Dans notre précédent article paru dans Résonance du mois d’octobre 2012, nous avions évoqué l’arrêt en date du 16 mai 2012, N° 10MA01950, par lequel la Cour Administrative d’Appel (CAA) de Marseille avait confirmé le jugement n° 0905183 du 8 mars 2010 du tribunal administratif de Marseille ayant rejeté la demande de la Société pompes funèbres Ferret, dont le siège est sis à Gap (05000), sollicitant l'annulation de la décision du maire de Lettret du 19 juin 2009, retirant son permis de construire délivré le 27 mars 2009 et refusant, par voie de conséquence, de lui délivrer le permis de construire sollicité, en vue de la construction d’un crématorium.
Jean-Pierre Tricon, avocat au barreau de Marseille.
Cette décision de la CAA de Marseille était prise au visa de la loi n° 2000-321 du 12 avr. 2000 relative aux relations des citoyens avec l'administration et du Code de l’urbanisme. Nous avions estimé que cet arrêt méritait une lecture attentive, notamment le premier considérant qui exposait que, dans le cadre d'un contrat de délégation de service public pour l'aménagement et la gestion d'un crématorium conclu avec la commune de Lettret en sept. 2007, la Société pompes funèbres Ferret avait déposé le 17 oct. 2008 une demande de permis de construire pour la transformation et l'extension d'un bâtiment agricole en chambre funéraire et crématorium sur un terrain situé lieu-dit "La Plaine".
Par un arrêté en date du 15 janv. 2009, le maire de Lettret avait rejeté la demande de permis présentée par l’entreprise au motif que, conformément à l'avis défavorable rendu par le conseil général des Hautes-Alpes, la création d'un nouvel accès sur la R.D. 942 présentait un risque pour les usagers.
Plus tard, le maire de la commune de Lettret, malgré un second avis défavorable de l'assemblée départementale, en date du 12 mars 2009, avait délivré le 27 mars 2009 le permis de construire sollicité, qui a été retiré le 27 mai 2009, par le nouveau maire de Lettret, selon arrêté du 19 juin 2009, cette décision induisant une impossibilité de construire un crématorium, équipement complété, d’ailleurs, par une chambre funéraire.
Les fondements de cette volte-face du nouveau maire, reposaient sur les dispositions du Code de l’urbanisme, puisque la CAA de Marseille, avait considéré qu'aux termes de l'art. L. 422-1 du Code de l'urbanisme :
"L'autorité compétente pour délivrer le permis de construire, d'aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable est :
Le maire, au nom de la commune, dans les communes qui se sont dotées d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, ainsi que, lorsque le conseil municipal l'a décidé, dans les communes qui se sont dotées d'une carte communale. Lorsque le transfert de compétence à la commune est intervenu, ce transfert est définitif", reconnaissant, ainsi, la compétence du maire pour procéder au retrait du précédent permis de construire, favorable, étant précisé que ce retrait était intervenu dans un délai inférieur à quatre mois, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, TERNON.
Nous annoncions, en fin d’article, que cette affaire avait connu de nouveaux développements qui sont intervenus dans le cadre d’un nouvel arrêt de la CAA de Marseille, N°10MA01804 en date du 7 juin 2012. En effet, par une requête, enregistrée le 10 mai 2010 au greffe de la CAA de Marseille sous le n° 10MA01804, présentée par la Société des pompes funèbres Ferret, il était demandé à cette juridiction :
1°) D'annuler un nouveau jugement n° 0902762 du 8 mars 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de cette société, tendant à l'annulation des arrêtés en date du 8 avr. 2009 par lesquels le préfet des Hautes-Alpes avait respectivement refusé la création d'une chambre funéraire et d'un crématorium sur le territoire de la commune de Lettret et à ce qu'il soit enjoint, à cette même autorité, de prendre deux arrêtés autorisant respectivement la création d'un crématorium et d'une chambre funéraire sur le territoire de la commune,
2°) D'annuler, pour excès de pouvoir, lesdites décisions du tribunal administratif de Marseille.
