Lorsqu’on évoque les momies célèbres, on pense généralement à Ramsès II ou encore au terrifiant empereur inca des "7 Boules de cristal". Pourtant, une momie vieille de seulement 97 ans, mais tout aussi fascinante, gît dans son sarcophage de verre, à l’intérieur de son mausolée sur la place Rouge, à Moscou.
Vladimir Ilitch Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, dirigea la Révolution d’octobre et instaura dans l’ancien Empire russe une dictature particulièrement sanglante, basée sur la "terreur rouge", qui inspirera de nombreux autres révolutionnaires. Parmi ces derniers figure notamment Kim Il Sung, le "grand leader bien aimé" qui mena la Corée du Nord à la prospérité qu’on lui connaît aujourd’hui.
La comparaison entre ces deux grandes figures révolutionnaires ne s’arrête pas là, puisque Lénine et Kim Il Sung, qui ont tous deux imposé le culte de la personnalité, la leur et celle de leurs successeurs, dans leurs pays respectifs ; partagent un autre point commun. Tout comme Ho Chi Minh ou encore Agostinho Neto, ils ont été embaumés et sont maintenus en état par les équipes successives dites "du mausolée", du Centre de recherche scientifique et de méthodes d’enseignement en technologies biochimiques de Moscou, surnommé "Lenin lab".
À la mort de Lénine, en janvier 1924, les dignitaires soviétiques de l’époque se sont dans un premier temps opposés à la conservation de son corps. Il était prévu de l’inhumer simplement dans une tombe fermée, sur la place Rouge, après une brève exposition au public.
Cependant, sous la pression de la foule imposante qui se pressait à toute heure pour se recueillir devant sa dépouille et compte tenu des températures glaciales qui avaient conservée cette dernière quasi-intacte ; après que la congélation a été un temps envisagée, la décision de l’embaumer fut prise... Et aussitôt rendue publique, pour éviter tout amalgame avec des reliques religieuses.
Cette tâche fut confiée au biochimiste Boris Zbarsky, assisté pour cela de l’anatomiste Vladimir Vorobiov. Le "premier" embaumement de Lénine s’étala de fin mars à fin juillet 1924. Un tel délai s’explique par le fait que l’autopsie pratiquée sur le corps du dirigeant soviétique avait rendu les principaux vaisseaux sanguins du corps inutilisables pour employer la méthode classique d’injection et de drainage.
Ses organes avaient en outre été prélevés. Son cerveau est d’ailleurs toujours conservé au Département de recherche sur le cerveau du Centre scientifique de neurologie de l’Académie des sciences médicales de Russie, anciennement Institut de recherche sur le cerveau de l’Académie des sciences médicales de l’URSS ; où il a été étudié afin de percer le secret de son intelligence supérieure. Aucune conclusion de cette étude n’a jamais été publiée depuis.
Les deux scientifiques, qui devaient par la suite rendre compte de leur travail à Joseph Staline, durent donc innover, afin de mener à bien leur mission et d’éviter de s’attirer ses foudres. Ils procédèrent en pratiquant des micro-injections à l’aide d’aiguilles insérées à certains points stratégiques du corps, en privilégiant les coupures et les cicatrices antérieures. Ils l’enveloppèrent également d’une combinaison en caoutchouc à double couche, placée sous ses vêtements, afin qu’il baigne constamment dans la solution d’embaumement à base de formal-déhyde utilisée pour le conserver.
Même si le procédé employé peut paraître assez simple pour le commun des embaumeurs, y compris pour les thanatopracteurs français, Zbarsky et Vorobiov furent félicités pour leur travail ; encore considéré aujourd’hui comme "une réussite absolue".
Bien sûr, si le formaldéhyde est un excellent conservateur, il ne permet pas en revanche de préserver l’aspect des tissus sur le long terme. Pour éviter que sa dégradation ne soit visible, le corps embaumé de Lénine a donc dès lors fait l’objet d’une surveillance constante.
Depuis 1924 et jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique, la conservation du corps de Lénine a été une priorité absolue et près de 200 spécialistes y ont travaillé, avant que des coupes drastiques de budgets ne réduisent le "Lenin lab" à une poignée de scientifiques.
Devenue aujourd’hui une véritable "momie", la dépouille de l’ancien dirigeant soviétique est extraite de son sarcophage tous les deux ans, pour être plongée durant six semaines, dans un bain de formaldéhyde additionné d’alcool, de glycérol, d’acétate de potassium, de peroxyde d’hydrogène, d’acide acétique et de sodium acétique. Les différentes parties de son corps, yeux et sourcils compris, ont été quant à elles remplacées au fur et à mesure, par des pièces de différentes matières, selon les époques.
Même si elle n’a plus grand chose d’humain, cette étonnante momie a résisté à bien des épreuves depuis bientôt 100 ans. Évacuée pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a parcouru 4 200 km avant de rejoindre son mausolée et a échappé depuis à plusieurs tentatives de destruction. C’est à présent à une autre menace qu’elle doit faire face. Son entretien coûte cher et il est régulièrement question de l’enterrer, comme ce fut le cas pour celle de Staline.
Elle ne doit actuellement son sursis qu’aux touristes, le mausolée de Lénine restant le monument le plus visité de Moscou. Même si les Russes ne sont plus que 37 % à souhaiter qu’elle reste dans son sarcophage de verre, la disparition de la momie de Lénine signerait l’anéantissement de plus de 90 ans de recherche scientifique et serait sans doute une énorme perte pour le patrimoine historique de la Russie et du monde.
Claire Sarazin
Thanatopracteur
Formatrice en thanatopraxie
Résonance n° 171 - Juin 2021
Résonance n° 171 - Juin 2021
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