Chacun se souvient du stratagème de Fauchelevent, afin de faire sortir Jean Valjean du couvent pour mieux l’y faire rentrer par la suite. Sortir dans un cercueil le corps de celui qu’il appelait M. Madeleine, alors qu’à la demande de la révérende mère le droit résultant du décret du 23 prairial an XII était délibérément violé, puisque la défunte - mère Crucifixion - allait être inhumée dans la chapelle. On se rappelle le dialogue entre la religieuse et le vieux Fauchelevent (Partie 2, livre 8, chapitre 3) :
- Vous lèverez la pierre avec la barre au moyen de l’anneau.
- Mais...
- Il faut obéir aux morts. Être enterrée dans le caveau sous l’autel de la chapelle, ne point aller en sol profane, rester morte là où elle a prié vivante ; ç’a été le vœu suprême de la mère Crucifixion. Elle nous l’a demandé, c’est-à-dire commandé.
- Mais c’est défendu.
- Défendu par les hommes, ordonné par Dieu.
Dans le roman "Les Misérables" de Victor Hugo, le “héros“ Jean Valjean doit, en quelque sorte, son "salut" - et quelques années de répit aux poursuites de Javert - au conflit entre législation funéraire et convictions religieuses.
Si l’interdit ainsi bravé existe toujours (c’est l’art. L. 2223-10 du Code général des collectivités territoriales), la question des rapports entre le droit funéraire et la religion et, plus précisément, celui entre le droit des sépultures et les convictions religieuses des défunts perdure. La volonté de "ne point aller en sol profane" n’a pas réellement disparu. Si "aucune inhumation ne peut avoir lieu dans les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement dans aucun des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, ni dans l'enceinte des villes et bourgs", les demandes de respect des rites religieux visant au regroupement, dans les cimetières, des défunts et à l’orientation des tombes ne doivent-elles pas recevoir une réponse favorable, à laquelle le ministre de l’Intérieur invite les maires des plus clairement ?
Quel est donc le problème, alors que se multiplient rapports et circulaires qui, étonnamment, tendent tous vers la même réponse positive ?
L’obstacle - semble-t-il purement juridique - résiderait dans le principe constitutionnel de laïcité. Dès lors que la laïcité est affirmée par la norme située au sommet de l’ordre juridique français, les autorités ne peuvent distinguer entre les religions d’une part, et, d’autre part, entre la religion et l’absence de religion. La laïcité n’est pas, en droit français, l’absence de religieux, mais l’acceptation de l’ensemble des religions et de ceux qui refusent la religion.
Même si comparaison n’est pas raison, c’est ce même obstacle constitutionnel qui a dû être levé, lorsqu’il s’est agi de mettre en place une parité électorale, qui va notamment s’exprimer dans toutes les communes de 1000 habitants et plus aux prochaines élections municipales, et, aux élections des conseils départementaux, où les candidats se présenteront sous forme d’un binôme "homme-femme". Si l’égalité des sexes est proclamée dans la Constitution, il est interdit d’exiger un pourcentage de représentativité pour un sexe, sauf si la Constitution, modifiée en juin 1999, permet expressément ce que les Anglo-Saxons appellent "la discrimination positive" (voir l’alinéa 2 de l’art. 1er de notre Constitution).
À l’instar de l’égalité de sexes avant 1999, la consécration constitutionnelle de la laïcité interdit donc la distinction. Légiférer sur les carrés confessionnels implique alors de réviser préalablement la Constitution, obstacle qu’avaient rencontré dans leurs travaux les sénateurs Jean-Pierre Sueur et Jean-René Lecerf à l’occasion de leur important rapport en 2005.
Ces éléments expliquent la particularité des règles entourant les relations entre religion et sépulture, auxquelles nous avons consacré un dossier spécial "Laïcité et sépultures : aspects juridiques".
Maud Batut Rédactrice en chef
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