Un parlementaire posa au ministre de l’Intérieur une question relative à la nécessité d’une habilitation pour effectuer une dispersion au jardin du souvenir. Le 30 mars dernier le Gouvernement répondit en profitant pour préciser sa position sur toutes les opérations de dispersion. Le Gouvernement effectue alors par cette réponse une distinction entre la dispersion au jardin du souvenir, où l’habilitation lui semble nécessaire, et la dispersion en pleine nature, où en revanche ce principe ne s’appliquerait pas. Nous sommes extrêmement dubitatifs quant à cette prise de position et surtout quant à l’argumentaire retenu.
La dispersion au jardin du souvenir et l’habilitation funéraire
Question écrite n° 05054, réponse JO, S, Q 30/03/2023
La question parlementaire était bien documentée, le parlementaire explique que la circulaire du 15 mai 1995 relative à la mise en œuvre de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 (NOR : INTB9500169C) classait la dispersion des cendres dans le jardin du souvenir (nous conserverons cette expression quoiqu’elle n’existe plus juridiquement pour plus de commodité) parmi les prestations du service extérieur des pompes funèbres qui sont soumises à l’habilitation, tandis que le guide juridique relatif à la législation funéraire à l’intention des collectivités territoriales de juillet 2017 élaboré par la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) n’a pas repris cet élément dans la liste des prestations concernées : "Crémation : fourniture de l’urne (cendrier et enveloppe de présentation de l’urne), dépôt de l’urne au columbarium, inhumation de l’urne dans une sépulture ou dans une propriété particulière, scellement de l’urne sur un monument funéraire. À l’exclusion de l’opération de crémation qui est réservée au seul personnel du crématorium".
Il pose alors logiquement la question au Gouvernement de la pérennité de la solution de la circulaire de 1995. En réponse, le Gouvernement prend fermement position pour que l’opération de dispersion soit effectuée par du personnel habilité en s’appuyant tout d’abord sur le Code lui-même. En effet l’article L. 2223-19 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) prévoit que :
8° La fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques, inhumations, exhumations et crémations, à l’exception des plaques funéraires, emblèmes religieux, fleurs, travaux divers d’imprimerie et de la marbrerie funéraire.
Cette mission peut être assurée par les communes, directement ou par voie de gestion déléguée. Les communes ou leurs délégataires ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité pour l’exercice de cette mission. Elle peut être également assurée par toute autre entreprise ou association bénéficiaire de l’habilitation prévue à l’art. L. 2223-23".
C’est logiquement que cette opération de dispersion est assimilable à ce qui est nécessaire aux "inhumations, exhumations et crémations" même si explicitement l’opération de dispersion n’est pas nommée. À ce stade, déjà, la réponse est incomplète puisqu’elle oublie de mentionner qu’il peut exister deux tempéraments à cette position dont l’un est autorisé par les textes, et l’autre par l’Administration elle-même :
Dispersion au jardin du souvenir des personnes dépourvues de ressources suffisantes :
La première, rarissime en pratique nous en convenons, serait qu’une personne dépourvue de ressources suffisantes, ait manifesté la volonté de voir sa dépouille crématisée puis dispersée au jardin du souvenir. En effet, l’art. L. 2213-7 du CGCT dispose que : "Le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance", tandis que l’art. L. 2223-37 énonce quant à lui que : "Les dispositions des articles L. 2223-35 et L. 2223-36 ne sont pas applicables aux autorités publiques qui, en application d’un texte législatif ou réglementaire, sont tenues soit d’assurer tout ou partie d’opérations funéraires, soit d’en assurer le financement".
Or, justement ces articles L. 2223-35 et 36 sont ceux qui sanctionnent pénalement les opérations par du personnel non compétent dans le domaine du service extérieur des pompes funèbres. Ainsi, le maire est obligé d’assurer l’inhumation de ceux pour lesquels aucun opérateur funéraire n’aura été chargé par les familles d’inhumer leurs défunts. Rappelons d’ailleurs que, si le maire procède obligatoirement à leur inhumation, la famille est néanmoins tenue de régler les frais des obsèques, sauf dans l’hypothèse où les personnes sont reconnues comme dépourvues de ressources suffisantes.
