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S’il est un élément qui distingue l’Homme de l’ensemble du règne animal, c’est bien le cérémonial qui existe autour de la mort, qui existe depuis le commencement de l’Humanité. Si l’on peut penser qu’au départ le fait d’enterrer les corps était plus une affaire de dissimulation que d’hommage, rapidement, les hommes furent enterrés avec des objets personnels et/ou rituels, signe évident d’une certaine forme de rituel de passage d’un monde à l’autre, qui ne quittera aucune civilisation passée ou contemporaine.

 

La conservation des corps fut pour grand nombre de civilisations un aspect essentiel, que ce soit pour un motif religieux, comme en l’Égypte ancienne, ou en raison de l’appartenance aux hautes sphères de la société comme ce fut le cas pendant l’Ancien Régime, et plus récemment pour tous les grands hommes avant la démocratisation de la thanatopraxie.
En Occident, la religion a donné une place particulière au corps, en raison du dogme de la résurrection des corps, qui prévoit non seulement que l’âme est immortelle, mais aussi qu’au Jugement dernier les corps de chair seront réssuscités. Ce qui créa une vénération particulière des corps dits "incorrompus", c’est-à-dire ne présentant pas de signes d’altération liés à la putréfaction. Le deuxième Concile de Nicée de 787 lance la tendance de vénération des reliques qui mettra en avant nombre de corps dits incorruptibles.
Ces corps, dont la conservation semble inexplicable, étaient régulièrement exhumés pour examen, afin de constater l’incorruptibilité dans le temps. Le contexte religieux, l’absence de connaissances en médecine et l’ignorance de nombre de phénomènes physiques naturels ont conduit les autorités ecclésiastiques à reconnaître nombre de corps incorruptibles, pourtant, certains ne semblent avoir de miraculeux que les récits largement hagiographiques, l’état des corps semblant beaucoup plus soumis aux simples caprices de la nature.
Quelques cas sont tout à fait intéressants. Dans son livre "Le sang peut-il vaincre la mort ?" réédité sous le titre "La mémoire du soleil, aux frontières de la mort", le docteur Hubert Larcher, médecin, directeur de l’Institut Métapsychique International et fondateur de la Société de Thanatologie, se penche sur trois cas que la tradition chrétienne reconnaît comme incorruptibles.

Roseline de Villeneuve

Sainte Roseline de Villeneuve, dont le corps est toujours conservé dans une chapelle qui porte son nom dans le Var, est réputée avoir accompli de nombreux miracles, dont l’authenticité n’engage que ceux qui y croient, la sainte ayant vécu de 1263 à 1329, période où seule l’Église maîtrisait l’art de l’écriture et où la religion était toute-puissante.
Un rapport de 1334, soit 5 ans après sa mort, atteste que : "Le corps de sainte Roseline apparut aussi conservé qu’au moment de ses obsèques. Aucune trace de décomposition ne souillait la chair intacte. Les yeux qu’ordinairement la mort éteint gardaient encore l’éclat bleu de leur regard."
Si l’on exclut le côté hagiographique du récit, il est facile d’interpréter très différemment le texte. Tout d’abord, les rapports d’exhumation considèrent comme "intacts" tout corps entier, pas forcément exactement identique à ce qu’il était à son décès. Roseline de Villeneuve étant de son vivant de petite constitution, et ayant été mise rapidement à l’abri de l’air ambiant puisqu’elle fut enterrée en pleine terre, il n’est pas nécessairement miraculeux que sa chair soit encore présente sur son corps. Nombre de marbriers ont constaté des corps non décomposés dans nos cimetières, sans pour autant qu’ils soient réputés saints. La nature du terrain, les conditions d’inhumation et une certaine prédisposition du corps suffisent à limiter l’action de la putréfaction. Il existe de nombreux cimetières qui momifient naturellement les corps qui y sont enterrés, qu’ils soient saints ou pas, d’ailleurs.
 Quant aux yeux qui "gardaient encore l’éclat bleu de leur regard", cela peut s’expliquer simplement par l’opacité de l’œil, phénomène on ne peut plus naturel après le décès. Cette opacité tend à donner une impression d’éclaircissement qui pourrait faire penser à du bleu. Les yeux de Roseline de Villeneuve ont d’ailleurs été conservés dans un reliquaire à part à la suite de l’exhumation de 1334, la partition des corps étant un phénomène courant à l’époque. Ce reliquaire existe toujours, et est visible en photo dans tout bon moteur de recherche. En 1660, Louis XIV lui-même vint admirer le reliquaire des yeux, et son médecin personnel, Antoine Vallot, en perça l’un des deux pour vérifier l’authenticité des tissus humains, mutilation encore visible aujourd’hui. Quand on observe le reliquaire, l’œil intact restant semble toutefois assez desséché, et sa conservation relative semble être liée à l’absence d’oxygène et à une dessication naturelle, même s’il faut bien admettre que la relique de plus de 650 ans ressemble toujours à un œil.
Pour en revenir au corps lui-même, en 1894, le corps fut la proie d’insectes et de moisissures. Le corps fut donc embaumé. En 1929, il est fait le constat suivant : "Son visage, ses mains et ses pieds nus semblent faits d’une matière étrange, d’un ivoire délicatement noirci. Pas un instant on n’éprouve l’impression d’avoir en face de soi un cadavre, mais bien celle de contempler une statue sculptée." Et pour cause ! Hubert Larcher ne pouvait pas encore le savoir, mais des analyses ultérieures du corps révéleront que "l’embaumement" avait en fait consisté à assembler tant bien que mal avec une structure métallique les restes d’un squelette avec un peu d’adipocire, et que l’ensemble de la "chair" était de la cire d’abeille teintée.
En ce qui concerne les yeux, il est même plus pessimiste que moi. Il dit : "Je suis allé examiner [le reliquaire] le trois septembre 1951. Dès l’ouverture de l’armoire, j’ai senti se dégager une forte odeur de moisissures. […] L’œil gauche, ou du moins ce qu’il en restait, était presque entièrement recouvert de moisissures, méconnaissable, impossible à identifier, de forme non sphérique mais plutôt aplatie. L’œil droit était moins méconnaissable. […] Sans paraître tout à fait plat ni sec, cet œil était loin d’avoir gardé la fraîcheur d’un organe intact".

