Notre rédaction reçoit régulièrement des questions de familles, de professionnels du secteur ou de municipalités s’interrogeant sur diverses problématiques, une des récentes portait sur les droits des proches de défunts inhumés en terrain commun à l’expiration du délai de rotation. Outre assurer l’exercice des droits de la famille, la commune a également un rôle d’accompagnement à travers les différentes options qu’elle peut être amenée à lui proposer.
Rappelons en premier lieu que, quelles qu’aient été les raisons qui ont abouti à l’inhumation d’un corps dans une sépulture du terrain commun d’un cimetière, les droits de la famille sur le corps inhumé à l’expiration du délai de rotation sont les mêmes que dans l’hypothèse de l’expiration d’une concession.
En effet, il convient de distinguer entre les droits de la famille sur le corps et les droits du concessionnaire ou de ses ayants droit sur la concession. Dans le cas qui nous préoccupe, le corps n’a pas été inhumé dans un terrain concédé par la commune, mais dans un terrain commun, c’est-à-dire dans un terrain non concédé.
Cependant, si la famille ne peut être tenue à aucune obligation particulière sur le terrain (à l’instar, par exemple, de l’obligation très répandue de poser une semelle pour délimiter un terrain concédé), elle dispose néanmoins d’un droit général consacré par l’art. L. 2223-12 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui dispose que : "Tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe distinctif."
Et la jurisprudence considère que l’exercice de ce droit ne peut être limité aux terrains concédés(1). Cet état du droit permet d’éviter toute discrimination dans le droit d’honorer ses défunts. En effet, l’inhumation en terrain commun est, en général, motivée par des impératifs économiques, et pratiquer une telle discrimination aboutirait à instaurer une discrimination économique entre les défunts et les familles.
Bien que, dans la pratique, l’inhumation en terrain concédé soit devenu le principe, et l’inhumation en terrain commun l’exception(2), il convient de rappeler qu’il découle de l’art. L. 2223-13 du CGCT que la création de concessions par les communes demeure facultative. En revanche, les communes ont l’obligation de mettre gratuitement des terrains à la disposition des personnes ayant le droit d’être inhumées dans le cimetière de la commune au titre de l’art. L. 2223-3 du CGCT.
En pratique, il ne subsiste que peu de communes ne proposant pas de terrains concédés, et dans leur immense majorité, les inhumations ont lieu dans des terrains concédés. Cependant, lorsque, par exception, l’inhumation a lieu en terrain commun, il se cache souvent, autour du défunt, une histoire personnelle ou familiale complexe.
Les raisons aboutissant à l’inhumation d’un défunt en terrain commun sont très nombreuses : personnes isolées, sans héritiers connus ou sans ressources (improprement appelées parfois "indigents"), rupture familiale, sociale, ou encore défunts non identifiés.
Dans la mesure où les terrains communs ne sont pas concédés, leur gestion est exclusivement dévolue à la commune. Ainsi, afin de libérer des emplacements pour pouvoir accueillir des inhumations futures, la commune sera amenée à reprendre ces terrains à relative brève échéance, en respectant toutefois le "délai de rotation" de 5 années, prévu à l’art. R. 2223-5 du CGCT.
En pratique, lorsqu’une commune souhaite reprendre un terrain non concédé, l’exhumation du corps ne pourra être pratiquée avant l’expiration d’un délai de 5 ans, et, lorsqu’à l’occasion de l’ouverture d’une fosse le corps qui s’y trouve n’est pas complètement décomposé, la fosse ne pourra être rouverte qu’à l’expiration d’un nouveau délai de 5 ans. Ainsi, afin d’éviter des ouvertures aussi inutiles que coûteuses pour la commune, il est préférable d’attendre un délai plus long avant de procéder à la reprise de ces terrains. Ce délai de 5 ans est en effet un délai minimal qui peut être allongé par décision de l’autorité administrative, ce qui tend à être le cas en pratique.
La reprise d’un terrain commun est donc possible dès 5 ans après l’inhumation. L’art. R. 2213-42 du CGCT dispose que : "Lorsque le cercueil est trouvé détérioré, le corps est placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements", et, à l’issue de la reprise, "il est nécessaire que la commune fasse déposer les restes mortels à l’ossuaire communal"(3). Cependant, lorsque l’ossuaire du cimetière est complet, le maire peut recourir à la crémation, pour autant que la pratique de cette dernière ne s’oppose pas aux dernières volontés du défunt.