Il pourra alors recourir à un opérateur funéraire privé qui lui facturera sa prestation, à charge pour lui de tenter de recouvrer les frais avancés sur la famille du défunt. Néanmoins, il pourra parfaitement en toute légalité, utiliser du personnel communal, même non compétent et sans que la commune soit habilitée, pour cette dispersion particulière qui n’obéit pas aux règles du service extérieur des pompes funèbres mais relève de ses seuls pouvoirs de police.
In fine, on pourrait nous objecter que l’art. L. 2213-7 ne vise que l’inhumation et non la dispersion, mais dans cette réponse, le Gouvernement prône l’assimilation de la dispersion à une inhumation et la rédaction de l’article ne saurait condamner cette solution du fait de l’acceptation même de cette assimilation par le Gouvernement. Nous ne discernons d’ailleurs pas comment, si un tel choix était formulé par une personne dépourvue de ressources suffisantes, il serait impossible à la commune, qui deviendrait la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, de s’y opposer dès lors que le respect de la volonté du défunt en la matière est protégé par le droit pénal qui sanctionne la violation de de cette volonté :
Art. 433-21-1 du Code pénal
"Toute personne qui donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire, volonté ou décision dont elle a connaissance, sera punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende".
Dispersion au jardin du souvenir et intervention de la famille :
La doctrine administrative permettrait également de dispenser de l’obligation de recourir à un opérateur habilité, à la condition que cela reste exceptionnel, c’est ce qui ressort d’une circulaire reprise sur le site circulaires.gouv.fr et donc par là même toujours d’actualité : "§1.2.2.1. Les opérateurs funéraires concernés par l’habilitation dans le domaine funéraire sont ceux qui "habituellement" fournissent aux familles des prestations du service extérieur des pompes funèbres.
Le critère ainsi posé par le législateur exclut de la procédure d’habilitation les familles et leurs proches qui participent exceptionnellement et gracieusement au service des pompes funèbres à l’occasion des obsèques d’un familier.
De même, le caractère "habituel" exclut du champ de la procédure d’habilitation certains professionnels qui interviennent de manière exceptionnelle dans la réalisation du service des pompes funèbres. Par exemple, un menuisier qui fournit un cercueil à une famille à titre exceptionnel. Toutefois, je considère, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux compétents, que l’exécution d’une activité de pompes funèbres ne doit pas se répéter dans une année civile car elle ne serait plus "exceptionnelle". (Circulaire du 15 mai 1995 NOR : INTB9500169C).
Cette position administrative est le fondement de l’acceptabilité d’opérations qui normalement seraient interdites aux familles, telles que pouvoir reboucher une fosse pour les musulmans par exemple. On pourrait alors convenir que la dispersion serait possible pour la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles dans ces limites d’une dispersion par an (cette même solution peut s’appliquer aussi au scellement d’une urne par exemple).
Mais, au-delà et surtout, l’art. L. 2223-28 du CGCT dans son alinéa 2 est venu prévoir, partiellement, cette hypothèse, la conditionnant à l’autorisation du conseil municipal et à la surveillance du maire : "Dans les localités où les familles pourvoient directement […] en vertu d’anciennes coutumes, au transport ou à l’enterrement de leurs morts, les mêmes usages peuvent être maintenus avec l’autorisation du conseil municipal et sous la surveillance du maire". Cet article résulte de la loi du 28 décembre 1904.
Pour notre part, même si la position du Gouvernement s’entend sur ce point, nous pensons que c’est au maire par le biais du règlement de cimetière de prévoir quel sera le cadre de cette dispersion et d’en prévoir les modalités. Il lui sera possible de suivre la position du Gouvernement, mais, nous le pensons, également, de s’en écarter. En revanche, dans un souci de bonne administration il sera possible tant de fixer un délai quant à l’obtention de cette autorisation que d’organiser la date précise de celle-ci.
