Évolutions législatives, jurisprudentielles et doctrinales de janvier et février 2024.
Cérémonie et musique : les droits d’auteurs s’appliquent
Le tribunal judiciaire de P… juge que les opérateurs funéraires doivent bien verser des redevances à la SACEM au titre des droits d’auteur, et même, des droits dits "voisins" d’artistes-interprètes et producteurs de disques auprès de la Société pour la perception de la rémunération équitable de la communication au public des phonogrammes du commerce (SPRE – la SPRE ayant donné mandat à la SACEM afin de collecter pour son compte la rémunération équitable due par les établissements diffusant une musique de sonorisation).
En réalité, ceci n’a rien de nouveau, les opérateurs funéraires ont, de longue date, signé, avec la SACEM et la SPRE, des contrats au titre des droits d’auteur. C’est la SACEM, en France, Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, société de droit privé, qui a la charge de défendre les intérêts de ses adhérents auteurs et de percevoir pour leur compte les rémunérations qui leurs reviennent.
La SACEM est habilitée à conclure des contrats généraux de représentation avec les entreprises, institutions ou personnes diffusant de la musique pour leur propre compte, contrats qui donnent accès à l’intégralité du répertoire des adhérents de la société moyennant le paiement d’une somme dont le calcul est variable selon l’activité.
En l’occurrence, l’opérateur de pompes funèbres avait déjà conclu en 2006 un tel contrat avec la SACEM, mais voulait le résilier, au motif (entre autres arguments) à titre principal que les diffusions qu’il effectue ne constitueraient pas une communication au public au sens de l’art. 3.1 de la directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne et, à titre subsidiaire, s’adresseraient à un cercle de famille au sens de l’art. L. 122- 5 du CPI qui prévoit plusieurs exceptions à l’application du droit d’auteur, dont "les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille."
En pratique, l’opérateur, devant le juge, invoquait la nullité des contrats conclus avec la SACEM, et demandait le remboursement des sommes versées.
Sur la question de la "communication au public", le tribunal revient sur la jurisprudence européenne, en rappelant que, pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), il ressort de l’art. 3, paragraphe 1, de la directive, que "la notion de communication au public" :
• associe deux éléments cumulatifs, un "acte de communication" d’une œuvre et la communication de cette dernière à un "public" (CJUE, 16 mars 2017, AKM, C 138/16, point 22 ; 14 juin 2017, Stichting Brein, C 610/15, point 24 ; 7 août 2018, C 161/17, point 19) ;
• doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre la transmission des œuvres radiodiffusées, au moyen d’un écran de télévision et de haut-parleurs, aux clients présents dans un café-restaurant (CJUE, 4 octobre 2011, Football Association Premier League, C-403/08 et C-429/08) ;
• doit être entendue au sens large, ainsi que l’énonce d’ailleurs explicitement le vingt-troisième considérant de cette directive (CJUE, 4 octobre 2011, Football Association Premier League, précité), car la directive sur le droit d’auteur a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres.
Pour le tribunal, la diffusion de phonogrammes lors d’obsèques est réalisée au public présent sur le lieu de la communication et non à distance, et constitue une communication au public et, partant, une représentation des œuvres au sens de l’art. L. 122-2 du CPI, de sorte que l’autorisation préalable des titulaires des droits est requise en application de l’art. L. 122-4 du même Code.
Vient alors l’examen de l’exception du "cercle de famille" au sens du CPI. C’est cette exception qui permet de regarder à la maison, en famille ou entre amis, les programmes de télévision, VOD, DVD, Blu-Ray, etc.
Pour bénéficier de l’exemption de droits d’auteur, ces diffusions doivent être effectuées gratuitement et en présence d’un nombre limité de personnes liées par une communauté d’intérêts. La question posée était alors de savoir si la famille d’un défunt présente lors d’une cérémonie organisée par un opérateur de pompes funèbres constitue un tel cercle, même si elle se trouve dans un lieu public.
