En France, 30 % des successions sont inférieures à 5 000 € et il n’est pas rare que des contrats obsèques laissent subsister une soulte inférieure à 50 €. La situation est encore plus dramatique au moment de la clôture d’un compte d’une personne décédée, créditeur de 10 €, pour laquelle la banque impose la fourniture d’un certificat d’hérédité en bonne et due forme dressé par un notaire pour une somme approchant les 500 €.
Tous ces constats posent, globalement, la problématique de la gestion postmortem du compte du défunt. Du prélèvement des frais funéraires, aux formalités liées au versement du solde créditeur aux héritiers, bien des paradoxes ont été relevés et révélés. Et il n’était plus possible, dans la société contemporaine, fondée sur un droit, des plus évolués, que non seulement l’opération de prélèvement ne soit pas juridiquement adossée à un texte législatif et que la clôture du compte soit une péripétie administrative se transformant en double peine pour les familles.
C’est à travers le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, actuellement en débat à l’Assemblée nationale, que le législateur a engagé une véritable clarification du régime des frais d’obsèques prélevés sur le compte du défunt. Si les banques permettent actuellement aux familles modestes de prélever sur le compte du défunt les sommes nécessaires au paiement de ces frais, une telle pratique, bien qu’indispensable, demeure dépourvue de base légale.
Les prélèvements hors la loi des frais funéraires sur le compte du défunt
Certes, l’art. 1939 (1) du Code civil précise que le compte bancaire d’un individu est bloqué dès son décès. Néanmoins, d’autres dispositions du même Code, notamment les articles 784 et 815-2 (2) prévoient que des actes conservatoires parmi lesquels le paiement des frais d’obsèques, peuvent être effectués, mais postérieurement au déclenchement du processus de succession, afin que soient au préalable identifiés les héritiers potentiels.
Dans la pratique, la mise en œuvre de ces articles s’avère souvent impossible, en raison du délai légal de six jours pour l’inhumation ou la crémation.
Face à une telle situation, désarmées juridiquement mais exposées aux difficultés que peut soulever le financement des obsèques, les banques autorisent de facto - et sans fondement légal - la personne pourvoyant aux funérailles du défunt, qu’elle en soit l’héritière ou non, à prélever sur le compte de ce dernier les sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais d’obsèques.
Cette pratique se fonde sur une instruction de la direction de la Comptabilité publique du 31 mars 1976 visant les comptes de dépôt ouverts par les particuliers auprès du Trésor public ; le montant maximum de débit, revalorisé à plusieurs reprises depuis 1976, a atteint 20 000 Fr en 1992, soit 3 050 €. Toutefois, cette instruction est devenue sans objet depuis le 31 déc. 2001 lorsque les comptables du Trésor ont définitivement mis fin à la gestion de comptes de particuliers.
Dès lors, les prélèvements autorisés par la banque relèvent d’un simple usage dépourvu de base légale. Pourtant, en temps de crise, il reste utile en particulier aux personnes modestes qui souhaitent assurer des funérailles décentes à un parent défunt, mais ne disposent pas des sommes nécessaires pour avancer leur paiement.
C’est dans cette perspective que le Gouvernement souhaite pallier cette lacune législative en autorisant explicitement, par une disposition spécifique, les établissements bancaires à procéder au prélèvement des sommes nécessaires au paiement des frais d’obsèques, à la demande de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles du défunt et sur présentation de la facture. Pour éviter des détournements, un seuil maximum de prélèvement devrait être fixé par le pouvoir réglementaire.
La preuve de la qualité d’héritier
Si le projet de loi en débat a trouvé la solution pour donner un socle légal au prélèvement de frais funéraires sur le compte du défunt, il ne règle pas pour autant la question de la qualité d’héritier et de sa preuve. Pourtant, conformément à l’art. 730-1 du Code civil (3), "la preuve de la qualité d’héritier s’établit par tout moyen", mais les organismes débiteurs de sommes pour le compte des héritiers – banques et assurances - s’obstinent à exiger un certificat d’hérédité arguant des risques encourus en termes de détournements d’actifs successoraux par un héritier dont il n’a pas été vérifié la qualité. Une situation dénoncée par les associations de familles, notamment dans le cadre des successions les plus simples, c’est-à-dire en ligne directe (les enfants venant à la succession de leur parent), sans qu’il ait été fait de contrat de mariage par le défunt et sans que cette succession porte sur des immeubles. Bien souvent ces successions de caractère modeste restent inférieures à 5 035 €.
Sans cette preuve de la qualité d’héritier, l’ensemble des actes conservatoires mentionnés à l’art. 784 (4) du Code civil (frais de dernières maladies, loyers, impôts et autres dettes urgentes du défunt), puis la clôture du ou des comptes du défunt ne peuvent être effectués.
Ce certificat d’hérédité s’avère très difficile à obtenir et s’érige donc source de complexité pour les usagers du service public. En effet, les maires, bien qu’habilités à établir ces certificats, gardent une marge d’appréciation sur leur délivrance de telle sorte que la majorité d'entre eux refusent de les établir, estimant ne pas avoir d’informations suffisantes. Or en cas de refus, les héritiers sont dans l’obligation de saisir un notaire pour faire dresser un acte de notoriété, y compris dans le cas où quelques centaines d’euros restent sur le compte après paiement des obsèques et autres frais.
Le projet de loi innove en intégrant un art. 23 prévoyant un judicieux mécanisme alternatif : il sera possible de substituer au certificat d’hérédité un acte de naissance, établissant la qualité d’héritier, pour procéder au règlement des actes conservatoires et obtenir la libération des derniers euros ainsi que la clôture des comptes.
Ce mécanisme s’appliquera pour les successions les plus modestes (pour mémoire, 30 % des successions sont inférieures à 5 000 €).
Des prélèvements destinés à financer les frais d’obsèques désormais légalement autorisés, mais réglementairement encadrés
S’agissant du prélèvement des frais funéraires, et afin d’éviter des détournements, un seuil maximum de prélèvement devrait être fixé par le pouvoir réglementaire par voie d’arrêté. Le champ d’application du prélèvement est étendu à tous les comptes du défunt. Nous rapportons, ci-dessous, le contenu de l’article 23 qui a été adopté à l’unanimité en commission des lois :
(voir encadré à droite).
Il convient de rappeler que la doctrine reprise dans cette disposition a été inspirée par les travaux du collectif "Grande cause nationale du deuil", composé d’associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes endeuillées. En effet, ce dernier a milité en faveur de la preuve de la qualité d’héritier par un acte d’état civil et non plus le certificat d’hérédité, notamment pour les successions modestes.
Bien évidemment, s’il convient de saluer à sa juste mesure cette évolution législative, il n’en demeure pas moins qu’elle serait également vaine si elle ne comportait pas l’inscription du principe selon lequel la clôture du compte du défunt doit s’effectuer sans frais (5).
Méziane Benarab
Après l’art. L. 312-1-2 du Code monétaire et financier, il est rétabli un art. L. 312-1-4 ainsi rédigé :
"Art. L. 312-1-4. – I. – La personne qui pourvoit aux funérailles du défunt peut obtenir, sur présentation de la facture des obsèques, le débit sur le ou les comptes de paiement du défunt, dans la limite du ou des soldes créditeurs de ce ou de ces comptes, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais funéraires, auprès de la ou des banques teneuses du ou desdits comptes, dans la limite d’un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l’Économie et des Finances. "II. – Tout successible en ligne directe, déclarant qu’il n’existe à sa connaissance ni testament, ni contrat de mariage, peut obtenir le débit sur le ou les comptes de paiement du défunt, dans la limite du ou des soldes créditeurs de ce ou de ces comptes, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des actes conservatoires, au sens du 1° de l’art. 784 du Code civil, auprès du ou des établissements de crédit teneurs du ou desdits comptes, dans la limite d’un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l’Économie. Il peut notamment justifier de sa qualité d’héritier par la production de son acte de naissance. "III. – Tout successible en ligne directe peut obtenir la clôture du ou des comptes du défunt et le versement des sommes y figurant, dès lors que le montant total des sommes détenues par l’établissement est inférieur à un montant fixé par arrêté du ministre en charge de l’Économie. Il justifie de sa qualité d’héritier notamment par la production de son acte de naissance et remet un document écrit signé de l’ensemble des héritiers, par lequel ils attestent : "1° Qu’à leur connaissance il n’existe ni testament, ni d’autres héritiers du défunt ; "2° Qu’il n’existe pas de contrat de mariage ; "3° Qu’ils autorisent le porteur du document à percevoir pour leur compte les sommes figurant sur le ou les comptes du défunt et à clôturer ces derniers".
