Cette fiche n° 5809 est issue du service documentaire "Pratique des opérations funéraires" des Éditions WEKA, supervisé par Marie-Christine Monfort, forte de 20 ans d’expérience dans le domaine funéraire au sein de la Ville de Lille et de la Métropole Européenne de Lille. Mis à jour en permanence, ce service offre une veille juridique et réglementaire, et des conseils opérationnels pour tous les professionnels pratiquant le droit funéraire.
De nombreuses communes comprennent d’anciens "carrés confessionnels" au sein de leurs cimetières, qui trouvent leur origine dans un décret de 1804 désormais abrogé, qui obligeait les maires à affecter un lieu de sépulture distinct à chaque culte officiel pratiqué dans la commune (catholique, protestant ou juif).
Le principe de neutralité des cimetières a ensuite été consacré en 1881, et confirmé par la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. En vertu de ce principe, les maires doivent observer une stricte neutralité dans l’exercice de leurs pouvoirs de police des funérailles et des lieux de sépulture. Les cimetières ayant vocation à recevoir les défunts de toute confession ou croyance, la création de cimetières confessionnels, désormais, peut a priori sembler contraire à la loi.
L’importance de la communauté musulmane en France depuis les années 1970 a pourtant motivé la création de nouveaux carrés confessionnels dans certains cimetières, en application de préconisations gouvernementales exprimées dans plusieurs circulaires ministérielles, dont la dernière a été signée le 19 février 2008. Ce mouvement favorise l’émergence de demandes provenant des fidèles de diverses religions, ce qui peut laisser les maires incertains sur la conduite à tenir.
Un rapport du Sénat, daté du 5 juillet 2016, intitulé "De l’Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés", contient un chapitre VII : Les collectivités territoriales et le culte musulman.
Comment et à quelles conditions créer un carré confessionnel ?
Une démarche pragmatique
Répondez à des demandes de familles ou de représentants des communautés situées sur le territoire de la commune, ne les précédez pas. En l’absence de loi organisant le régime des regroupements confessionnels, l’État conseille par circulaire aux maires de répondre à des sollicitations, sans créer un nouveau régime général d’organisation des lieux de sépulture, ce qui supposerait la refonte des principes de séparation des Églises et de l’État. La démarche du maire doit donc être pragmatique, et dépendre des circonstances de temps et de lieux.
Le respect du principe de neutralité des cimetières
Regroupez les sépultures des défunts de même religion, le cas échéant, mais dans le respect du principe de neutralité des cimetières ; ainsi, les parties communes (allées, espaces publics…) doivent demeurer libres de tout signe religieux et il n’est pas permis d’indiquer par une signalétique la présence d’un carré confessionnel. D’ailleurs, il est constant en droit que les expressions religieuses des familles à l’occasion des funérailles ne doivent pas être entravées, de même que les sépultures concédées peuvent comporter des signes et attributs religieux, sous réserve de ne pas porter atteinte à l’ordre public.
À noter
Dans une réponse à un parlementaire qui l’interrogeait sur l’opportunité de maintenir la présence de signes religieux dans les parties publiques des cimetières (portails, crucifix dans les allées), le ministre de l’Intérieur a rappelé les dispositions contenues dans l’art. 28 de la loi du 9 décembre 1905 qui interdisent "à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics…".
Les cimetières construits avant la publication de la loi ont logiquement conservé les emblèmes existants, qui peuvent aujourd’hui faire l’objet de rénovations au titre de la sauvegarde du patrimoine, ce en toute légalité.
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Le respect du principe de liberté des funérailles
Laissez les familles libres de déterminer si elles souhaitent voir le défunt, selon ses dernières volontés exprimées, être inhumé dans un carré confessionnel s’il existe, ou non. En aucun cas le service de l’état civil ne peut d’office prescrire l’inhumation de telle ou telle personne dans telle partie du cimetière en raison de son appartenance religieuse. Il doit s’agir d’une demande expresse formulée par les personnes habilitées à pourvoir aux funérailles.
De plus, ne vérifiez pas la qualité de membre de la religion considérée, et ne consultez pas à cette fin les autorités religieuses locales. L’expression d’une simple demande aux fins d’être inhumé dans l’espace confessionnel suffit à la rendre légitime au sens de la loi.
Toute personne ayant droit à une sépulture dans le cimetière de la commune, au sens de l’art. L. 2223-3 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), doit pouvoir s’y faire inhumer quelle que soit sa religion et sans contrainte. Or, une personne ne partageant pas la confession d’un précédent défunt peut avoir explicitement souhaité se faire enterrer aux côtés d’un proche, ou sa famille peut estimer conforme aux vœux du défunt de l’inhumer au sein d’un espace confessionnel près d’un parent ou d’un proche ou dans un caveau familial inséré dans un espace confessionnel.
Dans ce cas, il est conseillé au maire de donner droit à cette demande, mais, assez curieusement et malgré le rappel du principe de neutralité des cimetières, la circulaire du 19 février 2008 enjoint les maires de veiller à ne pas autoriser l’apposition sur la sépulture du défunt d’un signe ou emblème religieux "qui dénaturerait l’espace et pourrait heurter certaines familles".
