Tribunal administratif, Besançon 17 octobre 2023 – n° 2200326.
Un défunt a été inhumé dans un caveau appartenant à sa sœur, puis Mme B, conjointe du défunt, demanda et obtint une exhumation de celui-ci afin de le réinhumer dans un caveau dans le même cimetière. Un mois après cette exhumation, elle déposa une nouvelle demande afin de le faire inhumer derechef dans une autre sépulture familiale située dans la commune où elle réside avec leurs deux enfants. Elle invoque afin de justifier cette demande des difficultés familiales l’ayant empêchée de procéder directement à l’inhumation dans cette seconde sépulture. Voici une question intéressante : peut-on opérer des exhumations sur un court laps de temps ?
L’exhumation : un droit opposable à l’Administration
Le juge ne remet pas en cause la qualité du demandeur à obtenir une exhumation. Il est remarquable de constater qu’il sanctionne d’ailleurs, dans un premier temps, le fait que le maire refusa cette demande d’exhumation au motif qu’il n’y avait pas "d’absolue nécessité", mais qu’il prend soin de relever, dans un second temps, que le maire saisi d’une telle demande doit "s’assurer du respect de l’intégrité et de la dignité dû au corps du défunt, notamment par la stabilité du lieu de son repos". Il valide alors le refus du maire fondé sur la paix des morts…
Ce jugement constitue le contrepoint parfait d’un autre, commenté dans nos colonnes le mois dernier (tribunal administratif, Melun, 2e chambre, 11 avril 2024 – n° 2108371). Nous avions en effet rappelé que l’art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ne fait que mentionner les conditions de demande de l’autorisation d’exhumation : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande."
On se souvient également que, selon l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, "tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l’exécution de ses dispositions. Sa volonté, exprimée dans un testament ou dans une déclaration faite en forme testamentaire, soit par devant notaire, soit sous signature privée, a la même force qu’une disposition testamentaire relative aux biens, elle est soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation".
Le tribunal administratif de Melun combinait alors ces deux dispositions pour en tirer la conséquence que la commune, saisie d’une demande d’exhumation par le plus proche parent du défunt, doit s’assurer, au vu des pièces fournies par le pétitionnaire, que "le défunt n’a pas exprimé une volonté relative à sa sépulture qui s’opposerait à l’exhumation". Enfin, ce demandeur doit "attester sur l’honneur que le défunt n’a pas exprimé une telle volonté, ou bien qu’il l’a ensuite révoquée".
Nous avions alors rappelé qu’en toute orthodoxie, l’exhumation est un acte de police (CE 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE p. 391) et que la volonté d’un particulier, fût-elle protégée par le respect dû aux dernières volontés d’un défunt, ne peut lier ce pouvoir (pour illustration : TA d’Amiens 23 mai 2005, M. Marquet, req. n° 0400344 ; TA de Toulouse 2 juin 2005, Mlle Toulze, req. n° 0303916). En quelque sorte, l’exhumation, en l’absence de tout conflit familial, est ainsi, pour reprendre l’heureuse expression de Marie-Thérése Viel (Droit funéraire et gestion des cimetières, Berger-Levrault, 1999, p. 262), un droit opposable à l’Administration.
Si une personne remplit les conditions de plus proche parent et qu’il n’y a pas de conflit au sein de la famille, l’Administration doit autoriser l’exhumation.
C’est bien cette position qui est de nouveau défendue par le tribunal administratif de Besançon, qui rappelle la nature d’acte de police de l’exhumation en citant expressément les articles L. 2213-8 et L. 2213-9 du CGCT. Dans le cas où il n’existe aucun conflit familial et où la demande est bien présentée par le plus proche parent, le maire ne peut refuser la demande d’exhumation sauf pour des motifs "tirés de l’ordre public, de la salubrité, de la décence et du respect dû aux morts". Par suite, en opposant à la requérante le motif tiré de l’absence d’absolue nécessité (c’est le jugement qui met en gras ce membre de phrase), le maire a entaché sa décision d’une erreur de droit…
L’exhumation ne doit pas perturber la paix des morts
On rappellera alors que, traditionnellement, en cas de conflit familial, l’exhumation ne doit surtout pas être accordée par le maire. Dans ce cas, il faut renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire, qui alors tranchera le différend. Il faut savoir alors que le juge, en général, refusera d’ailleurs l’exhumation dans la plupart des cas, pour que le repos des morts ne soit pas troublé par les divisions des vivants. Il semble alors que l’exhumation ne sera accordée que dans deux cas (CA Toulouse, 7 février 2000 : JCP G 2000, IV, n° 2374) :
- soit la sépulture est provisoire ;
- soit la volonté du défunt n’a pas été respectée quant aux modalités de son inhumation.
On remarquera d’ailleurs que la jurisprudence semble assimiler une sépulture en terrain privé à une sépulture provisoire afin de mieux en autoriser l’exhumation (CA Bordeaux, 6e chambre civile, 28 février 2012, n° 11/03209, Alain L. c/ Renée L. veuve L., Annick L. épouse C. et Roselyne L. divorcée S.). Dans ces cas, la commune attendra la notification du jugement pour décider d’exhumer ou, au contraire, pour ne pas exhumer. Le maire n’a, de nouveau, aucune marge de manœuvre.
Néanmoins, en l’espèce, le tribunal administratif va combiner les pouvoirs de police du maire en matière de police des exhumations avec les dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil, selon lesquelles : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence." Il en tire la conséquence que le refus du maire est justifié car ces exhumations à répétition portent atteinte au respect dû au mort et sont attentatoires tant à sa dignité qu’à son intégrité. C’est donc au nom de ses pouvoirs de police qu’il estime devoir refuser cette exhumation.
In fine, on remarquera que le juge évoque également le souci du maire de préserver l’intégrité du corps du défunt. On rappellera à cette occasion que, si le CGCT oblige à attendre une année entre la date du décès et la date d’exhumation (art. R. 2213-41) dans l’hypothèse où la personne décédée était atteinte d’une infection transmissible, en revanche, aucun délai n’est à respecter pour les autres hypothèses de demandes d’exhumation. Toutefois, si, lors de l’exhumation, il est trouvé un cercueil en bon état de conservation, celui-ci ne pourra être ouvert que si un délai de cinq ans depuis le décès s’est écoulé (CGCT, art. R. 2213-42), et, si le cercueil est détérioré, le corps devra être placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Lille
Résonance n° 204 - Juin 2024
Résonance n° 204 - Juin 2024
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