S’il y a bien un domaine où l’Europe a connu le plus de difficultés à engager l’harmonisation des règles, c’est bien celui de la santé. En la matière, l’Europe a souvent tenté l’équilibre entre harmonisation des règles essentielles et recours à la reconnaissance mutuelle des dispositions nationales entre les États membres.
Dans un récent article, j’avais expliqué les raisons de l’échec du projet de directive relative aux transports intracommunautaires de dépouilles mortelles, l’occasion m’est, également, donnée de faire le point du côté de la libre circulation des produits et articles funéraires sur le marché communautaire et donc, forcément, sur un marché national. L’exemple des cercueils, qu’ils soient simples ou étanches avec leurs garnitures intégrées, est retenu en l’espèce.
Le dispositif français de certification des matériaux intégrés à un cercueil hermétique
Le dispositif national est codifié par les exigences émises dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). Il est basé sur une double exigence : d’abord, l’exigence de l’avis préalable de l’Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’Environnement et du travail (ANSES) et du Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF), ensuite des caractéristiques de composition de débit et de filtration fixées par arrêté du ministre chargé de la Santé. Il est utile de rappeler qu’à ce jour, l’arrêté n’a pas été publié par le ministère de la Santé.
L’art. R. 2213-27 du CGCT, alinéa 2 précise que : "Les cercueils hermétiques doivent être en matériau biodégradable et répondre à des caractéristiques de composition, de résistance et d’étanchéité fixées par arrêté du ministre chargé de la Santé après avis de l’ANSES et du CNOF.
Ils doivent ne céder aucun liquide au milieu extérieur, contenir une matière absorbante et être munis d’un dispositif épurateur de gaz répondant à des caractéristiques de composition de débit et de filtration fixées par arrêté du ministre chargé de la Santé après avis de l’ANSES et du CNOF."
Ainsi, de cette disposition, il ressort clairement que la mise sur le marché des cercueils hermétiques et de leurs accessoires (filtres d’épuration et cercueils intérieur), est régie par une procédure déployée en trois phases bien distinctes.
• Première phase, il est prévu la saisine, par les ministres chargés de la Santé et de l’Environnement de l’ANSES. Depuis le décret n° 2006-938 du 27 juillet 2006, ce n’est plus l’avis du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France (CSHPF).
• Deuxième phase, la consultation pour avis du CNOF. Il convient de rappeler que, depuis la publication du décret n° 2017-1186 du 21 juillet 2017 relatif à la composition du CNOF, le nombre de représentants du ministre chargé de la Santé est passé d’un à deux. Le renforcement de cette représentation met en valeur l’importance des questions relatives à la santé publique à travers la filière funéraire.
• Troisième phase, sur la base de l’avis technique de l’ANSES et du résultat de la consultation des professionnels à travers le CNOF, le ministre de la Santé publie un arrêté définissant les caractéristiques auxquelles doit répondre tout matériau destiné à être intégré à un cercueil étanche. Il convient de préciser à ce stade que l’arrêté du ministre, avant d’être publié au Journal officiel (JO) de la République française, doit au préalable faire l’objet d’une notification à la Commission européenne (Direction du marché intérieur), qui publie un avis à consultation au JO de l’Union européenne. Cette publication a pour objectif d’éviter que des prescriptions techniques édictées par un pays membre ne constituent des entraves techniques aux échanges entre les États membres. À l’issue de cette publication, si aucune observation n’est formulée, l’arrêté est alors publié au JO national.
La situation en matière de caractéristiques relatives aux cercueils hermétiques, notamment les cercueils étanches déposés à l’intérieur
Un constat préalable s’impose : les cercueils hermétiques actuellement sur le marché sont déposés à l’intérieur de cercueils. Comme le précise l’avant-projet de circulaire relative au certificat de décès, "le cercueil hermétique est en bois avec un cercueil intérieur hermétique en zinc". La circulaire du 27 novembre 1962 est encore plus explicite : "Quel que soit le système adopté, le cercueil hermétique devra être lui-même enfermé dans une bière en chêne ou en tout autre matériau en bois présentant une égale solidité." En l’état actuel de la réglementation, il n’existe pas d’autres définitions plus précises, sauf à prévoir une évolution juridique sur ce plan.
