Le diplôme national de thanatopracteur est devenu aujourd’hui un véritable Graal. S’il n’a jamais été simple d’accéder à cette profession, on peut à présent parler de parcours du combattant. Alors que de nombreux postes sont à pourvoir dans toute la France, il y a beaucoup d’appelés et bien peu d’élus.
Claire Sarazin. |
Bien sûr, la situation est considérablement aggravée par le retard pris dans la parution de la promotion 2017, mais huit ans se sont écoulés depuis la réforme du diplôme, et nous disposons à présent du recul suffisant pour porter un regard objectif sur ce mode de sélection.
Pour comprendre l’origine du numerus clausus, il faut revenir dix ans plus tôt. Cette profession de l’ombre qu’était auparavant la thanatopraxie était presque devenue un phénomène de mode suite à une émission de télévision et à la série "6 Feet Under". De trop nombreux aspirants s’engageaient dans cette voie et le marché de l’emploi, non extensible par essence, ne pouvait pas les absorber.
Cet afflux massif de thanatopracteurs a eu des conséquences néfastes pour l’ensemble de la profession, ainsi que pour les opérateurs funéraires. En effet, l’offre trop importante a entraîné une baisse de rémunération pour les thanatopracteurs, ainsi qu’un "alignement par le bas" qui n’a pas davantage profité aux pompes funèbres.
Il était vital pour la thanatopraxie de se réguler, et il fallait pour cela limiter l’accès à l’exercice de la profession. Le numerus clausus semblait une bonne idée, et il a effectivement réduit de manière considérable le nombre de thanatopracteurs désœuvrés, contraints de s’installer à leur compte sur des secteurs géographiques déjà saturés.
Transformer l’examen théorique en concours était en outre supposé filtrer les meilleurs éléments. Or, huit ans plus tard, un constat s’impose : dans un métier qui, bien qu’il nécessite de solide connaissances, reste avant tout manuel, ce mode de sélection n’est pas forcément le plus approprié. Avant 2010 , il était possible de commencer la formation théorique et le stage pratique dans le même temps, ce qui présentait l’avantage de permettre aux élèves/stagiaires d’être rapidement fixés sur leur capacité à faire le lien entre la théorie et la pratique, ce qui n’a rien d’une évidence.
Il faut se remémorer que tous les thanatopracteurs diplômés avant 2010 ont été formés de cette façon. Si l’on remonte encore plus loin, nos plus anciens confrères, qui parfois exercent toujours et dont certains sont devenus des exemples pour bon nombre d’entre nous, ont passé un diplôme d’école, voire pas de diplôme du tout, ce qui ne remet aucunement en question leur compétence.
Il ne s’agit pas de contester l’intérêt de l’examen théorique en lui-même, il est absolument nécessaire d’acquérir certaines connaissances pour pouvoir exercer ce métier très technique. C’est davantage sur l’importance accordée à ces connaissances par rapport aux autres composantes du métier qu’il faut s’interroger.
La pratique de la thanatopraxie requiert en plus de solides bases d’anatomie et de chimie, une certaine habileté, de la réactivité, du sang-froid, de l’endurance physique, du courage, du professionnalisme, et bien sûr de l’empathie. Avec le numerus clausus, toutes ces qualités passent au second plan, ce qui est peut-être dommageable.
Certes, le problème de la surpopulation thanatopraxique a été réglé, la tendance s’est même franchement inversée, mais la profession traverse aujourd’hui une crise sans précédent. Alors que les thanatopracteurs auraient plus que jamais intérêt à se montrer solidaires, le côté élitiste du concours n’a pas contribué à faire dégonfler les egos, et l’ambiance générale de la profession ne cesse de se détériorer. Il est plus que temps de se poser les bonnes questions. Faut-il ergoter sans fin à propos de l’organisation du concours, de l’utilisation du stylo ou du crayon de bois pour remplir les QCM, ou tout simplement s’interroger sur le bien-fondé du numerus clausus ?
Pour conclure, je m’adresse à mes confrères diplômés comme moi avant 2010 : combien d’entre nous, quelle qu’ait été notre carrière jusqu’à présent, serions aujourd’hui admis à ce concours ? Et pourtant, nous n’accepterions pas que nos compétences soient mises en doute. Avant de nous emballer à propos d’une organisation parfois un peu trop artisanale (le terme n’est pas innocent), demandons-nous si nous n’avons pas depuis longtemps perdu de vue ce qu’est réellement la thanatopraxie.
Claire Sarazin
Thanatopracteur et formatrice en thanatopraxie
Résonance n°141 - Juin 2018
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