Dans un récent jugement, le Tribunal judiciaire de Paris a annulé un contrat tombant sous l’interdiction du démarchage à domicile prévue à l’art. L. 2223-33 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). L’occasion dans cet article de revenir sur les règles qui s’imposent aux opérateurs funéraires en la matière.
Le 16 août 2021, un conseiller d’une entreprise de pompes funèbres s’est rendu chez un particulier qui venait de connaître, le jour même, le décès de son frère. À cette occasion, le conseiller a obtenu son accord pour la réalisation de prestations funéraires listées dans un devis signé.
Dans le cadre de cette affaire, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu un jugement qui permet notamment de revenir sur le régime de l’interdiction du démarchage à domicile pour les prestations funéraires (TJ Paris, 1er octobre 2024, n° 22/03390).
I - Champ de l’interdiction du démarchage à domicile
A - Cadre juridique du démarchage à domicile
Le démarchage à domicile est réglementé par deux séries de dispositions juridiques :
- Le droit commun de la consommation consacre un chapitre aux contrats conclus à distance et hors établissement aux articles L. 221-1 à L. 221-29 du Code de la consommation, issu de la réécriture de ce Code par l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ;
- Un droit spécial de la consommation pour ce sujet précis est prévu à l’art. L. 2223-33 du CGCT, avec des sanctions pénales prévues à l’art. L. 2223-35 du même Code.
En substance, les contrats de prestations funéraires conclus à distance ou hors établissement – c’est-à-dire à domicile, sur la voie publique ou dans un lieu ou édifice public ou ouvert au public – sont interdits lorsqu’ils sont conclus en prévision d’obsèques ou pendant un délai de 2 mois à compter du décès.
Cette interdiction a été précisée par la jurisprudence
S’agissant des prestations tombant sous le coup de l’interdiction, la Cour de cassation a ainsi précisé que l’art. L. 2223-33 susmentionné évoquait "la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès", en conséquence de quoi il ne limitait pas l’interdiction aux seules prestations entrant dans le champ de l’habilitation prévue à l’art. L. 2223-23 du CGCT.
Ainsi, la marbrerie, pourtant exclue du champ de l’habilitation, entre bien dans celui de l’interdiction de démarchage à domicile (Cass. Crim., 29 juin 2004, req. n° 03-85.190 ; 27 juin 2006, req. n° 05-85.627).
S’agissant de ce qui constituait un démarchage, la Cour de cassation a précisé que le fait de se présenter spontanément et en personne au domicile n’était pas la seule manière de qualifier un démarchage à domicile.
Ainsi, d’une part, même lorsque la prestation est demandée par l’intéressé, elle constitue un démarchage (Cass. Crim., 13 février 2007, req. n° 06-85.076). D’autre part, l’envoi d’une lettre ayant pour objet une offre de prestation constitue également un démarchage (Cass. Crim., 4 février 2015, req. n° 14-11.002).
Toutefois, une exception a été introduite par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, et permet de conclure un contrat de prestations funéraires à domicile quand l’ensemble des conditions suivantes sont réunies :
- Le décès a eu lieu à domicile ;
- Le contrat est conclu un dimanche, un jour férié ou en heure de nuit ;
- La personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles a sollicité l’opérateur funéraire ;
- Le contrat ne concerne que les prestations de transport ou de dépôt de corps avant mise en bière et de soins de conservation à domicile.
Cette dérogation permet ainsi aux familles de ne pas avoir à attendre l’ouverture d’une agence de pompes funèbres pour signer un devis. Elle couvre la possibilité, soit du transfert en chambre funéraire, soit de son maintien au domicile dans des conditions garantissant la dignité du corps après la mort, notamment par la pratique de soins de conservation.
B - Dans les faits…
Dans cette affaire, les éléments relevés par les juges sont qualifiés de démarchage à domicile tombant sous le coup de l’interdiction mentionnée à l’art. L. 2223-33 du CGCT.
Pour rendre cette décision, ils se fondent sur plusieurs éléments :
D’abord, le point principal demeure que le rendez-vous ayant donné lieu à la commande des prestations funéraires s’est tenu au domicile de la famille du défunt. À cet égard et suivant la position de la Cour de cassation, le tribunal relève que la circonstance, que le rendez-vous s’est fait à la demande de la famille du défunt est inopérante, "sauf à rendre vaine l’interdiction posée par l’art. L. 2223-33 du CGCT".
Ensuite, le tribunal relève également que l’opérateur funéraire ne dispose pas d’une agence ou d’un local commercial, et que son site Internet ne mentionne aucune adresse physique pour réaliser un contrat, "ce dont il se déduit que toute rencontre en présentiel avec ses clients se déroule au domicile de ces derniers".
Il est à noter que l’entreprise incriminée est habilitée. En effet, le fait de disposer d’une agence commerciale n’est pas une condition d’accès à la profession, puisqu’il est possible d’être habilité sans justifier d’en avoir une.
Cette décision montre ainsi que l’absence d’agence est un frein considérable à l’exercice de la profession, dès lors que la possibilité de conclure des contrats de prestations funéraires hors établissement est extrêmement limitée.
