Si la thanatopraxie, qui fut longtemps considérée comme un "métier d’hommes", s’est considérablement féminisée au cours de la dernière décennie, elle reste néanmoins une profession dans laquelle le corps est mis à rude épreuve et qu’il est difficile de concilier avec une vie de famille.
Joëlle Bourgeois |
Joëlle Bourgeois, 38 ans, fait partie de cette nouvelle génération de femmes qui mènent de front leur carrière de thanatopracteur et leur rôle de mère. C’est après deux années de médecine à Toulouse, alors qu’elle visait la médecine légale, qu’elle découvre la thanatopraxie : "Je ne voulais pas faire de 3e année, j’ai donc bifurqué sur un BTS biochimie en alternance mais le patron qui devait m’accueillir m’a fait faux bond et je me suis retrouvée en septembre sans inscription à la fac et je ne savais pas quoi faire."
C’est alors qu’une amie étudiante l’appelle et lui dit : "J’ai trouvé ton futur métier !" Pour la première fois, Joëlle entend parler de la thanatopraxie. Renseignements pris, l’idée la séduit : "c’était travailler sur des corps humains, ce que je rêvais de faire depuis l’âge de 14 ans."
Son inscription à la faculté de médecine d’Angers se fait dans la précipitation, fin août pour septembre. Commence alors pour Joëlle un parcours semé d’embûches. Le psoriasis, une maladie de peau dont elle est atteinte, remet tout en question. Un médecin la met en garde et lui fait craindre que la médecine du travail ne lui interdise d’exercer à cause des plaques qui peuvent parfois présenter des plaies ouvertes. Elle s’accroche et termine sa formation : "J’ai eu la chance de rencontrer Michel Guenanten, un super prof."
Elle obtient sa théorie haut la main et entame la partie pratique avec comme formateurs Pascal Gasquez, Bernard Viguier, Martin Goyeneche et Dominique Barrier, ainsi que Stéphane Codet, qui lui permettra de faire quelques soins lors de sa deuxième année, après avoir été recalée une première fois à l’examen.
Son diplôme en poche, elle intègre tout d’abord l’entreprise HFMP, au sein de laquelle elle exerce durant six ans avant d’être embauchée chez Codet où elle restera trois ans. Devenue assistante funéraire depuis, elle est aujourd’hui employée dans une société de pompes funèbres du 65.
De son propre aveu, sa vie de famille a été très compliquée à gérer : "On ne compte pas ses heures, et bien souvent on rentre tard pour démarrer tôt. C’est ma fille, qui est âgée de 11 ans à présent, qui en a pâti le plus. C’est pour elle que j’ai changé d’entreprise. Elle a fait des crises d’épilepsie à répétition et je ne pouvais plus me permettre de partir travailler à trois heures de route. On m’a proposé ce poste et je l’ai accepté."
Assistante funéraire, thanatopracteur et "touche-à-tout très manuelle", Joëlle en profite pour s’adonner à une autre forme d’art : la réalisation de dessus de cercueils en compositions de fleurs artificielles.
Son problème de santé s’est pourtant accru ces derniers temps suite à une surdose médicamenteuse : "J’ai failli perdre mes deux reins, je me traite à présent par injections. Ma maladie ne m’a jamais empêchée de travailler depuis 11 ans malgré les avertissements de la médecine du travail mais j’essaie de me soigner car même si j’ai accepté mon problème de peau, les plaques et les squames, je finissais par ne plus supporter mes vêtements à cause des démangeaisons et des complications sont apparues, hypertension et rhumatismes articulaires."
La passion de son métier l’aide à surmonter toutes ces difficultés, ainsi que celle du reborn, qu’elle a découvert suite au décès de sa meilleure amie : "Je cherchais un elfe pour le déposer sur sa tombe. J’en ai trouvé un sur internet et en sympathisant et en discutant avec la personne qui l’avait sculpté, je me suis laissé convaincre d’essayer moi aussi. J’y suis parvenue et de fil en aiguille, j’ai découvert le reborning. Aujourd’hui je crée différemment des autres reborneuses, dans l’imaginaire ou dans le vrai, mais toujours à ma sauce. Cette passion, je m’y adonne entre midi et 14 h et le soir, parfois jusque tard dans la nuit et ça me permet de m’évader dans ma bulle et d’oublier tous mes soucis. Je suis juste concentrée sur mes idées. Le reborning m’aide dans mon métier pour la restauration faciale et les mélanges de couleurs. Les deux se rejoignent."
Au final, Joëlle réussit à tout concilier "mais les journées devraient durer 48 h ou alors il faudrait pouvoir se dédoubler."
Cette jeune mariée pleine de courage et d’enthousiasme a une certaine philosophie de la vie : "pour vivre heureux, il faut savoir comprendre qui l’on est réellement et ne pas se mettre de barrières. Il faut foncer et au final un jour ou l’autre, on est reconnu par les autres tel que l’on est. Je suis telle que je suis et je ne changerai pour personne. Être soi devant les autres est beaucoup mieux que de se cacher ou de faire croire à autre chose."
Claire Sarazin
Thanatopracteur
Résonance n°113 - Septembre 2015
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