Cendres funéraires et conflit familial : quand le conflit ne concerne pas la crémation mais la destination des cendres.
Les faits : un désaccord familial quant à la destination des cendres
M. Miguel Z est décédé le 18 juillet 2014 ; le frère, la sœur du défunt ainsi que sa mère souhaitent que ses cendres soient dispersées dans le port de Bourgenay en Vendée. Ils se heurtent à l’opposition de l’ex-épouse et du père du défunt.
Par un jugement du 1er juillet 2015, le tribunal d’instance décida de qualifier de personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles les deux filles mineures du défunt représentées par leur mère en tant qu’administratrice légale. La destination alors retenue était une case de columbarium dans un cimetière. Appel fut interjeté de ce jugement, le président de chambre confirme bien que le défunt n’a laissé aucun écrit exprimant ses dernières volontés, et qu’il faut donc recourir à la désignation d’une personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
Après mûrs examens, et nous ne saurions trop recommander la lecture de cet arrêt, où la démarche du juge est uniquement fondée sur la recherche de la solution la plus appropriée concrètement, il décide de conférer à la mère du défunt cette qualité, après avoir écarté les uns après les autres les protagonistes de cette affaire et surtout après en avoir, judicieusement selon nous, extrait les enfants mineurs.
La crémation : un choix incontesté
Il est notable de remarquer que le conflit ne concerne pas le choix de la crémation pour le défunt, mais la destination des cendres. Même si la lecture des faits laisse à penser que le choix de la crémation aurait pu poser problème, aucun recours ne fut introduit à ce moment. La personne ayant organisé les obsèques se retrouvait donc implicitement disposer de cette qualité, puisque celle-ci n’avait fait l’objet d’aucune contestation. L’art. 3 de la loi de 1887 relative aux funérailles dispose que : tout majeur ou mineur émancipé en état de tester a le droit de régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture.
Le juge érigea cette disposition, essentiellement édictée pour faire respecter la volonté d’ordonner des funérailles religieuses ou laïques, en l’obligation de faire respecter l’ensemble des volontés d’un défunt. Encore faut-il que cette volonté soit légale (refus, par exemple, de la cryogénisation : CE 6 janvier 2006, req. n° 260307), la jurisprudence admettant qu’il n’est pas obligatoire que ce choix ait été fixé par testament, tout indice laissant présumer la volonté du défunt peut être révélateur. Le non-respect de la volonté du défunt étant par ailleurs réprimé par l’art. 433-21-1 du Code pénal : "Toute personne qui donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire, volonté ou décision dont elle a connaissance, sera punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende."
Néanmoins, le plus souvent, aucun écrit n’existe, le juge judiciaire a alors admis que, même en l’absence de testament, c’est-à-dire en dehors de la forme prévue à l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887, les volontés exprimées par le défunt quant à ses funérailles et à sa sépulture devaient être respectées (Cass. civ. 1re, 9 novembre 1982, JCP éd. N. 1983, prat. n° 8870). La volonté du défunt peut ainsi se déduire de déclarations faites devant sa famille (Cass. civ. 1re, 17 février 1982, D. 1982, jurisprudence p. 81) ou bien d’un achat de concession funéraire et de l’édification d’un caveau ou d’un monument (Cass. civ. 1re, 5 avril 1993, Bull. civ., I, n° 602).
Lorsque que le défunt n’a laissé ni écrit ni possibilité de reconstituer ses vœux, il appartient alors de déterminer quelle sera la personne la plus apte à exprimer ses dernières volontés : on parle alors de "la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles". L’Instruction générale relative à l’état civil (Igrec) du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept. 1999) énonce (paragraphe 426), à propos de la définition de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, que :
1. La loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles pose pour principe que c’est la volonté du défunt qui doit être respectée ; en conséquence, lorsqu’une personne a été nommément désignée par un écrit ou dans le testament du défunt, c’est elle qui est chargée de l’organisation des obsèques ;
2. Lorsque aucun écrit n’est laissé par le défunt, ce sont les membres de la famille qui sont présumés être chargés de pourvoir aux funérailles.
