertés ?
Bonne et intéressante question me direz-vous… penchons-nous ensemble sur ce sujet délicat par les temps qui courent. Tout d’abord il convient d’effectuer le distinguo entre les lois naturelles et les lois morales, qu’elles soient d’essences politiques ou juridiques.
La loi naturelle renvoie aux sciences de la nature et définie ce qui est ou advient dans la nature. Einstein avec sa théorie de la relativité générale n’écrit pas un texte, il clarifie ce qui est et que jusqu’à présent nous ignorions. La loi dans son acceptation juridique ou politique, prescrit, énonce un devoir ou une obligation. Bien évidemment si tout le monde appliquait le même sens et les mêmes valeurs morales, il n’y aurait pas besoin de créer des lois. Ce qui est intéressant, c’est que les lois ne sont pas des obstacles à la liberté. Nous sommes en effet en mesure d’enfreindre ces dispositions à nos risques et périls, s’entend.
Si l’on estime que le concept de liberté s’entend en l’absence de toutes lois ou de tous règlements, il est essentiel de distinguer la contrainte de l’obligation. La contrainte suppose une force à laquelle nous ne sommes pas en mesure de nous soustraire, qu’elle soit physique ou morale, et qui annihile notre capacité de faire et d’assumer nos choix. Une dictature s’apparente à cette description contextuelle de la contrainte.
A contrario, l’obligation suppose la liberté, nous ne sommes pas en dictature, la loi morale ou juridique n’évolue pas dans un contexte de contrainte.
Bien sûr, nous avons l’exemple chaque jour d’entorses aux lois les plus élémentaires et c’est justement parce qu’il faut appliquer ces lois que nous pourrons jouir de nos libertés de façon pérenne. S’affranchir de ce constat nous propulsera dans un univers que nous ne souhaitons pas, celui où le choix n’existera plus. Donc, la non application de la loi est un danger liberticide.
Abolir la loi serait rétablir celle de la nature à savoir la loi du plus fort. Dans le "Pacte Social" de Rousseau il y a une véritable urgence à quitter cet état de nature, car c’est un état de guerre et d’injustice. Or donc, vivre sans lois c’est ne supporter personne au-dessus de soi, c’est ne suivre que son propre, bon vouloir, non celui des autres… ce qui revient à se détourner, à se passer d’autrui. De toute évidence, renier la loi revient donc à renier la dimension politique qui fait l’homme en tant que tel, un tenant de cette fameuse humanité qui tend au perfectionnement d’elle-même et de la société dans laquelle elle évolue. Rien n’est parfait certes, mais il vaut cent fois mieux une liberté sous l’égide des lois qu’une dictature sous le règne du plus fort.
En conclusion, au lieu de chercher en permanence le moyen de contourner les lois dès qu’une est votée, penchons-nous sur l’esprit qui a présidé à sa rédaction et qui est inspiré par le bien commun et l’intérêt général. Pour ce qui nous concerne, nous, professionnels du funéraire, nous avons des instances telles le CNOF où nous sommes en capacité de prendre en main notre destin, d’en être les artisans actifs, c’est ce que nous faisons et c’est ce que nous devons entretenir avec force et vigueur. Alors, appliquons ces textes, ces lois, il en va de notre liberté individuelle et collective…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Transparence, éthique et respect des équilibres
Il n’aura échappé à personne que notre pays traverse une grave crise sociale conjuguée avec un contexte économique pour le moins tendu. Depuis plusieurs mois de nombreuses manifestations sont l’expression d’un grand nombre de revendications dont le recul permet maintenant de poser une synthèse.
Il ne nous appartient pas dans ces colonnes professionnelles de lancer un débat politique mais il est impossible de rester insensible à l’expression de cette colère sociale, quelles qu’en soient la source ou les récupérations multiples dont elle fait l’objet.
Si nous voulons tenter de tirer une leçon de ces événements, nous ne pouvons que constater que le souhait profond des Français, toutes tendances confondues, va vers l’expression d’une éthique affirmée en matière politique et économique. Cette volonté de justice doit être prise en compte par l’ensemble des corps sociaux. Qu’on le veuille ou non, le funéraire n’échappe pas à ce postulat, même si certains ne manqueront pas de sourire à cet énoncé.
Or, le funéraire a depuis longtemps déjà fait cette introspection. Il suffit de se pencher sur les textes législatifs et réglementaires en vigueur pour constater que notre secteur professionnel est l’un de ceux qui légifèrent le plus, sinon le mieux.
Affirmer l’éthique dans ce domaine, c’est avant toute chose faire œuvre de transparence. Les devis-types sont la réponse dimensionnée au besoin d’information d’une population rendue soudainement vulnérable par la perte d’un être cher et qui se trouve devant des choix contextuellement pénibles à mettre en œuvre.
Nous avons un arsenal de textes adaptés dans l’ensemble des activités de la profession, encore faut-il les respecter, d’autant plus que ces textes ne sont pas le fruit du hasard mais bien d’une concertation préalable avec l’ensemble des fédérations, groupements et réseaux d’influence du funéraire.
Il y a également des voies d’amélioration prioritaires. Parmi celles-ci, penchons-nous sans attendre sur le délicat problème des transports de corps transfrontaliers et de l’imbroglio administratif qu’il génère d’un côté et de l’autre d’une frontière depuis longtemps effacée, Europe oblige. La simplification, la cohérence et l’harmonisation administrative sur ce sujet sont des priorités dont le CNOF doit être le porteur diligent, nous semble-t-il.
Nous évoquions plus haut l’indispensable transparence en matière funéraire, notamment le volet de la tarification. Il en est un autre qu’il nous paraît nécessaire de souligner : la liberté de choix des familles. Cette liberté de choix commence par une information loyale, claire et détaillée des obligations réciproques lors de la signature d’un devis, d'un bon de commande ou d'un contrat.
La liberté de choix, c’est avant tout le respect des familles en deuil et de ses volontés. Le respect et la dignité fondent notre relation de confiance avec les familles et il ne saurait être question de laisser s’installer une dérive préjudiciable à l’ensemble de notre profession, nous en sommes tous d’accord. Alors, démontrons-le sans attendre à celles et ceux qui sont en droit d’exiger des comptes de notre part, exposons sans crainte ce que nous sommes, femmes et hommes de confiance, gestionnaires de probité, accompagnateurs dignes de la douleur.
Nous n’avons pas à craindre d’une concurrence illusoire mais seulement de nous-même et de nos actes. Ouvrons donc le débat entre nos différentes instances dans des états généraux salvateurs et traçons les perspectives d’une profession qui n’a pas peur d’elle-même et de ce qu’elle représente. Telle sera notre contribution à ce grand chantier de la rénovation sociale qui débute seulement… soyez-en convaincus.
Maud Batut
Rédactrice en chef
L’actualité du funéraire a été une nouvelle fois mise en avant par certains médias. Pour d’autres, il ne faut pas parler de la mort, c’est encore tabou. Eh bien, parlons-en…
Économie, éthique, finance… où sommes-nous dans tout cela ?
La financiarisation du secteur funéraire est relativement récente et suit de façon naturelle l’émergence, l’apogée et la disparition de certaines "bulles". C’est ainsi que le monde économique s’est intéressé très tôt à l’immobilier avec le résultat que l’on connaît (subprimes), puis à l’informatique et aux télécoms, tous les pans de notre savoir-faire y sont passés. Une telle frénésie ne s’est pas encore emparée du funéraire, ou si peu que l’on peut considérer que notre segment est marginal et n’intéresse pas grand monde ?
Erreur, c’est exactement le contraire. Les appétits sont déguisés et discrets mais ils sont bien présents. Il est vrai que le funéraire ne déchaîne pas les passions, fait même un peu peur, mais lorsque l’on évoque les chiffres d’affaires de la profession et la perspective proche du baby-boom, les craintes ancestrales s’estompent au profit de l’attente programmée de rendements juteux. La machine à sous est une chose mais l’argent et ce qu’il permet, ne doivent pas nous faire perdre de vue qui nous sommes et ce que nous faisons au quotidien et pour qui. Certes un apport conséquent en trésorerie permet de réaliser bien des choses, mais pour le bénéfice de qui ? Des actionnaires ? Des familles ? Des deux ? Intéressante question s’il en est. Lorsque le monde frétille en attente de la manne monétaire, replongeons-nous dans nos souvenirs d'étudiants en direction des philosophes grecs, qui déjà à leur époque, s’étaient penchés sur cette problématique.
Aristote surnommé "le Prince des philosophes", élève de Platon était très soucieux de recréer l’harmonie dans la Cité par une quête du bonheur idéal, le détachement par rapport aux richesses terrestres qui étaient supposées améliorer la vie sociale. Nous sommes à des années-lumière des revendications contemporaines. Il dénonça les pratiques spéculatives et monopolistiques et instilla de l’éthique dans son rapport à l’argent. Cette théorie, "la chrématistique" (du grec chrema = richesse) se composait de deux formes distinctes. La première consistait à acquérir des richesses en vue de la satisfaction des besoins en ayant pour seul objet le bien-être humain dans la maison. Pour Aristote, l’économie raisonnée est un moyen au service d’une finalité humaine. La seconde forme, qu’il condamne sans détour, consiste à confondre l’économie en oubliant la finalité humaine mais en inscrivant "les richesses" comme seules finalités. La chrématistique doit être une technique au service de l’homme et de l’économie et non une finalité ayant pour objet l’accumulation sans limites de la richesse.
Aristote serait-il le premier dénonciateur du grand capital ? Possible… son souhait s’inscrit dans la clarté des échanges et surtout une notion du bien commun nouvelle, profitable à tous et aux institutions. Indéniablement grand nombre de nos managers ou gouvernants feraient bien de se replonger dans "Éthique à Nicomaque" au lieu de considérer que la finance n’est plus au service de l’économie mais au seul service d’elle-même.
Bien entendu, nous ne sommes pas des ignorants, nous savons tous qu’une entreprise doit assurer la couverture de ses risques et générer du profit, ne serait-ce que pour investir en moyens matériels et humains et satisfaire le bien-être de ses forces vives. Mission impossible ? Certes non. Il suffit simplement de réfléchir un peu et d’arrêter de scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis, car une fois brisée, cette branche ne sera plus d’aucune utilité pour quiconque.
Dès lors, un nouveau monde émergera et je ne suis pas certaine que nous l’appréciions et que l’éthique, l’économie, la finance, cèdent la place définitivement à l’intolérance, la haine et la violence. Sommes-nous vraiment prêts pour cela ?
Maud Batut
Rédactrice en chef
Éduquer, enseigner, transmettre… si proches et pourtant si éloignés
La formation des personnels est une composante essentielle au sein de chaque entreprise funéraire. Elle se veut tout d’abord "réglementaire", ce qui veut dire "obligatoire". Sa durée varie en fonction du poste occupé, agent, conseiller, maître de cérémonie, dirigeant… sans oublier bien sûr les thanatopracteurs.
L’ensemble du dispositif est cadré dans la loi 2008-1350 du 19 décembre 2008, par insertion d’un article L. 2223-25-1 du CGCT, puis dans le décret 2012-608 du 30 avril 2012 et enfin précisé dans les décrets D. 2223-55-2 à 17 du CGCT. Une circulaire du 20 juin 2012 souligne les modalités d’exécution. Loin de moi l’idée de remettre en cause ces textes cadres. Néanmoins, je pense utile que nous nous interrogions sur le fond autour du concept "formation" qui se révèle être une sorte de fourre-tout avec notamment des spécificités importantes.
L’éducation en effet suppose plusieurs synonymes tels qu’élever, enseigner, former. L’éducation renvoie à la famille, l’enseignement renvoie à l’école, former pour sa part aurait tendance à se substituer au concept d’éducation, voire à le faire disparaître. Il est de coutume de penser "formation initiale, formation professionnelle", à tel point que cette fameuse formation reprend l’adaptation d’un individu à la société de A à Z.
L’éducation se définit comme "l’ensemble des processus et des procédés qui permettent à tout enfant humain d’accéder progressivement à la culture, l’accès à la culture étant ce qui distingue l’homme de l’animal". Parler d’éducation fait référence à la pédagogie et les choses se compliquent quelque peu : "La pédagogie, dès qu’elle s’exalte elle-même, est toujours tentée de mépriser les savoirs qu’elle est chargée de communiquer. La pente de toute pédagogie est d’être un dogmatisme quant à la forme, la manière d’éduquer, lié à un relativisme quant au contenu", souligne justement Olivier Reboul dans son ouvrage "La Philosophie de l’éducation". Son analyse est intéressante à plus d’un titre car visiblement l’auteur ne se situe pas dans le camp de ceux qui privilégient "la méthode" au détriment du "savoir". La pédagogie se révèle être un incessant combat entre "contrainte et désir", "spontanéité et transmission", "rupture et continuité". Pour s’en convaincre, ne manquez pas le prochain débat télévisuel sur l’éducation, vous en aurez pour votre argent, si je puis dire. La polémique est éternelle.
Si nous rapportons cette réflexion à la formation des personnels, il est important de savoir ce que nous voulons en fin de compte : des têtes bien pleines ou des têtes bien faites ? Nos formations sont tournées vers le "savoir-faire" à acquérir, n’oublions pas que ce savoir-faire ne pèsera pas lourd s’il manque l’indispensable "savoir-être" qui, lui, ne se mesure pas en heures de présence. Vient alors la responsabilité qui nous incombe de la transmission au futur diplômé, l’indispensable tutorat, l’esprit compagnonnique qui, outre une technique, dispense l’humanisme irremplaçable, clé de voûte de la profession funéraire. Cet esprit dans sa transmission intacte, réclame une grande patience, une tolérance non laxiste, un amour du métier et de ce qu’il représente d’un point de vue opérationnel et symbolique… Bref, une certaine forme d’abnégation quand on prend conscience des sommets parfois à atteindre.
N’oublions jamais que nous sommes les artisans du destin de notre profession et que, de ce point de vue, nous créons aujourd’hui les acteurs funéraires de demain.
Alors, toujours prêts ?
Maud Batut
Rédactrice en chef
Remettons l’église au centre du village
En effectuant ma quotidienne veille de presse, je suis tombée sur une news qui m’a fait sourire et qui, si l’on considère le contexte, ne manque pas d’humour.
Je veux bien que nous soyons dans une civilisation où le smartphone tente de s’imposer en remplacement des contacts humains, où le réseau social, quel qu’il soit, remplace la lecture de votre journal préféré, mais il y a une limite à tout et il est grand temps de remettre "l’église au centre du village" comme disait justement ma grand-mère…
C’est ainsi que, dans sa grande sagesse, le TGI de Metz dans une décision du 17 août 2018 (TGI Metz, 17-08-2018 - n° 17/01794) a considéré les éléments suivants : en l’espèce, le défunt avait fait part de ses dernières volontés par SMS. Sa veuve avait contesté les dernières volontés de son mari avec qui elle était en procédure de divorce. Dans un SMS écrit à sa sœur le 23 octobre 2016, le futur défunt demandait que sa mère "récupère (sa) part".
Pour celles et ceux qui seraient tentés par ce mode pour le moins original en matière testamentaire, procédons à un petit rappel réglementaire : l’article 970 du Code civil entend protéger l’expression des dernières volontés du testateur et encadre la transmission de ses biens, la jurisprudence a régulièrement admis que le testament olographe pouvait être effectué sur n’importe quel support : une carte postale écrite de la main de l’intéressé, (Civ. 24 juin 1952), une lettre missive (Cass. civ., 25 avril 1925 ; ÇA Aix-en-Provence, 2 octobre 1973 ; contra CA Pau, 20 avr. 1961 ; 11 janv. 2005, n° 02-16.985), un carnet (CA Lyon, 4 janvier 1923), voire une machine à laver le linge (CA Nancy, 26 juin 1986, JCP N 1987, II, p. 96, obs. G. Venandet).
L’auteur du SMS aura sûrement confondu "olographe" et "télégraphe", bien mal lui en a pris. Abusé peut-être par une jurisprudence reposant sur des écrits électroniques (textos, courriels, réseaux sociaux), il faut cependant exclure les dernières volontés dévolutives par SMS. Donc, si vous pensiez faire une bonne blague à un ami très fortuné en profitant de son absence momentanée pour vous envoyer un texto de son téléphone, faisant de vous son légataire universel… C’est loupé !
Le TGI rappelle que "… cette exigence manuscrite permet de limiter des risques de falsification, de prévenir les risques d’erreurs dans la rédaction, de garantir une réflexion suffisante de la part du testateur". Le support de l’écriture n’a donc aucune importance pourvu que le testament soit "écrit en entier, daté et signé de la main du testateur". À ce niveau, une observation s’impose. Lorsque, par exemple, votre banquier accède à votre demande de prêt, l’ensemble des documents est réalisé par voie électronique et votre signature est également authentifiée par l’envoi d’un code sur votre smartphone, code que vous répercutez immédiatement sur la tablette de votre conseiller.
Il y a fort à parier que la simplification administrative, qui se "complexifie" toujours un peu plus chaque jour, se penchera, enfin, sur ces nouveaux moyens de communication, notamment pour les contrats obsèques (qui, comme par hasard ont une valeur testamentaire), les certificats de décès qui doivent être déposés en mairie avec la demande de transport de corps… Bref, la modification et l’évolution de ces archaïsmes administratifs feraient sans doute gagner du temps aux professionnels ainsi qu’à l’Administration, et ne laisseraient plus à la jurisprudence le soin comme d’habitude de tout régler. Donc, en ces temps de grande réforme, suggérons à nos gouvernants de se pencher sur le syndrome de l’usine à gaz, une spécificité bien française héritée de monsieur Colbert ; à défaut nous pourrions toujours tenter d’électrifier la bougie ?
Maud Batut
Rédactrice en chef
Quels ossuaires pour quelles villes ?
L’art. L. 2223-4 du CGCT (Code Général des Collectivités Territoriales), modifié par les lois n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 et n° 2011-525 du 17 mai 2011, dispose : "Un arrêté du maire affecte à perpétuité dans le cimetière un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui auraient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire." Les maires se trouvent donc depuis 2008 dans l’obligation de posséder un ossuaire.
Toutefois, l’art. R. 2223-6 du CGCT précise que : "Lorsque le cimetière n’offre pas d’emplacement suffisant pour la construction de l’ossuaire visé au premier alinéa de l’art. L. 2223-4, les restes peuvent être transférés par décision du maire dans l’ossuaire d’un autre cimetière appartenant à la commune. Lorsque la commune est membre d’un syndicat de communes, d’un district ou d’une communauté urbaine, le transfert peut avoir lieu dans les mêmes conditions sur le territoire d’une autre commune appartenant au même groupement de communes."
Résonance a déjà publié de nombreux articles sur la législation en matière d’ossuaire, et en particulier sur la destination des restes exhumés après des reprises de concessions. Le constat que nous pouvons en faire, 10 années après la promulgation de la loi, est que les communes ont diversifié la création de leur ossuaire et la gestion du contenu. Beaucoup ont réaffecté des équipements existants, et rares sont celles qui ont réellement construit de nouveaux ouvrages.