La garantie des prescriptions relatives aux conditions techniques d’inhumation
Faites intégralement respecter les règles légales relatives aux conditions techniques d’inhumation posées par l’art. R. 2213-15 du CGCT ; l’inhumation directement en pleine terre et sans cercueil ne peut être acceptée.
L’incitation ministérielle à la création d’ossuaires dédiés
Dans la mesure du possible, le ministère de l’Intérieur préconise de déposer les restes des corps exhumés après la reprise des concessions au sein des carrés confessionnels dans des ossuaires séparés par confession.
La situation des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle
Annexés à l’Allemagne de 1871 à 1918, ces 3 départements n’appartenaient pas au territoire français lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 proclamant la séparation des Églises et de l’État.
Saisi officiellement pour examiner la possibilité d’harmoniser la législation nationale, le Conseil d’État, dans un avis du 24 janvier 1925, confirmera que la loi du 18 germinal an X reste en vigueur en Alsace-Moselle.
Le régime concordataire est un élément du droit local spécifique qui reconnaît et organise les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite dont les ministres du culte sont rémunérés par l’État. Des voix s’élèvent actuellement pour intégrer la religion musulmane dans ce dispositif particulier. À noter l’ouverture en février 2012 du premier cimetière musulman municipal à Strasbourg.
Dans "les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte a un lieu d’inhumation particulier", selon les dispositions de l’art. L. 2542-12 du CGCT. Dans ces départements, les différents carrés confessionnels peuvent être signalés, être séparés par des murs, des clôtures ou des haies et comporter des entrées séparées. Ces dispositions ne sont pas d’application stricte, et plusieurs maires se sont entendus avec les représentants des différentes confessions pour donner à leurs cimetières un caractère interconfessionnel.
Dans une réponse récente à la question d’un parlementaire, le ministère de l’Intérieur précise que, si les dispositions de l’art. L. 2542-12 du CGCT ne s’appliquent qu’aux religions reconnues à l’époque de la promulgation de la loi du 18 germinal, le maire, dans le cadre de son pouvoir de police des funérailles et des cimetières, peut tout à fait organiser des espaces confessionnels pour des cultes "non reconnus", à condition que cet aménagement respecte et préserve la neutralité des parties publiques du cimetière (Question écrite n° 91799 du 31 mai 2016 publiée au JOAN).
Remarque
Il subsiste en France de nombreux cimetières privés juifs gérés par des associations à caractère cultuel ou non, qui obéissent à un régime plus libéral. S’il n’est plus possible d’en créer de nouveaux, ces lieux peuvent encore recevoir des inhumations sans autorisation préfectorale, et les autorités religieuses sont libres d’apprécier la légitimité de la demande d’y faire inhumer tel défunt.
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En revanche, les anciens carrés juifs présents dans certains cimetières publics obéissent au régime des "rapprochements de sépulture" décrit supra : les demandes d’inhumation dans ces espaces ne doivent en principe pas être subordonnées à l’autorisation des autorités religieuses locales. Dans les faits, la situation est plus complexe, et les maires, très seuls sur ces questions, n’ont aucun intérêt à heurter les communautés locales.
Vers une évolution de la législation ?
Dans un discours prononcé en début d’année 2024 à l’occasion de l’ouverture des travaux du Forum de l’islam de France, le ministre de l’Intérieur a annoncé le prochain règlement de "l’épineuse question des carrés confessionnels" dans les cimetières, après consultation de l’Association des Maires de France (AMF) et du Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF). Ce n’est certes pas la première fois que les pouvoirs publics s’interrogent sur le sujet.
En 2005, dans le cadre du 100e anniversaire de la séparation des Églises et de l’État, une commission est créée par Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, qui a livré son rapport le 20 septembre 2006. Cette commission, qui tient son nom de son président, Jean-Pierre Machelon, est chargée de mener une réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics.
Entre autres propositions, elle préconise une nouvelle rédaction de l’art. L. 2213-9 relatif à la police des cimetières : "Sont soumis au pouvoir de police du maire, le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort. Dans l’exercice de son pouvoir de police, le maire tient compte toutefois de la volonté exprimée par les personnes décédées en rapport avec leurs croyances."
Assortie d’une nouvelle rédaction de l’art. L. 2223-13 du CGCT relatif aux concessions funéraires : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux. Il est tenu compte à cet effet des convictions religieuses exprimées par les demandeurs."
En 2012, le Défenseur des droits, dans un rapport sur la législation funéraire, écrivait : "Cette ambiguïté, préjudiciable aux familles et aux maires, rend ces situations juridiquement fragiles et susceptibles d’être remises en cause", et s’étonnait qu’une "simple circulaire" encourage des "arrangements locaux qui conduisent à l’existence d’espaces confessionnels de fait" alors que la loi l’interdit.
