La lecture du numéro de Résonance hors-série "Spécial crémation" a, comme toujours, suscité d’intéressants questionnements pour le juriste. Pour notre part, c’est tout particulièrement la lecture croisée de l’exhaustive contribution de M. Tricon, et notamment ses développements (p. 26 et suivantes de ce numéro), relatifs au problème de la conciliation de l’impossibilité de nouvelle ouverture des cercueils fermés avant un délai de cinq années et de la crémation des cercueils hermétiques, d’avec l’entretien donné par M. Le Normand (p. 54) quant à la pratique au nom a priori champêtre de "dépotage", mais recouvrant une réalité, qui à n’en pas douter, doit l’être moins…
Sans avoir l’intention de mettre fin au débat, au moins pouvons-nous essayer de l’alimenter.
Mise en bière et cercueil hermétique
1 - Une mise en bière définitive
Avant tout, la mise en bière est évidemment obligatoire, le cercueil hermétique, lui, apparaît comme une précaution supplémentaire de préservation de la salubrité publique. L’art. R. 2213-15 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose en effet qu’"avant son inhumation ou sa crémation, le corps d’une personne décédée est mis en bière". L’obligation ainsi posée, qui ne supporte aucune dérogation, implique que le corps soit installé dans un cercueil. Un cercueil n’est destiné à recevoir qu’un seul corps en principe. Toutefois, il peut être dérogé à cette règle dans deux hypothèses : ainsi, les corps de plusieurs enfants mort-nés de la même mère peuvent être réunis dans un seul cercueil, de même les corps d’un ou plusieurs enfants mort-nés et de leur mère également décédée peuvent être admis dans un cercueil unique (art. R. 2213-16 du CGCT).
Ce cercueil sera, en principe, fermé définitivement : "Après accomplissement des formalités prescrites aux articles 78,79 et 80 du Code civil et à l’art. R. 2213-17 du présent Code, il est procédé à la fermeture définitive du cercueil" (art R. 2213-20 du CGCT). Ce cercueil ne peut normalement être ouvert qu’au bout d’un délai de cinq années. En effet, le CGCT (R. 2223-5) dispose que "l’ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n’a lieu que de cinq années en cinq années". Cette disposition est traditionnellement lue comme nécessitant une période minimum de cinq années d’inhumation pour un défunt.
Ensuite, juridiquement (à défaut de l’être toujours en pratique), une exhumation est possible, or de nouveau le Code dispose que : "Lorsque le cercueil est trouvé en bon état de conservation au moment de l’exhumation, il ne peut être ouvert que s’il s’est écoulé cinq ans depuis le décès" (R. 2213-42 du CGCT), sauf hypothèse d’une enquête judiciaire pour crime et sur injonction du parquet. En dehors de ce cas, la fermeture du cercueil est définitive (art. R. 2213-17 du CGCT), sans possibilité pour le maire de diminuer la durée de cinq ans d’inhumation.
2 - Le recours obligatoire au cercueil hermétique
Il s’agit de cercueils répondant aux prescriptions posées par l’art. R. 2213-27 du CGCT :
"Les cercueils hermétiques doivent être en matériau biodégradable et répondre à des caractéristiques de composition, de résistance et d’étanchéité fixées par arrêté du ministre chargé de la Santé après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et du Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF).
Ils doivent ne céder aucun liquide au milieu extérieur, contenir une matière absorbante et être munis d’un dispositif épurateur de gaz répondant à des caractéristiques de composition de débit et de filtration fixées par arrêté du ministre chargé de la Santé après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et du Conseil National des Opérations Funéraires.
Lorsque le défunt était atteint de l’une des infections transmissibles dont la liste est fixée au a) de l’art. R. 2213-2-1, le corps est enveloppé dans un linceul imbibé d’une solution antiseptique."
A priori, trois hypothèses justifient le recours à un tel dispositif (R. 2213-26 du CGCT) :
- la personne était atteinte au moment du décès de l’une des infections transmissibles dont la liste est fixée au a) de l’art. R. 2213-2-1 ;
- en cas de dépôt du corps soit à résidence, soit dans un édifice cultuel ou dans un caveau provisoire, pour une durée excédant six jours ;
- dans tous les cas où le préfet le prescrit.
Nous passerons sur le problème actuel posé par le premier cas, puisque la liste des infections transmissibles n’a pas encore été déterminée et qu’il nous faut donc continuer pour le moment de raisonner avec l’ancienne rédaction du Code, qui renvoyait à une liste de maladies contagieuse, dont la liste avait été fixée par un arrêté du 20 juillet 1998 (A. 20 juill. 1998, fixant la liste des maladies contagieuses et portant interdiction de certaines opérations funéraires : Journal officiel 21 août 1998, partiellement annulé par CE, 29 nov. 1999, n° 200777, Féd. fr. pompes funèbres ; AJDA 2000, p. 178)
De surcroît, il convient d’y ajouter les cercueils rendus obligatoires par la réglementation relative aux transports de corps internationaux. En effet, il faut relever que l’entrée en vigueur de la convention de Schengen relative à la libre circulation des personnes n’a eu aucun effet sur le transport de corps. II n’existe pas de règle commune aux membres de l’Union quant au transport intracommunautaire de corps (voir rép. min. no 29642, JOAN Q, 20 novembre 1995, p. 4913).