3°) De mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 € au titre de l'art. L.761-1 du Code de justice administrative et à la mise à la charge de l'État d'une somme de 1 500 € au titre de l'art. L.761-1 du Code de justice administrative (Rappel : indemnité accordée pour les frais engagés dans le cadre d’une défense des intérêts d’un requérant devant une juridiction administrative, principalement les honoraires d’avocat).
I - La décision de la Cour sur la création du crématorium :
Après avoir rappelé que le jugement en date du 8 mars 2010, par lequel le tribunal administratif de Marseille avait rejeté la demande de l’entreprise, dirigée contre l'arrêté n° 2009-98-4 en date du 8 avr. 2009 par lequel le préfet des Hautes-Alpes avait refusé la création d'une chambre funéraire sur la commune de Lettret, ainsi que l'arrêté n° 2009-98-3 pris le même jour par cette même autorité, refusant la création d'un crématorium sur cette même commune, la Cour dans son premier "Considérant" a opéré un rappel des dispositions légales et réglementaires, codifiées au Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) applicable en matière de création d’un crématorium et d’une chambre funéraire, en ces termes :
"Considérant qu'aux termes de l'art. L.2223-40 du CGCT :
Toute création ou extension de crématorium ne peut avoir lieu sans l'autorisation du représentant de l'État dans le département, accordée après une enquête publique conduite selon les modalités prévues aux articles L.123-1 à L.123-16 du Code de l'environnement et un avis de la commission départementale compétente en matière d'environnement et de risques sanitaires et technologiques".
Puis, qu'aux termes de l'art. R. 2223-74 du même Code :
"La création ou l'extension d'une chambre funéraire est autorisée par le préfet. Celui-ci fait procéder à une enquête de commodo et incommodo et consulte le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques… L'autorisation ne peut être refusée qu'en cas d'atteinte à l'ordre public ou de danger pour la salubrité publique".
Il est intéressant de noter, à ce stade de l’analyse de l’arrêt de la CAA de Marseille, que celle-ci a bien distingué les traits principaux des deux procédures, en mentionnant la nécessité d’une enquête publique pour la création d’un crématorium et, seulement, une enquête de commodo et incommodo, pour celle d’une Chambre Funéraire.
La CAA de Marseille a, ensuite, examiné la régularité du jugement du tribunal administratif de Marseille, du 8 mars 2010, attaqué :
a) Les moyens de forme invoqués par la Société de pompes funèbres, sur l’arrêté afférent à la création du crématorium
Ils portaient sur la constitution du Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques (CODERST), qui devait être, conformément à l'art. R.1416-7 du Code de la santé publique, présidé par le préfet ... "pour les affaires relevant de ses attributions".
La Société de pompes funèbres, par l’intermédiaire de son conseil, remettait en cause la validité de la présidence du Conseil, puisque le président en titre s’était fait suppléer par le secrétaire général. Ce moyen a été rejeté, car aux termes de l'art. 3 du décret du 8 juin 2006, le président et les membres des commissions qui siègent en raison des fonctions qu'ils occupent peuvent se faire suppléer par un membre du service ou de l'organisme auquel ils appartiennent, validant, ainsi, la position adoptée par le tribunal administratif de Marseille.
b) Sur le fond, sur l'arrêté refusant la création du crématorium :
Dans ses moyens en demande, la Société de pompes funèbres soutenait que le risque pour la sécurité des usagers du crématorium et de la RD 942 qui fondait la décision querellée, n'était pas au nombre des motifs prévus par les articles D.2223-100 à D.2223-109 du CGCT, qui, en application de l'art. D.2223-99 du même Code, constituaient les prescriptions auxquelles un crématorium devait se conformer.
Le commissaire-enquêteur, à l'issue de l'enquête publique prescrite par les dispositions de l'art. L.2223-40 du CGCT, et conduite selon les modalités prévues aux articles L.123-1 à L.123-6 du Code de l'environnement, avait émis un avis favorable au projet de création du crématorium, sous la condition de lever quatre réserves, concernant :
- la clôture végétale dissimulant totalement le projet, la sécurisation de la voie de sortie de l'installation sur la RD 942, le déplacement du "jardin du souvenir", et l'alimentation du four en gaz de ville par canalisation enterrée.
La Cour a retenu que deux de ces réserves, concernant l'alimentation du crématorium en gaz de ville et l'accès à la RD 942, n'ayant pas été levées, l'avis du commissaire-enquêteur devait être regardé comme défavorable, tout en assortissant cette considération d’une condition importante, ainsi libellée :
"Que, cependant, si le préfet doit tenir compte dudit avis avant de prendre sa décision, il n'est pas tenu d'en reprendre les conclusions. Que, pour fonder la décision contestée, cette autorité s'est bornée à s'approprier la réserve totale émise par le commissaire-enquêteur sur l'accès au site, qui, si elle pouvait fonder un refus de permis de construire, n'était pas au nombre des prescriptions des articles D.2223-100 à D. 2223-109 du CGCT, seules applicables en l'espèce".
Que, par l’effet de ce moyen, "la Société de pompes funèbres était bien fondée à demander l'annulation de l'arrêté en date du 8 avr. 2009 par lequel le préfet des Hautes-Alpes avait refusé la création d'un crématorium sur le territoire de la commune de Lettret, et c'était à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Marseille avait rejeté sa demande dirigée contre ledit arrêté".
Cependant, la CAA de Marseille, après avoir reconnu l’intérêt pour agir de la Société de pompes funèbres, contre le jugement du tribunal administratif de Marseille, en date du 8 mars 2010, qui avait rejeté sa demande contre l’arrêté du 8 avr. 2009 du préfet des Hautes-Alpes, et fait siens les moyens afférents à l’application stricte de la réglementation funéraire relative aux conditions de la création d’un crématorium, la Cour a, néanmoins, tempéré cette première position, en invoquant l'art. D.2223-100 du CGCT qui prévoit qu'un crématorium doit être conforme à la réglementation applicable aux établissements recevant du public, notamment aux dispositions réglementaires en matière de lutte contre l'incendie, et que de ce fait, le préfet des Hautes-Alpes pouvait valablement fonder sa décision sur l'alimentation du crématorium en gaz, puisque la commune de Lettret n'était pas desservie par un réseau public d'alimentation, et que les conditions de stockage du gaz liquide n’assuraient pas une totale sécurité contre les risques d'incendie relevés par le commissaire-enquêteur, or la Société de pompes funèbres requérante n'avait pas apporté d'élément susceptible d'établir la conformité de l'installation envisagée.
En conséquence, la CAA de Marseille, a pu juger que les conclusions de la Société de pompes funèbres, présentées en première instance et tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet des Hautes-Alpes de prendre un arrêté autorisant la création du crématorium sur le territoire de la commune de Lettret ne pouvaient qu'être rejetées.
Avant d’aborder la problématique de la création de la chambre funéraire, il convient d’éclairer le lecteur profane sur les effets juridiques de la position adoptée par la CAA de Marseille, au demeurant assez ambiguë, car elle a donné raison à l’entreprise de pompes funèbres, sur sa demande portant sur l’annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille qui avait rejeté sa demande dirigée contre l’arrêté préfectoral en date du 8 avr. 2009, ayant refusé la création du crématorium, aux motifs que :
"L’autorité préfectorale s'est bornée à s'approprier la réserve totale émise par le commissaire-enquêteur sur l'accès au site, qui, si elle pouvait fonder un refus de permis de construire, n'était pas au nombre des prescriptions des articles D.2223-100 à D. 2223-109 du CGCT, seules applicables en l'espèce", reconnaissant, ainsi une erreur manifeste d’appréciation par le préfet, des fondements textuels qui régissent la création d’un crématorium ; les articles de nature réglementaire, codifiés au CGCT, articles D.2223-100 à D. 2223-109 énumèrent limitativement les prescriptions applicables à la création d’un crématorium.
En effet, la réserve totale émise par le commissaire-enquêteur sur l'accès au site, si elle pouvait légitimer un refus de permis de construire, n’était pas au nombre des prescriptions énumérées aux articles D. 2223-100 à D. 2223-109 du CGCT.