Le CGCT a prévu un processus de validation, donc de mise sur le marché des cercueils hermétiques destinés à être intégrés aux cercueils, il n’en demeure pas moins que, si des travaux ont été engagés et ne sont toujours pas finalisés par des prescriptions techniques, certains sont en cours et devraient réellement impacter la fabrication de ces supports. Pour plus de clarté, il convient d’analyser deux volets : le premier porte sur les caractéristiques relatives au cercueil hermétique stricto sensu, et le second, sur les matériaux destinés à y être intégrés (housses, cercueils intérieur et filtres épurateur).
Travaux concernant les cercueils hermétiques
Des travaux ont été impulsés par la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376 du 27 décembre 2006).
Selon cette directive, les États membres examinent et, le cas échéant, simplifient les procédures et formalités applicables pour accéder à une activité de services et l’exercer. Dans l’objectif notamment d’assurer la qualité des services, la directive vise à encourager par exemple la certification volontaire des activités ou l’élaboration de chartes de qualité. C’est dans cet objectif de certification des matériaux funéraires par le biais d’organismes d’accréditation que la Direction Générale de la Santé (DGS) souhaite disposer d’un référentiel sur les cercueils hermétiques et les dispositifs épurateurs de gaz.
Dans cette perspective de certification des matériaux funéraires par le biais d’organismes d’accréditation, la DGS a souhaité disposer d’un référentiel sur les cercueils hermétiques et dispositifs épurateurs de gaz. La transposition de la directive "services" en droit français a été effective dès l’année 2011.
Ainsi, le décret n° 2018-966 du 8 novembre 2018 relatif aux cercueils est venu modifier le régime applicable aux cercueils et aux garnitures intérieures étanches, en substituant à l’obtention d’un agrément ministériel la délivrance d’une attestation de conformité par un organisme accrédité, pour la mise sur le marché des cercueils. L’ANSES a rendu, depuis, de nombreux avis, y compris sur des mises à jour des référentiels.
Dans le cadre du transfert des missions du CSHPF aux agences sanitaires, les caractéristiques de résistance, d’étanchéité, de biodégradabilité et de combustibilité du cercueil muni d’une cuvette d’étanchéité ont été fixées par l’arrêté du 20 décembre 2018 du ministre chargé de la Santé après avis de l’ANSES et du CNOF.
Il convient de préciser que le ministère de la Santé ne délivre et ne prend plus d’arrêtés portant agrément des cercueils. Les fabricants doivent engager la vérification de leurs produits aux caractéristiques techniques dans l’arrêté auprès d’un organisme certificateur accrédité afin d’obtenir une attestation de conformité, préalable nécessaire à la mise sur le marché de leurs produits.
C’est dans ce cadre que l’institut technologique FCBA a élaboré un guide pour la délivrance des attestations de conformité des cercueils, également destiné à tout organisme accrédité pour la réalisation des essais de performance des cercueils. Les attestations restent valables dans la limite de 10 ans. Si la situation est très claire et bien avancée pour les cercueils, il n’en est pas de même pour les cercueils intégrés aux cercueils hermétiques.
Travaux concernant les accessoires et autres matériaux équipant les cercueils hermétiques
À la demande du ministre de la Santé, l’ANSES a été saisie d’une demande de mise en place de référentiels de certification des matériaux funéraires par le biais d’organismes d’accréditation. La DGS souhaite disposer d’un référentiel sur les cercueils hermétiques et dispositifs épurateurs de gaz.
Les référentiels ainsi produits devaient servir à la prise de l’arrêté par le ministère chargé de la Santé comme indiqué dans les articles R. 2213-26 et R. 2213-27 du CGCT, mais également de base de réflexion à une commission de normalisation pour l’élaboration de normes spécifiques à ces catégories d’articles funéraires, notamment les "enveloppes" (cercueils) hermétiques.
Cet arrêté n’ayant pas été pris à ce jour, et avant qu’il ne le soit, la DGS a saisi l’ANSES, le 16 décembre 2020, afin de mettre à jour ces deux référentiels et de prendre en compte de nouveaux éléments techniques tels que les cercueils intégrés réalisés avec un matériau autre que l’enveloppe métallique.
Dans son avis rendu le 2 mai 2022, il est important de rappeler que l’ANSES n’avait pas pour objectif de vérifier par l’expérimentation si des articles funéraires actuellement sur le marché pouvaient répondre aux essais proposés.
Par ailleurs, l’Agence, s’agissant des paramètres spécifiques aux housses hermétiques intégrées, estime qu’il n’a pas été possible de les définir à partir des normes existantes. Les échanges avec les experts consultés n’ont pas permis de proposer de valeurs sur la base de jugement. C’est dire la difficulté à progresser techniquement dans ce domaine.