L’opérateur argumentait ne pas faire payer ce service par la famille ou les proches du défunt. Mais le tribunal retient quant à lui que la diffusion de phonogrammes lors des obsèques est réalisée en exécution d’un contrat global qui a un but lucratif.
Le tribunal distingue les services commerciaux des pompes funèbres et la situation "des parents et amis du défunt qui, considérés comme formant un cercle de famille, diffusent gratuitement des phonogrammes par leurs propres moyens de sonorisation lors des obsèques", seules ces dernières bénéficiant de l’exception à la perception des droits d’auteur.
Au cas particulier des obsèques réalisées en exécution d’un contrat global à but lucratif, l’autorisation des auteurs, et donc le contrat préalable avec la SACEM et la SPRE, sont bien requis et les redevances sont dues.
Résumé
Les auteurs d’œuvres sont titulaires d’un "droit de représentation" reconnu par la loi à tous les auteurs d’une œuvre de l’esprit. Ce droit permet, d’une part, d’autoriser ou d’interdire toute communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque, tel que la télédiffusion, l’exposition, ou la retransmission dans un lieu public, et d’autre part, surtout, d’en tirer une rémunération.
Le raisonnement vaut pour les diffusions visuelles et/ou sonores, dans tout lieu accessible à du public ou des clients, peu important que ces derniers payent ou non pour bénéficier du service.
Au cas particulier des opérateurs funéraires, le tribunal prend le soin de souligner que la diffusion de musiques n’est pas facturée comme un service supplémentaire, mais entre bien dans la composition du prix du service global payé par les familles.
À retenir
La diffusion de phonogrammes lors d’obsèques constitue une communication au public et, partant, une représentation des œuvres au sens de l’art. L. 122- 2 du CPI, de sorte que l’autorisation préalable des titulaires des droits est requise, entraînant le paiement d’une redevance.
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Source : Tribunal judiciaire de Paris, 3e chambre 3e section, 31 janvier 2024, n° 20/03574
Me Philippe Nugue
Doctrine / Divers
1 - L’inhumation, la crémation… et bientôt l’humusation ? Que nous dit le droit ?
- Art. complet
L’inhumation et la crémation sont, pour l’heure, les deux seuls modes de funérailles légaux en France : pas d’alternative possible sur le territoire. Cette règle provient de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles et d’une suite de décrets, à commencer par celui du 27 avril 1889 relatif à l’incinération, textes toujours en vigueur aujourd’hui.
Pourtant, des modes alternatifs de sépulture se développent actuellement dans le monde et se font même une place dans la loi de certains États. C’est notamment le cas de l’humusation.
L’humusation est un processus destiné à permettre un retour du corps à la terre par des micro-organismes présents dans un sol préparé à cet effet. Autrement dit, il s’agit d’une technique permettant d’enterrer le corps à même le sol afin qu’il puisse se transformer en humus sain et fertile.
Au sommaire :
- Pas de reconnaissance encore
- Obstacles idéologiques et juridiques
2 - Pour la création du Registre national des volontés funéraires
Lors de la journée d’études organisée le 12 septembre 2022 au Sénat consacrée à "la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 relative à la législation funéraire dite "loi Sueur" bilans et perspectives", sous le haut patronage de Jean-Pierre Sueur, ancien ministre, sénateur du Loiret, coorganisée avec Résonance funéraire, nous avions abordé ce sujet dans l’atelier "Quels droits funéraires pour aujourd’hui et pour demain ?" et appelé de nos vœux la création d’un tel registre. Nos vœux accompagnent désormais le projet de Manon Deschamps.
Me Philippe Nugue
Organisation
Droit de la famille n° 2, février 2024, entretien 7
Manon Deschamps, clerc de notaire, soutient la création d’un "Registre national des volontés funéraires". Son projet sera examiné par la Chancellerie, le ministre de la Justice ayant été chargé de sa requête.
ADALTYS AVOCATS
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