Les conseillers funéraires seront bientôt tenus de donner des explications détaillées concernant les soins de conservation, lesquels devront être nommés ainsi et non "soins d’hygiène et de présentation", comme c’est souvent le cas, le but étant de garantir à la famille une information claire sur les prestations qu’elle commande.
Claire Sarazin, thanatopracteur et formatrice en thanatopraxie. |
Il est vrai qu’il n’est pas simple de trouver les mots justes pour parler de la thanatopraxie, surtout quand on a soi-même une connaissance très sommaire du procédé. Cela est malheureusement assez courant dans les pompes funèbres, parce que le sujet est abordé trop superficiellement dans les formations.
Commençons par le début…
Pour pouvoir expliquer, il faut d’abord comprendre. Le travail du thanatopracteur consiste à pratiquer des soins de conservation, c’est la terminologie exacte. Si l’on parle de soins d’hygiène et de présentation, on imagine un acte qui se rapprocherait d’une simple toilette, puisque la notion de conservation est absente. Bien sûr, il est plus facile de parler de présentation que de conservation, mais, même si l’intention, qui est de ménager la famille, est louable au départ, il s’agit au final ni plus ni moins que de tromperie.
La différence entre un soin de présentation et un soin de conservation est la même qu’entre un soin du visage et un lifting. Le second est plus efficace, mais forcément plus traumatisant. Ce qui est important, c’est de pouvoir opter pour l’un ou pour l’autre en toute connaissance de cause. L’honnêteté est essentielle, mais ne peut se passer du tact. Le but n’est pas d’épouvanter les familles, simplement de les informer correctement, en douceur et sans les infantiliser. Pour cela, le choix des mots est essentiel, et pour les trouver, il faut avant tout savoir de quoi l’on parle.
En quoi consistent réellement les soins de conservation ?
Balayons les idées reçues :
- "Le thanatopracteur remplace le sang par du formol." Non, pas du tout. Chez une personne vivante, le sang circule dans le corps et véhicule des éléments utiles à l’organisme, pour l’oxygéner, le nourrir et éliminer les déchets qu’il produit. Il n’est d’aucune utilité à un cadavre et il n’y a donc pas besoin de le remplacer par autre chose. La solution conservatrice injectée par le thanatopracteur, qui va déclencher un processus chimique avec les cellules du corps et ne restera pas longtemps à l’état liquide, n’a pas seulement pour fonction de passer dans les artères pour repousser le sang veineux, mais de s’en échapper par capillarité afin de se diffuser dans tout le corps. Le but est bel et bien d’enrayer le processus de décomposition.
- "Le thanatopracteur vide le sang." Non, ce sont les vampires qui vident les corps de leur sang, les thanatopracteurs drainent les fluides biologiques du corps, et ceci pour le débarrasser de toute source de prolifération bactérienne, les bactéries étant une des principales causes de la décomposition, de la formation de gaz, et donc d’écoulements et d’odeurs.
- "Le thanatopracteur maquille les morts." Non, même s’il se doit de maîtriser les bases de la cosmétique, le thanatopracteur n’est pas plus un coiffeur qu’une esthéticienne, mais un embaumeur. Bien sûr, son intervention n’aurait aucun intérêt si la présentation était bâclée, il s’occupe donc effectivement de la coiffure, du cosmétique et même des ongles, mais, sauf cas particulier, cela ne représente qu’une infime partie de son travail, que l’on appelle d’ailleurs "finitions", comme on dirait "dernière touche".
Ces éclaircissements étant apportés, voyons maintenant comment expliquer tout cela à une famille fraîchement endeuillée, et peut-être encore en état de choc. Prenons d’abord conscience du fait que, pour ses proches, le défunt n’est pas "un corps", mais leur père, leur mère, leur ami... Inutile donc de rentrer dans les détails du processus de décomposition pour les convaincre de l’intérêt des soins. Il suffit simplement de leur dire que ces derniers éviteront les transformations naturelles qui se produisent suite au décès, et qu’ils consistent à injecter une solution bactéricide et conservatrice et à drainer les fluides biologiques du corps. La vérité est énoncée clairement, mais sans choquer.
Les thanatopracteurs sont des embaumeurs, leur métier est de conserver les corps des défunts, c’est ce qu’ils apprennent durant leur formation théorique et pratique, et c’est ce qu’ils sont supposés faire lorsqu’une entreprise de pompes funèbres fait appel à eux. Une autre question peut cependant se poser : "Est-ce vraiment encore ce que l’on attend d’eux ?"
Conserver les corps est-il encore d’actualité ?
Il est vrai qu’il y a un réel problème de place dans les cimetières, et que la conservation à long terme ne présente aucun intérêt. "Le but des soins est de permettre à ses proches de veiller un corps dans de bonnes conditions d’hygiène et de sécurité, et de redonner au défunt un visage apaisé et apaisant." (C’est une phrase que je cite très souvent, mais elle est de moi) Sauf exception, la veillée funèbre n’excède pas quelques jours. Faudrait-il alors revoir la mission du thanatopracteur ? Si c’est le cas, c’est toute une profession, une science, un savoir-faire qui sont remis en cause.
Deux possibilités se dessinent :
- "De nouveaux fluides de conservation permettent de conserver un corps pendant quelques jours." Ce serait la solution idéale.
- "On demande aux thanatopracteurs de pratiquer de simples toilettes améliorées." Dans ce cas, il n’y a plus besoin d’un thanatopracteur, un agent de morgue ou de funérarium peut tout à fait s’en charger.
A-t-on encore besoin de la thanatopraxie ?
La question est ouverte. Après tout, d’autres professions ont disparu, sans que la face du monde en soit changée, comme les remmailleuses de bas ou les réparateurs de bicyclettes, par exemple. Dans ce cas, il faut tout revoir, y compris les textes de loi. On demande aux élèves thanatopracteurs de plus en plus de connaissances en médecine, avec le numerus clausus qui n’augmente pas, l’examen théorique est devenu un mur infranchissable. Qu’est-ce qui les attend vraiment au terme de ce parcours si difficile ? De quelle manière vont-ils pouvoir mettre en application toute cette belle théorie ?
Certes, la profession doit évoluer, les temps changent, et on ne pourra pas continuer éternellement à utiliser du formol. Mais, quelle direction va prendre la pratique des soins de conservation ? Ne serait-il pas temps d’y réfléchir sérieusement, de repenser les objectifs du soin ? Une réforme globale ne serait-elle pas nécessaire ?
Claire Sarazin
Thanatopracteur et formatrice en thanatopraxie
Résonance n°128 - Mars 2017
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