Le civisme éclairé, renaissance du bien commun ?
Compte tenu de l’épisode épidémique que nous traversons, le confinement fut l’occasion d’effets secondaires inattendus. Le numérique et la diffusion télévisée sortent vainqueurs de deux mois de faible activité. Les chaînes d’information enregistrent de ce fait des scores d’audience exceptionnels. Les experts d’un jour se succèdent et nous assènent vérités après vérités, quitte à se contredire du jour au lendemain. Peu importe, selon eux, l’information est une denrée périssable à la date de fraîcheur qui se compte en heures.
Devant cette schizophrénie grandissante, et en réaction, le bon sens se fait jour parmi nos concitoyens et renaît ainsi un sentiment que l’on croyait disparu : le civisme. Il faut dire que notre société néo-libérale nous a plutôt habitués au culte de l’individualisme forcené. C’est pourquoi, avec bonheur, les citoyens se sont emparés de nombreux axes de solidarité, tout simplement parce qu’ils se retrouvent peu ou prou devant un État gérant au jour le jour pénuries et contradictions. La nature a horreur du vide.
"L’art qui s’occupe de l’âme s’appelle politique" soulignait Platon dans le Gorgias. C’est justement le civique qui permet à l’homme de penser avec son semblable et d’affirmer que celui-ci est un animal politique. Cependant le civisme est autre chose qu’un supplément d’âme, cette forme de civisme démocratique est en quelque sorte une adhésion à la théorie des droits. Hélas, les droits ne sont pas tout et certainement pas une propriété individuelle absente de devoirs. Une politique des droits de l’homme est nécessaire car il est bon de savoir ce que l’on veut faire en société. Par ailleurs, nous consentons à la démocratie car elle nous assure des droits mais nous sommes perturbés par l’impuissance à pouvoir parfois nous gouverner collectivement.
C’est bien le paradoxe français qui s’exprime. "Le triomphe de l’État social n’est cependant pas univoque. Il peut être équivoque. Même fondé sur la souveraineté du peuple, le régime démocratique peut être despotique. Une douce tyrannie civilisée où les individus se désintéressent du bien public", cite Frédéric Cohen, docteur et enseignant en philosophie politique et sciences politiques à Sciences Po, et d’ajouter : "la majorité est toujours la plus forte mais pas toujours la plus sage. Le nombre devient le critère du bien. On en vient ainsi à confondre la majorité avec le bien commun qui n’est plus une finalité. Le bien devient utilitaire à des fins particulières, c’est l’intérêt qui prédomine".
La grande leçon de ce confinement, où la vie économique s’est trouvée en grand péril et qui nous a donné du "temps de cerveau disponible", est assurément une bonne surprise. Les citoyens se sont à nouveau mis à réfléchir, à imaginer, espérer un "après", à envisager d’autres hypothèses. La solidarité a pris un second souffle et s’est exprimée avec force et vigueur. Les Français se sont affranchis de la tutelle de l’État et se sont organisés en petits groupes agissants, nodules communicants et proactifs. Est né un sens commun partagé par tous qui donne des repères à la vie "ensemble" et un réel plus collectif prend, contre toute attente, son envol. Cette forme d’économie sociale et solidaire n’est pas une réponse palliative. Cet épisode contraint créé de nouvelles espérances, de nouvelles exigences, l’utilité en est une.
Nous venons tous de nous rendre compte que la croissance forcenée dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée n’est pas nécessairement l’alpha et l’oméga de nos vies, ni de celles de nos enfants que nous hypothéquons sans vergogne. Le bonheur national brut n’est peut-être donc pas une utopie, il conjuguerait l’économie et l’humain, la capacité de faire raisonnable et les besoins essentiels du groupe.
De toute évidence, nous aurons l’occasion de ressentir les conséquences inattendues de cette épidémie qui a propagé un nouveau virus : le civisme éclairé, une lumière qui n’est pas près de s’éteindre…
Maud Batut
Rédactrice en chef
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