En termes de destination, il est sans doute nécessaire de distinguer les restes des corps exhumés placés dans des reliquaires savamment identifiés par les services gestionnaires du cimetière, et les cendres issues de la crémation des ossements.
Concernant la crémation des ossements après reprise de concessions, une fois la non-opposition à la crémation des défunts contrôlée, la législation tolère que les restes des corps exhumés d’une même concession puissent être rassemblés dans une même volige en vue de leur crémation. Les cendres recueillies sont alors soit placées dans un reliquaire au sein de l’ossuaire, soit dispersées au jardin du souvenir.
Peu de villes utilisent la première hypothèse, car il n’y a guère d’intérêt économique à ajouter le coût d’une crémation, si les restes finissent dans un reliquaire. La deuxième hypothèse est donc a priori la plus fréquente. Quelques gestionnaires ne trouvent pas illogiques de rassembler avant la crémation, dans la même volige, les restes provenant de plusieurs concessions, puisque les cendres se trouveront rassemblées in fine au lieu de dispersion. L’intérêt économique de cette solution n’est pas négligeable, sauf que ce que la législation permet en termes de pièces anatomiques n’est pas clairement confirmé pour les restes des corps exhumés.
Afin de ne pas saturer prématurément leur jardin du souvenir, certaines villes ont créé des ossuaires spécifiques pour recueillir les cendres issues des reprises administratives, qui peuvent pour certains cimetières devenir rapidement très volumineuses. Une des solutions fréquemment utilisées est d’affecter à l’ossuaire un caveau justement repris. L’idéal est alors de prévoir une trappe ou ouverture sur le dessus de la pierre tombale pour permettre la dispersion sans avoir à effectuer de lourds travaux.
La récupération d’un caveau sain dont la concession n’a pas été renouvelée par les familles est une solution rapide et économique pour les municipalités. Un arrêté du maire affecte donc à perpétuité ce caveau comme ossuaire. Il est alors conseillé de l’identifier par une gravure pour la meilleure information des usagers du lieu.
Qu’en est-il des petites communes ? La gestion administrative des cimetières est exercée par le ou la secrétaire de mairie, qui doit partager son temps dans de multiples activités. Malgré toute sa bonne volonté, l’agent n’a que très peu de temps à consacrer à la gestion du cimetière. On constate d’ailleurs que les concessions sont souvent perpétuelles. Les reprises sont rares, et l’ossuaire, bien qu’obligatoire, n’est que peu utilisé, quand il existe. De plus, les communes rurales ont moins de problèmes fonciers que les communes urbaines, et il devient ainsi moins problématique de construire des extensions.
Ces petites communes ont grand besoin d’information, de soutien et de conseils pour leur activité funéraire. Elles ne disposent que très rarement de logiciel informatique de gestion des cimetières, et n’ont à leur disposition que des fiches cartonnées séculaires et des informations très parcellaires sur les types de concessions voire l’identité des défunts. Malheureusement, les contraintes budgétaires réduisent les investissements que les maires peuvent consacrer à leur cimetière, et il faut louer les municipalités qui proposent des cimetières parfaitement entretenus parfois magnifiquement exposés face à la mer ou à flanc de coteaux qui font le plaisir des randonneurs qui sont sûrs d’y trouver un point d’eau et un lieu de tranquillité pour une pause bien méritée.
Mathieu Legrand
Les exhumations de corps peuvent-elles être effectuées toute l’année ?
Le service proposé à nos lecteurs, de préférence abonnés, en matière de conseil juridique, a généré de nombreuses interrogations ou questions émanant de communes, en règle générale de petite taille, sur certaines modalités de l’exercice des pouvoirs de police du maire dans le domaine des opérations funéraires réalisées dans les cimetières. L’exhumation des corps et les conditions de sa réalisation est une préoccupation relativement constante.
En effet, nombreuses sont les communes qui s’interrogent sur la possibilité de surseoir durant la période estivale aux exhumations, qu’elles soient sollicitées par les familles (par les proches parents du défunt, article R. 2213-40 et suivants du Code Général des Collectivités Territoriales - CGCT), ou lorsqu’elles sont entreprises "administrativement" par les communes, soit dans le cadre de la mise en œuvre de procédures de reprises de concessions non renouvelées au terme d’un délai de deux ans après l’anniversaire du contrat ; ou abandonnées, notamment les concessions perpétuelles, soit lorsqu’il s’agit de reprendre des emplacements gratuits, sis en terrain commun ou service ordinaire, au-delà de la durée réglementaire minimum de cinq années, afin de les consacrer à de nouvelles inhumations.
La première des constatations, en ce domaine, est que le CGCT ne comporte aucune règle interdisant saisonnièrement les exhumations. En revanche, le maire est tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs de police, ce qui constitue en fait plus qu’une obligation de moyens qu’un réel pouvoir, à portée facultative, qu’il tire des dispositions combinées des articles insérés dans le CGCT, partie législative ou réglementaire. Tant les articles L. 2213-7 à L. 2213-15, pour la partie législative, et R. 2213-2 à R. 2213-57 pour la partie réglementaire du Code, imposent au maire de nombreuses contraintes susceptibles d’engager sa responsabilité et celle de sa commune. Ces sections intitulées "Police des funérailles et des lieux de sépultures" ont codifié de nombreux textes qui, pour la plupart d’entre eux, existaient déjà dans le Code des communes, voire antérieurement dans le Code d’Administration Communale (C.A.C).
Selon l’article L. 2213-9 du CGCT : "Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort". Et l’’article L. 2213-10, pour sa part énonce : "Les lieux de sépulture autres que les cimetières sont également soumis à l’autorité, à la police et à la surveillance des maires".
Mais, au titre de la police générale dans la commune, le maire, en vertu de l’article L. 2212-2 du CGCT qui dispose : "La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques etc.", est tenu de prendre toutes dispositions de police utiles pour assurer l’hygiène et la salubrité publique sur le territoire de sa commune.
En période estivale, marquée le plus souvent par des chaleurs caniculaires, et bien que les exhumations doivent avoir lieu en dehors des heures d’ouverture du cimetière au public et achevées avant 9 heures, nombreuses sont les communes qui, par la voie du Règlement des cimetières, ont limité les périodes d’exhumation en été, soit purement et simplement interdites. À titre indicatif, à Marseille, le Règlement général des cimetières interdit les exhumations, quelle que soit leur nature, durant les mois de juillet et août de chaque année. Ce règlement général doit être institué par arrêté municipal et constitue en droit un acte administratif à portée réglementaire, opposable à tous les citoyens, qu’ils soient privés ou professionnels.
En conclusion, la règle qui ce dégage de cette tribune est que le régime juridique des exhumations, dès lors qu’il ne serait pas contraint par des dispositions législatives ou réglementaires, est libre et relève de la compétence du maire, agissant en qualité d’autorité dotée de pouvoirs de police autonomes, la seule limite étant les respect des finalités énoncées à l’article L. 2212-2 du CGCT, soit l’hygiène, la salubrité publique et la sécurité sanitaire.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Concessions funéraires et caveaux
La construction des caveaux est un droit reconnu aux concessionnaires ou à ses héritiers. Que choisir : les caveaux proposés par les communes ou ceux proposés par des entreprises ? La concession funéraire existe depuis l’Ordonnance royale du 6 décembre 1843 qui, en son article 3, prescrivait : "Les concessions de terrains dans les cimetières communaux pour la fondation de sépultures privées seront à l’avenir divisées en trois classes :
1) Les concessions perpétuelles,
2) Les concessions trentenaires,
3) Les concessions temporaires de 15 ans au plus.
Cette ordonnance avait mis fin à un long traumatisme issu des dispositions du décret-loi du 23 prairial an XII qui, inspiré par les dogmes révolutionnaires, dont l’égalité, avait instauré un régime juridique identique pour toutes les sépultures établies dans les cimetières communaux, la sépulture gratuite en service ordinaire ou terrain commun, pour une durée de cinq ans au-delà de laquelle la commune disposait du pouvoir intangible de reprendre les emplacements afin de les consacrer à de nouvelles inhumations. Ce décret-loi imposait donc que, pour un cimetière, la superficie des terrains devait être au moins cinq fois plus étendue que l’espace nécessaire pour y déposer le nombre présumé des morts qui peuvent y être enterrés durant une année, afin de permettre les rotations quinquennales.
Les préoccupations des Français au XIXe siècle étaient de retrouver la possibilité de fonder dans les cimetières entrés dans le giron de la législation nationale, des sépultures familiales pérennes, car, au XVIIIe siècle, les associations cultuelles régnaient en maître pour créer et gérer des espaces sépulcraux, dans un but lucratif, même si les indigents devinrent au XXe siècle des "personnes dépourvues de revenus suffisants", auxquelles la sépulture en pleine terre était normalement dévolue. Pour MM. André Autran et Jean-Pierre Tricon, dans leur ouvrage "La commune, l’aménagement et la gestion des cimetières", "le caveau de famille est devenu une véritable institution dans la mesure où il permet, post-mortem, de réunir tous les membres d’une famille et ce pour l’éternité, sans distinction de croyances, ni de fortune".
C’est dans un tel contexte que l’Ordonnance royale citée a donné naissance aux dispositions législatives actuelles relatives à la définition de la concession funéraire, telle qu’elle résulte de l’article L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales. La construction d’un caveau sur une concession funéraire est un droit reconnu aux bénéficiaires de la concession, ainsi que la pose de monuments et tombeaux. De ce fait, un marché s’est ouvert, qui est demeuré longtemps dans le domaine des entreprises de travaux de marbrerie ou d’opérateurs funéraires polyvalents, dont les entreprises de pompes funèbres, qui peuvent, au titre de leurs activités connexes, proposer aux familles la vente de caveaux et des travaux de marbrerie.
