La mode est depuis quelques années aux réseaux sociaux, les Facebook, TikTok et autre Instagram ont envahi nos vies. Chacun y va de raconter sa vie, ses joies ses peines au monde entier… Puis, il y a les comptes dit "Pros", quand derrière se cache un artiste, un artisan, une entreprise qui profite de ce média afin d’y faire sa publicité. Les thanatopracteurs étant des personnes comme les autres profitent aussi de ce nouveau vecteur commercial.
Si informer sur les services que l’on offre à sa clientèle est on ne peut plus normal, en revanche certains "posts" posent plus de problèmes, en effet on peut voir sur certains comptes des photos de cadavres corrompus, des vidéos de soins de conservation, rythmés sur des musiques pas forcément de bon goût, et parfois même des photos, voire des selfies avec le défunt…
Comment un corps de métier qui devrait avoir le plus grand respect pour le medium sur lequel il exerce son art – le corps humain – peut-il en arriver là ? Bien sûr, ce n’est pas une généralité, loin de là, mais ces quelques énergumènes jettent l’opprobre sur toute une profession, d’où l’utilité d’un véritable Conseil de l’Ordre, mais c’est un autre débat…
Qu'en est-il exactement du droit à l’image du défunt ?
Lorsque la personne est vivante, le droit à l’image ne soulève pas de problème particulier. Il ne connaît aucune exception, mis à part la manifestation publique ou l’événement d’actualité. Si vous êtes présent dans la foule d’un concert ou d’une manifestation, vous pouvez vous retrouver en première page du journal sans avoir rien à dire. Bien évidemment, les images issues de ces événements ne peuvent pas être utilisées dans une perspective différente de celle pour laquelle elles ont été réalisées, elles ne peuvent être réexploitées par le média pour une autre actualité.
Donc, en toute logique, vous ne pouvez pas vous retrouver dans une séquence de la nouvelle série à la mode sans accord signé. Il se peut que le réalisateur, vous apercevant et trouvant que votre physique, votre look colle avec ce qu’il est en train de tourner, vous demande, et obtienne ce droit, si un autre réalisateur décide d’utiliser cette séquence pour une autre œuvre, il devra lui aussi vous solliciter.
Quid alors de l’image d’une personne décédée ?
Le défunt ne pouvant donner son autorisation, peut-on faire désormais ce que l’on souhaite ? En principe, le droit à l’image s’éteint avec la mort de la personne. Il n’est pas transmissible. Cependant, le législateur admet un préjudice moral pour une famille ne souhaitant pas voir diffuser des photographies de leur proche récemment décédé.
On pourrait penser que c’est assez récent, nous avons tous en mémoire la photo du président Mitterrand sur son lit de mort… En fait, les premiers débats sur le droit à l’image d’une personne défunte datent de bien plus longtemps que cela.
Il faut en fait remonter au XIXe siècle, en 1858 plus exactement, quand la tragédienne Élisabeth-Rachel Félix – dite mademoiselle Rachel sur scène – décède. Sa sœur prénommée Sarah demande à un photographe de faire un dernier portrait de la défunte comme il est coutume à l’époque. Portrait qui bien sûr est à l’unique destination de la famille.
Cependant, Frédérique O’Connell, une artiste en vogue de l’époque, se procure cette photographie et réalise au fusain un dessin, qui est décrit comme tel dans le numéro du 18 juin 1858 de "La Presse" : "La tête de l’illustre tragédienne voilée des ombres de la mort, était ceinte d’une couronne de lauriers ; elle était éclairée par le simple reflet d’une lampe funéraire, et jamais aucune œuvre d’art n’avait représenté avec plus de bonheur les traits de Rachel…"
Lors des débats, l’avocat de Sarah Félix déclare dans sa plaidoirie : "Il soutient que si Rachel vivante appartient au public, Rachel morte appartient à sa famille et à sa famille seule ; que les parents d’un artiste ont le droit de s’opposer à ce que le portrait de leur enfant mort, étendu sur un lit funèbre, soit, à l’aide du dessin et de la photographie, tiré à des milliers d’exemplaires et exposé partout aux yeux et aux commentaires du public et des indifférents, souvent à côté même des parents qui pleurent sur une mort prématurée".
Après plusieurs jours de procès, un procureur qui plaide en faveur de Sarah Rachel, le tribunal rend le verdict suivant :
"Attendu que nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d’une personne sur son lit de mort, quelle qu’ait été la célébrité de cette personne et le plus ou moins de publicité qui se soit attaché aux actes de sa vie ;
"Attendu que le droit de s’opposer à cette reproduction est absolu, qu’il a son principe dans le respect que commande la douleur des familles, et qu’il ne saurait être méconnu sans froisser les sentiments les plus intimes et les plus respectables de la nature et de la piété domestique ;
"Attendu d’ailleurs que Sarah Félix, qui a assisté sa sœur à ses derniers moments, a stipulé dans les termes les plus exprès, en chargeant Crette et Ghemar de reproduire les traits de Rachel sur son lit de mort, que leurs dessins resteraient sa propriété et qu’ils ne pourraient en communiquer de copie à qui que ce soit.
[…]
Déclare bonne et valable la saisie du dessin représentant Rachel sur son lit de mort, et à la saisie des différente épreuves photographiques de ce dessin pratiqué chez la dame O’Connell, chez Bertsh et Arnaud et au journal "L’Illustration". Ordonne que tous les objets saisis aux lieux ci-dessus indiqués seront anéantis.
[…]
Condamne la dame O’Connell à tous les dépens".
Même si ce jugement fait acte de jurisprudence, on doit reconnaître que jusqu’il y a peu, lorsqu’une plainte était déposée, c’était que la personne défunte était une célébrité. Mais tout a changé quand la famille d’une des 89 victimes de la tragédie du Bataclan a porté plainte pour "atteinte à la dignité de la victime" contre le magazine VSD et la photographe d’une agence de presse américaine qui a pris la photographie.
Lors du procès en appel, le magazine est condamné à verser 26 000 € à la famille, et 2 000 € pour les frais de procédure judiciaire.
En guise de conclusion de cet article, et à toute fin d’information pour les thanatopracteurs férus de photographies et de réseaux sociaux, je reproduis les mots de Joëlle Verbrugge photographe et avocate, qui pratique le droit à l’image et de la photographie : "Les litiges ne concerneront plus seulement des journalistes et des rédactions, mais aussi les amateurs qui diffusent des images sur les réseaux sociaux. Ces derniers sont moins informés sur la loi qui encadre la publication d’images sensibles, et ne sont pas tenus par la déontologie de la profession. On n’attaquera plus des grands titres de presse, mais le quidam moyen…"
Sébastien Mousse
Éditeur - Formateur
AFITT
Résonance n° 186 - Décembre 2022
Résonance n° 186 - Décembre 2022
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