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Pour mémoire : (1) - Art. 1939 du Code civil "En cas de mort de la personne qui a fait le dépôt, la chose déposée ne peut être rendue qu'à son héritier. S'il y a plusieurs héritiers, elle doit être rendue à chacun d'eux pour leur part et portion. Si la chose déposée est indivisible, les héritiers doivent s'accorder entre eux pour la recevoir". (2) – Art. 815-2 du Code civil "Tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence. Il peut employer à cet effet les fonds de l'indivision détenus par lui et il est réputé en avoir la libre disposition à l'égard des tiers. À défaut de fonds de l'indivision, il peut obliger ses coïndivisaires à faire avec lui les dépenses nécessaires. Lorsque des biens indivis sont grevés d'un usufruit, ces pouvoirs sont opposables à l'usufruitier dans la mesure où celui-ci est tenu des réparations". (3)- Art. 730-1 du Code civil "La preuve de la qualité d'héritier peut résulter d'un acte de notoriété dressé par un notaire, à la demande d'un ou plusieurs ayants droit. L'acte de notoriété doit viser l'acte de décès de la personne dont la succession est ouverte et faire mention des pièces justificatives qui ont pu être produites, tels les actes de l'état civil et, éventuellement, les documents qui concernent l'existence de libéralités à cause de mort pouvant avoir une incidence sur la dévolution successorale. Il contient l'affirmation, signée du ou des ayants droit auteurs de la demande, qu'ils ont vocation, seuls ou avec d'autres qu'ils désignent, à recueillir tout ou partie de la succession du défunt. Toute personne dont les dires paraîtraient utiles peut être appelée à l'acte. Il est fait mention de l'existence de l'acte de notoriété en marge de l'acte de décès". (4) – Art. 784 du Code civil "Les actes purement conservatoires ou de surveillance et les actes d'administration provisoire peuvent être accomplis sans emporter acceptation de la succession, si le successible n'y a pas pris le titre ou la qualité d'héritier. Tout autre acte que requiert l'intérêt de la succession et que le successible veut accomplir sans prendre le titre ou la qualité d'héritier doit être autorisé par le juge. Sont réputés purement conservatoires : 1° Le paiement des frais funéraires et de dernière maladie, des impôts dus par le défunt, des loyers et autres dettes successorales dont le règlement est urgent ; 2° Le recouvrement des fruits et revenus des biens successoraux ou la vente des biens périssables, à charge de justifier que les fonds ont été employés à éteindre les dettes visées au 1° ou ont été déposés chez un notaire ou consignés ; 3° L'acte destiné à éviter l'aggravation du passif successoral. Sont réputés être des actes d'administration provisoire les opérations courantes nécessaires à la continuation à court terme de l'activité de l'entreprise dépendant de la succession. Sont également réputés pouvoir être accomplis sans emporter acceptation tacite de la succession le renouvellement, en tant que bailleur ou preneur à bail, des baux qui, à défaut, donneraient lieu au paiement d'une indemnité, ainsi que la mise en œuvre de décisions d'administration ou de disposition engagées par le défunt et nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise". (5) - Ce texte a été rédigé à partir d’extraits du rapport législatif déposé dans le cadre de la discusion du projet de loi. |
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