Évolutions législatives, jurisprudentielles et doctrinales novembre/décembre 2023.
Par un arrêté du 27 mai 2013, le maire accorde à la petite-fille de Mme E une concession funéraire cinquantenaire, pour une sépulture "familiale – opposition à crémation". À la suite de son décès survenu le 21 août 2019, l’époux de Mme E est inhumé dans l’un des deux caveaux acquis par Mme E et situés au sein de cette concession funéraire de famille conformément à une autorisation d’inhumation délivrée par le maire à la petite-fille à la suite de la demande présentée par cette dernière en sa qualité d’unique titulaire de ladite concession.
Par un courrier du 20 août 2020, Mme E saisit les services municipaux d’une 1re demande tendant à ce que le maire procède à la modification unilatérale de la concession funéraire accordée à sa petite-fille en la désignant comme la nouvelle titulaire de cette concession afin qu’elle puisse le cas échéant y être inhumée aux côtés de son défunt époux, en dépit du désaccord exprimé par sa petite-fille. Sa demande a été rejetée expressément.
Par un courrier du 22 décembre 2021, Mme E a saisi les services de la ville d’une seconde demande tendant à ce que le maire de cette ville procède à la modification unilatérale de la concession funéraire accordée à sa petite-fille, afin d’être désignée comme son unique titulaire ou, à défaut, comme cotitulaire aux côtés de cette dernière. La ville n’ayant cette fois pas répondu, Mme E demande au tribunal de prononcer l’annulation de la décision implicite, du 24 février 2022, par laquelle le maire a rejeté sa demande.
Sur un premier point de droit, le TA retient que le litige relève bien de sa compétence, en tant qu’il porte sur l’octroi d’une concession au sens des articles L. 2223-13 à L. 2223-15 du CGCT, et que les contrats de concession des terrains dans les cimetières comportant occupation du domaine public communal, les litiges relatifs auxdites concessions relèvent, en principe, de la juridiction administrative, et ne relèvent pas exclusivement de rapports de droit privé entre les bénéficiaires de cette concession.
Mais c’est pour une autre raison, de procédure, que la demande de Mme E ne sera pas examinée sur le fond. Aux termes de l’art. R. 421-1 du Code de justice administrative : "La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. […]." Selon les termes de l’art. R. 421-5 du même Code : "Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision."
Mais le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance.
En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le Code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières, dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.
Enfin, une décision individuelle dont l’objet est le même que celui d’une décision antérieure devenue définitive revêt un caractère confirmatif dès lors que ne s’est produit entre-temps aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait de nature à emporter des conséquences sur l’appréciation des droits ou prétentions en litige. Une telle décision confirmative est insusceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.
En l’espèce, Mme E a eu connaissance de la décision du 27 août 2020 par laquelle la mairie a rejeté sa demande du 20 août 2020 tendant à la modification unilatérale de la concession funéraire accordée le 27 mai 2013 à sa petite-fille, au plus tard le 8 octobre 2020, date à laquelle l’intéressée s’est une nouvelle fois adressée aux services municipaux par un courrier auquel cette décision était notamment jointe. Elle disposait alors d’un délai de recours contentieux d’un an à compter de cette date pour contester ladite décision du 27 août 2020 qui ne comportait pas la mention des voies et délais de recours, soit jusqu’au 11 octobre 2021.
Si, le 24 décembre 2021, Mme E a de nouveau sollicité la modification unilatérale de la concession funéraire accordée à sa petite-fille, la décision implicite de rejet de cette demande née le 24 février 2022 doit être regardée comme purement confirmative de la décision du 27 août 2020 devenue définitive le 11 octobre 2021. Dans ces conditions, la décision contestée du 24 février 2022 n’a pas pu avoir pour effet de rouvrir le délai de recours contentieux et la requête de l’intéressée, qui n’a été enregistrée au greffe du tribunal que le 13 mai 2022, est tardive.
À retenir :
La décision du maire qui refuse d’admettre un nouveau titulaire à une concession peut être contestée devant le juge administratif… mais dans un délai raisonnable.
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Source :
TA de Lyon, 7e chambre, 20 novembre 2023, n° 2203666
Philippe Nugue
Résonance n° 199 - Janvier 2024
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