La loi relative à l’engagement local et à la proximité de l’action publique (n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, JO 28 décembre 2019) vient d’entrer en vigueur. Elle comporte deux dispositions d’inégale importance, il est vrai, pour la gestion des cimetières.
Une nouvelle et importante possibilité de sanctionner les abus dans le cimetière
Un art. L. 2212-2-1 du Code Général des Collectivités Territoriales est ainsi créé pour instituer une amende administrative d’un montant maximal de 500 € pour tout manquement à un arrêté du maire, présentant un risque pour la sécurité des personnes et ayant un caractère répétitif ou continu dans les domaines suivants :
Ayant pour effet de bloquer ou d’entraver la voie ou le domaine public, en y installant ou en y laissant sans nécessité ou sans autorisation tout matériel ou objet, ou en y déversant toute substance ;
Consistant, au moyen d’un bien mobilier, à occuper à des fins commerciales la voie ou le domaine public soit sans droit ni titre, lorsque celui-ci est requis en application de l’art. L. 2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, soit de façon non conforme au titre délivré en application du même art. L. 2122-1, lorsque cette occupation constitue un usage privatif de ce domaine public excédant le droit d’usage appartenant à tous.
Le manquement mentionné au I du présent article est constaté par procès-verbal d’un officier de police judiciaire, d’un agent de police judiciaire ou d’un agent de police judiciaire adjoint. Le délai de prescription de l’action du maire pour la sanction d’un manquement mentionné au premier alinéa du I est d’un an révolu à compter du jour où le premier manquement a été commis.
Procédure
Le maire notifie par écrit à la personne intéressée les faits qui lui sont reprochés, les mesures nécessaires pour faire cesser le manquement, ainsi que les sanctions encourues. Cette notification mentionne la possibilité de présenter des observations, écrites ou orales, dans un délai de dix jours, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix. À l’expiration de ce délai de dix jours, si la personne n’a pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser le manquement, le maire la met en demeure de se conformer à la réglementation dans un nouveau délai de dix jours.
À l’issue de ce second délai et à défaut d’exécution des mesures prescrites, le maire peut, par une décision motivée qui indique les voies et délais de recours, prononcer l’amende administrative. Le montant de l’amende est fixé en fonction de la gravité des faits reprochés. La décision du maire prononçant l’amende est notifiée par écrit à la personne intéressée. Elle mentionne les modalités et le délai de paiement de l’amende. Cette décision est soumise aux dispositions de l’art. L. 2131-1 (c’est-à-dire qu’il est soumis aux formalités usuelles de publicité des actes administratifs de police).
Le recours formé contre la décision prononçant l’amende est un recours de pleine juridiction. L’amende administrative est recouvrée au bénéfice de la commune dans les conditions prévues par les dispositions relatives aux produits communaux.
Le délai de prescription de l’action du maire pour la sanction d’un manquement mentionné au premier alinéa du I est d’un an révolu à compter du jour où le premier manquement a été commis. Après avoir prononcé l’amende mentionnée au I, le maire peut, par une décision motivée qui indique les voies et délais de recours, faire procéder d’office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l’exécution des mesures prescrites mentionnées au quatrième alinéa du II.
Le texte a cru bon de préciser qu’il ne saurait s’appliquer à l’encontre de toute personne qui a installé sur la voie ou le domaine public les objets nécessaires à la satisfaction de ses besoins élémentaires. Il s’agirait de ne pas tenter certains maires qui pourraient utiliser le dispositif à l’encontre de personnes sans domicile stable, par exemple.
Application au cimetière
Cette importante disposition est applicable au cimetière. En effet, le cimetière est un élément du domaine public communal (CE 28 juin 1935, Marécar : DP 1936, III, 20, concl. Latournerie, note M. Waline). La conséquence majeure de la qualification du cimetière comme élément du domaine public réside dans l’application des grands principes de protection applicables à ces biens. Parmi eux, deux revêtent une importance particulière pour le cimetière : le principe d’inaliénabilité et le principe d’imprescriptibilité.
L’imprescriptibilité protège le domaine public contre son éventuelle acquisition par un usage prolongé qu’en feraient des tiers. L’acquisition du domaine public par la voie de la prescription acquisitive est donc par principe exclue. Concrètement, la possession par une personne privée d’un immeuble relevant du régime du domaine public ne lui permettra jamais d’en revendiquer la propriété (TC, 24 février 1992, Couach, Rec., p. 479, AJDA 1992, p. 327, ch. C. Maugüé et R. Schwartz). À tout moment, la personne publique dépossédée pourra exercer une action en revendication du bien (CE, 27 mai 1959, Baylaucq, Rec. CE, p. 323). Il en découle la nécessité pour occuper à son profit le cimetière la nécessité d’une autorisation.