De surcroît, l’encadrement de cette opération palliera le criant vide législatif quant aux modalités de l’opération de dispersion. En effet, il existe de nombreuses incertitudes : que signifie "disperser" ? Faut-il strictement se conformer à l’acception d’un dictionnaire ? En un mot, convient-il d’interdire certaines pratiques comme le dépôt d’un monticule de cendres ? D’ailleurs un tel monticule ne serait-il pas contraire au respect dû aux morts ? Faut-il obliger à disperser d’une certaine façon ? Toutes ces questions (et bien d’autres) ne connaissent absolument aucune réponse juridique pour le moment.
Nous ne pouvons donc qu’encourager la surveillance de cette opération par un agent communal. Il faudrait peut-être se diriger vers l’emploi d’un "dispersoir", dispositif qui permet de répandre les cendres progressivement et ainsi de décourager toute création d’un "petit tas" qui peut gêner l’entretien du site et être des plus disgracieux. De surcroît, il peut exister des obstacles météorologiques qui nuiraient à une dispersion respectueuse du défunt ; c’est pour toutes ces raisons que cette opération doit être réglementée.
La dispersion en pleine nature et l’habilitation funéraire
C’est ici que la réponse ministérielle nous laisse encore plus dubitatif. En effet, la position du Gouvernement est que cette opération échappe à l’attraction du service extérieur des pompes funèbres. L’explication est des plus étonnantes, et nous semble fragile juridiquement.
La dichotomie du régime semble s’appuyer sur le raisonnement suivant :
Le Gouvernement rappelle tout d’abord que : "La demande d’autorisation de dispersion des cendres au sein du jardin du souvenir est en outre formulée par le biais d’un opérateur funéraire habilité, agissant sur la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles". Cette affirmation est péremptoire, même si elle doit constituer le cas le plus courant, rien n’empêche la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles d’effectuer directement et sans le truchement d’un opérateur cette demande ; il n’existe aucune obligation à ce que ce soit cet opérateur qui demande cette autorisation même dans le cas où l’on exigerait que cela soit un opérateur habilité qui procède à l’opération.
La remarque est d’importance car c’est cette affirmation qui amène alors le Gouvernement à énoncer le principe suivant, qui n’a pourtant aucune justification juridique, mais que nous nous devons de reproduire : "En revanche, la dispersion en pleine nature des cendres, qui est soumise à une procédure distincte et n’est notamment pas soumise à autorisation mais à une simple déclaration auprès du maire de la commune du lieu de naissance du défunt (L. 2223-18-3 du CGCT), ne nécessite pas l’intervention d’un opérateur funéraire, la famille pouvant procéder elle-même à cette dispersion, hors cas particulier nécessitant la mise en œuvre de moyens spécifiques (dispersion en mer notamment)".
Le fondement de cette distinction résiderait alors dans la différence entre une dispersion soumise à autorisation et une dispersion soumise à simple déclaration. Le Gouvernement oublie que c’est surtout en raison de la nature de l’opération que l’autorisation n’existe pas dans le second cas. Rappelons que cet art. L. 2223-18-3 du CGCT dispose que : "En cas de dispersion des cendres en pleine nature, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles en fait la déclaration à la mairie de la commune du lieu de naissance. L’identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre créé à cet effet".
D’ailleurs, originellement, il avait été prévu une déclaration au maire du lieu de dispersion en pleine nature qui disparut avec le décret du 28 janvier 2011 (elle était tacitement abrogée avec la loi du 19 décembre 2008). En pratique, il semblerait bien que la formalité de déclaration à la mairie du lieu de naissance soit fréquemment omise. Relevons que la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) s’est prononcée pour la publicité de ce registre (Avis CADA n° 20093679 du 22 octobre 2009), ce qui d’ailleurs devrait résoudre les conflits familiaux quant à l’ignorance du lieu de dispersion de l’urne (Rép. min. n° 5302, JOAN Q, 1er janvier 2013). On relèvera également que la circulaire du 14 décembre 2009 recommandait d’ailleurs d’obtenir l’autorisation du propriétaire du lieu où la dispersion s’effectuait.