3 - Il existe alors deux accords internationaux qui régissent ces transports
Le premier est l’accord de Berlin du 10 février 1937, auquel la France est partie. Cet accord prévoit que le cercueil sera en métal et hermétique. Le fond en sera recouvert d’une couche de 5 cm d’une matière absorbante additionnée d’antiseptique. L’accord, bien désuet, préconise l’emploi de sciure, tourbe, charbon de bois. Si le décès a été causé par une maladie contagieuse, le corps lui-même sera enveloppé dans un linceul imbibé d’une solution antiseptique. Ce cercueil sera ensuite soudé et ajusté de telle façon qu’il ne puisse plus bouger dans une bière en bois (art. 3). Ce cercueil de bois devra être épais d’au moins 3 cm et fermé au moyens de vis distantes de 20 cm au plus. Il sera consolidé par des bandes métalliques.
À côté de l’accord de Berlin, le Conseil de l’Europe élabora l’accord de Strasbourg le 26 octobre 1973 (reproduit in G. d’Abbadie et C. Bouriot, Code pratique des opérations funéraires, 2e édition, Le Moniteur, p. 232). La France a ratifié 27 ans plus tard cet accord, entré en vigueur le 10 février 2000 (décret n° 2000-1033 du 17 octobre 2000 portant publication de l’accord sur le transfert des personnes décédées, reproduit in Collectivités-Intercommunalité, 2000, comm. No 290). La ratification de cet accord par la France est la bienvenue, car l’ancienneté de l’accord de Berlin ne permettait plus de prendre en compte la réalité sanitaire d’aujourd’hui. Il stipule quant au cercueil qu’il doit être étanche, et laisse le choix entre l’emploi d’un cercueil en métal déposé dans un cercueil de bois, comme le stipule l’accord de Berlin, et celui d’un cercueil en bois d’une épaisseur minimale de 3 cm doublé d’une feuille étanche de zinc ou de toute autre matière biodégradable.
La jurisprudence a néanmoins consacré une approche plus souple lorsqu’il s’agit d’opérer un transport dans le cadre de régions frontalières. En effet, dans une affaire, pour laquelle s’appliquait l’arrangement de Berlin du 10 février 1937 (l’accord de Strasbourg du 26 octobre 1973 prévoit également de possibles dérogations lorsqu’il s’agit de transfert entre régions frontalières), le juge administratif a considéré que le transport en vue d’une crémation de corps provenant d’Allemagne pouvait s’opérer après passage de la frontière sans cercueil hermétique (CAA Nancy, 26 juin 2008, no 07NC00112, Sté Pompes Funèbres Alain Hoffarth – D. Dutrieux, "L’encadrement juridique du rapatriement d’un défunt de l’étranger" : Tourisme et Droit 2009, no 106, p. 27).
L’impossible conciliation de la volonté du défunt et de la crémation du cercueil hermétique
Techniquement, il semble que ces cercueils hermétiques, et, apparemment, encore plus ceux ayant été utilisés pour un transport international, posent de nombreux problèmes aux crématoriums. Plusieurs points méritent d’être rappelés.
1 - La crémation, un mode de sépulture autorisé
La crémation est un mode de sépulture choisi par le défunt de son vivant, ou déterminé par la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles lorsque sa volonté n’a pas été manifestée explicitement. En effet, la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles confère à toute personne le droit de décider des conditions de ses obsèques. L’art. 3 de cette loi, en particulier, énonce que "tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions […]".
Néanmoins, à défaut d’une telle déclaration écrite, la volonté du défunt peut être recherchée par d’autres moyens, en particulier les témoignages de proches ou l’existence d’un "contrat obsèques". Si cette volonté ne peut être établie, il revient aux membres de la famille ou à l’autorité administrative de choisir le mode de sépulture.
Au final, le défunt peut donc choisir la crémation. L’art. R. 221-7 du Code de l’organisation judiciaire – COJ – (issu du décret du 2 juin 2008, qui l’a substitué à l’art. R. 321-12 du COJ), attribue compétence au tribunal d’instance pour connaître des contestations sur les conditions des funérailles, en particulier la détermination de "la personne ayant qualité pour organiser les funérailles". Aux termes de l’art. 1061-1 du Code de procédure civile (CPC), le tribunal d’instance est alors saisi par "la partie la plus diligente" selon les règles énoncées à l’art. 829 du Nouveau Code de procédure civile (NCPC). Le tribunal d’instance statue obligatoirement dans les 24 heures de la saisine, la partie perdante pouvant interjeter appel dans le délai de 24 heures suivant. L’appel est jugé par le premier président de la cour d’appel, qui doit statuer immédiatement.