Notre conseil
• Déterminez, avec les autorités religieuses et/ou les associations cultuelles concernées, les usages en matière de sépulture tels que l’orientation des tombes, les dispositions particulières relatives à l’entretien des parties communes ou des tombes "gratuites". Le principe de neutralité des cimetières n’interdit en effet pas au maire de prévoir une orientation particulière des tombes dans un carré confessionnel.
• Ne donnez pas une existence juridique aux carrés sous forme d’arrêté de police administrative. La circulaire du 19 février 2008 ne le prévoit d’ailleurs pas. Ils ne sont juridiquement que des "regroupements de sépultures" justifiés par des demandes locales et en accord avec la bienveillance affichée par l’État, mais au fondement juridique ténu.
Erreurs à éviter
• Ne fondez pas vos éventuels refus de regroupements de sépultures sur des critères sociaux, historiques ou même démographiques. Il paraît évident que les circulaires successives de 1975, 1991 et 2008 visent les carrés confessionnels musulmans, le but affiché par l’État étant, "par souci d’intégration des familles issues de l’immigration, de favoriser l’inhumation de leurs proches sur le territoire français", mais aucune religion n’y est mentionnée en particulier. Aussi, aucun critère dans les textes ne permet à un maire de juger la demande des fidèles de telle religion plus légitime que celle des fidèles d’un autre culte. Ainsi apparaissent des rapprochements de sépulture pour des cultes très divers, tels que les religions baha’ie, yézide ou bouddhiste. Fondez vos éventuels refus sur l’argument du manque de disponibilité d’emplacements.
À noter
Le paradoxe de la position des autorités républicaines dans la circulaire précitée est de conseiller aux maires d’accorder aux membres de religions minoritaires ce qui n’est pas prévu pour la majorité de la population française. Il est d’ailleurs possible de prévoir à plus ou moins long terme des demandes de regroupements de sépultures émanant de membres de la religion catholique romaine ; la position de l’État, si elle est sollicitée sur ce point, sera le cas échéant attendue.
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• N’acceptez pas obligatoirement d’inhumer au sein d’un carré confessionnel les personnes de la confession concernée non décédées, non domiciliées sur le territoire de la commune ou qui n’ont pas droit à une sépulture de famille (art. L. 2223-3 du CGCT). Le maire peut refuser l’inhumation dans le cimetière communal si la situation du défunt ne correspond pas à l’un des cas précités, et la présence d’un carré confessionnel ne crée aucune nouvelle obligation sur ce point pour la commune.
FAQ
Le maire peut-il être obligé de créer un carré confessionnel ?
Non, en l’état actuel du droit. Il ne s’agit que d’une faculté, certes encouragée par l’État, mais qui ne repose sur aucune obligation d’origine légale.
La création d’un ossuaire distinct par religion est-elle nécessaire ?
Non. La création d’ossuaires séparés est simplement conseillée par la circulaire du 19 février 2008, mais elle est objectivement au-delà des capacités de beaucoup de communes. Des communes disposant de carrés confessionnels déposent d’ailleurs les restes des corps exhumés dans des ossuaires communs sans que cela provoque des troubles.
Le maire peut-il s’opposer à l’apposition de signes religieux sur les sépultures ?
En principe, non. Ce en vertu du principe de liberté de sépulture, qui permet aux familles de faire apposer sur la tombe de leur défunt des signes religieux. Le maire peut toutefois s’opposer à cette apposition en cas de risque pour l’ordre public (art. R. 2223-8 du CGCT), mais en aucun cas pour des motifs esthétiques.
Références juridiques
• CGCT :
• art. L. 2213-9 posant le principe de neutralité de la police des funérailles et des lieux de sépulture "à raison des croyances ou du culte du défunt".
• art. L. 2223-1 déterminant les obligations des communes en matière de création de cimetières et de sites cinéraires.
• art. L. 2223-13 prévoyant la possibilité de concéder des terrains pour y fonder des sépultures dans les cimetières.
• art. R. 2213-15 précisant les conditions techniques des inhumations.
• art. R. 2223-8 soumettant l’apposition des inscriptions funéraires sur les sépultures à l’approbation du maire.
• art. L. 2542-12 en vertu duquel le principe de neutralité des cimetières ne s’applique pas dans les départements du Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle.
• art. L. 2223-3 déterminant la liste des personnes qui ont droit à sépulture dans la commune.
• Circulaire du ministre de l’Intérieur du 19 février 2008 relative à la police des sépultures précisant les conditions de création des carrés confessionnels par les maires.
• Question écrite n° 15233 du 12 janvier 2017 publiée au JOAN.
• Rép. min. à QE n° 91799 du 31 mai 2016 publiée au JOAN.
Bibliographie
• "De l’Islam en France à un Islam de France", rapport du Sénat, juillet 2016.
Marie-Christine Monfort
Transmis par Mariam El Habib
Éditrice Services à la population, WEKA
Résonance n° 204 - Juin 2024
Résonance n° 204 - Juin 2024
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