En revanche, la Cour a rejeté la requête de la Société portant sur la demande d’injonction susceptible d’être adressée au préfet de prendre un nouvel arrêté autorisant la création du crématorium sur le territoire de la commune de Lettret, aux motifs qu’en invoquant l'art. D.2223-100 du CGCT qui prévoit, spécifiquement, qu'un crématorium doit être conforme à la réglementation applicable aux établissements recevant du public, notamment aux dispositions réglementaires en matière de lutte contre l'incendie, le préfet des Hautes-Alpes pouvait valablement fonder sa décision sur l'alimentation du crématorium en gaz, puisque la commune de Lettret n'était pas desservie par une réseau public d'alimentation, et que le stockage du gaz dans des réservoirs posait un sérieux problème de sécurité publique.
Cet arrêt a, à notre sens, mis un terme au contentieux portant sur la contestation de l’arrêté du préfet des Hautes-Alpes, en date du 8 avr. 2009, puisque, bien que l’entreprise ait obtenu l’annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille, en date du 8 mars 2010, il n’en demeure pas moins que la CAA a écarté la possibilité pour l’entreprise de pompes funèbres d’obtenir un nouvel arrêté favorable au projet, tout au moins tant que la commune de Lettret ne serait pas desservie par un réseau de gaz naturel sous pression, ce qui paraît constituer un obstacle majeur et persistant lorsqu’on connaît la typologie géographique, sociale et humaine de cette petite commune, à dominante agricole, située sur la route conduisant au barrage de Serre-Ponçon, et vers la commune de Barcelonnette, porte du col de l’Arche permettant d’accéder au Piémont Italien.
II - La décision de la CAA sur la création d’une chambre funéraire sur le territoire de la commune de Lettret :
À titre liminaire, il sera rappelé que le 8 avr. 2009, le préfet des Hautes-Alpes avait pris deux arrêtés refusant les demandes de la Société des pompes funèbres Ferret portant sur la création d’un crématorium et d’une chambre funéraire, sur le territoire de la commune de Lettret (05). Que ces refus ont été déférés au tribunal administratif de Marseille, qui avait joint les deux recours, et s’était déterminé dans un seul jugement, en date du 8 mars 2010, n° 0902762, ce qui explique l’unicité de ce contentieux.
a) Les moyens de forme invoqués par la Société de pompes funèbres, sur l’arrêté portant sur la création de la chambre funéraire.
Le premier moyen portait, également comme dans le cas du crématorium, sur la constitution du CODERST, qui devait être, conformément à l'art. R.1416-7 du Code de la santé publique, présidé par le préfet ... "pour les affaires relevant de ses attributions".
Ce moyen a été rejeté pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment.
Le second moyen nouveau, critiquait la présence lors de la tenue de la réunion de la commission du CODERST, de M. C, chef du bureau de l'environnement et du développement durable de la préfecture des Hautes-Alpes, chargé par ses fonctions d'instruire les demandes de création de crématorium et de chambre funéraire, qui était au nombre des personnes extérieures que le président du CODERST pouvait décider d'entendre pour éclairer les délibérations du conseil sur la demande d'autorisation de création d'une chambre funéraire.
La Cour a jugé qu'aux termes de l'art. 6 du décret du 8 juin 2006 :
"La commission peut, sur décision de son président, entendre toute personne extérieure dont l'audition est de nature à éclairer ses délibérations. Les personnes ainsi entendues ne participent pas au vote.
Qu'il est constant que M. C, s'il a assisté au délibéré de la commission, n'a pas participé au vote sur cette demande. Qu'il avait, en tant que personne extérieure entendue par le CODERST, à répondre aux questions de ses membres et que la circonstance que l'avis du rapporteur était favorable à la demande de la requérante, alors que l'avis rendu par le conseil a été défavorable, est sans incidence sur la régularité de la participation de M. C à la séance. Que, par suite, la Société de pompes funèbres n'était pas fondée à soutenir que l'audition de M. C par le CODERST, le 30 mars 2009, à propos de son projet aurait entaché la procédure d'irrégularité".
