Absence d’obligation d’information des familles de l’expiration du délai de sépulture en terrain commun : le Conseil constitutionnel saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).
Conseil d’État, 30 juillet 2024, n° 492642
Si la loi du 21 février 2022, dite "3DS", a instauré dans son art. 237 une obligation d’information des concessionnaires et de leurs ayants cause par les communes de l’existence de leur droit à renouvellement (art. L.2223-15 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT), aucune disposition ne fait obligation aux communes d’informer les proches des défunts inhumés en terrain commun de l’expiration du délai de sépulture et du fait qu’en cas de reprise de la sépulture, l’exhumation est susceptible d’aboutir à la crémation des restes du défunt.
À l’occasion d’un litige dirigé contre une commune, le Conseil d’État a fait droit à la demande des requérants de renvoyer les dispositions de l’art. L. 2223-4 du CGCT au Conseil constitutionnel dans le cadre d’une QPC.
Le texte déféré au Conseil constitutionnel
L’art. L. 2223-4 du CGCT, dans sa version en vigueur issue de la loi no 2011-525 du 17 mai 2011, dispose que : "Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire."
L’absence d’obligation d’information des proches du défunt
Contrairement aux terrains concédés, pour lesquels pèse sur les communes une obligation d’information des concessionnaires et des ayants cause sur l’existence de leur droit à renouvellement (art. L. 2223-15 du CGCT), la reprise d’un terrain commun et le traitement du sort des restes exhumés ne sont subordonnés, selon une jurisprudence constante, qu’à un simple arrêté du maire (Cass. crim., 3 octobre 1962, Chapuy). Il ne pèse donc aucune obligation sur les communes d’informer les proches du défunt de l’expiration de son droit à sépulture à l’issue du délai de rotation.
Ainsi, en l’absence d’opposition connue ou attestée, portée à la connaissance du maire, celui-ci peut décider de crématiser les restes exhumés d’un terrain commun (ou d’une concession, dans le cadre de reprises administratives).
Cette absence d’information porte-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ?
C’est à cette question que le Conseil constitutionnel sera amené à répondre dans le cadre de la QPC transmise par le Conseil d’État par son arrêt du 30 juillet 2024. En l’espèce, les requérants soutiennent que cette absence d’obligation d’information "priverait de garantie légale le droit au respect de la vie privée et la liberté de conscience des personnes ainsi inhumées, garantis par les articles 2 et 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789".
Conseil d’État, 5e-6e chambres réunies, 30/07/2024, 492642
Vu la procédure suivante :
Par deux mémoires, enregistrés les 17 juin et 8 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés en application de l’art. 23-5 de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B... A... demande au Conseil d’État, à l’appui de son pourvoi tendant à l’annulation de l’arrêt no 22PA02945 du 5 décembre 2023 de la cour administrative d’appel de Paris rejetant sa demande indemnitaire dirigée contre la Ville de Z., de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’art. L. 2223-4 du CGCT, en ce qu’elles ne mettent pas à la charge des communes une obligation d’informer les ayants droit des défunts inhumés en terrain commun de l’expiration du délai de sépulture et de la possibilité qu’à l’occasion d’une reprise de cette sépulture, l’exhumation débouche sur une crémation des restes du défunt.
(…)
Considérant ce qui suit :
Aux termes du premier alinéa de l’art. 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : «Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’État (...).» Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la QPC à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
Aux termes de l’art. L. 2223-4 du CGCT : «Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue ou attestée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire.»
Ces dispositions, applicables au présent litige au sens et pour l’application de l’art. 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Les griefs tirés de ce que ces dispositions, en ce qu’elles ne prévoient pas l’obligation pour la commune d’informer les proches des défunts inhumés en terrain commun de l’expiration du délai de sépulture et du fait qu’en cas de reprise de la sépulture, l’exhumation est susceptible d’aboutir à la crémation des restes du défunt, priveraient de garantie légale le droit au respect de la vie privée et la liberté de conscience des personnes ainsi inhumées, garantis par les articles 2 et 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, soulèvent une question nouvelle au sens de l’art. 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC invoquée.
Décide :
Art. 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’art. L. 2223-4 du CGCT est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Art. 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. A... jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question ainsi soulevée.
Art. 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et à la Ville de Z.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Me Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Résonance n° 206 - Août 2024
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