Damien Dutrieux, consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l'Université de Lille 2. |
Le ministère de l’Intérieur opère, dans une récente réponse ministérielle, un intéressant rappel de la distinction entre le droit à l’inhumation et le droit à concession dans un cimetière communal. Néanmoins, la conclusion de cette réponse appelle quelques observations, en ce sens que le ministère semble s’écarter de la jurisprudence administrative.
Comme le rappelle le ministère de l’Intérieur dans la réponse écrite reproduite en annexe, il importe de ne pas confondre le droit à être inhumé dans un cimetière et le droit à y obtenir une concession (sur ce point, D. Piveteau, concl. sur CE, sect., 5 décembre 1997, commune de Bachy c/Saluden-Laniel, AJDA 1998, p. 258- D. Dutrieux, "La distinction entre droit à inhumation et droit à concession", Les Petites Affiches 28 septembre 1998, p. 7). Le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) distingue, en effet, l'obligation pour la commune d'inhumer (l'inhumation visée par ce texte est une inhumation en terrain commun) certaines personnes (CGCT, art. L. 2223-3) et la faculté pour la commune d'accorder des concessions dans son cimetière (CGCT, art. L. 2223-13). Or, de nombreuses communes ont considéré qu'avaient seules la possibilité d'obtenir une concession funéraire dans le cimetière communal les personnes disposant du droit à y être inhumées.
Pas de bénéficiaire désigné dans le Code
Cependant, l'article du Code relatif à la délivrance des concessions (CGCT, art. L. 2223-13) n'indique pas, comme le relève à juste titre le ministre dans sa réponse écrite, quelles sont les personnes auxquelles est ouverte cette possibilité. De nombreuses communes d'ailleurs délivrent des concessions à des personnes ne bénéficiant d'aucun droit à inhumation (le juge refuse toutefois que les communes instituent un "droit d'entrée" en augmentant le prix de la concession pour les personnes non domiciliées sur leur territoire (CE, 10 décembre 1969, commune de Nerville-la-Forêt, Rec. CE 1969, p. 564).
Le Conseil d'État distingue très nettement les deux droits et ne semble considérer comme seul motif valable dans tous les cas pour refuser l'octroi d'une concession que l'absence de place disponible dans le cimetière (CE, sect., 5 décembre 1997, commune de Bachy c/Saluden-Laniel, cité supra n° 64). De même, le juge refuse que la délivrance des concessions soit uniquement réservée aux habitants de la commune (TA Orléans, 31 mai 1988, Cortier, cité dans D. Dutrieux, "Opérations funéraires" , JurisClasseur administratif, fasc. 150-30, § 170). Outre la question de l'existence d'emplacements disponibles, on peut admettre que, dès lors que le postulant démontre un certain lien avec la commune dans le cimetière de laquelle il sollicite une concession, le maire est tenu de lui octroyer une parcelle (Rép. min. n° 38996 : JOAN Q, 13 mars 2000, p. 1670). Le juge administratif condamne la commune à indemniser le préjudice moral et le préjudice matériel résultant d'un refus illégal d'une concession (CAA Marseille, 20 mai 1998, n° 96MA00906, commune de Saint-Étienne du Grès).
Motivation du refus
Il importe de rappeler que le refus opposé par le maire de délivrer une concession dans le cimetière communal doit être motivé (Rép. min. n° 38996, préc.), et que ce refus et sa motivation pourront faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif, qui appréciera donc la validité des arguments justifiant le refus. La cour administrative d'appel de Douai est venue apporter une intéressante précision en rejetant un recours visant à annuler le refus opposé par une commune à une demande de délivrance d'une concession. Alors que le pétitionnaire jouissait de la qualité lui permettant d'obtenir une concession, cette dernière pouvait, selon le juge, lui être refusée puisqu'il possédait déjà quatre concessions dans le cimetière communal et que celles-ci étaient inoccupées. Dès lors, outre l'existence d'emplacements disponibles, il ne suffit pas d'avoir droit à inhumation dans un cimetière pour obtenir une concession, il importe qu'éventuellement le demandeur démontre également l'utilité de la sépulture sollicitée (CAA Douai, 14 février 2001, n° 97DA02255, Robert Coudeville).
Contrôle de l’absence de place
Le juge administratif saisi d'un recours contre un refus d'attribuer une concession procède à une analyse minutieuse de l'effectivité de l'absence de place disponible dans le cimetière lorsque ce moyen est invoqué à l'appui du refus. Dès lors qu'existent encore des emplacements non attribués, le refus sera annulé (CAA Marseille, 6e ch., 15 novembre 2004, n° 03MA00490, "Collectivités-Intercommunalité 2005", comm. 28, note D. Dutrieux), le juge n'hésitant pas à adresser injonction à l'administration de délivrer une concession (TA Châlons-en-Champagne, 21 septembre 2004, n° 0102606 : "Collectivités-Intercommunalité 2005", comm. 122, note D. Dutrieux).
La volonté du défunt est insuffisante pour autoriser l'inhumation, puisqu'il convient qu'existe également un droit à l'inhumation (Cass. 1re civ., 6 janv. 2004, n° 01-14.226, RGCT juill.-août 2003, p. 753, note D. Dutrieux).
Le Gouvernement avait consacré dans son ordonnance n° 2005-855 du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires le droit pour l'urne contenant les cendres issues de la crémation d'être inhumée dans une concession funéraire. Même si la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 a modifié les dispositions du premier alinéa de l’art. L. 2223-13 du CGCT sur ce point, le principe demeure applicable (et se trouve rappelé dans le (Code) CGCT, art. L. 2223-18-2) et les communes ne peuvent s’opposer à l’inhumation d’une urne dans une concession de famille, voire l’acquisition d’une concession traditionnelle afin de n’y inhumer, dans un premier temps, qu’une urne.
Bonne gestion du cimetière
C’est sur ce dernier point que la réponse ministérielle est surprenante.
Il a en effet été jugé qu’un maire peut, dans un souci de bonne gestion du cimetière, légalement refuser à quatre membres d'une même famille l'octroi d'une concession funéraire aux dimensions manifestement excessives au regard de l'équipement public et des "besoins" des requérants (CE, 25 juin 2008, n° 297914, Consorts Schiocchet, AJDA 2008, p. 2229, note I. Savarit-Bourgeois ; D. Dutrieux, "La bonne gestion du cimetière", JCP A 2008, 2192). Néanmoins, le juge n’a pas validé le refus d’une concession, mais le refus d’une concession aux dimensions manifestement excessives.
C’est pourquoi il importait de préciser cet élément afin que la réponse ministérielle ne soit pas mal comprise par les communes.
Damien Dutrieux,
consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
Annexe :
Réponse du ministère de l'Intérieur publiée dans le JO Sénat du 10/10/2013 – page 2979
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