L’occupation privative d’une dépendance du cimetière
L’art. L. 2122-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) subordonne l’occupation privative d’une dépendance domaniale à une autorisation (nous n’évoquons pas, bien entendu, les sépultures mais tout autre type d’occupation dans le cimetière non autorisée par le maire). Deux grandes catégories d’autorisations peuvent être distinguées : les autorisations unilatérales et les autorisations conventionnelles. Toutefois, qu’elles soient unilatérales ou conventionnelles, ces autorisations répondent à certaines caractéristiques communes :
- l’autorisation doit être préalable : on la demande avant l’occupation, sinon celle-ci est illégale (sauf régularisation), et constitue donc une occupation sans titre. Il en ira de même quand l’autorisation demandée et accordée est périmée ;
- l’autorisation doit être expresse (il n’existe pas d’autorisation implicite) ;
- l’autorisation a un caractère personnel (elle n’est normalement pas cessible). Cependant, la jurisprudence la plus récente permet de demander à la personne publique si elle agrée la continuation de l’autorisation au profit d’un nouvel occupant pour la durée restant à courir. Néanmoins, sauf dispositions législatives contraires, les autorisations d’occupation du domaine public ont un caractère personnel et ne sont donc pas cessibles à l’exclusion de cette précision jurisprudentielle ;
- l’autorisation est temporaire : aucun occupant privatif, nonobstant le cas particulier de la concession funéraire perpétuelle, ne dispose d’un droit à occuper indéfiniment le domaine public ;
- l’autorisation est précaire et révocable : l’existence d’une durée prévue à l’acte n’est qu’indicative (même si il faudra indemniser l’occupant privé en cas de résiliation anticipée de son autorisation) ;
- l’autorisation doit être écrite : les dispositions de l’art. L. 2122-1 du CG3P disposent, de manière univoque, de la nécessité de l’existence d’une autorisation, d’un titre, afin de pouvoir occuper de manière privative. La jurisprudence vient d’ailleurs de confirmer ces dispositions [CE Sect., 19 juin 2015, Société Immobilière du Port de Boulogne (SIPB) c/Chambre de commerce et d’industrie de Boulogne-sur-Mer Côte d’Opale, req. n° 369558]. De la sorte, la Haute juridiction administrative considère qu’une occupation privative d’une dépendance du domaine public, dans le silence même des prescriptions de l’art. L. 2122-1 du CG3P, ne peut être régulière que dans l’hypothèse où elle est autorisée de manière préalable et écrite.
Le juge judiciaire partage cette analyse (Cour de cassation, 3e civ., 3 juillet 2013, commune de Biarritz c/Syndicat des copropriétaires de la Maison basque, pourvoi n° 12-20237, Bulletin civil 2013, III, n° 94). Dans le même ordre de préoccupations, pour le juge administratif, ne peut être assimilée à une reconduction tacite d’une autorisation d’occupation du domaine public expirée la tolérance du maintien dans la dépendance domaniale concernée accompagnée de la perception d’une redevance d’occupation (CAA Douai, 6 mai 2014, SARL Fourré Lagadec Aviation, req. n° 13DA00057).
Quelles solutions pour faire cesser une occupation indue ?
Normalement, l’Administration ne peut exécuter de façon forcée ses décisions. En pratique, cela veut dire que l’Administration, lorsqu’elle demande à un administré de se comporter d’une certaine façon et que cet administré n’en a cure, ne peut, elle-même, obliger cet administré à se conformer à ses désirs. Elle doit aller devant le juge et obtenir de celui-ci une injonction de faire, normalement assortie d’une astreinte financière.
C’est un principe constant du droit administratif posé par la jurisprudence (TC, 2 décembre 1902, Société immobilière de Saint-Just, n° 00543, Rec. CE p. 713). Il est possible dans certains cas de recourir au juge pénal. Pour les collectivités territoriales, cette hypothèse sera quasiment limitée à la catégorie des contraventions de voirie, le plus souvent routière. Dans les autres cas, les plus nombreux, il faudra recourir au juge administratif. C’est le principe posé par la jurisprudence (TC, 24 septembre 2001, société BE Diffusion c/ RATP et société Promo-Métro, Rec. p. 747).
Ainsi, le juge de principe de l’expulsion est bien le juge administratif, sauf :
- si une loi dit le contraire ;
- s’il y a une voie de fait commise par l’Administration : en effet, la voie de fait étant une atteinte à la propriété privée ou à une liberté fondamentale, la Constitution a donné au juge judiciaire le pouvoir de garantir ces droits. Il est donc normal que relève de sa compétence la réparation des atteintes à ces droits ;
- s’il y a une contestation sérieuse quant à la propriété : il s’agit ici des litiges concernant l’identité du propriétaire.
Peut-on faire payer l’occupant sans titre ?
Dans un important arrêt, le juge est venu expliquer qu’il était possible de faire payer l’occupation sans titre du domaine public (Conseil d’État, 16 mai 2011, commune de Moulins, req. n° 317675. Il convient alors soit d’appliquer un tarif existant, soit, si la commune n’a pas prévu de tarif pour ce type d’occupation, d’essayer d’en déterminer un en tenant compte des avantages que cette occupation sans titre a pu procurer à l’occupant. Il est loisible de constater que le juge permet de faire payer cette occupation illicite alors même que celle-ci n’aurait pas été autorisée en raison de la dangerosité de celle-ci (Conseil d’État, 13 février 2015, n° 366036).
