Nous, thanatopracteurs, sommes témoins du traumatisme final et des signes physiques de la maladie de ceux qui sont morts et qui sont maintenant posés sur la table devant nous. Parfois, il s’agit de lésions ou de tumeurs qu’ils ont dû supporter pendant un certain temps avant leur décès. Il y a un cas particulier de tumeurs faciales, que je garderai toujours en mémoire, me rappelant sans cesse pourquoi nous faisons ce métier et comment nous devons essayer d’aider les familles en deuil du mieux que nous le pouvons.
En tant que thanatopracteur, notre sacerdoce "devoir" n’est pas seulement de désinfecter et de conserver, mais aussi de restaurer. Dans ce cas en particulier, cela signifiait ramener un homme à l’époque où il était "en bonne santé" et non marqué par la maladie – un fait évident, étant donné que plus de 100 tumeurs s’étaient développées sur son visage, son cou et sa poitrine.
En ouvrant les draps qui enveloppaient son corps dans la salle de préparation, j’ai été bouleversée de voir le grand nombre de tumeurs exophytiques qui criblaient le haut de son corps et sa tête – pensant immédiatement à quel point cela avait dû être douloureux au cours de ses derniers jours. Leur odeur m’a immédiatement frappée en même temps que je les découvrais.
Même si je ne connaissais pas la cause de son décès, je pouvais voir que ces masses avaient certainement joué un rôle actif. Son épouse, après avoir appris que c’était une possibilité, a plaidé pour qu’elles soient retirées, pour que "sa maladie lui soit enlevée". Je pouvais comprendre à quel point elle voulait retrouver le visage de son mari comme elle l’avait connu, avant toutes ces années de souffrances, et à quel point cela lui donnerait un sentiment de paix de les lui en débarrasser, alors je lui ai dit que j’essaierais de redonner à son mari le meilleur de lui-même dans les limites de ma capacité.
Les plaies ou tumeurs ulcéro-végétantes sont souvent une complication du cancer métastatique, car la tumeur infiltre des couches de la peau, des tissus ou des vaisseaux lymphatiques, et s’étend ou se développe sans qu’il y ait de traitement efficace pour les atténuer. Elles peuvent être identifiées par leur aspect en chou-fleur car elles prolifèrent rapidement, et présentent souvent des zones de lésions nécrotiques. En plus d’être douloureux, les symptômes physiques peuvent inclure une odeur nauséabonde, des saignements et des exsudats qui s’en échappent.
L’identification de ces blessures m’a été utile en tant que thanatopracteur afin que je puisse faire des recherches et mieux savoir à quoi pouvaient ressembler ces masses sous les fines couches de peau, souvent déchirées, qui adhèrent à son corps. Cela me renseignait mieux sur les types de fluides (et de produits chimiques) à utiliser et sur la façon de traiter ces tumeurs avant de les retirer.
La mauvaise odeur est le résultat direct des bactéries anaérobies qui habitent les tissus nécrotiques, car elles produisent du sulfure d’hydrogène qui donne cette odeur caractéristique. Par conséquent, lors de l’embaumement, je savais que je devais inclure un produit chimique dans mon bocal artériel qui pourrait éliminer les bactéries anaérobies, tel que le STOP de Frigid (non disponible en Europe) contentant du dichlorure d’éthylène qui est bactéricide.
Même si j’allais enlever ces tumeurs, j’étais consciente qu’en les otant, pour retrouver le contour naturel de son corps, je ne serais peut-être pas en mesure d’identifier complètement l’extrémité des tumeurs avec mes yeux non entraînés aux techniques médicales. Ainsi, s’il en restait encore des parties, je voulais que ma solution chimique soit capable de combattre les bactéries anaérobies éventuellement laissées sur place.
Compte tenu de l’exsudat, je me suis rendu compte que je devais décider comment le traiter avant de les disséquer au hasard, car je voulais le contenir autant que possible en toute sécurité. Bien que j’aie embaumé le défunt avant de traiter les tumeurs, je me rends compte qu’en France, le temps est souvent limité pour préparer un corps avant les services, donc, si j’avais eu une contrainte de temps, j’aurais traité les tumeurs avant le soin. En raison de la localisation anatomique des tumeurs sur le corps, les capillaires qui les infiltrent sont fragiles et comprimées par le poids des tumeurs. Cette fragilité et cette compression empêchent souvent certaines parties de recevoir du liquide d’embaumement à travers le système artériel.
Afin de fixer les tumeurs, j’ai injecté méthodiquement un liquide de cavité puissant dans chacune d’elles et entre elles avec une seringue hypodermique. J’ai ensuite laissé le liquide reposer pendant plusieurs heures avant de commencer à les exciser.
