L’urne funéraire oxydée qui s’ouvre malencontreusement : quel préjudice ? L’urne funéraire, est-ce un objet… comme un autre ?
CA Paris 24 novembre 2016, n° 14/16814
Ce sont de bien singuliers faits dont le juge eut à connaître par cette affaire. Mme C confia, le 12 mars 2013, l’organisation des funérailles de son mari aux Services Funéraires de la Ville de Paris (SFVP). Après les funérailles, en avril 2013, il semble qu’elle emprunte un taxi pour rejoindre la ville de Libourne, que l’on suppose être le lieu de repos choisi pour son défunt époux. Mais, nous dit le juge, l’urne, qui n’avait pas été scellée (l’on suppose alors une dispersion ultérieure), s’ouvre. Fort heureusement, le juge relève que les cendres n’ont été ni renversées ni souillées, puisque contenues dans un sac ignifugé (le cendrier ?). Il n’en demeure pas moins que la requérante découvre des traces d’oxydation à l’intérieur de l’urne. Elle décide donc de demander le remboursement des frais des funérailles, ce que lui refuse le juge, qui lui accorde néanmoins tant l’indemnisation du prix de l’urne défectueuse, que la reconnaissance d’un préjudice moral, qu’il fixe à 800 €.
Le régime juridique des cendres
Analysant les décisions du tribunal de grande instance de Lille du 23 septembre 1997 (v. Petites affiches 27 janvier 1999, p. 17, note X. Labbée et B. Mory) et de la cour d’appel de Douai du 7 juillet 1998 (JCP G 1998, II, 10173, note X. Labbée), le ministre de l’Intérieur leur emboita le pas en estimant que l’urne cinéraire fait "l’objet d’une copropriété familiale, inviolable et sacrée" et qu’elle semble devoir se rattacher à la catégorie des "souvenirs de famille" que la jurisprudence fait échapper aux règles habituelles de partage (Rép. min. n° 30945, JOAN Q 27 mars 2000, p. 2023).
La loi du 19 novembre 2008 vient préciser, sinon leur nature juridique, du moins leur protection juridique. Ainsi, l’art. 16-1-1 du Code civil fut créé pour disposer désormais que : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence." L’art. 16-2 du Code civil est alors complété afin de permettre au juge civil de faire prescrire toute mesure pour faire cesser ou empêcher une atteinte illicite aux cendres. Tout acte ou comportement qui porterait atteinte à ces exigences pourrait ainsi être réparé par le juge judiciaire. Enfin, l’art. 225-17 du Code pénal fut retouché pour consacrer la protection des urnes funéraires par le droit pénal à l’égal des corps. Il est donc possible de poursuivre devant le juge pénal des infractions comme l’atteinte à l’intégrité des cendres.
Le transport de cendres (en France) n’est pas un transport de corps
La circulaire du 14 décembre 2009 (NOR : IOCB0915243C) énonce que : "L’alignement du statut juridique des cendres sur celui d’un corps inhumé rend nécessaire l’adaptation de certaines dispositions réglementaires, dont la rédaction était spécifique aux cercueils. Ainsi, le transport d’un corps avant et après mise en bière ne peut être réalisé que dans un véhicule aménagé à cet effet, dans le respect des normes réglementaires. S’agissant d’une urne funéraire, dès lors qu’elle est remise à la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles et en l’absence de risques sanitaires particuliers, il n’y a pas lieu d’imposer l’utilisation d’un véhicule funéraire pour le transport."
On ne peut que souscrire à cette analyse, où l’on voit bien que, si la protection est à l’égal d’un corps, il n’en reste pas moins que les cendres n’en sont pas. Saisi d’ailleurs de la singulière question de savoir si l’on pouvait expédier une urne par la voie postale, le gouvernement fit cette réponse byzantine qui, néanmoins, démontre à l’envi que la facilité de manipulation d’une urne funéraire renouvelle la notion de dignité s’attachant aux restes mortels :
"Sous réserve de l’appréciation souveraine du juge qui en application de l’art. 16-2 du Code civil "peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci, y compris après la mort", l’envoi d’une urne par la poste, comme s’il s’agissait d’une simple lettre ou d’un colis, paraît contrevenir aux dispositions précitées. En revanche, il est possible d’envisager que l’urne transite par le service aérien (ou ferroviaire) des services postaux ou de messagerie. Dans ce cas, il convient que l’urne soit déposée à l’aéroport (ou à la gare) de départ par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ou mandatée en cette qualité, ce qui inclut un opérateur funéraire." (Rép. min. n° 10728, JO S du 2 octobre 2014).
En l’espèce, le juge ne retient comme fait indemnisable que le défaut affectant l’urne, il relève d’ailleurs que le SFVP est de bonne foi, puisqu’il en avait proposé le remboursement, ce que la requérante avait refusé, pressée de prendre son train. Le juge décide alors que : "Ce manquement justifie seulement l’octroi de dommages et intérêts sur le fondement de l’art. 1231-1 du Code civil, anciennement art. 1147 du Code civil. L’épouse du défunt se voit rembourser le prix de l’urne à hauteur de 213 €. Dans les conditions particulières du litige, le préjudice moral de l’épouse résulte du fait que l’état intérieur de l’urne brutalement découvert l’a choquée et qu’elle l’a vécu comme une atteinte au respect et à la dignité de son défunt mari. À ce titre, il lui sera alloué la somme de 600 €."
On remarquera alors que cette condamnation intervient tout d’abord sur le fondement de l’irrespect d’une obligation, puisque l’art. L. 231-1 du Code civil sanctionne l’inexécution d’une obligation. Surtout que l’octroi d’une indemnité au titre du préjudice moral résulte nécessairement de l’application de l’art. 16-1-1 du Code civil précité, c’est bien le fait que la requérante ait vécu cette ouverture de l’urne comme une atteinte au respect et à la dignité de son défunt qui justifie l’allocation de cette somme.
En résumé, si ces faits ne sont pas suffisants pour que les funérailles lui soient remboursées, il importe à nouveau d’attirer l’attention que l’urne funéraire, de par sa facilité de manipulation, ne peut que faire prospérer le contentieux de la responsabilité de l’opérateur funéraire. L’urne funéraire est-elle un objet comme un autre ?
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.
Résonance n°126 - Janvier 2017