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3e Partie : La responsabilité de l’opérateur funéraire en matière commerciale
A. La responsabilité civile
La responsabilité civile a simplement vocation à réparer un dommage (et non à punir). Lorsque le préjudice est subi par une partie à un contrat et qu’il découle de l’exécution ou de l’inexécution du contrat, c’est la responsabilité contractuelle du débiteur qui sera engagée (1). En revanche, en l’absence de contrat, ou si le préjudice a été causé avant la conclusion du contrat, c’est la responsabilité délictuelle de l’auteur du dommage qui sera engagée (2).
1. La responsabilité civile contractuelle
Lorsque le débiteur a manqué à l’exécution de ses obligations nées du contrat, le créancier peut engager la responsabilité contractuelle du débiteur aux fins d’obtenir une exécution par équivalent de son obligation, et la réparation du préjudice qu’il aurait éventuellement subi du fait de l’inexécution. Les règles relatives à la "réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat" sont prévues aux articles 1231 et suivants du Code civil.
Les conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle
L’engagement de la responsabilité contractuelle du débiteur défaillant est subordonné à trois conditions : une inexécution de ses obligations contractuelles, un dommage subi par le créancier, et un lien de causalité entre l’inexécution et le dommage.
- L’inexécution de ses obligations contractuelles par le débiteur
Cette inexécution peut être totale (par exemple : absence de paiement d’un bien livré ou d’une prestation réalisée, ou encore absence de livraison du bien ou de réalisation de la prestation) ou partielle (par exemple : paiement partiel du prix ou réalisation partielle d’une prestation). Cependant, l’inexécution de son obligation par le débiteur est insuffisante pour engager sa responsabilité. Il est en effet nécessaire que ce dernier ait subi un dommage.
- L’existence d’un dommage subi par le créancier
Le dommage peut être matériel, corporel, ou encore moral lorsqu’il n’est ni matériel ni corporel (souffrance affective, physique ou psychique). En outre, le dommage doit être indemnisable. Pour cela, il doit être certain (c’est-à-dire réalisé) ou doit avoir occasionné une perte de chance. En outre, le dommage doit être normalement prévisible lors de la conclusion du contrat.
- Un lien de causalité
L’engagement de la responsabilité contractuelle du débiteur exige un lien de causalité direct entre l’inexécution et le dommage. C’est ce qu’indique l’art. 1151 du Code civil : l’indemnisation ne portera que sur "ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention".
Les causes d’exonération de responsabilité
Elles sont de deux ordres : les causes légales d’exonération et les clauses conventionnelles d’exonération de responsabilité.
- Les causes légales d’exonération
En premier lieu, l’inexécution des obligations nées du contrat découlant de la force majeure est exonératoire de responsabilité. La force majeure est définie de façon stricte à l’art. 1218 du Code civil, aux termes duquel : "Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur."
L’inexécution peut également découler de la faute d’un tiers au contrat ou d’une faute de la victime elle-même. Dans cette dernière hypothèse, si la faute émane exclusivement du créancier, elle libère totalement le débiteur, mais, en présence également d’une faute du débiteur, il y aura un partage des responsabilités entre le débiteur et le créancier.
- Les clauses conventionnelles de responsabilité
Le contrat peut prévoir dans certains cas des clauses alourdissant la responsabilité des parties, ou bien encore des clauses limitant ou supprimant la responsabilité des parties dans l’hypothèse de circonstances particulières. Ces clauses ont cependant une validité très limitée, et en particulier en matière de droit de la consommation.
Sont en effet considérées comme abusives les clauses tendant à limiter la responsabilité du professionnel en cas d’inexécution. Et d’une façon générale, le Code civil dispose dans son art. 1170 que : "Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite."
La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle
Lorsque le créancier envisage d’engager la responsabilité contractuelle de son débiteur, celui-ci doit se plier à des règles de forme précises, au risque de mettre en échec sa volonté d’obtenir la réparation de son préjudice. En premier lieu, aux termes de l’art. 1231 du Code civil : "À moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable."
La mise en demeure constitue donc un préalable obligatoire pour obtenir :
(a) l’exécution forcée de l’obligation non exécutée (ou le cas échéant la résolution du contrat),
(b) l’engagement de la responsabilité contractuelle du débiteur et la réparation du préjudice du créancier,
(c) le calcul d’intérêts moratoires pour réparer le préjudice découlant du retard d’exécution. Le plus souvent, l’exécution forcée est difficile à obtenir. Cette dernière pourra donc être remplacée par une réparation financière par équivalent. La mise en demeure effectuée, les demandes chiffrées devront être adressées au juge civil, qui se prononcera après avoir entendu en défense les arguments du débiteur défaillant.
2. La responsabilité civile délictuelle
Qualifiée de "responsabilité extracontractuelle" par le Code civil, son principe général est posé à l’art. 1240 aux termes duquel : "Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer", et l’art. 1241 précise que : "Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence."