Les concessions funéraires constituent un mode d’occupation du domaine public communal qui n’est pas exposé aux contraintes des occupations du domaine, précaires et révocables et elles n’ouvrent pas aux concessionnaires ou aux héritiers un droit de propriété (le domaine public est inaliénable et imprescriptible). Par contre, le caveau, généralement enfoui partiellement ou totalement dans le sol, constitue une propriété de la famille du concessionnaire.
Il est donc possible de considérer que la propriété du dessous ne l’emporte pas sur la propriété du dessus, tout autant que les règles d’ordre public protégeant la concession (obligation de renouvellement pour les concessions à durée déterminée), ou d’entretien pour les concessions perpétuelles, seraient respectées, car, dans le cas contraire, la commune est en mesure de se réapproprier ces emplacements.
Les communes ont lancé des marchés pour la construction des caveaux afin de maîtriser l’ordonnancement du cimetière, et de garantir la qualité des ouvrages durables et étanches en généralisant le caveau "monobloc". Les concessionnaires bénéficient de garanties sérieuses en matière de qualité des ouvrages confortées par la garantie décennale due par les constructeurs et maîtres d’ouvrage publics, dont la solvabilité ne pouvait être contestée.
Demeure, certes, la faculté de confier ces travaux à un entrepreneur privé, mais la commune est en mesure, par la truchement du règlement des cimetières, d’imposer des règles protectrices, portant notamment sur l’étanchéité des caveaux, car ce problème récurrent a fait l’objet de nombreux conflits. Nous aurons l’occasion de développer plus amplement cette thématique dans le cadre des articles de nos juristes, mais, devant les nombreuses interpellations qui nous parviennent, il m’est apparu nécessaire de rappeler ces quelques règles et principes de base.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Cent de moins…
… et la sérénité en plus !
Selon les dispositions de l’article R. 2223-76 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), l’admission en chambre funéraire intervient dans un délai de quarante-huit heures à compter du décès, et peut avoir lieu sur la demande écrite (alinéa 3) : soit du directeur de l’établissement, dans le cas de décès dans un établissement de santé public ou privé qui n’entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d’une chambre mortuaire conformément à l’article L. 2223-39, sous la condition qu’il atteste par écrit qu’il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès l’une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
Les formalités d’admission sont particulièrement souples, dès lors qu’elles s’effectuent par la remise de l’extrait du certificat de décès au responsable de la chambre funéraire et, dans le cas où celle-ci serait située hors du territoire de la commune du lieu de décès, le maire de la commune où se trouve la chambre funéraire d’accueil du corps et le responsable de la chambre funéraire sont destinataires de l’extrait du certificat de décès.
Selon l’article article R. 2223-90 du CGCT, le seuil obligatoire des décès survenus dans un établissement de santé public ou privé imposant la création d’une chambre mortuaire dépend de la survenance d’un nombre annuel de décès qui doit être au moins égal à deux cents, cette condition étant appréciée au vu du nombre moyen de décès intervenus dans chacun des établissements considérés au cours des trois dernières années civiles écoulées. De surcroît, selon l’article R. 2223-89 du CGCT, le dépôt et le séjour à la chambre mortuaire d’un établissement de santé public ou privé du corps d’une personne qui y est décédée sont gratuits pendant les trois premiers jours.
Le CGCT, article R. 2223-79, édicte que, pour un transport de corps dans une chambre funéraire sollicité par un directeur d’établissement de santé public ou privé, n’étant pas tenu de disposer d’une chambre mortuaire, les frais résultant du transport à la chambre funéraire sont à la charge de l’établissement, ainsi que les frais de séjour durant les trois premiers jours suivant l’admission (cf. circulaire du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, du ministère de l’Intérieur, DH/AF, n° 99-18 du 14 janvier 1999).
Ces dispositions engendrent, certes rarement, des conflits entre les opérateurs funéraires, ainsi que cela ressort de certaines décisions judiciaires (cf. cour d’appel de Lyon, 3e chambre A, 14 décembre 2017), dans la mesure où le délai de dix heures courant à compter du décès peut ne pas être respecté ou, et cela constitue une réelle atteinte aux principes concurrentiels, si l’opérateur funéraire gestionnaire de la chambre funéraire se trouve en position dominante dont il pourrait abuser, en tentant de capter la clientèle potentielle qu’est la famille du défunt transféré dans son établissement. Il y a lieu également de s’interroger sur la légalité des conventions liant les établissements de santé publics aux opérateurs funéraires, gestionnaires de chambres funéraires, puisque, selon la circulaire précitée, celles-ci doivent nécessairement donner lieu à une mise en concurrence, rarement respectée.
En définitive, alors que la justification de la loi du 8 janvier 1993 était de garantir une concurrence pleine et entière entre tous les opérateurs funéraires, dont il convient de rappeler qu’ils gèrent une mission de service public, force est d’admettre que, par le biais des prérogatives conférées aux directeurs d’établissements de santé publics ou privés, le jeu de la concurrence est manifestement faussé car, même si l’autorité de la concurrence considère que le marché des obsèques est un marché pertinent, les familles placées devant la réalité de la présence du corps de leur parent dans une chambre funéraire deviennent éminemment captives.
Une raison de plus, afin de garantir l'égalité entre les opérateurs funéraires et d’assurer la protection des intérêts moraux et financiers des familles, pour prôner un abaissement du seuil obligatoire - de deux cents à cent, en moyenne annuelle selon les critères établis - pour l'aménagement dans les établissements de santé publics ou privés, voire dans les établissements sociaux ou médico-sociaux, de chambres mortuaires.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Circulez, il n’y a rien à voir !
Le droit au respect de la vie privée est inscrit dans notre Code civil (article 9 alinéa 2), disposant que : "Chacun a droit au respect de sa vie privée". Ce respect s’exprime sous réserve que nous prenions soin de ne pas livrer en pâture notre vie privée à grands renforts de réseaux sociaux. Sinon, les choses se gâtent…
Ces fameux réseaux sont au cœur de nos vies. Ils remplacent notre courrier et sont autant de cartes postales de prétendus événements réservés au cadre de la famille, mais désormais accessibles à la planète tout entière. Dans ce contexte, la confidentialité des données numériques est très mince, actualité oblige.
Le flou artistique réside dans le fait qu’il n’existe pas de réelle définition légale de ce qu’est la vie privée. La jurisprudence a cependant apporté un périmètre convenu qui semble protéger l’individu face aux atteintes de toutes sortes (vie sentimentale, vie familiale, santé, opinions politiques ou religieuses, situation financière…), mais de façon incomplète au regard de l’évolution fantastique des techniques de diffusion de l’information et de traitement des données, mais surtout de la rapacité de l’ogre numérique.
L’usage récent du réseau Internet a donc bouleversé les clivages traditionnels et donne un sérieux coup de pied à nos droits fondamentaux en la matière. L’apparition du Big Data, et les applications marketing qui en découlent, exposent désormais nos attentes les plus personnelles et anodines aux feux de la rampe et de nos commerçants inspirés 2.0. Il en est de même pour bon nombre de recruteurs qui examinent le profil Facebook des postulants, où les classiques soirées étudiantes arrosées deviennent autant de freins à des carrières prometteuses.
Nous devons constater, toute honte bue, que nous avons laissé prospérer des titans numériques qui deviennent autant de dictateurs détenteurs des profils de nos intimités et abuseurs de nos faiblesses innocentes. Nous savons consciemment que le mal est en nous, et nous en redemandons. L’addiction numérique est la drogue du millénaire. Face à cela, nos réactions sont lentes et progressives, car obéissant nécessairement aux règles du droit… Mais de quel droit parlons-nous face à un phénomène planétaire ? Bien sûr, la jurisprudence française s’est finalement substituée, mais vient toujours, et localement, avec un métro de retard sur des initiatives de compagnies financières n’obéissant qu’à une seule règle : "le premier arrivé a toujours raison et dicte sa loi".
Nous sommes peu de chose, mais, réunis, nous commençons à peser sensiblement dans le débat décisif de la préservation de nos libertés fondamentales. En sa qualité de groupe de presse professionnelle et spécialisée, Résonance prendra sa part d’initiative, et sera une force de proposition par la traduction concrète des attentes et exigences de l’ensemble des représentations de nos métiers du funéraire.
Le RGPD (Règlement Général pour la Protection des Données) est une fantastique opportunité de reprendre le contrôle de nos données et d’en assurer la préservation et l’intégrité totale. Que l’on soit opérateur, fabricant, concepteur technique, industriel, collectivité, groupe ou enseigne..., nous parlons d’une même voix : "nos données sont notre valeur."
De cette façon, le fameux "circulez, il n’y a rien à voir" sera une réalité face aux pilleurs numériques et margoulins de tout poil.
Maud Batut
Rédactrice en chef
Résonance n°139 - Avril 2018
"À la légère" ou bien "Mentir est tout un art" : on hésite…
Nous voudrions revenir sur l’incroyable affaire de l’inhumation à Paris des cendres de Michel Déon, initialement refusée par la Ville dite "Lumière" au nom des prescriptions du CGCT, et notamment des obligations qu’il imposerait pour l’inhumation.