Il arrive cependant parfois que les proches du défunt "réclament" le corps après le délai de rotation. Cette demande peut découler de raisons très diverses :
- retour à meilleure fortune,
- proches dans l’ignorance du décès de la personne, mais informés depuis,
- apaisement de tensions familiales, etc.
Il s’agit pour les proches d’éviter toute exhumation administrative, qu’elle aboutisse à une réinhumation à l’ossuaire ou à une crémation, et de "rattraper" en quelque sorte des obsèques organisées et réalisées dans de mauvaises conditions.
En tout état de cause, si les proches du défunt n’ont aucun droit sur le terrain, ils ont cependant les mêmes droits sur le corps que si ce corps avait été inhumé en terrain concédé. Ainsi, en application de l’art. R. 2213-40 du CGCT, le maire peut délivrer, à la demande du plus proche parent, une autorisation d’exhumation.
On constate, en pratique, que les corps exhumés des terrains communs à la demande de leurs proches sont généralement réinhumés dans une concession appartenant à l’un d’eux, ou font l’objet d’une crémation, que les cendres soient inhumées ou dispersées. Cependant, parfois, un conflit familial fait obstacle à toute solution définitive à la destination du corps, et ces désaccords familiaux portent en premier lieu sur la décision d’exhumer.
Rappelons en effet que, si la demande d’exhumation peut être portée devant le maire par le plus proche parent, l’Administration a l’obligation de s’assurer qu’aucun parent au même degré que le demandeur ne s’oppose à l’exhumation. Si tel est le cas, le maire est alors contraint de surseoir à statuer sur la demande. Si le désaccord familial persiste, seul le tribunal judiciaire peut trancher le litige(4). Le juge judiciaire statue "in concreto" en confrontant les motifs d’opposition aux motifs de la demande, et fera toujours primer le respect de la dignité défunt, et bien sûr le principe découlant du respect des dernières volontés du défunt.
En cas de désaccord persistant au sein de la famille ou lorsque les moyens de cette dernière sont limités, la commune peut de façon souveraine décider de surseoir provisoirement à la mise en œuvre de son droit de reprise à l’expiration du délai de rotation. Mais cette solution n’a qu’un caractère précaire, et ne peut être envisagée que de façon très provisoire, le temps nécessaire au règlement rapide de la situation.
Cependant, la commune conserve la possibilité de concéder le terrain dans lequel le corps est inhumé. Cette solution, la moins coûteuse, présente en premier lieu l’intérêt de ne pas avoir à exhumer le corps, et en second lieu, elle permet d’apporter une solution durable à la destination du corps malgré un conflit familial persistant.
Nota :
(1) CE, 11 mars 1983, commune de Bures-sur-Yvette ; CE, 18 février 1972, chambre syndicale des entreprises artisanales ; CE, 23 juin 1911, Dames Céoules et Baux.
(2) D. Piveteau, concl. sous CE, sect., 5 décembre 1997, commune de Bachy c/ Mme Saludel-Lantiel
(3) Assemblée nationale, question n° 48, réponse du ministre de l'Intérieur, JOAN, 9 décembre 1991, p. 5094.
(4) Réponse du ministre de l'Intérieur, JO, 21 février 2006, p. 1903.
Nota :
(1) CE, 11 mars 1983, commune de Bures-sur-Yvette ; CE, 18 février 1972, chambre syndicale des entreprises artisanales ; CE, 23 juin 1911, Dames Céoules et Baux.
(2) D. Piveteau, concl. sous CE, sect., 5 décembre 1997, commune de Bachy c/ Mme Saludel-Lantiel
(3) Assemblée nationale, question n° 48, réponse du ministre de l'Intérieur, JOAN, 9 décembre 1991, p. 5094.
(4) Réponse du ministre de l'Intérieur, JO, 21 février 2006, p. 1903.
Xavier Anonin
Docteur en droit
Résonance n° 170 - Mai 2021
Résonance n° 170 - Mai 2021
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :