Une récente proposition de loi (n° 225), déposée le 26 septembre 2012 sur le bureau de l’Assemblée nationale, vient, par l’ajout d’une disposition dans le Code général des collectivités territoriales (futur nouvel art. L. 2223-51, article unique de la nouvelle sous-section 7 intitulée "Prélèvement sur compte du défunt"), autoriser le prélèvement sur le compte bancaire d’une personne décédée pour le paiement des frais d’obsèques dans la limite d’une somme arrêtée par le ministre de l’Intérieur.
Damien Dutrieux, consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.
Les frais d’obsèques : une charge successorale
Il est possible de rappeler que les frais d’obsèques sont analysés par le droit civil comme des frais liés à la succession de la personne décédée. L’élément manifeste de cette qualification de charge successorale des frais funéraires se retrouve dans l’existence d’un privilège général sur les meubles institué par l’art. 2331.2° du Code civil (privilège situé en deuxième position après les frais de justice). Toutefois, seules les dépenses strictement nécessaires pour l’inhumation sont privilégiées et la détermination de ces dépenses implique la prise en compte de la position sociale et de la fortune apparente du défunt. Ainsi, à l’exception de ce qui est traditionnellement qualifié de dépenses somptuaires, la personne qui a, de sa propre initiative, pris en charge les obsèques d’un proche, pourra en obtenir le remboursement en priorité par rapport aux autres créanciers du défunt grâce à ce privilège général sur les meubles (V. notamment : D. Dutrieux, "Les frais d’obsèques" : JCP N 1999, p. 1771).
L’obligation alimentaire
Si les forces de la succession sont insuffisantes, les héritiers tenus à l’obligation alimentaire devront assumer ces frais, y compris en cas de renonciation à la succession. Longtemps posé par la jurisprudence (Cass. 1re civ., 14 mai 1992 : Bull. civ. I, n° 140, p. 95), ce principe est aujourd’hui contenu dans le Code civil (art. 806), étant précisé que l’organisation et le paiement des obsèques ne valent pas acceptation tacite de la succession (art. 784).
La proposition issue de parlementaires de l’opposition permet donc non pas de créer un nouveau dispositif - puisque, dans la pratique, nombreux sont les établissements bancaires qui acceptent de libérer ainsi des fonds - mais de donner enfin une base légale à ce prélèvement. En effet, comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition (ci-après), la pratique bancaire actuelle qui se fonde "indirectement sur une instruction de la Direction de la comptabilité publique du 31 mars 1976 visant les comptes de dépôt ouverts par les particuliers auprès du Trésor public et devenue sans objet depuis le 31 déc. 2001, date à laquelle les comptables du Trésor ont définitivement mis fin à la gestion de comptes de particuliers, est dépourvue de toute base légale, ce qui peut être de nature à conduire les établissements bancaires à y mettre fin". Et aux parlementaires auteurs de la proposition d’ajouter que cette instruction de 1976 avait autorisé "un montant maximum de prélèvement qui a ensuite été revalorisé à plusieurs reprises depuis 1976, dont la dernière fois par une instruction de la Direction de la comptabilité publique du 9 juin 1992 autorisant un prélèvement de 20 000 francs (soit 3 050 €)" qui, s’il avait été revalorisé régulièrement depuis 1992, […] serait actuellement de 4 500 €.
Les communes intéressées
Cette proposition intéresse tout d’abord les communes à plusieurs titres ; d’abord parce que nombre d’entre elles sont encore investies dans le service extérieur des pompes funèbres, qu’il s’agisse de régies communales ou intercommunales, de sociétés d’économie mixte ou de la gestion d’équipements tels que les crématoriums, mais encore parce qu’il ressort de la responsabilité du maire d’organiser et de payer les obsèques des défunts non réclamés par les familles (CGCT, art. L. 2213-7 et L. 2223-27) ; la mairie pourrait donc se trouver dans une situation où l’existence d’un compte bancaire suffisamment provisionné permettrait de soulager la charge grevant ainsi le budget communal et les frais inhérents au recouvrement de la créance communale sur la succession (sauf pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes bien entendu).
Les notaires également intéressés
Elle intéresse également les notaires souvent sollicités pour le règlement de ces frais, alors que l’entreprise, la régie ou l’association chargée des obsèques, l’est nécessairement sur la base d’un devis (V. D. Dutrieux, "Le modèle de devis applicable aux prestations funéraires" [a. 23 août 2010] : JCP A 2010, act. 647), dont le signataire doit, au moins dans un premier temps, assumer les conséquences.
Enfin, il est possible de s’interroger sur le contenu de la proposition concernant le montant maximal susceptible d’être prélevé ; si le funéraire est en quelque sorte "sous la coupe" du ministère de l’Intérieur, la question ne devrait-elle pas ressortir d’un arrêté interministériel associant le ministère des Finances, également intéressé en la matière au regard du montant forfaitaire de déduction des frais d’obsèques (1 500 € ; CGI, art. 775), montant inférieur à la somme aujourd’hui appliquée par les banques sans base légale ?
Damien Dutrieux
Annexe
Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
Proposition de loi
Après l’article L. 2223-51 du Code général des collectivités territoriales, il est inséré une sous-section 7 ainsi rédigée :
"Sous-section 7
"Art. L. 2223-52. – La personne qui pourvoit aux funérailles d’un défunt peut obtenir le prélèvement sur le ou les comptes créditeurs du défunt, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais funéraires encourus, auprès de la ou des banques teneuses du ou desdits comptes, dans la limite d’un montant fixé par arrêté du ministre de l’Intérieur3. © Assemblée nationale |
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