Sainte Thérèse d’Avila

Sainte Thérèse d’Avila était une religieuse espagnole qui mourut à soixante-sept ans, en 1582. De son vivant déjà, et particulièrement pendant la maladie qui la terrassa, elle était réputée dégager une odeur de fleurs, telles que lys, jasmin ou violette. Nous, thanatopracteurs, sommes bien placés pour savoir que le phénomène olfactif peut se produire suite à diverses pathologies, le diabète, par exemple, qui, de mon point de vue, dégage une odeur sucrée de levure de boulangerie.
Quelques jours après son décès, la communauté religieuse témoigne : "Les membres restaient souples, flexibles, les bras s’étendaient, se repliaient comme si le corps eût été en vie." Si la disparition de la rigidité cadavérique est de nos jours bien connue et résulte de la simple dégradation du corps, ce phénomène pouvait sembler surnaturel à l’époque où la science, tout juste balbutiante, était largement muselée par l’Église, qui considérait comme hérétique toute explication non divine. Le 4 juillet 1583, la tombe fut ouverte. Le cercueil était affaissé et pourri, et le corps "recouvert de mousse, de boue verdâtre, mais absolument intact. La chair douce, blanche, flexible comme au jour de sa mort. De plus, une huile coulait goutte à goutte de tous ses membres". Rappelez-vous ce que je vous ai dit plus haut au sujet du mot "intact" et de sa signification pour les instances religieuses. La description qui est faite du corps, un an après sa mort, me semble résulter de la ô combien naturelle putréfaction, l’huile coulant des membres étant bien connue de tout personnel de pompes funèbres ayant fait des réquisitions de police pour aller chercher des corps un peu "datés".
Le corps fut réinhumé à même la terre et sans cercueil, contrairement à la première fois. En 1586, le corps fut à nouveau exhumé, et il en est fait la description suivante : "Le corps était entier, intact et d’une odeur céleste. Les os étaient si bien joints, les nerfs si bien liés les uns avec les autres qu’il se tenait debout à l’aide du moindre appui. La chair était si souple qu’elle s’abaissait quand on y mettait le doigt et, bien qu’elle eût conservé son embonpoint, le poids du corps était léger." Le placement du corps à même la terre humide, combiné avec la corpulence de la sainte, et de par la description qui en est faite, me semble caractéristique d’un phénomène d’adipocire, ou saponification, c’est-à-dire la transformation de la graisse corporelle en matière semblable à du savon, dont le cas le plus connu est la "Soap Lady" exposée au Mutter Museum de Philadephie.
En 1602, le tombeau fut encore ouvert pour procéder au prélèvement de reliques telles que pieds ou côtes. Le cœur, déjà prélevé en 1592, fut placé dans un reliquaire à part. En 1610, il fut constaté que "le verre du reliquaire fut plus d’une fois brisé sous la poussée des gaz exhalés par le cœur, finalement, on se décida de laisser le reliquaire ouvert à sa partie supérieure". Bien que la communauté religieuse ait pris le phénomène pour un signe de battement du cœur - le cœur était considéré à l’époque, y compris par les médecins, comme le siège des émotions et comme le "feu" du corps, alimenté par les deux soufflets qu’étaient les poumons -, l’implosion du verre semble être simplement consécutif aux gaz dégagés par un organe qui poursuit sa transformation post-mortem.
Les reliques de Thérèse d’Avila de nos jours ressemblent beaucoup plus à un corps sec qu’à un simulacre d’apparence vivante. Les témoignages liés aux différentes exhumations m’apparaissent être plus le fruit de l’ignorance des phénomènes naturels qui n’avaient pas encore été étudiés que celui de la conservation miraculeuse.
De nombreux autres corps ont été considérés comme incorruptibles, et pourtant, la proximité avec notre époque a permis d’avoir des témoignages photographiques qui sont plus circonspects. Je pense par exemple aux papes Pie IX, mort en 1878, et Pie X, mort en 1914. Les exhumations ont eu lieu, et pour le premier, il a été dit qu’il était intact, incorrompu et avec un beau sourire ; et pour le deuxième, qu’il était tel qu’il fut inhumé. Pourtant, les corps ont été photographiés, et on constate que Pie IX a été embaumé et éviscéré, et qu’il ressemble à une momie égyptienne en habit pontifical ; et que Pie X, qui avait aboli la pratique de l’embaumement, était simplement en état de décomposition. C’est pour cela que j’insiste bien. Corps "intact" signifie simplement "entier" et "d’apparence humaine". Pour l’anecdote, et j’en finis avec les papes, il y a à Rome une église, toute proche de la fontaine de Trevi, qui renferme toutes les entrailles des papes qui furent embaumés.