Le troisième moyen, également nouveau, par rapport à la procédure afférente au litige portant sur la création du crématorium, critiquait l'avis émis par le CODERST le 30 mars 2009, qui avait fait l'objet d'un compte-rendu le 11 mai 2009, alors que cet avis, visé dans la décision du Conseil en cause, avait été porté à la connaissance du préfet des Hautes-Alpes avant son édiction le 8 avr. 2009.
La Cour a considéré que "dès lors qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose un formalisme particulier concernant les avis du CODERST requis par les dispositions sus-rappelées de l'art. R.2223-74 du CGCT, la circonstance que le compte-rendu du CODERST du 30 mars 2009 sur la demande d'autorisation de la Société de pompes funèbres avait été établi par écrit postérieurement à la décision litigieuse était sans incidence sur sa légalité".
b) Sur le fond, sur l'arrêté refusant la création de la chambre funéraire :
Sur le premier moyen :
L’entreprise de pompes funèbres soutenait que, pour lui refuser l'autorisation de créer une chambre funéraire, le préfet des Hautes-Alpes s'était fondé, à titre principal, sur l'absence de levée de la réserve totale posée par le commissaire-enquêteur quant à l'absence de sécurisation de l'accès du projet de la requérante depuis la route départementale (RD) 942.
Qu'il ne saurait, par suite, être reproché au préfet, qui avait ainsi pris en compte l'absence de levée d'une réserve totale émise par le commissaire-enquêteur, après l'enquête commodo et in commodo, d'avoir méconnu le champ d'application de la loi en refusant la création de la chambre funéraire pour atteinte à la sécurité publique, qui est l’une des composantes de l'ordre public, conformément aux dispositions précitées de l'art. R.2223-74 du CGCT.
Sur le second moyen :
La Cour a considéré que le préfet des Hautes-Alpes avait fondé la décision litigieuse sur l'absence de levée d'une réserve totale émise par le commissaire-enquêteur à la création de la chambre funéraire relative aux risques pour la sécurité représentés par l'accès au site depuis la RD 942, l'enquête en cause, ainsi que l'atteinte portée à l'ordre public, donc à la sécurité publique, étant prévues par l'art. R.2223-74 du CGCT.
Que, par suite, il en résultait que la Société de pompes funèbres n'était pas fondée à soutenir que l'arrêté querellé aurait été pris seulement, en application de l'art. R.111-5 du Code de l'urbanisme, au titre d'un pouvoir de police spécial concernant la sécurité des accès aux constructions, admettant que le refus exprimé par le préfet avait pour base réglementaire, l’art. R. 2223-74 du CGCT.
Sur le troisième moyen :
La Cour a écarté que la circonstance qu'en délivrant un permis de construire à un projet d'extension d'une zone de stockage et de création d'un point de vente de produits agricoles sur des parcelles longeant la RD 942 situées à proximité immédiate du terrain qui devait accueillir le projet de la Société de pompes funèbres, le maire de Lettret n’avait pas méconnu le principe d'impartialité, et que ce moyen était, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision contestée prise par le préfet des Hautes-Alpes.
La décision finale de la CAA de Marseille, rejette le pourvoi de l’entreprise de pompes funèbres contre le jugement du tribunal administratif de Marseille, en date du 8 mars 2010, en ce qu’il avait confirmé la validité de l’arrêté préfectoral du 8 avr. 2009, refusant la création de la chambre funéraire, mais en revanche, a jugé que la Société des pompes funèbres était seulement fondée à soutenir que c'était à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille avait rejeté sa demande, en tant qu'elle était dirigée contre l'arrêté du 8 avr. 2009, par lequel le préfet des Hautes-Alpes avait refusé la création d'un crématorium sur le territoire de la commune de Lettret, mais uniquement fondée sur le non-respect des articles D.2223-100 à D. 2223-109, du CGCT qui énumèrent limitativement les prescriptions applicables à la création d’un crématorium.
