Nous avons tous des rêves et nous faisons tout pour les réaliser. Lorsque l’on a l’avenir devant soi, tout paraît possible et pourtant, lorsque le handicap s’en mêle, les obstacles s’accumulent jusqu’à sembler parfois infranchissables. Il faut alors redoubler de courage et travailler bien plus dur pour y arriver.
Christelle |
Christelle a 37 ans, elle a été reçue aux épreuves théoriques du diplôme de thanatopracteur en 2013 et prépare à présent sa pratique chez Hygeco Rhône-Alpes. À première vue, aucun signe distinctif ne la différencie des autres élèves, mais cette jeune femme souffre d’une déficience auditive de 97 %, ce qui lui interdit toute conversation téléphonique. Le téléphone, objet par excellence indispensable au thanatopracteur … Toujours souriante et plus motivée que jamais, Christelle m’a raconté son parcours, celui d’une combattante.
C’est à l’âge de 9 ans, après une perte auditive de 50 %, passée inaperçue car elle était bonne élève, que Christelle a été appareillée pour la première fois : "J'ai perdu mon audition de façon progressive. J'avais, à l'insu de tous, adopté une compensation au handicap, notamment par la lecture labiale, qui me permettait de communiquer sans problèmes majeurs. Après mon appareillage bilatéral, j'ai perdu peu à peu toute mon audition au moment de la puberté, puis tout s'est stabilisé vers l'âge de 24/25 ans. Je m'exprime très bien, vu que la perte d'audition est survenue après la période d'apprentissage du langage".
S’il est vrai que son handicap n’est pas perceptible lorsqu’on discute avec elle, car elle lit parfaitement sur les lèvres, il a pourtant entravé ses projets : "Concernant mes études et ma carrière professionnelle, bien sûr que comme tout enfant, j'avais déjà de grands projets avant même d'être appareillée. Confrontée très tôt au décès de ma grand-mère, et nourrie de téléfilms tels que "Dr Quincy", j'ai caressé le rêve de devenir médecin légiste. Avec mes problèmes d'oreilles, cela s'est avéré difficilement envisageable mais pas impossible. Seul l'avenir me le dirait..."
Au fil de sa scolarité, son handicap s'aggravant, Christelle a réalisé qu’elle devrait certainement revoir ses ambitions professionnelles à la baisse : "Je me suis malgré tout accrochée afin de pouvoir au moins suivre une scolarité en milieu ordinaire. J'ai obtenu mon brevet des collèges puis mon baccalauréat Sciences-Médico-Sociales et ensuite je me suis orientée en IFSI (école d'infirmière) car le milieu médical est resté mon centre d'intérêt, en me disant que peut-être un jour, cela me permettrait de me réorienter vers le milieu du funéraire ou au moins vers un poste qui touche aux défunts comme assistant légiste ou à la morgue ou je ne sais quoi d'autre..."
Mais là encore, tout ne se déroule pas comme prévu : "Je n'ai pas pu continuer la formation d'infirmière, mon handicap posait trop de difficultés aussi bien sur les lieux de stage (pas de réponse au téléphone, les sonnettes des patients difficilement perçues...) qu'en cours (amphi de 120 personnes, difficulté à suivre les cours au micro...) Et aussi, faut-il le dire, l'intolérance à laquelle j'ai souvent été confrontée. J'ai donc arrêté au bout d'un an, consciente que je n'arriverais pas jusqu'au diplôme d'État dans ces conditions, et que je perdais mon temps. J'ai fait une formation d'aide-soignante en IFAS de la COTOREP, et obtenu mon DPAS en 2000".
Un an après son diplôme, à l'âge de 24 ans, Christelle, qui n’abandonne pas ses rêves, se remet en tête de travailler dans le milieu funéraire. "J’ai postulé dans des morgues avec mon DPAS, en vain. Et puis je me suis souvenue du monsieur qui était venu "faire des piqûres de formol" à ma grand-mère pour la conserver après son décès quand j'avais 5 ans. Je me suis alors renseignée sur le métier de thanatopracteur mais le coût de la formation m'était inaccessible. Ma maman m’a dit alors : "Tu travailles, tu mets des sous de côté et un jour quand tu auras assez d’économies, tu feras cette école." Et je me suis mise à travailler dans l'objectif de reprendre mes études. Mais la routine s'est installée et j'ai "oublié"...
Son projet remisé dans un coin de sa tête ne la quitte pourtant pas : "Un beau jour de mai 2010, je suis allée au CIO en sortant du travail. J'ai pris mes renseignements, je me suis inscrite à la fac de Lyon et voilà ! Pour suivre les cours correctement, je me suis toujours bien placée devant, j’ai prévenu mes professeurs, demandé de l'aide à mes collègues de promo, que je remercie, pour rattraper une phrase perdue en vol et j'ai acheté une multitude d'ouvrages afin d’y trouver les infos que je pouvais louper lors des cours. Ma formation de soignante m'a également beaucoup aidée".
Des efforts qui ont payé, puisque Christelle a obtenu son examen théorique en 2013. Une fois cette épreuve passée, restait le problème du stage pratique. Les élèves thanatopracteurs le savent bien, trouver un maître de stage est compliqué, alors quand le problème du handicap se rajoute, cela devient le parcours du combattant. Après bien des mois de recherche, une entreprise lui ouvre ses portes : Hygeco Rhône-Alpes, où Denis Gilotin, en accord avec Mickael Da Silva, relève le défi de la prendre comme stagiaire : "Pour mon stage pratique, j'ai rencontré une équipe très tolérante vis-à-vis de mon handicap, et un maître de stage formidable, Marie Séris.
Certes, je ne pouvais pas répondre au téléphone, mais heureusement d'autres outils de communication existent tels que SMS, mails... J'ai expliqué que la communication devait se faire ainsi, et je n'ai pas rencontré de difficultés car tout le monde a bien compris et accepté et nous communiquions par textos. Je tiens à remercier du fond du cœur cette équipe qui a accepté ce que j’appelle "la contrainte du SMS".
Christelle arrive désormais en fin de formation : "Je vais passer ma pratique d'ici quelque temps. Mon désir à présent, avec l'expérience que j'ai pu acquérir lors de mon stage, est de travailler dans une équipe où il y a un secrétariat qui "fait le relais" et qui m'envoie les infos utiles par SMS. Pour le moment, être indépendante me paraît trop compliqué car je ne peux gérer seule des appels téléphoniques émanant des pompes funèbres ou des familles".
Après tant d’épreuves surmontées avec brio, nul doute qu’elle trouvera une place rapidement. Sans se départir de son beau sourire, Christelle conclut par ces mots : "Je suis heureuse de ne pas avoir renoncé à mes projets, même à 37 ans, car je me sens enfin épanouie dans cette voie professionnelle. Si mon expérience de "handicapée" pouvait être utile, à ne serait-ce qu'une personne, alors j'en serais ravie".
Claire Sarazin,
thanatopracteur.
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