San Charbel fmt

Le cas de Charbel Maklouf

Le troisième cas auquel s’intéresse Hubert Larcher est Charbel Makhlouf, qui était un moine de la communauté maronite au Liban, mort en 1898. La première exhumation eut lieu en 1899, suite à l’inondation du caveau où il était enterré, et il fut constaté que la tombe était un veritable bourbier, et que le corps du père Charbel flottait sur la boue et que "malgré cela, le corps, débarrassé de la moisissure qui le recouvrait, se trouvait intact dans tous ses membres. Pas un poil de barbe, pas un cheveu n’était tombé. […] Sur le visage et les mains, une certaine moisissure blanche semblable à du coton fin", et "le corps était souple, tendre, suintant un sang frais sans aucune trace de corruption, comme si on venait de l’enterrer à l’instant même". Un autre témoignage dit : "Une couche épaisse de moisissures couvrait son visage, ses mains et sa poitrine. Lorsqu’elle fut grattée, son corps parut rougeâtre et un sang frais mêlé d’eau coula de son côté." Ces phénomènes ne sont pas en soi surnaturels. Comme dans le cas de Thérèse d’Avila, les suintements sont tout à fait explicables.
Les jours suivants, le corps, dont les vêtements avaient été changés, produisait encore une quantité certaine de fluides, si bien qu’il fut pris la décision de l’éviscérer pour tenter de mettre fin aux suintements. En 1900, on entreprit même de le faire sécher sur une terrasse. En 1927, le corps fut placé dans un nouveau cercueil, zingué, avec un rapport médical signé du professeur Armand Jouffroy et du docteur Balthazar Malkonien, tous deux de l’Université de Beyrouth, rapport qui attestait de la production par le corps de liquides. Le cercueil fut inhumé surélevé à la tête, afin que le liquide ne stagne pas sous le corps. Et la sépulture fut fermée par un épais mur de pierre. En 1950, des pèlerins remarquèrent un suintement au pied du mur qui fermait le tombeau. Le père supérieur du couvent fit rouvrir le tombeau, et constata que "l’extrêmité déclive du cercueil laissait suinter un liquide sanguinolent".
Le corps fut mis dans un nouveau cercueil, et le tombeau fut cimenté de nouveau. Le docteur Georges Choukrallah témoigne : "Après avoir examiné maintes fois ce corps intact, j’ai été toujours étonné de son état de conservation, et surtout de ce liquide rougeâtre qu’il suinte. C’est un phénomène si unique qu’aucun médecin n’en a peut-être vu de semblable." Et il ajoute : "Supposons que le liquide que suinte le corps par jour ne pèse que 1 gramme, ce qui fait, durant cinquante-quatre ans, 19 kilos 764 grammes. Or, la quantité moyenne du sang et d’autres liquides contenus dans le corps humain est de 5 litres. Le moins ne donne pas le plus, principe évident par lui-même ; mais le liquide rouge que déverse le corps du père Charbel dépasse de beaucoup un gramme par 24 heures. Une source aurait dû tarir si elle n’est pas alimentée depuis un demi-siècle."
Hubert Larcher émet quant à lui des réserves, car certes un corps contient près de 5 litres de sang, mais la quantité des autres liquides contenus dans le corps dépasse largement les 5 litres. Il démontre qu’un corps animal naturellement dessiqué perd 87,6 % de son corps frais. Il s’étonne seulement de la nature du liquide dégagé par le corps, mais les autorités ecclésiastiques n’ont pas autorisé la publication des rapports d’analyse.
Aujourd’hui, le corps du père Charbel est entièrement réduit à l’état de squelette, les multiples exhumations n’ayant pas été bénéfiques à la conservation du corps. Déjà en 1951, le professeur Théophile Maroun écrit à Hubert Larcher : "Il est en état de momification avec çà et là des pertes de substance." Et : "Tous les examens, toutes les analyses physiques, chimiques biologiques ont été pratiqués sur des prélèvements. Ils n’ont révélé aucune particularité qui ait mérité d’être retenue du point de vue scientifique."
De mon point de vue de thanatopracteur, ces conservations me paraissent donc tout à fait explicables avec les connaissances que la science contemporaine maîtrise. Hubert Larcher n’y voit pas non plus de phénomènes surnaturels. "Le sang peut-il vaincre la mort ?" est une bible pour tous ceux qui s’intéressent aux phénomènes de conservation des matières vivantes. Les explications, parfois un peu opaques pour nous, simples thanatopracteurs, sont le fruit du travail d’un passionné de thanatologie dont je vous recommande vivement la lecture.
Il existe de nombreux autres cas de conservations dites "miraculeuses", comme Catherine Labouré, Bernadette Soubirous ou Jean-Marie Vianney. Rappelez vous seulement le mot "intact", et posez-vous la question : Pourquoi la plupart de ces corps sont présentés avec un masque de cire ? La réponse est dans le sens même du mot "intact".

Benjamin Bonnaud
Thanatopracteur et formateur en thanatopraxie

Nota :
* Toutes les citations entre guillemets sont issues de "La mémoire du soleil, aux frontières de la mort", par le docteur Hubert Larcher.

Résonance n°128 - Mars 2017

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