Par contre, bien que cet arrêt ait donné lieu, sur le fondement des dispositions de l'art. L.761-1 du Code de justice administrative, à condamnation de l’État au versement de la somme de 2000 € au titre des frais exposés par la Société de pompes funèbres, et non compris dans les dépens, et prononcé l’annulation, d’une part, du jugement du tribunal administratif de Marseille, en date du 8 mars 2010, en tant qu'il avait rejeté la demande de la Société de pompes funèbres, dirigée contre l'arrêté du 8 avr. 2009, par lequel le préfet des Hautes-Alpes avait refusé la création d'un crématorium sur le territoire de la commune de Lettret et, d’autre part, de l’arrêté préfectoral du 8 avr. 2009, l’avenir de la création de ces deux équipements funéraires est plus qu’aléatoire, notamment celle du crématorium, puisque la Cour a écarté la possibilité pour l’entreprise de pompes funèbres d’obtenir un nouvel arrêté favorable au projet, tout au moins tant que la commune de Lettret ne serait pas desservie par un réseau de gaz naturel sous pression, éventualité qui a été commentée supra, et qui nous est apparue plus que virtuelle et aléatoire.
En revanche, le projet de création de la chambre funéraire apparaît particulièrement menacé à terme, puisque la Cour s’est rendue aux arguments avancés par le département des Hautes-Alpes, portant sur les risques pour la sécurité représentés par l'accès au site depuis la RD 942, l'enquête de commodo incommodo ayant établi l’importance de l'atteinte portée à l'ordre public, donc à la sécurité publique, telle que prévue à l'art. R.2223-74 du CGCT.
Il n’en demeure pas moins que pour l’avenir de cette chambre funéraire, la balle est dans le camp du département des Hautes-Alpes qui pourrait, ultérieurement, décider de la réalisation de travaux routiers dédiés à la sécurisation de l’accès au terrain sur lequel la construction était projetée. De ce fait le sort de cette chambre funéraire ne serait plus d’ordre strictement juridique, mais relèverait du domaine politique, si tant est que les autorités départementales seraient désireuses de favoriser l’émergence de nouveaux équipements funéraires dans les Hautes-Alpes.
À ce propos, lors d’une conférence que j’avais animée dans l’hôtel du département des Hautes-Alpes, en partenariat avec l’antenne locale du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (C.N.F.P), et dont Résonance avait rendu compte dans ses colonnes, le président du conseil général m’avait fait part de son souci de favoriser, à terme, la création d’un crématorium, puisqu’aucun équipement de ce type n’existait dans les Hautes-Alpes. Les familles du département devaient se résoudre à utiliser les services de crémation proposés, soit par la SEM des Pompes Funèbres Intercommunales de la région grenobloise (P.F.I), soit par le gestionnaire du crématorium implanté à Manosque, dans les Alpes de Haute-Provence.
Or, malgré son étendue, et les 177 communes qui le composent, le département des Hautes-Alpes, selon le dernier recensement de l’INSEE, ne compte que 141 153 habitants, ce qui produit un nombre annuel de décès d’environ 1190.
Le caractère rural de la plupart de ces 177 communes existantes, favorise l’inhumation au profit de la crémation, les autorités départementales tablant sur des perspectives de crémation des corps de l’ordre de 350 à 400 au maximum par an.
Le président souhaitait, néanmoins, favoriser l’implantation d’un crématorium dans son département, tout en observant que la difficulté essentielle résidait dans le choix du lieu géographique, afin d’éviter que les décès survenus dans des communes proches soit de Grenoble, soit de Manosque et voués à la crémation, n’échappent à la structure susceptible d’y être aménagée.
L’opposition du département des Hautes-Alpes au projet conduit par la Société de pompes funèbres, qui avait choisi le site de Lettret, apparaît, dans un tel contexte, manifeste, puisque le conseil général s’est volontairement abstenu de le soutenir en réalisant, par exemple, des travaux d’accessibilité par la RD 942.
Enfin, force est de constater qu’un contrat de délégation de service public avait été consenti par la commune de Lettret à la Société de pompes funèbres, porteuse du projet, qui ne paraît pas avoir donné lieu, tout au moins au travers des contentieux que nous avons examinés, à un recours indemnitaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle de cette commune.
Jean-Pierre Tricon
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