Est ici proposée une réponse à une question posée par un professionnel concernant le scellement d'une urne sur un monument édifié sur une concession funéraire de famille. Peut-on faire enlever une urne scellée sur un monument funéraire ?
Question posée
L’urne cinéraire d’un défunt a été, selon ses volontés, posée et scellée par les pompes funèbres sur la pierre tombale de ses parents. Son frère a demandé aux enfants du défunt d’enlever cette urne de la pierre tombale, arguant du fait que les cendres devaient revenir à l’épouse et aux enfants du défunt, à charge pour eux d’acquérir une concession funéraire qu’ils ne possédaient pas jusqu’alors. La question du client est de savoir si la loi lui donne le droit de poser et sceller l’urne cinéraire sur la pierre tombale des parents du défunt, si telles étaient ses volontés, et ce malgré le refus de son frère.
Réponse proposée
Par principe, la loi du 15 novembre 1887 impose le respect de la volonté du défunt dès lors que l’ordre public est respecté.
Le respect de la volonté du défunt
En effet, selon l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887, tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, a le droit "de régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture" (sur la validité des dispositions testamentaires concernant les funérailles et le respect de la volonté du défunt, v. D. Dutrieux, "Opérations funéraires" : JurisClasseur Administratif, Fasc. 150-30, § 5 ; M. Perchey, "La liberté des funérailles, une liberté limitée" : AJDA 2008, 1310 ; J.-F. Boudet, "La liberté des funérailles : Droits et religions" - Annuaire 2010-2011, P.U. Aix-Marseille 2011, p. 183 ; C. Bahurel, "Les volontés des morts" : coll. Bibliothèque de droit privé ", tome 557, LGDJ 2014 [spéc. p. 52-71]). Cette liberté est protégée par le Code pénal qui érige en délit le non-respect de la volonté du défunt (C. pén., art. 433-21-1). Les auteurs s’accordent à considérer qu’il s’agit d’une liberté de rang constitutionnel (un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; B. Genevois, "Une catégorie de principes de valeur constitutionnelle : les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" : RFDA 1998 p. 477 ; B. Beigner et Y. Puyo, "Respect et protection du corps humain – Le mort" : JurisClasseur Civil, Fasc. 72, n° 10).
Par ailleurs, le Conseil d’État, après avoir reconnu dans cette loi un droit qui s’étend aux membres de la famille de régler les conditions des obsèques en l’absence de dispositions prises par le défunt (CE, 1er juillet 1970, n° 75091, Association des conseillers funéraires : Rec. CE 1970, p. 445), a jugé qu’elle s’inscrivait dans le cadre des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 9 (liberté de conscience) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CE, 6 janvier 2006, n° 260307 : AJDA 2006, p. 757, note L. Burgorgue-Larsen ; Defrénois 2006, n° 38354, note H. Popu ; "[…] qu’en vertu des articles 8 et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le choix du mode de sépulture, qui est intimement lié à la vie privée et par lequel une personne peut entendre manifester ses convictions, peut faire l’objet de restrictions notamment dans l’intérêt de l’ordre et de la santé publics […]"). Dès lors que les volontés ont été exprimées, elles doivent être respectées.
Pas de formalisme testamentaire
Le juge civil a évidemment considéré que, même en l’absence de la forme testamentaire visée par la lettre de la loi du 15 novembre 1887, les volontés exprimées par le défunt devaient être respectées (Cass. 1° civ., 9 novembre 1982 : JCP N 1983, prat. 8870 ; Rép. min. n° 51059, JOAN Q, 3 nov. 2009, p. 10468 ; v. D. Dutrieux et S. Fromont, "L’organisation des funérailles" dans D. Dutrieux [dir.], "Guide des opérations et services funéraires" : Weka 2012, Partie 1, Chapitre 3/1, p. 6). Le défunt peut donc avoir fait des déclarations devant les membres de sa famille (Cass. 1° civ., 17 févr. 1982 : D. 1982, J. p. 81), ou acheté une concession funéraire (Cass. 1° civ., 5 avr. 1993, pourvoi n° 91-11.040 : JurisData n° 1993-000743), le juge judiciaire ayant indubitablement développé une jurisprudence "contra legem", déchargeant du formalisme testamentaire la détermination des dernières volontés, ou la renonciation à celles-ci (C. Bahurel, "Les volontés des morts", ouvrage précité, p. 57 et 59).
Les destinations des cendres
Par ailleurs, les dispositions de l’alinéa 2 de l’art. L. 2223-18-2 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) prévoient effectivement que l’urne cinéraire peut être scellée sur un monument funéraire (v. notamment D. Dutrieux, "Destination des cendres : un opportun rappel du ministère de
l’Intérieur", obs. sous Rép. min.
n° 55580, JOAN Q 22 juin 2010 : JCPN, n° 42, 22 octobre 2010, 1326, p. 29).
Les droits égaux des membres de la famille sur la concession
Enfin, nous supposons que les parents du défunt avaient acquis cette concession à titre de concession de famille. Dès lors, tant le défunt ainsi que son frère possèdent des droits identiques sur la concession funéraire, nous ne voyons pas sur quel fondement le frère vivant peut s’opposer au scellement
(v. notamment D. Dutrieux, "Les concessions funéraires en dix questions" : Conseils des notaires, n° 419, octobre 2012, p. 33 ; v. également D. Dutrieux, "La dernière place du caveau"… : Dr. famille, février 2014, étude 2, p. 8).
Conclusion
Dès lors qu’il s’agissait de la volonté du défunt, le frère ne peut en aucun cas obliger ses neveux et nièces voire la veuve de son frère à changer la sépulture du défunt constituée par le scellement qui est, comme il a été précisé, expressément autorisé par les dispositions de l’art. L. 2223-18-2 du CGCT.
Damien Dutrieux,
consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
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