Une disposition donnant une importance accrue au règlement de cimetière
Ce nouveau pouvoir étant subordonné à un arrêté du maire, c’est donc le règlement de cimetière tout entier dans ses prescriptions qui se voit désormais concerné par ces nouvelles dispositions, là ou autrefois il ne s’agissait que d’une amende de 38 €.
Or, les occupations indues dans le cimetière sont nombreuses, on ne retiendra, à titre d’exemple, que les occupations des espaces intertombes par des particuliers. En effet, ces espaces appartiennent au domaine public : "[qu’] il résulte de ces dispositions qu’un passage d’une largeur minimum réglementaire doit être ménagé entre les tombes ou les concessions ; que ces espaces intertombes ou interconcessions font partie du domaine public communal et sont insusceptibles de droits privatifs ; qu’il appartient au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police des cimetières, d’empêcher tout empiètement sur ces espaces" (cour administrative d’appel de Marseille, 2 juin 2008, n° 07MA01011).
Leur utilité est évidente : il s’agit de permettre aux usagers du cimetière d’y pouvoir déambuler pour accéder à leurs monuments et tombeaux. Ces espaces, tout autant d’ailleurs que ceux dévolus aux concessions funéraires, appartiennent au domaine public communal. Ainsi, cela signifie que tout dépôt temporaire par une personne privée ou toute construction dans cette partie est illégale et peut engager la responsabilité de la commune en cas de trouble occasionné. Or, on l’a vu, il est malaisé de lutter juridiquement contre ce type d’empiètement, mais ce nouveau pouvoir du maire permettra désormais, à condition de respecter le formalisme que nous avons décrit et que cette occupation illicite soit continue ou répétitive, de frapper d’une amende les contrevenants, et ce, sans recourir au juge. Voici à n’en pas douter une arme importante pour ceux qui doivent se résoudre à employer la manière forte…
Disparition des servitudes imposées aux débits de boissons à proximité des cimetières
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi, l’art. L. 3335-1 du Code de la santé publique disposait que : "Le représentant de l’État dans le département peut prendre des arrêtés pour déterminer sans préjudice des droits acquis, les distances auxquelles les débits de boissons à consommer sur place ne peuvent être établis autour des édifices et établissements suivants dont l’énumération est limitative :
1° Édifices consacrés à un culte quelconque ;
2° Cimetières."
Il était loisible de relever que tous les cultes étaient concernés, à condition que les édifices y soient consacrés dans les termes de la loi du 9 décembre 1905. Ceci excluait les chapelles privées (CA Montpellier, 30 oct. 1951 : Gaz. Pal. 1952, 1, p. 117), les lieux de pèlerinage exceptionnels (CA Nancy, 4 janv. 1928 : Gaz. Pal. 1928, 1, p. 517) et les édifices désaffectés. Par édifice consacré au culte, il fallait entendre les bâtiments exclusivement destinés aux offices religieux d’un culte déterminé, et non les salles dans lesquelles se réunissent les particuliers pour des motifs indifféremment profanes ou religieux, ce qui est le cas généralement des adeptes des religions nouvelles (Rép. min. JOAN Q 17 mai 1962, p. 1120).
L’une des questions les plus importantes était d’évaluer la distance par rapport à laquelle le débit de boissons se trouve de la zone protégée. Ces distances sont calculées selon la ligne droite au sol reliant les accès les plus rapprochés de l’établissement protégé et du débit de boissons. Dans ce calcul, la dénivellation en dessus et au-dessous du sol, selon que le débit est installé dans un édifice en hauteur ou dans une infrastructure en sous-sol, doit être prise en compte.
L’intérieur des édifices et établissements en cause est compris dans les zones de protection ainsi déterminées. Les distances suivantes étaient acceptées par la jurisprudence : deux cent cinquante mètres autour des édifices du culte et des cimetières (CE, 19 mai 1905 : Rec. CE, p. 447).
Désormais, l’art. L. 3335-1 du CSP est ainsi modifié, et d’ailleurs complètement remanié dans un plus grand souci de simplicité, de nombreuses hypothèses disparaissent, comme d’ailleurs les hypothèses spécifiques de l’art. L. 3335-8, le préfet ne pourra donc prendre des arrêtés interdisant l’installation de nouveaux débits de boissons que dans les secteurs suivants :
- Établissements de santé, centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie et centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues ;
- Établissements d’enseignement, de formation, d’hébergement collectif ou de loisirs de la jeunesse ;
- Stades, piscines, terrains de sport publics ou privés.
Ainsi, et puisque l’article prend soin de préciser que cette énumération est limitative, les cimetières et les édifices du culte ne sont plus frappés de cette servitude, et l’on peut désormais librement y établir de nouveaux débits de boissons, tandis que jusque-là seuls les débits anciens y étaient acceptés.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon,
chargé de cours à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires
territoriaux au sein des délégations du CNFPT
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