Enfin, lorsqu’il n’y a ni écrit, ni famille, ou que celle-ci ne se manifeste pas ou reste introuvable, la personne publique (commune) ou privée qui prend financièrement en charge les obsèques a qualité pour pourvoir aux funérailles.
En cas de conflit familial ou amical, il peut arriver que l’ordre qui peut sembler évident de priorité du conjoint survivant soit perturbé, et même que le juge désigne une personne étrangère à la famille comme ayant cette qualité. Le juge d’instance est alors compétent pour trancher ces litiges familiaux relatifs aux funérailles en vertu de l’art. R. 321-12 du Code de l’organisation judiciaire. Le juge statue dans le jour de l’assignation et appel peut être interjeté dans les vingt-quatre heures devant le premier président de la cour d’appel, qui statue immédiatement.
Un choix contesté : la destination des cendres
Si un conflit était survenu à l’occasion du choix de la crémation, le recours au juge ne s’imposerait pas, puisque les articles L. 223-18-1 et suivants du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) font de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles celle compétente pour donner aux cendres du défunt l’une des destinations permises par les textes ; le conflit s’est ici déporté vers la destination de ces cendres lorsque, à l’issue de l’opération de crémation, il faudra que la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles détermine la destination de l’urne.
La chronologie exposée révèle d’ailleurs qu’entre le décès de M. Z et le jugement, s’écoule près d’une année, laissant à penser que cette urne était pendant ce laps de temps déposée sans doute au crématorium dans l’attente de sa destination finale, tel qu’autorisé par l’art. L. 2223-18-1 du CGCT. C’est ce que relève le juge lorsqu’il énonce : "En l’espèce, M. Miguel Z... n’ayant laissé aucun écrit exprimant ses dernières volontés, seule une personne ayant la qualité pour pourvoir à ses funérailles peut décider de la destination des cendres du défunt. Il est de principe que remplit cette condition, la personne ayant un lien stable et permanent avec le défunt."
Évidemment, le conflit est particulièrement délicat, puisque l’une des deux destinations retenues, à savoir une dispersion, est, de par son caractère, définitive. Là où le premier juge retint les deux filles mineures du défunt représentées par leur mère, ce qui au-delà de la fiction juridique revient à confier à cette dernière le choix de la dernière demeure de son époux dont elle était séparée, le juge retient plutôt la mère du défunt après avoir entendu les autres parties : "Il résulte de ces témoignages que Mme X... avait un lien stable et permanent avec son fils, ce qui n’est pas sérieusement contredit par Mme Y.... C’est, d’ailleurs, Mme X... qui a organisé les funérailles et qui a saisi le tribunal d’instance pour qu’il soit statué sur la destination des cendres. Elle agit, de surcroît, en bonne entente avec le frère et la sœur du défunt. À l’inverse, il est établi notamment par les pièces judiciaires versées aux débats que les relations entre Mme Y... et son ex-époux étaient conflictuelles, au point d’avoir conduit, d’une part, Mme Y... à solliciter la suppression de la résidence alternée des enfants et, d’autre part, M. Z... à porter plainte contre elle pour faux. Celle-ci n’est donc pas la mieux placée pour exprimer les dernières volontés du défunt."
On remarque, là encore, le souci permanent du juge de rechercher la personne dont la proximité d’avec le défunt est la plus forte. Rappelons que par le passé, s’agissant de la détermination de cette qualité, ont parfois été retenues des personnes étrangères à la famille mais présentant, aux yeux du juge, ces garanties de proximité (pour une illustration des plus topiques : CA Paris 20 mai 1980 Dame Nijinski et autre c/ Serge Lifar).
Enfin, une fois ce travail accompli, le juge judiciaire prend bien soin de mentionner qu’en aucun cas il n’a à se prononcer sur la destination des cendres, ce qui est, justement, du ressort de la personne qui a été désignée comme devant pourvoir aux funérailles : "Il n’incombe pas au juge de se prononcer sur la destination des cendres. Cette décision appartient à la personne désignée, ce qui ne doit pas l’empêcher de prendre en compte les points de vue autres que le sien qui ont été clairement exprimés dans le cadre de présente procédure."
