Directeur général de Mémograv et de France Funéraire, Sylvestre Olgiati a toujours eu à cœur d’unir les différentes expertises de ses collaborateurs à une permanente recherche de nouveautés dans un marché funéraire en perpétuelle évolution. Il nous fait ici partager ses réflexions sur le thème "Comment réussir un projet d’entreprise en maintenant des savoir-faire traditionnels tout en jouant la carte des innovations et du numérique".
Dans le funéraire comme dans beaucoup de secteurs économiques, une entreprise, ce sont des savoir-faire d’hier qu’il faut savoir conserver, ceux d’aujourd’hui qui gravitent autour de la connaissance du marché et de compétences commerciales, et ceux de demain qui naîtront de la maîtrise de la digitalisation et du numérique. Pour un dirigeant, il est primordial de synthétiser ces trois éléments pour évoluer efficacement dans son périmètre industriel, avoir cette intelligence-là, de manière globale, pour développer son entreprise.
Les pieds sur terre, la tête dans les étoiles*
"Les savoir-faire traditionnels, c’est avoir les pieds sur terre et garder le contact avec l’ADN de l’entreprise. Ce qui a fait et fera encore sa raison d’être. La tête dans les étoiles, c’est penser à l’avenir, pour se projeter en avant, savoir évoluer dans un monde qui bouge de plus en plus vite. Actuellement, ce n’est plus la génération suivante qui vit les grandes mutations, car la vitesse prise fait que celles-ci ont lieu de manière plus fréquente, elles sont de plus en plus rapprochées. Il y a 50 ou 100 ans, elles avaient lieu avec chaque génération, soit tous les 25 ans environ. De nos jours, il faut presque savoir lire dans l’avenir, être capable d’imaginer ce que sera demain."
Il y a plusieurs types de mutations. Celles obligatoires liées aux techniques, aux métiers, aux pratiques anciennes. Par exemple, le travail du bronze tel qu’il était pratiqué traditionnellement a dû être abandonné, car jugé trop dangereux. À partir de là, il a fallu trouver d’autres modes de fonte et de moulage. Celles-ci appellent simplement de nouvelles solutions. Et il y a les "non obligatoires", qu’il faut là réellement anticiper. C’est ici qu’il faut avoir une stratégie entrepreneuriale bien établie, de manière à savoir comment prévoir, anticiper ces évolutions, ces mutations.
"La meilleure façon d’innover, pour moi, c’est de me mettre à la place de mes clients, de me placer en tant que consommateur de mes propres produits. Suis-je au niveau ou pas ? Que puis-je attendre, et donc apporter de plus ? C’est pour moi le principe essentiel pour arriver à réfléchir aux innovations possibles. Pour cela, il est nécessaire de bien connaître le marché et son environnement."
Maintenir, pérenniser l’existant
Pour ce qui est des savoir-faire dans les métiers du granit et de la plaque funéraire, ils sont extrêmement traditionnels… "Manuels, parfois non écrits, diffusés lors de l’apprentissage, avec des gestes qui se transmettent avec la pratique (en atelier), avec des gabarits (pour les plaques) qui sont dupliqués au fil des ans, des machines adaptées mises au point spécifiquement. Tout cela est un patrimoine qu’il faut préserver, et qu’il faut maintenir, car c’est la base de nos entreprises. Même si cela est plus difficile de nos jours avec la mobilité de l’emploi qui rend moins pérennes les expertises de chacun. Cela implique une plus grande polyvalence dans le personnel et de privilégier la formation en interne pour la transmission des savoirs qui doit se faire de manière quasi permanente, afin que le départ d’une personne ne pénalise pas l’ensemble."
Bien sûr, viennent s’ajouter à ceux-ci les savoir-faire d’aujourd’hui, que sont notamment la bonne perception du marché funéraire et les compétences commerciales. "Nous avons maintenant, après avoir travaillé et effectué des efforts là-dessus, une bonne connaissance de notre secteur, de bonnes intuitions. Nous sommes capables de proposer des produits qui vont être utiles au marché, qui trouveront leur place, qui correspondent à des images du souvenir en accord avec ce dont les familles ont besoin ou ressentent. Nous maîtrisons cela, et c’est pourquoi nos sociétés se portent bien."
Imaginer l’offre de demain
Cela veut dire aussi inventer les nouveaux objets du souvenir, pas tant pour l’inhumation que pour la crémation. Pour cette dernière, on a affaire à un gros chantier à venir, car les acteurs du funéraire doivent partir d’une page blanche, tout est à imaginer. Les pompes funèbres n’ont actuellement rien à proposer, rien à commercialiser en ce qui concerne la crémation, alors que celle-ci représente maintenant plus de 30 % du marché. Il y a une absence totale d’offres à destination des familles qui se tournent vers la crémation.
"Rien n’existe de spécifique pour l’instant en matière d’offre commerciale dans ce secteur. Nous sommes vraiment dans l’innovation pour demain. Tout étant à inventer et ne pouvant pas nous limiter à un seul objet, il faudra, dans les prochaines années, plus penser solution complète, offre multiproduit. C’est de cette manière que l’on devra être innovant, sous la forme de catalogue de la crémation avec, par exemple, urne à planter, lâcher de colombes, rosier du souvenir, "bijou à partager", géolocalisation du lieu de dispersion, livre numérique du souvenir, etc."
Un regroupement des produits et des services sera inévitable. Il existe des propositions "isolées" faites par différentes sociétés, on le voit lors des salons. Mais, pour les pompes funèbres, il est difficile de bâtir une gamme diversifiée à partir de ça. D’où l’intérêt d’avoir quelque chose qui rassemble tout ce qui existe afin que l’opérateur funéraire puisse proposer une "vitrine" de produits et de services adaptée aux familles ayant choisi la crémation.
"Le fait que des propositions existent déjà à l’état de "prototype" (venant par exemple de start-up) ne veut pas dire qu’elles sont disponibles pour les familles. Étant sur un marché de l’offre, il faut que les produits soient en magasin pour que le responsable puisse les soumettre à son client. Il est nécessaire que toutes ces innovations, ces nouvelles prestations soient portées par les opérateurs funéraires pour que cela soit intégré dans le champ commercial habituel, d’où l’idée d’un "catalogue" qui deviendrait un nouveau savoir-faire, celui d’être capable de mettre en avant celui des autres."
"Pour finir, je dirais que la spécificité de nos savoir-faire et de nos innovations (réalisées ou à venir) est le résultat d’une excellence manufacturière typiquement française, et cela dans de nombreux domaines. Et il est indispensable d’orienter aussi la stratégie de l’entreprise sur cet aspect-là, et de revendiquer la "fabrication en France". Défendre ce que nous savons faire aujourd’hui – avoir les pieds sur terre – pour imposer les nouveaux concepts de demain – en ayant la tête dans les étoiles."
Gil Chauveau
Nota :
* Titre d’un livre de Jean-Marc Borello, président du directoire du Groupe SOS.
Résonance hors-série n°4 - Août 2017
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