Le décret du 23 prairial an XII, à l’origine du droit des concessions funéraires se trouve également être "l’inventeur" du terrain commun.
Le décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) constitue encore le fondement des grands principes de la législation applicable au cimetière, puisque les règles aujourd’hui codifiées dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) n’ont été finalement que peu modifiées.
Une sépulture individuelle gratuite
Outre la "publicisation" des cimetières (R. Auzelle, "Dernières demeures", imprimerie Mazarine, Paris, 1965, p. 84) et l’obligation imposée dans l’art. 2 (obligation reprise dans l’art. L. 2223-1 du CGCT) d’avoir des terrains spécialement consacrés à l’inhumation des morts, deux innovations notables et paraissant contradictoires figurent dans le décret du 23 prairial an XII : l’existence d’une sépulture individuelle gratuite (le terrain commun), et, celle de pouvoir acquérir des concessions funéraires facultativement délivrées par les communes. Évidemment, l’art. 1er du décret du 23 prairial an XII prohibe désormais l’inhumation dans les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement dans tout édifice clos et fermé où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, et dans l'enceinte des villes et bourgs.
Les sépultures en terrain commun
Doivent être ici relevés trois articles du décret de prairial an XII. Les articles 4, 5 et 6 disposent en effet :
Art. 4 : "Chaque inhumation aura lieu dans une fosse séparée ; chaque fosse qui sera ouverte aura un mètre cinq décimètres à deux mètres de profondeur, sur huit décimètres de largeur et sera ensuite remplie de terre bien foulée".
Art. 5 : "Les fosses seront distantes les unes des autres de trois à quatre décimètres sur les côtés, et de trois à cinq décimètres à la tête et aux pieds".
Art. 6 : "Pour éviter les dangers qu'entraîne le renouvellement trop rapproché des fosses, l'ouverture des fosses pour de nouvelles sépultures n'aura lieu que de cinq années en cinq années ; en conséquence, les terrains destinés à former les lieux de sépulture seront cinq fois plus étendus que l'espace nécessaire pour y déposer le nombre présumé des morts qui peuvent y être enterrés chaque année".
Le "premier" mode d’inhumation prévue par ce décret est donc une inhumation en service ordinaire - qui est le seul mode obligatoire pour la commune (principe d’ailleurs encore rappelé par le juge aujourd’hui : CAA Nancy, 27 mars 2003, n° 98NC000275, Lemoine : Collectivités – Intercommunalité 2003, comm. 170 obs. D. Dutrieux) - c’est-à-dire dans des terrains (est utilisée l’expression de "terrain commun" malgré la "détestable" allusion à la fosse commune de l’Ancien Régime) mis gratuitement à la disposition de personnes par la commune. Ces personnes ne sont pas déterminées par le texte du décret, mais il est clair qu’à l’époque la majorité des décès ayant lieu à domicile, il s’agit essentiellement des habitants de la commune (alors qu’elles sont expressément visées aujourd’hui dans l’art. L. 2223-3 du CGCT [personnes décédées sur le territoire de la commune (quel que soit le domicile du défunt), celles qui y sont domiciliées quel que soit le lieu de leur décès, les personnes qui ont droit à une sépulture de famille dans laquelle une inhumation supplémentaire n’est pas possible, et les Français de l’étranger inscrits sur la liste électorale de la commune]).
Le délai de rotation
Cette sépulture connaît une durée limitée, appelée délai de rotation, avec un délai minimal de cinq années (art. 6 du décret [repris à l’art. R. 2223-5 du CGCT]). Cette inhumation en service ordinaire constitue, en théorie, le droit commun des inhumations. Il est néanmoins, dans la très grande majorité des cas, limité aux "indigents" et aux personnes non réclamées par leurs familles.
Ces sépultures, afin d’éviter que ces terrains ne soient "indisponibles" trop longtemps - et que s’imposent donc à la commune des obligations de monopoliser d’importantes surfaces pour l’inhumation des morts - sont susceptibles d’être reprises. Cette procédure est ignorée par les textes à l’époque (mais également aujourd’hui !).
Le terrain commun est donc constitué d’emplacements individuels destinés à accueillir gratuitement les corps pour une durée minimale de cinq années, c’est-à-dire le temps théoriquement nécessaire à la nature pour accomplir son œuvre.
Un terrain nullement réservé aux "indigents"
Parce qu’il est le plus souvent utilisé pour l’inhumation des personnes dépourvues de ressources suffisantes, ce terrain commun est parfois dénommé en pratique aujourd’hui "carré des indigents" (le juge administratif lui-même emploie cette expression ; TA Lille, 11 mars 1999, Kheddache c/ Cne Maubeuge : AJDA 1999, p. 1026, note D. Dutrieux). Il demeure que le terrain commun n’est nullement réservé à ces personnes, mais est susceptible d’accueillir toute personne ayant droit à inhumation dans le cimetière communal.
Un seul corps, après mise en bière (indirectement mais nécessairement imposée par l’art. 25 du décret du 23 prairial an XII), peut être inhumé par fosse (sauf, naturellement, quand plusieurs corps sont admis dans le même cercueil ; c’est-à-dire : les corps de plusieurs enfants mort-nés de la même mère ou d’un ou plusieurs enfants mort-nés et de leur mère également décédée). Les dimensions de la sépulture sont précisément définies dans le décret (ces dimensions sont toujours applicables aujourd’hui ; CGCT, art. R. 2223-3 et R. 2223-4).
Une procédure de reprise non réglementée
La reprise de ces sépultures (a priori décidée par délibération du conseil municipal qui charge le maire de son exécution) s’opère par un arrêté du maire affiché aux portes de la mairie et du cimetière, et notifié aux membres connus de la famille. Cet arrêté précise la date de la reprise effective et le délai laissé aux familles pour récupérer les objets déposés sur la sépulture (CE, 29 avr. 1957, Despres : Rec. CE 1957, tables, p. 874). Dans ce délai, la famille peut également décider le transfert du corps dans une autre sépulture ou sa crémation. Interviendra ensuite la reprise matérielle de la sépulture et les restes seront transférés à l’ossuaire ou incinérés. Il importe de relever que cette procédure de reprise est ignorée du décret (et d’ailleurs aujourd’hui encore du CGCT). Néanmoins, le ministre de l’Intérieur (Rép. min. n° 36690, JOAN Q 9 déc. 1990, p. 5094, citée dans H. Popu, "La dépouille mortelle, chose sacrée", coll. "Logiques juridiques", L’Harmattan 2009, p. 303, note 1001), rappelle les règles ci-dessus décrites sans toutefois mentionner l’origine de l’obligation de prendre un arrêté, obligation née d’une très ancienne jurisprudence pénale (Cass. crim. 3 oct. 1862, Chapuy, Bull. crim. 1862, II, p. 908).
Le droit des familles particulièrement limité
Les familles ne disposent d’aucun droit sur les terrains mis à leur disposition (Rép. min. n° 36688, JOAN Q 21 sept. 1992, p. 4372, citée par H. Popu, ouvrage précité, p. 302, note 999), qui seront repris par la commune pour d’autres inhumations, à l’issue d’un délai de rotation. Le minimum du délai de rotation est fixé à cinq années, mais peut être augmenté en fonction de l’avis donné par l’hydrogéologue lors de la création du cimetière, ou si, lors de l’ouverture de la fosse, le corps est trouvé intact.
Tout particulier peut cependant, sans autorisation, faire placer sur la fosse d’un parent ou d’un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture (selon l’art. 12 du décret du 23 prairial an XII, repris au CGCT, art. L. 2223-12).
Damien Dutrieux,
consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
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