En raison, du temps nécessaire pour laisser le liquide de la cavité injecté fixer les tissus et exsuder dans les tumeurs, je suggère de faire cette partie avant l’embaumement afin que le processus puisse être effectué plus efficacement sous des contraintes de temps. Une fois que les tumeurs n’étaient plus aussi souples au toucher, j’ai commencé le processus fastidieux consistant à les exciser une par une avec un scalpel et une pince. Ce faisant, je devais rester consciente de la courbure naturelle du corps du défunt au niveau de sa mâchoire, de son cou et de ses épaules.
Une fois les tumeurs retirées, je l’ai complétement lavé, ce qu’il n’avait probablement pas pu faire lui-même depuis longtemps. Les tissus nouvellement exposés devaient être cautérisés, j’ai donc saturé des draps de coton avec un produit chimique cautérisant et je les ai posés sur ces zones. J’ai ensuite recouvert les draps de coton saturés de plastique pour contenir les vapeurs, puis j’ai laissé son corps reposer toute la nuit.
Le lendemain matin, les zones de tissus exposés étaient beaucoup plus sèches. J’ai retiré le coton imbibé de produit cautérisant et collé des draps de coton frais et propres sur les zones de sa poitrine, puis j’ai collé une feuille de plastique dessus avant de l’habiller. Après l’avoir habillé, je l’ai placé dans son cercueil avant de pratiquer des travaux de restauration sur le cou et le visage.
J’ai coupé le dos de sa chemise et de son col pour pouvoir travailler plus facilement sur son cou, puis j’ai remis en place le col une fois que j’avais terminé. Étant donné que la zone que j’allais restaurer à la cire était assez importante sur son visage et son cou, je voulais créer une surface "dentelée" sur laquelle la cire pourrait mieux adhérer. J’ai fait cela en saturant le tissu exposé avec de la super glu liquide, puis en le pulvérisant avec un accélérateur pour qu’il sèche instantanément. Je pourrais alors facilement appliquer la cire dessus, et elle adhérerait mieux aux aspérités de la colle durcie.
Comme il était relativement jeune et qu’il n’avait pas de rides, il me fallait lisser au mieux les zones de cire. J’ai utilisé une brosse plate que je trempais dans un nettoyant pour cheveux secs (ou un diluant pour peinture) avant de l’appliquer sur la cire pour la lisser. Je me déplaçais constamment autour du cercueil pour vérifier tous les angles de sa mâchoire et de son visage tout en le comparant à sa photo. Une fois que j’ai senti que j’avais atteint la structure naturelle de son visage et de son cou, j’ai commencé à mélanger la première couche de fond de teint dans mon aérographe.
Pour déterminer sa teinte de fond, j’ai comparé sa photo à un nuancier de bruns en fonction des nuances chaudes ou froides. J’ai pu déterminer qu’il avait des nuances chaudes dans la vie, j’ai donc dû m’assurer de mélanger davantage de tons orangés dans son fond de teint. En commençant avec l’aérographe, j’ai aussi fait attention aux zones de cire qui retenaient le maquillage et j’avais donc besoin de lisser encore plus. Après avoir fini ces cosmétiques, j’ai vaporisé avec un spray fixateur, puis j’ai remis son col autour de son cou comme il se doit.
J’ai effectué une dernière vérification, toujours sous plusieurs angles autour du cercueil, en le comparant à sa photo. J’étais satisfaite du résultat et j’avais hâte que son épouse le voie. Elle était satisfaite de le retrouver sous son apparence normale sans les séquelles de la maladie. Cela signifiait tellement pour elle qu’elle a laissé le cercueil ouvert pour le service religieux, alors que des centaines de personnes venaient lui rendre hommage. C’est la raison pour laquelle nous faisons ce métier - même pendant de longues heures - en raison de la paix que cela peut apporter aux personnes tout en commençant leur processus de deuil, à la suite de la perte d’un être cher.
Qui est Amanda ?
J’ai eu le plaisir de rencontrer Amanda pour la première fois en 2018 lors de la conférence internationale de reconstruction faciale de la Fountain National Academy à Springfield Missouri. Nous avons tous compris qu’elle allait être très présente dans le paysage de la thanatopraxie américaine et au-delà… c’est tout naturellement qu’elle fut invitée en mars de l’année dernière lors de la conférence de l’Institut Belge de Thanatopraxie à Mons, en Belgique.
Conférence où de nombreux français se sont déplacés, et ont assisté à la présentation d’Amanda sur l’exérèse et la restauration de tumeurs exophytiques. Elle avait marqué son auditoire par son engagement sur ce cas, qu’elle vous présente ici sous forme d’article.
Alain Koninckx Thanatopracteur Spécialiste de la préparation de défunts
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Amanda Marie Eilis King
PESC, MBIT
Résonance n° 204 - Juin 2024
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