Il y a une semaine, la mairie de Paris justifiait sa position sur l’application du droit, suivant l’avis de son adjointe chargée des affaires funéraires, Pénélope Komites. "Devant la mort, cette même égalité en droits s’applique, que l’on soit une personnalité publique ou non, que l’on soit membre de l’Académie française ou non. Et je suis fière qu’à Paris nous appliquions scrupuleusement ces principes fondateurs de notre République." (http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/02/19/01016-20180219ARTFIG00284-hidalgo-capitule-deon-aura-bien-une-sepulture-a-paris.php)
Eh bien, si nous sommes ravis que l’adjointe aux affaires funéraires de la Ville de Paris ait le sens de la République, nous sommes bien marris qu’elle n’en connaisse pas un peu mieux les dispositions du CGCT éclairées par le juge. Certes, l’auteur de "Pages grecques" ou du "Balcon de Spetsai" n’habitait pas Paris au moment de son décès et ne remplissait apparemment pas les autres conditions fixées par l’article L. 2223-3 du CGCT. Nous citons à dessein ces titres non parce que nous croyons que toutes les Pénélope sont grecques, mais simplement pour pointer que si Spetsai, charmante île non loin d’Athènes, avait été en France, son maire y disposerait de la faculté de pouvoir y inhumer Michel Déon : il n’y a pas de dérogation à demander, puisque cet article L. 2223-3 ne fixe aucunement le droit à obtenir une sépulture concédée dans un cimetière, droit qui est fixé par l’article L. 2223-13 du CGCT et pour lequel le juge reconnaît de longue date la possibilité de prendre en compte les liens du demandeur avec la commune (CE 25 juin 2008, Consorts Schiocchet, req. no 297914). Il n’y aurait donc rien d’infamant à refuser la sépulture à cet artiste s’il ne dispose d’aucun lien avec la Ville de Paris (et l’on peut comprendre que celui-ci soit examiné avec attention), mais non pour un motif tiré de sa domiciliation…
Allez, soufflons à Pénélope Komites une vraie possibilité de reléguer à la hussarde et légalement Déon : rien n’oblige le maire à un lieu de sépulture précis, et, avec tous les cimetières parisiens, on pourrait bien en trouver un, moins convoité que d’autres, disposant d’un emplacement inconfortable, qui n’offrirait pas au "jeune homme vert" le champêtre et glorieux repos que l’Irlande pouvait lui offrir…
Maud Batut
Rédactrice en chef
L’inhumation en terrain privé : selon que tu sois riche, puissant ou misérable ?
Parmi les nombreuses dispositions désuètes que recèle le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), l’inhumation en terrain privé se distingue tout particulièrement.
L’article L. 2223-9 du CGCT précise en effet que "toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière pourvu que cette propriété soit hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite". Le sens de cette disposition est malaisé à appréhender. En effet, que signifient les expressions "hors de l’enceinte des villes et des bourgs" et "distance prescrite" ? Par exemple, pour cette seconde notion, le juge combine l’article L. 2223-9 avec l’article L. 2223-1 du CGCT, qui dispose que : "La création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière sont décidés par le conseil municipal. Toutefois, dans les communes urbaines et à l’intérieur des périmètres d’agglomération, la création, l’agrandissement et la translation d’un cimetière à moins de 35 mètres des habitations sont autorisés par arrêté du représentant de l’État dans le département." Il en tire alors la conclusion suivant laquelle cette distance prescrite est de 35 mètres.
"Il est particulièrement intéressant de relever que, depuis qu’il est interdit de conserver chez soi l’urne funéraire, loi 2008-1350 du 19 décembre 2008, ce mode d’inhumation en terrain privé va désormais constituer la seule possibilité de conserver chez soi une urne funéraire." Alors que les inhumations dans les cimetières sont accordées par le maire, c’est le préfet qui est compétent pour octroyer le droit d’être inhumé en terrain privé. Il s’agira du préfet du département sur lequel la propriété est située (art. R. 2213-32 du CGCT).
Ce pouvoir du préfet est totalement discrétionnaire, et ne se justifie le plus souvent que par l’existence de traditions locales ou familiales. L’autorisation d’inhumer en terrain privé sera exclusivement individuelle. Elle ne confère donc aucun droit d’inhumation dans le même terrain privé aux autres membres de la famille. Elle ne peut d’ailleurs pas être délivrée du vivant des intéressés d’après une circulaire du ministre de l’Intérieur du 5 avril 1976 (citée par Georges Chaillot, in "Le Droit des sépultures en France", éditions Pro Roc, p. 430). Ces autorisations ne peuvent donc donner lieu à la création de cimetières familiaux et privés…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Des cadavres dans le jardin…
Dans le journal Sud-Ouest publié en ligne le 27 octobre 2017 et sous la plume de Clément Pougeoise, on peut lire ce titre pittoresque :
"Dordogne : il découvre des ossements humains dans son jardin. Le journaliste nous dit : "En achetant leur première maison à Saint-Antoine-de-Breuilh, en Dordogne, en juin 2016, deux trentenaires débarquant du Nord de la France ne s’imaginaient pas tomber sur le cimetière des anciens propriétaires à quelques mètres de leurs fenêtres. En faisant réaliser des travaux d’épandage de la fosse septique, ils ont découvert des os humains dans le jardin.
"Au départ, on croyait qu’il s’agissait de squelettes de l’époque gallo-romaine parce qu’il y a un site pas loin." Le notaire, l’agent immobilier et les anciens propriétaires ont été alertés, et les travaux ont arrêtés trois jours durant. "Les gens qui nous ont vendu la maison nous ont alors expliqué, devant témoin, la présence d’une dizaine de corps qui sont les anciens propriétaires de la maison et leurs aïeux. La dernière habitante de la maison, en 1976, a été enterrée ici. C’est la grand-mère de la vendeuse." Il semblerait que ceci soit courant dans ce pays de tradition protestante : "Il y en a régulièrement dans le coin", précise le maire de la commune Christian Gallot, qui déclare ne pas être au courant de l’affaire. Le litige devra être tranché par le tribunal de Bergerac, puisque les actuels propriétaires souhaitent l’enlèvement des corps aux frais des vendeurs.
C’est l’occasion de rappeler que l’article L. 2223-9 du CGCT précise que : "Toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière pourvu que cette propriété soit hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite." Alors que les inhumations dans les cimetières sont accordées par le maire, c’est le préfet qui est compétent pour octroyer le droit d’être inhumé en terrain privé. Ce pouvoir du préfet est totalement discrétionnaire, et ne se justifie le plus souvent que par l’existence de traditions locales ou familiales. L’octroi d’une telle autorisation ne signifiera aucunement que l’autorité publique acceptera d’autres inhumations en ce lieu. Néanmoins, le maire reste l’autorité de police sur ces lieux de sépulture, puisque l’article L. 2213-10 du Code général des collectivités territoriales énonce que : "Les lieux de sépulture autres que les cimetières sont également soumis à l’autorité, à la police et à la surveillance des maires." Le maire peut ainsi exiger en vertu, de ses pouvoirs de police, que certaines prescriptions soient respectées par la sépulture en terrain privé quant aux modalités de l’inhumation, du respect de la décence…
On peut alors se demander pourquoi ne subsiste aucune trace juridique de l’existence de ces inhumations…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Le Cercueil
Au jour ou mon aïeul fut pris de léthargie,
Par mégarde on avait apporté son cercueil;
Déjà l’étui des morts s’ouvrait pour son accueil,
Quand son âme soudain ralluma sa bougie.
Et nos âmes, depuis cet horrible moment,
Gardaient de ce cercueil de grandes terreurs sourdes;
Nous croyions voir l’aïeul au fond des fosses lourdes,
Hagard, et se mangeant dans l’ombre éperdument.
Aussi quand l’un mourait, père ou frère atterré
Refusait sa dépouille à la boîte interdite,
Et ce cercueil, au fond d’une chambre maudite,
Solitaire et muet, plein d’ombre, est demeuré.
Il me fut défendu pendant longtemps de voir
Ou de porter les mains à l’objet qui me hante. . .
Mais depuis, sombre errant de la forêt méchante
Où chaque homme est un tronc marquant mon souci noir.
J’ai grandi dans le goût bizarre du tombeau,
Plein du dédain de l’homme et des bruits de la terre,
Tel un grand cygne noir qui s’éprend de mystère,
Et vit à la clarté du lunaire flambeau.
Et j’ai voulu revoir, cette nuit, le cercueil
Qui me troubla jusqu’en ma plus ancienne année;
Assaillant d’une clé sa porte surannée
J’ai pénétré sans peur en la chambre de deuil.
Et là, longtemps je suis resté, le regard fou,
Longtemps, devant l’horreur macabre de la boîte;
Et j’ai senti glisser sur ma figure moite
Le frisson familier d’une bête à son trou.
Et je me suis penché pour l’ouvrir, sans remord
Baisant son front de chêne ainsi qu’un front de frère;
Et, mordu d’un désir joyeux et funéraire,
Espérant que le ciel m’y ferait tomber mort.
Emile Nelligan
Eaux-Fortes Funéraires
De l’art de recycler, sinon les restes, tout au moins les chapelles…
La période est propice aux nouvelles concernant le secteur funéraire, c’est ainsi qu’on apprend, par un article de "La Voix du Nord" publié le 29 octobre dernier sous la plume de Charles-Olivier Bourgeot, que la Ville de Roubaix vient de décider de la vente aux enchères sur un site spécialisé de chapelles funéraires, issues, nous le comprenons, de reprises de concessions funéraires en état d’abandon (même si les conditions juridiques telles que présentées dans le quotidien nous laissent quelque peu dubitatifs quant à leur régularité).
Cette commune n’en est pas à son coup d’essai, puisque, parallèlement, elle procède de même pour des maisons, qui seront également mises à prix, à 1 €. Les acheteurs s’engageront "à effectuer les travaux de rénovation nécessaires à leur maintien". L’enjeu n’est pas anodin, puisque le cimetière de Roubaix compte 310 chapelles funéraires, et que la ville est désormais propriétaire de 53 d’entre elles. La vente concernera plusieurs de ces singulières propriétés communales : "Quatre chapelles ont été ciblées. Vidées, elles sont de différentes tailles (de
4 à 10 places) et dans un état correct."