Cette hypothèse d’engagement de responsabilité de l’auteur du dommage a vocation à s’appliquer en l’absence de contrat, ou pendant les relations de négociations du contrat avant sa conclusion. Les situations sont vastes, mais l’on peut citer à titre d’exemple dans le domaine funéraire : le dommage causé sur une sépulture à l’occasion d’un repérage en vue de proposer au client des réparations sur le monument, ou encore le client qui se blesse en trébuchant sur un objet déposé sur le sol du magasin ou contre la semelle ou le soubassement d’un monument mal fixé exposé devant le magasin, etc.
B. Les sanctions civiles du contrat
1. Les sanctions civiles prévues par le Code civil
Il s’agit principalement de la nullité, mais également de la caducité.
- La nullité du contrat
Elle est prévue à l’art. 1178 du Code civil : "Un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul." Elle doit "être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d’un commun accord". Lorsque la nullité est déclarée ou constatée : "Le contrat […] est censé ne jamais avoir existé." "Les prestations exécutées donnent lieu à restitution."
Cependant, aux termes de l’art. 1352-8 du Code civil, "la restitution d’une prestation de service a lieu en valeur". Enfin, "indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle" (dans la mesure où les effets de la nullité sont la disparition rétroactive du contrat : le contrat sera réputé n’avoir jamais existé).
En la matière, les conditions de validité sont nombreuses, en particulier lorsqu’il est fait application des règles du droit de la consommation. Cela montre la grande fragilité, au détriment de l’opérateur funéraire, des contrats conclus avec les familles ne respectant pas les règles obligatoires.
- La caducité du contrat
L’art. 1186 dispose qu’un "contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît". Et l’art. 1187 précise que "la caducité met fin au contrat".
2. Les sanctions civiles prévues par le Code de la consommation
Il s’agit dans toutes les hypothèses de la nullité du contrat :
- En cas de pratique commerciale agressive
"Le contrat conclu à la suite d’une pratique commerciale agressive […]est nul et de nul effet" (art. L. 132-10 du Code de la consommation).
- En cas d’abus de faiblesse
"Le contrat conclu à la suite d’un abus de faiblesse […] est nul et de nul effet" (art. L. 132-13 du Code de la consommation).
- En cas de vente ou prestation de services sans commande préalable
"Tout contrat conclu à la suite d’une pratique commerciale illicite mentionnée à l’art. L. 121-12 est nul et de nul effet." En outre, "le professionnel doit […] restituer les sommes qu’il aurait indûment perçues sans engagement exprès et préalable du consommateur" (art. L. 132-16 du Code de la consommation).
C. Les sanctions pénales
La responsabilité pénale
Elle se différencie de la responsabilité civile en ce qu’elle n’est engagée qu’à l’occasion de faits précis constituant des infractions (crimes, délits ou contraventions) et expressément prévus par un texte spécial. Ce texte prévoit les faits réprimés (l’incrimination) et la sanction (la peine). Le caractère répressif de cette branche du droit que constitue le droit pénal poursuit un objectif différent du droit civil.
En effet, là où la responsabilité civile a simplement vocation à réparer le dommage causé par "tout fait quelconque" à la victime, les faits précis, définis et réprimés par les textes répressifs sont considérés comme tellement graves qu’ils atteignent non plus seulement leur victime, mais la société tout entière. En fonction de la gravité de l’infraction commise, la sanction peut prendre la forme d’une peine d’emprisonnement, d’une peine d’amende et, le cas échéant, d’une peine privative de droits.
L’engagement de la responsabilité pénale de l’auteur des faits n’exclut bien entendu pas l’engagement de sa responsabilité civile pour réparer le dommage causé à la victime. Dans les activités commerciales funéraires, deux types d’infractions pourraient être commises : les plus graves sont prévues par le Code pénal et relèvent du droit commun (1), les autres sont prévues et réprimées par le Code de la consommation (2).
1. Les infractions prévues par le Code pénal
Bien qu’elles ne soient pas exclusives du domaine commercial et encore moins du domaine funéraire, la commission de ces infractions est favorisée par la méconnaissance technique des familles, par leur état de particulière vulnérabilité consécutive au décès d’un proche, ou encore par l’âge de certaines personnes, clientes des entreprises de pompes funèbres. Il s’agit principalement de l’escroquerie, de l’abus de confiance et de l’abus de faiblesse.
L’escroquerie
Elle est définie à l’art. 313-1 du Code pénal, aux termes duquel : "L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge." Elle est réprimée par une peine "de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende", et sa tentative "est punie des mêmes peines" (art. 313-3 du Code pénal).
L’abus de confiance
L’abus de confiance quant à lui est défini à l’art. 314-1 du Code pénal, et se définit comme "le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé". Il est "puni de 3 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende".
L’abus de faiblesse
Il est prévu à l’art. 223-15-2 du Code pénal, et consiste dans "l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables". La peine encourue est de "3 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende".
2. Les infractions prévues par le Code de la consommation
Contrairement aux infractions visées ci-dessus, il s’agit d’infractions spécifiques en matière d’activités commerciales entre un professionnel et un particulier. Elles ont vocation à sanctionner le professionnel qui abuserait de sa position à l’égard du consommateur.