C’est sur le plan de l’étanchéité des housses intégrées que l’ANSES formule les réserves les plus pertinentes. En effet, dans son avis, il est rappelé qu’elles doivent assurer l’étanchéité aux gaz pendant plusieurs mois, dans le cas d’un dépassement du délai légal d’inhumation ou de crémation si le décès est survenu en dehors de la métropole (jusqu’à 6 mois en cas de mise en caveau provisoire).
Tout en renvoyant à des essais avec des fluides issus de la décomposition humaine, il est proposé que le fabricant, responsable de la durabilité de son article, détermine la durée d’étanchéité aux gaz de son article et que cette durée soit clairement mentionnée au niveau de son étiquetage.
Face aux difficultés identifiées, l’ANSES a proposé que des essais de biodégradabilité doivent faire l’objet d’une réflexion au cas par cas, en fonction de la nature des matériaux non métalliques constitutifs de cercueils hermétiques. Le travail engagé par l’Agence a pour objectif de servir de base de réflexion à une commission de normalisation chargée d’élaborer des normes adaptées à ces articles funéraires. À date du 6 mai 2024, ces travaux sont à peine engagés. Les essais nécessaires n’ont pas été initiés et aucune disposition normative n’a été édictée.
Autre constat établi par l’agence, il porte sur le respect d’étanchéité aux gaz qui dépend des matériaux utilisés, du mode de fermeture du cercueil/housse hermétique, de sa mise en œuvre, mais également du mode de fixation du dispositif épurateur de gaz est également à prendre en compte afin d’assurer l’étanchéité totale et la durabilité de l’étanchéité.
Enfin, le rapport d’avis de l’ANSES insiste sur la nécessité de trouver un équilibre entre étanchéité et biodégradabilité. Un équilibre dont il n’est pas acquis, en l’état actuel de la situation, qu’il soit rapidement atteint, notamment avec l’intégration des nouveaux matériaux.
En attendant les prescriptions techniques du ministère, quelles sont les conditions pour la diffusion d’un cercueil hermétique en France ?
S’agissant notamment des cercueils hermétiques, il est évident qu’en l’absence d’un référentiel proposé par un avis de l’ANSES et repris dans un arrêté du ministère de la Santé, la diffusion d’un produit fabriqué dans un autre État membre ne pourra se faire que sous la responsabilité du fabricant et sous certaines conditions.
Une correspondance du directeur général de la santé précisant les conditions selon lesquelles un produit fabriqué dans un autre État membre et diffusé en France au titre de la libre circulation des marchandises ne saurait être interprétée ni comme un agrément du produit par le ministère ni comme une autorisation de commercialisation.
Les conditions de la commercialisation
Dans une correspondance du directeur général de la santé que nous avons consultée, il est précisé que la commercialisation sur le marché français se fera sous la responsabilité du fabricant, à qui il appartiendra de détenir tous documents justificatifs garantissant la sécurité et la traçabilité du produit au regard de la directive 2001/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2001 relative à la sécurité générale des produits.
Que prévoit la directive européenne ? Sans pour autant être très techniques, les dispositions de la directive européenne, transposée dans le Code de la consommation, imposent au producteur de mentionner que :
• Art. L. 421-3 : le produit ne doit pas porter atteinte à la sécurité des personnes.
• Art. L. 421-1 : le producteur doit fournir aux consommateurs les informations qui lui permettent d’évaluer les risques liés à l’utilisation de son produit.
• Art. L. 432-2 : le producteur doit adopter les mesures pour se tenir informé des risques que représente son produit et éventuellement procéder à son retrait du marché.
L’ensemble de ces informations devant figurer sur la documentation commerciale remise aux professionnels utilisateurs. À terme, lorsque le ministère aura édicté des prescriptions dans son futur arrêté, tout producteur, y compris communautaire, devra se plier au respect de ces nouvelles exigences, et il ne sera plus possible de s’appuyer sur le principe de la libre circulation pour être commercialisé en France.
Que passe-t-il si un produit ne respecte pas ces exigences ?
Les dispositions de la directive européenne sont très claires, dans cette hypothèse, il est permis aux autorités compétentes des États membres de prendre les mesures prévues à l’art. 8 de la directive, qui précise : "1. Aux fins de la présente directive, en particulier de son art. 6, les autorités compétentes des États membres disposent du pouvoir de prendre, entre autres, les mesures figurant au point :
a) pour tout produit ;
i) d’organiser, même après sa mise sur le marché comme sûr, des vérifications appropriées de ses caractéristiques de sécurité, sur une échelle suffisante, jusqu’au dernier stade de l’utilisation ou de la consommation."