"On ne vend pas des ruines", précise Margaret Connell, adjointe au maire en charge du cimetière. En sus du coût d'achat de l’édifice, les acquéreurs devront s’acquitter du prix des concessions. "On n’oblige pas à une concession perpétuelle, ce sont des concessions de 30 ans minimum", précise le directeur des affaires civiques. Enfin, on y apprend également que, fort astucieusement : "Chaque année, la ville restaure 3 ou 4 chapelles dont elle est propriétaire pour en faire de nouveaux columbariums. Et cette réaffectation fonctionne. "Ce qui est intéressant, c’est l’appropriation des lieux par les familles", selon Alain Vantroys, directeur du service municipal des droits civiques. Une bonne douzaine a déjà connu cette nouvelle destination. La ville dépense 150 000 € par an à cet effet.
Ces deux initiatives méritaient, selon nous, d’être mises en valeur. En effet, voici une démarche qui réussit le tour de force de présenter une solution économique tant pour les familles que pour la municipalité, tout en préservant un patrimoine autrement irrémédiablement voué à disparaître. Cette élégante solution mériterait bien de participer à une gestion moderne des cimetières tout en en préservant "l'atmosphère" si particulière de ce lieu…
Maud Batut
Rédactrice en chef
À la manière d’un cadavre…
Dans la "Vie de saint François d’Assise", on rapporte cette citation : "Un jour, on demanda à François qui peut être vraiment appelé "obéissant". Il répondit en donnant le cadavre comme exemple : "Prends le cadavre et laisse-le là où tu veux : il ne te contredira pas et ne murmurera pas. Il ne dira rien lorsque tu l’auras déposé. Si tu le poses sur un siège, il ne regardera ni en haut ni en bas" [...]." Si cette maxime est usuellement employée pour illustrer l’obéissance, nous pourrons l’utiliser à d’autres fins.
Ainsi, on peut lire, dans Le Figaro en date du 16 août 2017, un article relatif aux bénévoles regroupés dans une structure dénommée "Collectif les morts dans la rue" dont nous reproduisons ce poignant extrait : "Nous sommes là afin qu’il soit clair, aux yeux de tous, que votre vie a eu un vrai sens et que vous êtes digne d’être saluée pour tout ce qu’elle a apporté aux autres". Dans le cimetière de Thiais (Val-de-Marne), Claude, pantalon noir, chaussures noires et polo bleu, s’adresse à la tombe de Yolaine, décédée à 84 ans. Il lit avec une voix grave le texte qu’il a préparé et un poème. La cérémonie est brève, mais solennelle. Une heure auparavant, il voyait la dépouille mortelle de Yolaine dans la chambre mortuaire où elle se trouvait avant sa mise en bière. Il ne l’a jamais connue, et pourtant, il a souhaité lui rendre hommage."
C’est l’occasion, en cette fin d’été pluvieuse, certes de rappeler l’extraordinaire dévouement de ces hommes et femmes accompagnant jusqu’à la tombe ceux qui leur étaient des inconnus, mais néanmoins leur frère en humanité. C’est aussi l’occasion de pointer, qu’aussi louable soit l’existence d’un service public de l’inhumation décente, républicaine, gratuite pour les plus démunis, il est des missions qu’il lui est malaisé de remplir, et qui, peut-être, devraient appartenir à la Cité.
En effet, l’article L. 2213-7 du CGCT énonce que : "Le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance." Tandis que l’article L. 2213-27 du CGCT énonce que : "Le service est gratuit pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes. Lorsque la mission de service public définie à l’article L. 2213-19 n’est pas assurée par la commune, celle-ci prend à sa charge les frais d’obsèques de ces personnes. Elle choisit l’organisme qui assurera ces obsèques."
Derrière ces obligations juridiques essentielles, se pose donc la question, dans nos sociétés individualistes, d’une "liturgie laïque" pour ne pas oublier que ces inconnus méritent au moins quelques mots et un moment de recueillement, et surtout pour ne pas, dévoyant cette maxime des premiers ascètes chrétiens, que nous soyons pareils à des cadavres devant la disparition d’un homme…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Le site cinéraire a-t-il la réglementation qu’il mérite ?
Nous profiterons d’un article présentant un règlement de site cinéraire pour revenir sur cet équipement : s’il y a bien un équipement cinéraire qui peut être la source de nombreuse interrogations, c’est bien en effet celui-ci. Par exemple, en ce qui concerne la dispersion, le Code nous énonce que (art. L. 2213-2 du CGCT) : "Le site cinéraire destiné à l’accueil des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation comprend un espace aménagé pour leur dispersion et doté d’un équipement mentionnant l’identité des défunts […]". On le sait, l’expression "jardin du souvenir", initialement retenue, n’est plus reprise dans les textes. Néanmoins, elle est l’expression la plus courante pour désigner "l’espace aménagé" pour la dispersion. D’autre part, si on délaisse un équipement ressemblant à un jardin, que choisir ? Un puits ? Une mer de galets ?
Deuxième interrogation : Que signifie réellement le terme "disperser" ? Faut-il strictement se conformer à l’acception d’un dictionnaire ? En un mot, convient-il d’interdire certaines pratiques comme le dépôt d’un monticule de cendres ? D’ailleurs, un tel monticule ne serait-il pas contraire au respect dû aux morts ? Faut-il obliger à le disperser d’une certaine façon ? Faut-il interdire cette possibilité aux familles, en arguant qu’il conviendrait d’être habilité pour ce faire, méconnaissant les hypothèses dérogatoires tolérées par l’Administration ? Toutes ces questions ne connaissent absolument aucune réponse juridique pour le moment.
En ce qui concerne l’inhumation des urnes, les questions sont moins présentes, néanmoins, quelques incertitudes subsistent ; pour les cavurnes, les problématiques sont bien moindres, et ce mode de sépulture cinéraire n’appelle que peu d’interrogations. Il en va de même, à notre sens, du scellement, où les seuls enjeux sont que le règlement de cimetière organise ce qu’il faut entendre par "sceller", tant en interdisant le simple dépôt qu’en favorisant un mode de fixation pérenne des urnes garantissant la solidité de leur fixation.
L’inhumation dans une case de columbarium, nonobstant l’incohérence déjà décrite dans ces colonnes résultant d’une dissociation malvenue et juridiquement erronée commise par l’Administration entre le régime du columbarium au sein du cimetière et celui contigu à un crématorium, ne pose que peu de problèmes. …
Voici pêle-mêle quelques remarques, qui n’épuisent pas le sujet, mais dont l’utilité pourrait être de constater que, bornées d’une part par le respect dû aux restes mortels et d’autre part par la nécessaire prise en compte des intérêts des communes dans la gestion économe et rationnelle de leurs équipements funéraires, les pistes sont nombreuses pour inventer la réglementation générale du site cinéraire de demain, là où, aujourd’hui, il ne peut qu’exister, mais c’est déjà un début, qu’un règlement local de cet équipement …
Maud Batut
Rédactrice en chef
Le service public de l’inhumation en terrain ordinaire : relique ou enjeu ?
Dispersion des cendres, pleine nature et voies publiques : de l’urgence d’une définition ?
Le cimetière et l’intercommunalité : le temps est-il venu de se trouver ?
Le cimetière est-il un lieu de promenade ou un espace vert pour l’application du "zéro phyto" ?
Mais qui est donc la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles ?
Réduction de corps et exhumation : ce n’est malheureusement pas du pareil au même…
Ordre public et sépulture : la commune est-elle obligée d’inhumer les innommables ?
Cimetière public et laïcité : le paradoxe français
À l’heure où la laïcité est au centre de tous les débats, on ne peut que se satisfaire de la solution retenue pour les cimetières, même si certaines dérives existent, parfois stimulées par les pouvoirs publics, lorsqu’ils incitent au carré confessionnel, pourtant illégal, comme succédané à l’interdiction du cimetière confessionnel. On ne saurait trop rappeler que la loi du 14 novembre 1881 a abrogé l’article 15 du décret du 23 prairial an XII, qui imposait aux communes de réserver dans les cimetières une surface proportionnelle aux effectifs des fidèles des différents cultes, et imposait alors aux familles de déclarer le culte du défunt.
Dans le même esprit, la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État a interdit d’élever ou d’apposer tout signe ou emblème religieux sur les monuments publics, sous réserve, prévoyait l’article 28 de la loi du 9 décembre, des symboles religieux antérieurs à cette loi, et des terrains de sépulture dans les cimetières et monuments funéraires. Plus près de nous, le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose en son premier alinéa que : "Chaque commune consacre à l’inhumation des morts un ou plusieurs terrains spécialement aménagés à cet effet." L’article L. 2213-8 du CGCT confie, lui, au maire la police des funérailles et des cimetières. Quant à l’article L. 2213-9 du CGCT, il mentionne comme étant compris dans l’exercice de ce pouvoir de police, les inhumations, tout en précisant qu’il n’est permis "en aucun cas d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte des défunts" (exception notable de l’Alsace-Moselle). Juridiquement, il pouvait difficilement en être autrement.
En effet, le cimetière est un lieu appartenant à la collectivité. En tant que tel, le principe de neutralité des services publics, dont la laïcité n’est qu’un corollaire, doit s’y appliquer. Parallèlement, le CGCT, en son article L. 2223-12, énonce que : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou tout autre signe indicatif de sépulture." Ainsi, le cimetière apparaît dans toute sa singularité : en tant qu’espace public, ses parties publiques doivent être strictement neutres. Cette neutralité s’exprimera par l’impossibilité de distinguer des cimetières réservés à telle ou telle confession, ou d'aménager au sein du même cimetière des lieux d’inhumation spécialement dédiés à un culte (le carré confessionnel n’étant que le fruit du hasard…).
