Économie, éthique, finance… où sommes-nous dans tout cela ?
La financiarisation du secteur funéraire est relativement récente et suit de façon naturelle l’émergence, l’apogée et la disparition de certaines "bulles". C’est ainsi que le monde économique s’est intéressé très tôt à l’immobilier avec le résultat que l’on connaît (subprimes), puis à l’informatique et aux télécoms, tous les pans de notre savoir-faire y sont passés. Une telle frénésie ne s’est pas encore emparée du funéraire, ou si peu que l’on peut considérer que notre segment est marginal et n’intéresse pas grand monde ?
Erreur, c’est exactement le contraire. Les appétits sont déguisés et discrets mais ils sont bien présents. Il est vrai que le funéraire ne déchaîne pas les passions, fait même un peu peur, mais lorsque l’on évoque les chiffres d’affaires de la profession et la perspective proche du baby-boom, les craintes ancestrales s’estompent au profit de l’attente programmée de rendements juteux. La machine à sous est une chose mais l’argent et ce qu’il permet, ne doivent pas nous faire perdre de vue qui nous sommes et ce que nous faisons au quotidien et pour qui. Certes un apport conséquent en trésorerie permet de réaliser bien des choses, mais pour le bénéfice de qui ? Des actionnaires ? Des familles ? Des deux ? Intéressante question s’il en est. Lorsque le monde frétille en attente de la manne monétaire, replongeons-nous dans nos souvenirs d'étudiants en direction des philosophes grecs, qui déjà à leur époque, s’étaient penchés sur cette problématique.
Aristote surnommé "le Prince des philosophes", élève de Platon était très soucieux de recréer l’harmonie dans la Cité par une quête du bonheur idéal, le détachement par rapport aux richesses terrestres qui étaient supposées améliorer la vie sociale. Nous sommes à des années-lumière des revendications contemporaines. Il dénonça les pratiques spéculatives et monopolistiques et instilla de l’éthique dans son rapport à l’argent. Cette théorie, "la chrématistique" (du grec chrema = richesse) se composait de deux formes distinctes. La première consistait à acquérir des richesses en vue de la satisfaction des besoins en ayant pour seul objet le bien-être humain dans la maison. Pour Aristote, l’économie raisonnée est un moyen au service d’une finalité humaine. La seconde forme, qu’il condamne sans détour, consiste à confondre l’économie en oubliant la finalité humaine mais en inscrivant "les richesses" comme seules finalités. La chrématistique doit être une technique au service de l’homme et de l’économie et non une finalité ayant pour objet l’accumulation sans limites de la richesse.
Aristote serait-il le premier dénonciateur du grand capital ? Possible… son souhait s’inscrit dans la clarté des échanges et surtout une notion du bien commun nouvelle, profitable à tous et aux institutions. Indéniablement grand nombre de nos managers ou gouvernants feraient bien de se replonger dans "Éthique à Nicomaque" au lieu de considérer que la finance n’est plus au service de l’économie mais au seul service d’elle-même.
Bien entendu, nous ne sommes pas des ignorants, nous savons tous qu’une entreprise doit assurer la couverture de ses risques et générer du profit, ne serait-ce que pour investir en moyens matériels et humains et satisfaire le bien-être de ses forces vives. Mission impossible ? Certes non. Il suffit simplement de réfléchir un peu et d’arrêter de scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis, car une fois brisée, cette branche ne sera plus d’aucune utilité pour quiconque.
Dès lors, un nouveau monde émergera et je ne suis pas certaine que nous l’appréciions et que l’éthique, l’économie, la finance, cèdent la place définitivement à l’intolérance, la haine et la violence. Sommes-nous vraiment prêts pour cela ?
Maud Batut
Rédactrice en chef
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