À ce titre, il est possible de citer une réponse ministérielle (Rép. min. n° 5302, JOAN Q, 1er janvier 2013) qui nous rappelle que : "En cas de dispersion des cendres en pleine nature, une déclaration est faite auprès de la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt. L’identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre créé à cet effet (art. L. 2223-18-3 du Code précité). Il n’existe aucune disposition juridique permettant aux proches du défunt, lorsqu’un conflit familial existe, de contraindre la personne ayant qualité pour pouvoir aux funérailles à les informer sur le lieu de sépulture. Cependant, il résulte des dispositions précitées que plusieurs formalités sont accomplies au moment de l’inhumation d’un corps ou d’une urne cinéraire, de la crémation et de la décision relative à la destination des cendres en fonction des choix opérés par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Les proches ont alors la possibilité de se rapprocher des autorités communales auprès desquelles ces formalités ont été accomplies afin d’obtenir les informations sur la destination des cendres du défunt."
Enfin, si les cendres de M. Miguel Z seront donc bien dispersées dans ce port vendéen, encore faudra-t-il, à l’instar de nos propos dans le numéro précédent de cette revue, que ceci soit en pleine nature et hors voies publiques...
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°113 - Septembre 2015
Cour d’appel de Poitiers Le : 09/08/2015 Exposé du litige Par jugement du 1er juillet 2015, le tribunal a : Par conclusions reçues au greffe le 6 juillet 2015 et oralement reprises à l’audience, Mme X... fait valoir que si Miguel Z... n’a pas laissé de dispositions relatives à ses funérailles, il avait, néanmoins, fait part à son frère de sa volonté que ses cendres soient dispersées. L’appelante critique la décision déférée dont elle sollicite l’infirmation en ce que les enfants du défunt ne peuvent en raison de leur jeune âge (8 et 12 ans) être les interprètes de la volonté du défunt. De même, Mme Y... divorcée de Miguel Z... depuis le 15 avril 2013 dans un contexte de vives tensions n’a pu recevoir les confidences de son ex-mari sur les modalités de ses funérailles comme son père, Jean-Pierre Z..., qui n’avait plus de relations avec son fils depuis de nombreuses années. Mme X... estime, en conséquence, qu’elle était la seule à conserver un lien stable et constant avec son fils et qu’à ce titre elle doit pourvoir à ses funérailles. À titre subsidiaire, elle demande à la cour de désigner un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts des enfants dans le cas où la décision déférée serait confirmée compte tenu de la situation de conflit d’intérêts dans laquelle se trouve Mme Y... Dans leurs écritures enregistrées au greffe le 6 juillet 2015 et soutenues oralement à l’audience, Mme Y... et M. Z... exposent que Mme X... s’est opposée à la venue de M. Z... aux funérailles de son fils et que la crémation a eu lieu en violation de la volonté du défunt qui ne souhaitait pas être incinéré. Ils soutiennent que Miguel Z... n’avait pas de relations stables et permanentes avec sa mère et son frère et sa sœur et que celui-ci avait clairement exprimé son intention de ne pas être incinéré. Enfin, ils rappellent l’importance que les filles du défunt attachent à la conservation de ses cendres dans un lieu où elle pourront se recueillir. Ils concluent, en conséquence, à la confirmation du jugement. Aux termes de l’art. 1061-1 du Code de procédure civile, en matière de contestation sur les conditions des funérailles, le tribunal d’instance est saisi à la requête de la partie la plus diligente selon un des modes prévus à l’art. 829. Il statue dans les vingt-quatre heures. En l’espèce, M. Miguel Z... n’ayant laissé aucun écrit exprimant ses dernières volontés, seule une personne ayant la qualité pour pourvoir à ses funérailles peut décider de la destination des cendres du défunt. Il est de principe que remplit cette condition, la personne ayant un lien stable et permanent avec