Néanmoins, tant le fait que le concessionnaire y dispose d’un droit réel immobilier sur son emplacement, que de la possibilité de placer sur chaque emplacement un signe distinctif de sépulture, a abouti à ce que l’expression de la religiosité des défunts apparaisse au sein de cet espace public. Ainsi, l’espace public est neutre, et le terrain concédé ou accordé au titre des terrains communs permet l’expression des convictions religieuses de chacun…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Aux urnes ?
À travers les deux jurisprudences relatives à la destination des cendres dont on pourra lire les commentaires dans la présente revue, l’occasion était trop belle pour ne pas revenir sur le singulier régime juridique des cendres issues des crémations. Certes, la loi de 2008 leur conféra une protection civile et pénale à l’égal des corps, néanmoins, de par leur nature même, ces urnes funéraires et les cendres qu’elles renferment sont justement particulièrement propices à l’intervention du juge et, osons même le dire, à l’intervention du juge pénal.
En effet, là où les restes mortels contenus dans un cercueil sont par nature difficilement transportables, et s’il est peu évident d’en dissimuler la nature, il n’en va pas de même pour une urne funéraire. D’autre part, la législation permet bien plus que pour une dépouille mortelle "classique" la violation du droit. Prenons pour exemples : l’absence d’obligation de traçabilité de l’urne dès la remise de celle-ci à la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles par le crématorium ; la possibilité en fait, sinon en droit, de les conserver, en contradiction avec les textes, chez soi ; l’inexistence de définition de la notion de dispersion en pleine nature, le succès relatif de la déclaration de dispersion à la mairie qui détient l’acte de naissance, etc.
L’on pourrait encore continuer d’égrener la longue théorie d’obligations aux contours flous et de formalités administratives soit peu contraignantes soit aisées à violer. Si l’on comprend que la totale innocuité pour la santé publique puisse justifier un certain libéralisme, le nécessaire respect des restes mortels ainsi que les légitimes besoins d’hommage des familles rendraient bien utile une nouvelle réflexion quant aux destinations, et surtout quant au devenir de ces urnes.
Une telle réflexion permettrait peut-être d’éviter des affaires comme celles jugées par la cour d’appel de Grenoble, où des cendres conservées en violation de la loi au domicile d’un membre de la famille sont dispersées dans une propriété privée par le père du défunt sans que son ex-compagne en soit prévenue… Ou bien l’attendu de la cour d’appel de Riom, selon lequel il n’appartiendrait pas à un particulier de demander le respect de la législation applicable au devenir de ces restes mortels.
N’évoquons même pas les ubuesques questions parlementaires où, par exemple, le ministère doit répondre à la question d’un parlementaire sur la possibilité d’acheminer les urnes par la voie postale, nous gratifiant des mérites comparatifs quant à l’éventuelle qualification pénale d’atteinte au respect des défunts d’un simple envoi postal ou d’une livraison par entreprise de messagerie…
À suivre …
Maud Batut
Rédactrice en chef
La commune et le Solitaire
Le goût macabre des gazettes pour les faits divers liés à la mort ne se dément pas, tout particulièrement d’ailleurs lorsque l’incurie supposée de l’Administration peut être mise en exergue. Un article récemment paru dans La Voix du Nord du mercredi 11 mai dernier ne déroge pas à cette règle et nous gratifie d’un titre choc : "Enterré dans le carré des indigents sans que sa famille soit prévenue". Tout est dit !
Rappelons tout d’abord que, juridiquement, il n’existe pas de carré des indigents, mais un terrain commun qui est le seul service public obligatoire, réservé à ceux qui remplissent certaines conditions fixées par le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), et que si, en pratique, les plus démunis y reposent le plus souvent, il ne leur est pas expressément réservé. Quels sont les faits : un homme, retraité de La Poste, est décédé subitement à Lille début février, il ne lui reste qu’une sœur, mais qui vit en Normandie. La commune de Lille, au bout de quinze jours, l’inhume en terrain commun. La commune aurait-elle commis une faute ?
Il est tout d’abord possible de constater que les services administratifs ont sollicité un délai dérogatoire pour procéder à cette inhumation, puisque, indubitablement, un tel délai excède celui donné afin d’organiser les funérailles.
De surcroît, il n’existe aucune obligation pour la commune de se livrer à des enquêtes. En effet, l’art. L. 2213-7 du CGCT énonce que : "Le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance." La formulation de cet article nous permet de rappeler que, juridiquement, si les familles ont normalement l’obligation de payer les frais des funérailles, elles n’ont aucunement l’obligation de pourvoir à ces mêmes funérailles. Enfin, l’art. L. 2223-27 du CGCT précise que : "Le service est gratuit pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes. Lorsque la mission de service public définie à l’art. L. 2223-19 n’est pas assurée par la commune, celle-ci prend à sa charge les frais d’obsèques de ces personnes. Elle choisit l’organisme qui assurera ces obsèques." Le Code monétaire et financier (art. 72 de la loi no 2013-672) a donc été complété par un art. L. 312-1-4 selon lequel : "La personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles du défunt peut obtenir, sur présentation de la facture des obsèques, le débit sur les comptes de paiement du défunt, dans la limite du solde créditeur de ces comptes, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais funéraires, auprès des banques teneuses desdits comptes".
La commune est donc en dernier ressort l’ordinatrice des funérailles et, on le sait bien, n’a que peu de moyens d’investigation pour retrouver : renseignements obtenus auprès de la commune de naissance du défunt, de sa ville de résidence… Paradoxalement, si une faute pouvait être retenue contre la ville de Lille, c’est à la limite celle de ne pas avoir essayé de trouver ces fonds, et encore, en l’absence de toute volonté présumée du défunt, qu’aurait-elle pu faire d’autre que de l’inhumer dans le terrain commun. Rien !
Évidemment, la détresse de la sœur se comprend, mais il existera toujours des hypothèses marginales où, dans le bref délai donné pour l’organisation des funérailles, aucun proche ne peut être retrouvé…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change ?
Si nous empruntons à Mallarmé ses vers, c’est à l’occasion de l’examen actuel par le Parlement du projet de loi pour une République numérique, dont
l’article 32 adopté en première lecture par l’Assemblée nationale (petite loi n° 663) évoque le cas de la "mort numérique".
Le législateur, à la suite d’interrogations de plus en plus importantes à ce sujet (on lira avec profit l’étude du professeur Cécile Pérès au Recueil Dalloz 2016
p. 90 sur le sujet ainsi que les deux fiches pratiques élaborées par la CNIL, "Mort numérique : peut-on demander l’effacement des informations d’une personne décédée ?“ 29 oct. 2014 ; CNIL, "Mort numérique ou éternité virtuelle : que deviennent vos données après la mort ?“ 31 oct. 2014, disponible sur le site de cette institution), a décidé de légiférer.
Les députés ont déjà bien amendé le projet initial, qui désormais affirme que toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. Ces directives sont générales ou particulières. Il est de plus prévu la désignation d’une personne chargée d’exécuter les souhaits de la personne décédée.
À défaut de désignation, les personnes suivantes ont qualité, lorsque la personne est décédée, pour prendre connaissance des directives et demander leur mise en œuvre aux responsables de traitement concernés, dans l’ordre suivant : les descendants ; le conjoint non divorcé ; les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession ; les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir.
En l’absence de directives, les droits mentionnés à la présente section s’éteignent avec le décès de leur titulaire. Toutefois, par dérogation, les héritiers de la personne décédée justifiant de leur identité peuvent, si des éléments portés à leur connaissance leur laissent présumer que des données à caractère personnel la concernant faisant l’objet d’un traitement n’ont pas été actualisées, exiger du responsable de ce traitement qu’il prenne en considération le décès et procède aux mises à jour qui doivent en être la conséquence, ainsi qu’à la clôture du compte.
De même, tout prestataire d’un service de communication au public en ligne informe l’utilisateur du sort des données qui le concernent à son décès et lui permet de choisir de communiquer ou non ses données à un tiers qu’il désigne. N’en doutons pas, ces dispositions continueront sans doute d’être ajustées, tant ce sujet deviendra préoccupant dans les années qui viennent.
Maud Batut
Rédactrice en chef
“Je ne veux pas être mis dans une boîte“
Une ordonnance de référé de la cour d’appel d’Orléans en date du 29 janvier 2016 (no 16/00296, 18 bis/2016) met en lumière tout particulièrement le travail du juge, confronté à un conflit relatif au choix de la sépulture d’un défunt.
On le sait, c’est au juge judiciaire, et plus spécifiquement au tribunal d’instance, qu’échoit depuis 1887 la délicate mission de déterminer quelles étaient les dernières volontés du défunt relatives au sort de sa dépouille mortelle.
On le sait moins, mais le juge n’intervient que lorsque cette volonté est à la fois contestée et peu évidente à déterminer. Ici, d’ailleurs, il n’existe aucune expression de volonté écrite de la part du défunt. Il convient donc de rechercher quelles sont la ou les personnes les plus qualifiées pour décider des modalités des funérailles.
