La tradition française en matière de funérailles est marquée par une forte publicisation puisque, après l’instauration du monopole communal des lieux d’inhumation au début du XIXe siècle (décret du 23 prairial an XII), c’est encore aux communes que fut confié, sous la forme d’un monopole, le service extérieur des pompes funèbres (loi du 28 décembre 1904). Si ce dernier monopole a laissé la place à une libre concurrence entre opérateurs habilités avec l’adoption de la loi Sueur (loi du 8 janvier 1993), ce texte n’a nullement eu pour objet d’écarter de ce secteur les communes, qui peuvent, notamment, poursuivre l’exécution de ce service à destination des familles par le maintien ou l’organisation de régies, le recours à l’intercommunalité, voire l’économie mixte.
Il y a vingt années, est intervenue une profonde réforme du service extérieur des pompes funèbres par la loi n° 93-23 du 8 janv. 1993, modifiant le titre VI du livre III du Code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire, dite loi Sueur, à l’époque secrétaire d’État aux collectivités locales (G. d’Abbadie et G. Defarge [dir.], "Opérations funéraires - Une nouvelle donne pour les communes", Imprimerie nationale 1998, 393 pages). S’il existe une libre concurrence entre opérateurs habilités sur l’ensemble du territoire depuis le 10 janv. 1998 (une période transitoire de cinq années était prévue par la législateur pour les régies communales), ne sont nullement remises en cause par la loi les missions fondamentales qui ressortent de la compétence des personnes publiques (M.-T. Viel, "Droit funéraire et gestion des cimetières", 2e éd. Berger-Levrault, 1999, p. 29). Seul est abandonné un monopole - celui des pompes funèbres - qui, en pratique, n’était d’ailleurs plus respecté. La mention expresse du caractère de service public du service des pompes funèbres ainsi que le caractère exclusivement public des cimetières viennent, s’il en était besoin, rappeler la place essentielle que doivent tenir les collectivités locales dans ce domaine, et semble indispensable l’émergence d’un véritable pôle public du funéraire. Ce texte n’a nullement eu pour objet d’écarter de ce secteur les communes, qui peuvent, notamment, poursuivre l’exécution de ce service à destination des familles par le maintien ou l’organisation de régies, le recours à l’intercommunalité, voire l’économie mixte.
Service public industriel et commercial
Les apports de ce texte sont tout à fait remarquables (voir D. Dutrieux, "Les vingt ans de la loi Sueur - Bilan critique", La Gazette des communes, n° 2155, 7 janv. 2013, p. 52). Le service extérieur des pompes funèbres, jusqu’alors service public administratif (TC, 20 janv. 1986, ville de Paris c/ SA Roblot et Bouissoux, Rec. CE, p. 298), devient un service public industriel et commercial, pour l’exercice duquel existe une libre concurrence entre les régies, associations et entreprises titulaires d’une habilitation délivrée par le préfet. La loi n° 93-23 du 8 janv. 1993 a également donné une définition précise de ce service public (art. L. 2223-19 du Code Général des Collectivités Territoriales - CGCT), qui est en effet devenu un service public industriel et commercial (CE, avis, 19 déc. 1995, cité dans la Circ. ministère de l’Intérieur, n° 96-10030, 14 mai 1996 relative au statut des régies municipales de pompes funèbres).
La profession est mieux organisée par de nouvelles obligations notamment en termes de formation mais également par l’institution d’un Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF). Le service extérieur des pompes funèbres voit son contenu précisément défini à l’art. L. 2223-19 du CGCT. Les textes font disparaître un second monopole, celui des chambres funéraires, dont la création reste néanmoins soumise à autorisation préfectorale (CAA Douai, 23 déc. 2011, n° 11DA00629 ; CAA Nancy, 29 mars 2012, n° 11NC00235).
Habilitation préfectorale
Pour exercer cette mission de service public, les opérateurs doivent être titulaires d’une habilitation délivrée par le préfet. Le législateur a pris soin de garantir par ce biais à la fois la moralité des opérateurs et leur compétence (notamment par des obligations en matière de formation, qui s’imposent pour l’obtention de l’habilitation, TA Lille, 30 déc. 2003, n° 00-327, Andrée S. c/ préfet région Nord-Pas-de-Calais, préfet Nord, JCP A 2004, 1427, obs. D. Dutrieux). Cette obligation vise à la fois les opérateurs privés (associations et entreprises) et les opérateurs publics (régies), ce qui s’explique par la nécessité d’assurer le respect de la libre concurrence. Des sanctions pénales sont spécialement prévues dans le CGCT pour les opérateurs exerçant la mission de service public définie à l’art. L. 2223-19 sans être titulaires de l’habilitation, ou qui viendraient, dans l’exercice de cette mission, à fausser la libre concurrence, par des pratiques déloyales. De même, le préfet peut prononcer des sanctions administratives en suspendant ou en retirant l’habilitation (CAA Lyon, 26 mai 2009, 06LY02229).
Obligation de neutralité
La loi Sueur posera également le principe d’une obligation de neutralité pour les services communaux de l’état civil qui se trouvent généralement, avec les services hospitaliers, les premiers interlocuteurs des familles des défunts. L’information délivrée aux familles ne doit pas avoir pour effet de les orienter vers un opérateur déterminé et doit consister dans l’affichage et la possibilité de consulter la liste des opérateurs habilités, la délivrance d’une copie de cette liste établie par la préfecture, ou la remise d’un livret constitué par la commune et contenant des informations sur les différentes démarches qu’implique un décès, voire de devis-types. Ces mêmes obligations s’imposent d’ailleurs également aux établissements de santé, et aussi aux entreprises gérant des chambres funéraires (CA Lyon, 15 mai 2003, JCP A 2003, 1876, note D. Dutrieux).
Monopole pour les crématoriums
Enfin, la loi n° 93-23 viendra créer un nouveau monopole au profit des communes et établissements publics de coopération intercommunale, puisque la création d’un crématorium et sa gestion (directement par la personne publique ou sous la forme d’une délégation de service public) ressortent nécessairement d’une initiative publique.
Plus généralement, la loi Sueur a été à l’origine de la rédaction de nombreux textes (décrets, arrêtés et circulaires) dont deux des principaux acteurs ont pris l’heureuse initiative de les réunir dans un précieux recueil, enrichi de réponses ministérielles et de jurisprudences ; une nouvelle édition est d’ailleurs annoncée pour la fin de l’année 2013 (G. d’Abbadie et C. Bouriot, Code pratique des opérations funéraires : 3e éd. Le Moniteur 2004).
Damien Dutrieux,
consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
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