La volonté est-elle un pouvoir ou un désir ?
Tradition solidement ancrée, la présentation des vœux en début d’année est un passage obligé de civilité. "Je vous souhaite de…" exprime implicitement nos propres attentes, que nous projetons vers notre interlocuteur. Mais qu’est-ce que la volonté ? Définie comme un pouvoir de se déterminer à agir en fonction de motifs ou de raisons, la volonté est une faculté de projection vers des fins ou des objets parfois complexes.
"Il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne pas le donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions", affirme Descartes en 1644 dans "Les Principes de la philosophie".
Cet appel au libre-arbitre repose sur l’idée que la volonté et l’entendement sont deux facultés distinctes. Nous pouvons vouloir ce que notre entendement nous révèle être le pire. Pour Spinoza, cette appréhension relève d’un rapport imaginaire à soi-même et fait que le libre-arbitre est une illusion, et d’affirmer : "Nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n’appétons ni ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons." Dans ce cas, n’entrons-nous pas dans la caverne mystérieuse du désir ressenti comme une velléité ?
Le velléitaire veut tout et son contraire, il déborde de projets parce qu’il n’en met en œuvre aucun. Le volontaire, au contraire, reste sur le registre d’une certaine forme d’humilité, mais s’engage dans l’accomplissement de ce qu’il a projeté. Une bonne démonstration faite que l’on ne peut pas vouloir l’impossible.
Pour le philosophe Ricœur, "le désir peut signifier une mise à l’écart de la raison au profit d’une lecture idéalisée du réel". Il est une construction intellectuelle par laquelle nous imaginons, désirons et idéalisons. Finalement, c’est par l’échelle du temps que le plaisir du désir prend toute sa dimension. Un fois assouvi, celui-ci nous conduit-il à la satisfaction ou, a contrario, à la désillusion ? Schopenhauer disait avec raison que sa réalisation est comme "une aumône que l’on jette à un mendiant. Elle lui sauve la vie aujourd’hui pour prolonger sa misère jusqu’à demain". Il nous faudrait donc vivre perpétuellement dans le désir et exploiter cette force comme un "vouloir vivre". Désirer c’est vivre, vivre c’est exister.
Comment rapporter ces pensées à nos quotidiens ? Simplement en demeurant en quête permanente du désir, de ce "vouloir vivre" qui nous anime et nous transcende, quels que soient les obstacles et les dangers rencontrés au long du chemin. Il n’est pas synonyme de souffrance dès lors que l’on accepte l’enjeu et que nous nous concentrons sur notre capacité à faire et notre volonté à nous autodéterminer à partir d’un choix raisonné, fondé sur une analyse objective de nos forces et nos faiblesses.
C’est notamment le credo de tout initiateur d’entreprise, vaincre ses passions et les soumettre à la raison en gardant à l’esprit sa volonté et l’intégrité de son projet. Donc, dans cet esprit, le désir manifeste une volonté positive de puissance affirmative qui suppose imagination, créativité, audace. Celui-ci est l’incarnation de l’homme, c’est ce qui crée son relief, sa personnalité. Cette volonté s’inscrit dans l’allégorie de la caverne de Platon. Se découvrir à soi-même et rectifier ainsi les aspérités de notre pierre cachée pour tendre vers l’idéal.
Ainsi, le désir est bien cette volonté d’entreprendre qui monte du fond de nous-même vers notre raison et que notre vouloir aiguillonnera par la pointe du plaisir. Que vous souhaiter de plus à l’aube de cette année nouvelle, sinon le plaisir d’être et de faire ?
Maud Batut
Rédactrice en chef
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :