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Sans surprise, l’arrêté du 1er avril 2020 interdisant la pratique des soins de thanatopraxie sur tous les défunts a divisé une nouvelle fois la profession.
 
Cela pourrait évoquer la loi Touraine autorisant les soins sur les cas de VIH et d’hépatite, cependant, la différence est de taille. En effet, il ne s’agit là plus seulement de la sécurité des thanatopracteurs, mais également des familles, les leurs autant que celles des défunts, des employés des pompes funèbres, et plus généralement de tout un chacun. 

Le débat, si l’on estime qu’il y a débat, ce qui en soit est très discutable, aurait donc dû dépasser la thanatopraxie, mais naturellement, cela n’a pas été le cas, toute tentative de réflexion se heurtant immédiatement aux ego des uns et des autres, et rendant, oserais-je dire "comme d’habitude", tout dialogue impossible.
 
D’un côté, les thanatopracteurs des secteurs peu ou pas touchés, manifestant bruyamment leur colère et leur incompréhension, parfois de manière très violente, qualifiant leurs confrères des clusters de "déserteurs" et les enjoignant à "changer de métier", et de l’autre, bien plus discrets, ceux qui, confrontés à la réalité de la pandémie, avaient déjà "déposé les valises" ou attendaient de pouvoir le faire sans risquer d’éventuelles sanctions d’un employeur. 

Pour qui connaît un peu les thanatopracteurs, ces échauffourées sont relativement courantes au sein de la profession, et ne semblent pas si inquiétantes. Pourtant, au-delà des simples divergences de points de vue, elles donnent matière à s’interroger, et ceci notamment à propos des véritables motivations qui animent les uns et les autres.
 
Lorsqu’on interroge un thanatopracteur sur les raisons pour lesquelles il exerce cette profession, la réponse est invariablement la même : "Permettre aux familles de pouvoir veiller sereinement leurs défunts dans de bonnes conditions d’hygiène et de sécurité." Pourtant, cet épisode tragique a mis au jour une tout autre réalité.
 
Tout d’abord, par les réactions, que je qualifierais d’honnêtes, de certains indépendants des zones éloignées des clusters, l’aspect financier s’est retrouvé au centre des préoccupations. S’il est parfaitement normal de craindre les conséquences économiques de l’arrêt des soins, ce qui pose question, en revanche, c’est l’indifférence totale, ouvertement affichée par certains vis-à-vis des risques encourus par leurs confrères des zones fortement touchées. Une absence flagrante d’empathie, qualité supposée indispensable à l’exercice de notre beau métier, laquelle s’est manifestée à l’égard des thanatopracteurs, mais pas seulement. 

En effet, au plus fort de l’épidémie, les hôpitaux, les sociétés d’ambulances, les entreprises de pompes funèbres, et plus largement tous les professionnels dont la présence était obligatoire en première ligne, manquaient cruellement d’équipements de sécurité. La logique n’aurait-elle pas voulu que les thanatopracteurs, dont les prestations, bien que leur intérêt soit démontré, ne sont pas indispensables, leur laissent leurs EPI (Équipements de Protection Individuelle)?
Pour avoir émis cette idée, des thanatopracteurs se sont fait lyncher, certes sur les réseaux sociaux, ce qui est un moindre mal, mais cela relève tout de même de la violence gratuite. 
Outre les pugilats sur les groupes de discussions, on a pu notamment voir circuler une pétition demandant le rétablissement des soins de conservation, laquelle émanait d’un confrère résident dans un département qui ne comptait alors aucun décès du Covid-19 et qui conspuait les "déserteurs" des départements touchés. 
 
Certains petits indépendants à faible activité en ont également profité pour se mettre en avant et tenter de supplanter leurs concurrents, ce qui est somme toute assez banal en pareil cas.
Les réactions à mon sens les plus inquiétantes ont été celles de quelques thanatopracteurs de la nouvelle génération qui, eux semblaient vraiment frustrés par l’impossibilité de se servir de leurs instruments, et dont certains emportements avaient presque des relents nécrophiles. Il serait sans doute souhaitable de se pencher sérieusement sur ce problème, concernant l’admission des futurs élèves thanatopracteurs dans les écoles.
 
Bien sûr, quoique ma position sur le sujet soit ferme et tranchée, j’ai tout de même pu avoir de vrais échanges respectueux avec des confrères d’avis contraire, ce qui est rassurant. À présent, même si la crise sanitaire est loin d’être résolue, la thanatopraxie est à nouveau autorisée et nous finiront par reprendre le travail, dans des conditions de sécurité qu’on espère optimales. 

La thanatopraxie perdurera sans doute, mais il est fort à craindre que certaines plaies peinent à se refermer, et que l’unité ne soit jamais plus qu’une utopie.
 
Claire Sarazin
Thanatopracteur
Formatrice en thanatopraxie

Résonance n° 160 - Mai 2020

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