le défunt. Sa sœur, Sandrine Z... épouse A..., atteste des faits suivants : "J’étais présente le lendemain du décès de mon frère, Miguel Z..., accompagnée de mon mari, de ma mère, Mme Yvette X... et de mon frère Patrice Z..., nous avons été guidés par un responsable des pompes funèbres pour organiser les obsèques de Miguel. Nous étions les seuls de la famille à être présents alors que nous avions prévenu tout le monde. J’étais très proche de mon frère. Il se confiait beaucoup à moi et malheureusement beaucoup plus les mois qui ont précédé son décès, car il devait faire face à de nombreux problèmes. Celle-ci, dans un autre écrit, précise : "Maintenant, revenons à ma maman, celle qui l’a mis au monde, qui a toujours été à ses côtés, dans les bons comme dans les mauvais moments. Personne ne pouvait le connaître mieux qu’elle, 38 ans toute sa vie. Ce qu’elle a fait pour lui est assez rare. À la demande de Miguel, elle a déménagé de Châtellerault à Saintes. Miguel avait besoin d’elle et que ce soit elle qui s’occupe de Flavie et de Romy. Dès la naissance de Romy, ma maman assurait la garde de mes deux nièces lorsque les parents travaillaient mais très fréquemment le week-end même lorsque Séverine Y... était au repos. Miguel disait qu’il était rassuré quand les filles étaient chez elle. Suite au divorce, ma mère s’est vu confier encore plus souvent la garde de Romy et de Flavie. Miguel avait indiqué à l’école de celles-ci que ma mère avait l’autorisation de les prendre à la sortie de l’école s’il n’était pas là. La période qui a suivi le divorce de mon frère a été une période très difficile pour lui. Il avait énormément besoin de ma mère, de Patrice et de moi-même. Ma mère qui avait déménagé à la demande de Miguel était la plus proche géographiquement de lui. Dès qu’elle recevait de la visite, Miguel était présent. Dès qu’elle se déplaçait notamment pour venir chez moi, il lui téléphonait. Elle a toujours été au courant de tout ce qu’il faisait, et réciproquement, mais cela toujours dans le respect de la vie de chacun..." Madame Séverine Y... produit les témoignages : Il résulte de ces témoignages que Mme X... avait un lien stable et permanent avec son fils, ce qui n’est pas sérieusement contredit par Mme Y.... C’est, d’ailleurs, Mme X... qui a organisé les funérailles et qui a saisi le tribunal d’instance pour qu’il soit statué sur la destination des cendres. Elle agit, de surcroît, en bonne entente avec le frère et la sœur du défunt. À l’inverse, il est établi notamment par les pièces judiciaires versées aux débats que les relations entre Mme Y... et son ex-époux étaient conflictuelles, au point d’avoir conduit, d’une part, Mme Y... à solliciter la suppression de la résidence alternée des enfants et, d’autre part, M. Z... à porter plainte contre elle pour faux. Celle-ci n’est donc pas la mieux placée pour exprimer les dernières volontés du défunt. En outre, même s’il est légitime d’entendre le souhait des enfants, il n’est, sans doute, pas opportun, dans leur intérêt, de faire reposer la décision sur elles seules eu égard à leur jeune âge et aux circonstances du décès. Au demeurant, pour les mêmes raisons, elles ne sont pas en mesure d’interpréter les intentions de leur père sur l’organisation des funérailles. Quant à M. Jean-Pierre Z..., il n’est pas contesté qu’il ne voyait plus son fils depuis 10 ans. Au vu de ces éléments, la cour estime que Mme X... remplit les conditions légales pour pourvoir aux funérailles de Miguel Z..., son fils. Il n’incombe pas au juge de se prononcer sur la destination des cendres. Cette décision appartient à la personne désignée, ce qui ne doit pas l’empêcher de prendre en compte les points de vue autres que le sien qui ont été clairement exprimés dans le cadre de la présente procédure. Le jugement sera, en conséquence, infirmé et Mme X... sera désignée comme la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Par ces motifs Statuant publiquement et contradictoirement et en dernier ressort, |
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