Et, comme les autorise également l’alinéa d) de cette disposition, "d’interdire temporairement, pendant la période nécessaire aux différents contrôles, vérifications ou évaluations de la sécurité, de le fournir, de proposer de le fournir, ou de l’exposer".
Par autorités compétentes, il convient d’entendre, le ministère de la Santé, la DGCCRF et l’autorité judiciaire. Leur intervention est prévue même lorsqu’un produit est présenté comme sûr.
Le fabricant peut-il certifier lui-même la conformité de son produit aux dispositions du CGCT ?
Des travaux ont été impulsés par la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376 du 27 décembre 2006).
Selon cette directive, les États membres examinent et, le cas échéant, simplifient les procédures et formalités applicables pour accéder à une activité de services et l’exercer. Dans l’objectif notamment d’assurer la qualité des services, la directive vise à encourager par exemple la certification volontaire des activités ou l’élaboration de chartes de qualité. C’est dans cet objectif de certification des matériaux funéraires par le biais d’organismes d’accréditation que la DGS souhaite disposer d’un référentiel sur les cercueils hermétiques et leur dispositif épurateur, et qu’il a demandé un avis à l’ANSES.
Pour donner acte à cet objectif européen de certification des matériaux funéraires par le biais d’organismes d’accréditation, la DGS a souhaité disposer d’un référentiel sur les cercueils hermétiques et dispositifs épurateurs de gaz. La transposition de la directive "services" en droit français oblige réglementairement la mise en place de ce processus en fin d’année 2011.
C’est dans ce cadre que le décret n° 2018-966 du 8 novembre 2018 relatif aux cercueils modifie le régime applicable aux cercueils et aux garnitures intérieures étanches, en substituant à l’obtention d’un agrément ministériel la délivrance d’une attestation de conformité par un organisme accrédité, pour la mise sur le marché des cercueils. Ainsi donc, le fabricant ne peut certifier par lui-même la conformité de son produit sans passer par un organisme accrédité qui délivrera le certificat de conformité. En l’occurrence, le laboratoire FCBA.
Un avis de l’ANSES peut-il fonder une conformité ?
Afin de prendre, dans un arrêté, les prescriptions techniques prévues à l’art. R. 2213-17 relatives aux cercueils hermétiques, le ministère a sollicité l’avis de l’ANSES, laquelle a publié ses premiers travaux le 3 mai 2022, sans pour autant finaliser sa position sur leur étanchéité en raison de l’absence de norme d’évaluation.
Dès lors, la question se pose de savoir si un producteur peut s’appuyer sur l’avis de l’ANSES pour clamer la conformité de son produit. La position doctrinale de l’ANSES est très claire à ce sujet. Ses avis ne créent pas de normes réglementaires pouvant justifier une conformité.
Pourquoi l’avis de l’ANSES du 3 mai 2022 a été révisé et annulé par elle-même ?
La révision de l’avis de l’ANSES du 3 mai 2022 apporte une importante clarification quant à la mise sur le marché au titre de la libre circulation ou d’une conformité à cet avis. En effet, alors même que l’arrêté devant préciser les prescriptions techniques applicables n’a pas été publié et que les études menées par l’ANSES viennent à peine de débuter, l’ANSES prévient de toute possibilité de justifier la conformité d’un produit en se référant à son avis qui vient d’être révisé par cette dernière et procédé à son annulation en précisant : "en l’absence à ce jour d’arrêté du ministère chargé de la santé, une conformité à cet avis ne peut être revendiquée pour justifier une commercialisation sur le territoire français".
En conclusion de tout ce qui précède, force est de constater que le principe de la libre circulation dans le domaine funéraire est très délicat à mettre en œuvre, d’autant que l’harmonisation européenne n’est pas aisée et que les réglementations nationales continuent de s’imposer au nom de la santé publique et de la sécurité. Il n’est pas évident pour un produit qui n’a pas reçu un ancien agrément d’obtenir la libre circulation d’autant plus que la nouvelle réglementation est en construction et que c’est aux organismes certificateurs d’accorder ou pas la conformité et donc le passeport pour la commercialisation.
Méziane Benarab
Résonance n° 205 - Juillet 2024
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