Les pratiques commerciales trompeuses
"Les pratiques commerciales trompeuses mentionnées aux articles L. 121-2 à L. 121-4 sont punies d’un emprisonnement de 2 ans et d’une amende de 300 000 €" (art. L. 132-2 du Code de la consommation). En outre, "en cas de condamnation, le tribunal ordonne, par tous moyens appropriés, l’affichage ou la diffusion de l’intégralité ou d’une partie de la décision […]" (art. L. 132-4).
Les pratiques commerciales agressives
Les pratiques commerciales agressives mentionnées aux articles L. 121-6 et L. 121-7 sont punies d’un emprisonnement de 2 ans et d’une amende de 300 000 €. En outre, "en cas de condamnation, le tribunal ordonne, par tous moyens appropriés, l’affichage ou la diffusion de l’intégralité ou d’une partie de la décision".
L’abus de faiblesse
"Le fait d’abuser de la faiblesse ou de l’ignorance d’une personne au sens des articles L. 121-8 à L. 121-10 est puni d’un emprisonnement de 3 ans et d’une amende de 375 000 €" (art. L. 132-14 du Code de la consommation).
La vente et la prestation de service sans commande préalable
Ces actes sont punis "d’un emprisonnement de 2 ans et d’une amende de 300 000 €" (art. L.132-17 du Code de la consommation).
Le paiement supplémentaire sans consentement exprès
"Tout manquement à l’obligation de recueil du consentement exprès du consommateur dans les conditions prévues à l’art. L. 121-17 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale" (art. L. 132-22 du Code de la consommation).
D. Les sanctions administratives prévues par le Code de la consommation
Elles ont vocation à sanctionner les manquements généraux qui n’ont pas nécessairement de relation directe avec un consommateur en particulier, c’est-à-dire les manquements à l’obligation générale d’information précontractuelle et à l’information sur les prix et conditions de vente. Les sanctions administratives sont sanctionnées par l’autorité en charge de la concurrence et de la consommation selon une procédure différente de la procédure pénale et dont le contentieux relève de la compétence des juridictions administratives (art. L. 522-1 et suivants du Code de la consommation).
Les manquements à l’obligation d’information précontractuelle
L’art. L. 131-1 du Code de la consommation dispose que : "Tout manquement aux obligations d’information précontractuelle mentionnées aux articles L. 111-1 à L. 111-3 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale."
Les manquements à l’obligation d’information sur les prix et conditions de vente
L’art. L.131-5 du Code de la consommation dispose que : "Tout manquement aux dispositions de l’art. L. 112-1 définissant les modalités d’information sur le prix et les conditions de vente ainsi qu’aux dispositions des arrêtés pris pour son application est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale." En outre, la même sanction est encourue pour "tout manquement aux dispositions des articles L. 112-3 et L. 112-4 relatifs aux modalités de calcul du prix".
La DGCCRF La DGCCRF est une administration de l’État relevant du ministère de l’Économie. Elle veille au bon fonctionnement des marchés, au bénéfice des consommateurs et des entreprises, sur trois axes : (1) la régulation concurrentielle des marchés, (2) la protection économique des consommateurs, (3) la sécurité des consommateurs. Elle dispose de services dédiés au contrôle des entreprises. En 2018 (tous secteurs d’activités confondus), elle a effectué 543 000 vérifications et contrôlé 111 600 établissements. À l’occasion de ses activités de vérification et contrôle, elle a, en 2018, constaté 128 568 manquements et infractions, donné 81 227 suites pédagogiques (avertissements) et 31 711 suites correctives (mesures de police administrative), engagé 37 procédures civiles et commerciales, dressé 10 437 procès-verbaux en matière pénale et dressé 5 099 procès-verbaux en matière administrative. En matière funéraire, la DGCCRF opère régulièrement des contrôles auprès d’entreprises du secteur. Le 8 novembre 2018, elle publiait un rapport relatif à ses opérations de contrôle menées en 2017. Les principaux manquements relevés étaient les suivants : 1. Une information des consommateurs insuffisante - une documentation générale rarement disponible et souvent imprécise, - des manquements sur l’affichage des fournitures funéraires, - des soins de conservation systématiquement proposés aux familles, - le formalisme du devis-type rarement conforme. 2. Des sites Internet de commerce et des sites de comparateurs en infraction 3. Encore trop de complexité dans les contrats obsèques À ce titre, le rapport fait état d’un taux de 66,9 % d’infractions aux règles de la consommation régissant le secteur funéraire. Les suites données par la DGCCRF aux constatations de ces manquements ont été les suivantes : - 52 procès-verbaux administratifs, - 1 procès-verbal pénal, - 129 injonctions, - 263 avertissements, - 3 rapports transmis au procureur de la République concernant un opérateur non habilité qui commercialisait des contrats obsèques sans contrat d’assurance et deux opérateurs non habilités. 4. Des pratiques commerciales abusives dans les conditions générales de vente 5. Une méconnaissance de la réglementation ou une mauvaise interprétation par les opérateurs |
Me Xavier Anonin
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Résonance n° 203 - Mai 2024
Résonance n° 203 - Mai 2024
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