Cette liberté est protégée par le Code pénal, qui érige en délit le non-respect de la volonté du défunt (C. pén., art. 433-21-1). L’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (annexée : Journal officiel 28 septembre 1999 et mise à jour par l’IGEC, 29 mars 2002 : Journal officiel 28 avril 2002) rappelle (§ 426), à propos de la définition de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, que :
"Les textes ne donnent aucune précision sur la définition de cette personne. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
a) - La loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles pose pour principe que c’est la volonté du défunt qui doit être respectée ; en conséquence, lorsqu’une personne a été nommément désignée par un écrit ou dans le testament du défunt, c’est elle qui est chargée de l’organisation des obsèques ;
b) – Lorsque aucun écrit n’est laissé par le défunt, ce sont les membres de la famille qui sont présumés être chargés de pourvoir aux funérailles ;
c) - Enfin, lorsqu’il n’y a ni écrit, ni famille ou que celle-ci ne se manifeste pas ou reste introuvable, la personne publique (commune) ou privée qui prend financièrement en charge les obsèques a qualité pour pourvoir aux funérailles. Il appartient au juge civil, seul compétent en la matière, de décider quel membre de la famille ou quel héritier est, suivant les circonstances, le plus qualifié pour l’interprétation et l’exécution de la volonté présumée du défunt. En vertu d’une jurisprudence constante, le conjoint survivant a la priorité pour régler les conditions de la sépulture du défunt, même sur les autres membres de la famille. Ce droit n’est cependant ni exclusif ni absolu. Des circonstances particulières peuvent faire écarter le droit du conjoint survivant. La Cour de cassation considère qu’à défaut d’ordre de préférence légal, il faut chercher les éléments permettant de déterminer qui apparaît comme le meilleur interprète des volontés du défunt (Cass. 1re civ., 14 oct. 1970, Vve Bieu c/ Cts Bieu – CA Paris, 20 mai 1980, Nijinski et a. c/ Serge Lifar)."
Toutefois, la crémation ne peut avoir lieu qu’après l’autorisation du parquet (qui peut subordonner celle-ci à une autopsie préalable) lorsque le décès pose un problème médico-légal (CGCT, art. R. 2213-34, al. 3).
2 - La possibilité de recourir au "dépotage"
En l’état actuel du droit, rien ne semble alors pouvoir surmonter l’inextricable contradiction entre l’impossibilité technique de la crémation d’un cercueil hermétique d’avec les dispositions légales ou réglementaires interdisant la réouverture d’un cercueil. Le Gouvernement semble néanmoins en ouvrir la possibilité : "Enfin, en l’état actuel du droit, ni le maire ni le préfet ne peuvent autoriser la réouverture du cercueil ; il appartient donc à la famille souhaitant faire procéder à la crémation d’une personne décédée à l’étranger de solliciter auprès du procureur de la République une telle autorisation permettant le transfert du corps de la personne décédée dans un cercueil en bois, conforme aux prescriptions fixées par l’art. R. 2213-25 du CGCT et utilisable en cas de crémation" (Rép. min. à quest. écrite no 51785 : JOAN Q, 1er févr. 2005 p. 1120).
Cette dérogation souvent affirmée par l’Administration (Rép. min. à quest. écrite no 63310 : JOAN Q, 16 mars 2010) ne repose, comme le faisait déjà remarquer M. Tricon (précité), sur aucun texte. La pratique pourrait néanmoins, à notre sens, trouver sa réponse dans le recours au juge d’instance en lieu et place du procureur de la République, puisque, en application de l’art. R. 221-7 du Code de l’organisation judiciaire, il est le protecteur de la liberté des funérailles du défunt. Or, si le défunt a manifesté sa volonté pour la crémation, le juge d’instance devrait pouvoir ordonner le changement de bière, si le cercueil dans lequel se trouve le corps interdit la crémation.
En attendant une normalisation du transport de corps ou la possibilité de crématiser sans risques ces cercueils, il nous apparaît que cette piste est la seule légale pouvant être explorée. Le juge ferait alors prévaloir la volonté du défunt, et décidera nécessairement d’écarter l’application des dispositions relatives à l’interdiction d’ouvrir un cercueil moins de cinq années après le décès, ce qui est envisageable au vu de la nature réglementaire de ces dispositions confrontées à des dispositions législatives, nonobstant ceux pour lesquels une infection transmissible interdirait indubitablement le recours à une telle pratique.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°115 - Novembre 2015
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