Or, dans cette ordonnance rendue évidemment parce qu’il y avait litige, le défunt avait affirmé : “Je ne veux pas être mis dans une boîte.“ Le juge estime alors : “Que l’expression ainsi employée peut, peut-être, être entendue comme une expression de l’angoisse du passage inéluctable que constitue une mise en bière, mais ne peut constituer une manifestation du souhait d’être incinéré“ et que : “même si le défunt a “réfléchi tout haut“ à l’hypothèse d’une incinération, il n’existe aucune certitude de ce que sa résolution était réelle de ne pas reposer auprès de sa famille à Vendôme, comme il en avait toujours exprimé le souhait“, puisque de toute façon : “la mise en bière est un acte obligatoire, que le corps soit destiné à être inhumé ou incinéré“.
Ainsi, on le voit bien, le juge se livre à une véritable analyse des témoignages et pièces qu’on lui soumet, bien loin de ne se satisfaire que d’une froide analyse juridique, il cherche réellement à révéler ces volontés dans un litige où bien évidemment les passions sont exacerbées par la douleur, puisque pas moins de six attestations étaient produites à l’appui d’une inhumation dans ce cimetière, tandis que la concubine revendiquait une crémation.
Par-delà ces faits, on comprend bien mieux le travail du “Droit“, qui consiste, à partir de comportements, de faits qui apparaissent parfois anodins, à les confronter à des règles pour faire produire à celles-ci leur plein effet. Si tout majeur ou mineur émancipé en état de tester a le droit de régler ses funérailles, ainsi que l’énonce la loi de 1887, le juge doit placer la volonté du défunt au sommet de ses raisonnements et, ainsi, expliquer ce que peut vouloir signifier une phrase, a priori dépourvue de tout effet juridique…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Récemment, la presse (“source presseocean.fr“, repris dans “cimetiere-de-France.fr“ : “Saint-Nazaire : Erreur irréparable lors de la crémation du corps d'une défunte“) nous expose le tragique fait divers suivant : Une nonagénaire fut crématisée à la place d’un homme trouvé mort sur la voie publique. La famille témoigne : “Maman nous avait dit maintes fois son souhait d’être inhumée dans un cimetière nazairien et de ne surtout pas être crématisée“. Or, la veille de l’inhumation, lorsque la famille souhaita une dernière fois voir son défunt, il apparut que ceci était impossible. L’erreur s’expliquerait par le fait que l’identité du défunt n’aurait pas été vérifiée par le policier car la housse n’a pas été ouverte. C’est en tout cas ce que, de nouveau, relate la famille : “À ce qu’on nous a dit, ça n’a pas été fait“, explique ainsi l’une des enfants de la nonagénaire. Une plainte a été déposée. La famille, témoigne encore, après que les cendres de leur défunt ont été placées dans un cercueil et inhumées : “Mais quand je vais sur sa tombe, j’ai l’impression qu’elle n’est pas là“ ; “et penser que son corps a été crématisé devant une famille qui n’était pas la sienne est douloureux“.
En somme, le sentiment que la fin de leur histoire avec leur mère – et ainsi sans doute le début de leur travail de deuil – leur a été volée. Que doit nous enseigner cette tragédie du recueillement bafouée par l’incurie humaine ? Tout d’abord, que les obligations juridiques existent justement pour que ces faits ne surviennent pas. En effet, le nouvel art. L. 2213-14 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), issu de la loi du 16 février 2015, est désormais le suivant : “Afin d'assurer l'exécution des mesures de police prescrites par les lois et règlements, les opérations de fermeture et de scellement du cercueil lorsqu'il y a crémation s'effectuent :
Tandis que l’art. R. 2213-2-1 dispose que : “En tous lieux, l'opérateur participant au service extérieur des pompes funèbres mentionné à l'art. L. 2223-23 munit, sans délai, le corps de la personne dont le décès a été constaté d'un bracelet plastifié et inamovible d'un modèle agréé par arrêté du ministre de l'Intérieur comportant les nom, prénom et date de décès ou, à défaut, tous éléments permettant l'identification du défunt“.
Il convient de remarquer que, si ces obligations de surveillance ont été considérablement allégées dans le CGCT, c’est bien pour que l’on se concentre sur l’essentiel, pour prévenir les erreurs irrémédiables… Puis, au-delà de ces faits, que les acteurs du funéraire, policiers inclus, ne doivent pas trier dans leurs obligations - c’est bien la totalité d’entre elles qui se justifient - pour ne plus tendre aux gazettes de tels bâtons pour se faire battre…
Maud Batut
Rédactrice en chef
En décembre 2015 est sorti un film aussi esthétiquement impressionnant que troublant philosophiquement. Il s’agit de "New Territories", de la cinéaste française Fabianny Deschamps. En lisant le South China Morning Post, elle prend connaissance d’un fait divers terrible autour du commerce des morts (les faits décrits présentement empruntent à la présentation du film par l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion : l’ACid), des gens se sont mis à disparaître par dizaines, dans un rayon de cinquante kilomètres. Des vieux, des femmes, des handicapés. En fait, ils étaient assassinés pour servir de cadavres de substitution à l’incinération, puisque le Parti communiste chinois avait rendu obligatoire la crémation en Chine, avec comme but avoué l’éradication de vieilles traditions religieuses.
Ces organisations mafieuses proposaient de crématiser un défunt acheté par la famille, de le faire passer comme étant le leur aux yeux des autorités avec la complicité des opérateurs funéraires du cru, et de pouvoir ainsi les inhumer (en cachette) comme l’exige la tradition. C’est là que se croisent deux destins, ceux d’une jeune Chinoise fuyant avec son fiancé dans ces nouveaux territoires que les Chinois appellent - l’entre deux mondes - et qui séparent Hong Kong du reste de la Chine, et d’une Française qui vient commercialiser un nouveau procédé funéraire, contraire lui aussi aux rites ancestraux.
Quel beau sujet de réflexion que la contradiction entre la coutume et le droit, illégitime lorsqu’il violente l’un des aspects fondamentaux de notre humanité : le culte des morts. Évidemment, dans nos pays occidentaux, la crémation est un mode de sépulture alternatif, dont le succès grandissant ne se fait pas à l’encontre des aspirations de la population, mais bien parce que la société change et qu’elle accepte ce procédé, qui, il n’y a pas si longtemps, ne rencontrait qu’un succès des plus limités. C’est d’ailleurs le sort des nouveaux procédés, lorsque les pouvoirs publics les agréent effectivement, de ne rencontrer que très progressivement leur public au gré des évolutions sociétales.
Cette problématique peut trouver à s’appliquer également, non pas vis-à-vis de nouveaux procédés, mais d’anciens, dont la logique intrinsèque est poussée dans ses derniers retranchements. N’y a-t-il pas des questions à se poser sur un équipement aussi "classique" que le cimetière ? Comment en améliorer la conception ? Comment résoudre les problèmes de place qui ne manqueront pas de se poser dans les grandes agglomérations ? Faut-il "verticaliser" les cimetières, en empruntant la voie des enfeus, par exemple ? On le pressent, l’augmentation extrêmement significative du nombre des décès qui est attendue, le fameux "papy-krach", suite logique du "papy-boom", nous obligera nécessairement à nous poser des questions quant au devenir des morts…
Maud Batut
Rédactrice en chef
Le gouvernement des juges ?
Dans ce numéro, on trouvera tout particulièrement deux nouveaux textes réglementaires d’importance ; tout d’abord, “les bonnes feuilles“ d’un volumineux arrêté relatif aux bonnes pratiques en matière de prélèvement d’organes, puis un texte particulièrement symbolique sur la prise en charge par l’État des militaires morts en service ou dont la mort a été causée par le service, même si un délai de cinq ans s’est écoulé depuis. Un texte qui à n’en pas douter vient combler le manque entre la sépulture de celui qui a obtenu la mention d’état civil que constitue l’inscription de la qualité de “Morts pour la France“ et l’inhumation dans une nécropole nationale.
Deux preuves évidentes qui démontrent à l’envi que, quand l’Administration le souhaite, elle peut produire des textes modernes et adaptés aux conditions d’aujourd’hui. Car la bonne volonté ne suffit pas ; à l’instar d’un article consacré à l’ossuaire, nous verrons que l’enfer peut décidément être pavé de bonnes intentions, et que le législateur peut parfaitement réussir à instituer une disposition complètement contraire à son intention. Il faudra au moins l’intervention du juge pour venir éclairer ce que les juristes appellent, sans ironie aucune, “l’intention du législateur“. Néanmoins, si le juge peut venir éclairer de son interprétation des dispositions obscures, il ne peut assurément faire dire aux textes qui apparaissent clairs le contraire de leur énoncé. De nouveau, certaines écoles juridiques, et plus particulièrement les tenants de la théorie réaliste de l’interprétation, vous diront que le pouvoir glisse ainsi des mains du législateur bégayant au juge chargé de donner sens à ces phrases que les arcanes de la procédure parlementaire ont obscurcies indûment. Ils sont d’ailleurs nombreux, les textes où la jurisprudence s’est imposée. C’est le juge qui donna tout son sens, et par-delà, indubitablement l’intention du législateur, son sens actuel à la loi de 1887 relative à l’organisation des funérailles en décidant de ce que signifiait les phrases : “Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions.“ Alors que ces dispositions n’avaient vocation primitivement qu’à permettre d’opter pour des funérailles civiles ou religieuses... C’est le juge encore qui détermina les différents types de concessions, organisa un cadre minimum à la reprise des terrains communs, valida le principe de l’opération de réduction de corps, fixa des limites aux opérations d’exhumation à la demande des familles.
Allez ! Soyons idéalistes, pour l’année 2016 qui commence, souhaitons-nous un législateur précis et une Administration moderne au service du droit funéraire, donc de tous ceux qui exercent une activité liée à ce secteur, et surtout, aux familles qui comptent sur ces professionnels pour les accompagner dans leurs épreuves…
Maud Batut
Rédactrice en chef
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