Enfin, le tribunal rappelle que le fait que le contrat ait été signé électroniquement par le client est indifférent.
II - Les conséquences du démarchage à domicile
Un opérateur funéraire procédant à un démarchage à domicile tombant dans le champ de l’interdiction prévue à l’art. L. 2223-33 du CGCT s’expose à deux séries de conséquences.
A - Sanctions civiles : l’annulation du contrat et la compensation du préjudice
L’art. 1178 du Code civil pose en droit qu’un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul, que la nullité soit prononcée par le juge – comme c’est le cas en l’espèce – ou que cette nullité soit constatée d’un commun accord par les parties. Le contrat nul est réputé n’avoir jamais existé, et toutes les prestations exécutées donnent lieu à restitution. La partie lésée peut également demander réparation du dommage subi, notamment en cas de préjudice moral.
D’une part, le juge a tiré toutes les conséquences de la nullité du contrat. Toutes les prestations qui en étaient l’objet ont donné lieu à restitutions réciproques, notamment les travaux de marbrerie, le personnel et le matériel mis à disposition pour les opérations funéraires afférentes au décès.
Il convient de remarquer deux choses
La première est que même les opérations déjà réalisées ou commencées font l’objet d’une restitution. Le contrat étant annulé, l’opérateur funéraire ne peut se prévaloir du fait que certaines prestations ont déjà été réalisées pour faire obstacle à la restitution. Le juge qualifie même de déloyale la réalisation de prestations par l’opérateur qui a engagé ces réalisations après que le litige avec la famille s’est élevé.
La seconde est que cette restitution ne vaut que pour les prestations réalisées par l’entreprise. Les prestations pour lesquelles l’opérateur funéraire n’est que le mandataire de la famille – celles qui figurent dans la colonne des frais avancés pour le compte de la famille dans le devis – n’ouvrent pas droit à restitution.
Ainsi, dans les faits d’espèce, le juge n’a pas annulé l’achat de la concession funéraire, qui est un contrat conclu entre le client et la mairie gestionnaire du cimetière. En revanche, le prix de la concession a été répercuté par l’opérateur avec un supplément qui, lui, donne lieu à restitution.
D’autre part, le client a formulé une demande de dommages et intérêts que le juge a retenue pour deux fautes commises par l’opérateur :
- La première consiste en l’absence de réalisation de toutes les formalités en vue de l’enterrement – ayant conduit à un retard important du convoi – et en l’insuffisance du personnel mis à disposition. Il convient de remarquer ici que l’opérateur avait sous-traité l’ensemble de la cérémonie. L’occasion ici de rappeler que l’opérateur funéraire ayant recours à la sous-traitance est responsable des prestations fournies par l’entreprise qui sous-traite.
- La seconde est le refus, de la part de l’opérateur, qui ne pouvait ignorer le caractère illicite du contrat qu’il avait conclu avec son client, de rembourser le client non satisfait.
Ces deux fautes, parce qu’elles ont été source "d’une préoccupation et d’un stress supplémentaire alors qu’il était procédé aux obsèques de son frère" et d’un "tracas certain pour l’intéressé", constituent un préjudice moral indemnisable.
B - Sanctions pénales : amende et peines complémentaires
D’autre part, l’art. L. 2223-35 du CGCT prévoit que la violation de l’interdiction du démarchage à domicile est punie d’une amende de 75 000 €. Cette peine est appliquée à l’entreprise.
En outre, les personnes physiques coupables de cette infraction encourent également trois peines complémentaires :
- une interdiction des droits civiques, civils et de famille,
- une interdiction temporaire d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice où à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise,
- l’affichage ou la diffusion de la décision prononcée.
Dans le cas d’espèce, le juge n’a prononcé aucune de ces sanctions. Le client, qui avait demandé la publication du jugement, a été débouté de sa demande.
Pour résumer, le jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 1er octobre 2024 était ici l’occasion de rappeler les risques auxquels s’exposent les opérateurs funéraires en cas de manquement à l’interdiction de démarchage à domicile.
Nos adhérents sont nombreux à nous solliciter dans le cadre de leurs pratiques commerciales, notamment au sujet des actions de communication à déployer afin de se faire connaître dans le domaine funéraire. La Fédération Nationale du Funéraire (FNF) a donc décidé en début d’année de s’appuyer sur l’expertise d’une avocate spécialisée en droit de la consommation pour proposer un webinar dédié à cette question.
L’occasion pour nous de faire un tour d’horizon des règles applicables en matière de démarchage à domicile, par téléphone, par mail/courrier, ou encore dans un lieu public ou ouvert au public. Parce qu’il n’y a pas que le CGCT qui s’applique, nous avons également procédé à un récapitulatif des règles relatives à la publicité et aux sanctions applicables en cas de non-respect de celles-ci.
Mathieu Garnesson
Conseiller juridique de la FNF
Résonance n° 208 - Octobre 2024
Résonance n° 208 - Octobre 2024
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