On ne voit pas pourquoi ce régime diffèrent impliquerait la conséquence qu’en tire le Gouvernement. On comprend son souhait de ne pas rendre cette opération trop rigide en la confiant nécessairement à du personnel habilité, mais nous avons expliqué que la doctrine administrative proposait déjà une solution pour résoudre ce problème, la solution de l’intervention effectuée "à titre non habituel" et ceci nous semble constituer une bien meilleure justification que celle avancée.
La différence de traitement provient naturellement de la difficulté pour le maire à encadrer une opération, qui largement lui échappe car s’opérant sur un terrain privé et qui mobiliserait des moyens pour en vérifier la véracité, il est alors difficile d’en inférer l’explication selon laquelle puisque ce n’est pas soumis à autorisation les familles peuvent agir comme bon leur semble. Par opposition, l’autorisation est bien entendu obligatoire pour la dispersion dans le jardin du souvenir dès lors que l’art. R. 2213-39 du CGCT dispose que : "Le placement dans une sépulture, le scellement sur un monument funéraire, le dépôt dans une case de columbarium d’une urne et la dispersion des cendres, dans un cimetière ou un site cinéraire faisant l’objet de concessions, sont subordonnés à l’autorisation du maire de la commune où se déroule l’opération".
On voit bien qu’elle est obligatoire cette autorisation parce qu’elle a lieu dans un lieu public, le cimetière, soumis au contrôle du maire. De surcroît, l’opération est en pratique identique dans ses modalités et dans son résultat, pourquoi alors, uniquement en fonction du lieu, la faire échapper aux règles que l’on préconise dans le jardin du souvenir. Si nous comprenons la volonté de traiter différemment ces deux dispersions, l’argumentaire choisi nous semble donc inapproprié.
Opérateur funéraire habilité pour la dispersion des cendres dans le jardin du souvenir Question écrite de Mme Saint-Pé Denise (Pyrénées-Atlantiques - UC) publiée dans le JO Sénat du 02/02/2023 - page 691 Mme Denise Saint-Pé appelle l’attention de M. le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires au sujet de la dispersion des cendres dans le jardin du souvenir pour savoir si la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles peut procéder elle-même à cette opération. En effet, la circulaire du 15 mai 1995 relative à la mise en œuvre de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 (NOR : INTB9500169C) classait la dispersion des cendres dans le jardin du souvenir parmi les prestations du service extérieur des pompes funèbres qui sont soumises à l’habilitation. Or, le guide juridique relatif à la législation funéraire à l’intention des collectivités territoriales de juillet 2017 élaboré par la DGCL n’a pas repris cet élément dans la liste des prestations précitées : "Crémation : fourniture de l’urne (cendrier et enveloppe de présentation de l’urne), dépôt de l’urne au columbarium, inhumation de l’urne dans une sépulture ou dans une propriété particulière, scellement de l’urne sur un monument funéraire. À l’exclusion de l’opération de crémation qui est réservée au seul personnel du crématorium". En conséquence, elle lui demande de confirmer que la dispersion des cendres dans le jardin du souvenir ne constitue plus une opération relevant du service extérieur des pompes funèbres ne pouvant à ce titre être réalisée que par un opérateur funéraire habilité. Transmise au ministère auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité Réponse du ministère auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité. Réponse apportée en séance publique le 29/03/2023. Publiée dans le JO Sénat du 30/03/2023 - page 2189 L’art. L. 2223-19 du CGCT inclut au sein du service extérieur des pompes funèbres : "La fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques, inhumations, exhumations et crémations […]". Par ailleurs, l’art. R. 2213-39 du même Code soumet à autorisation du maire la "dispersion des cendres, dans un cimetière ou un site cinéraire faisant l’objet de concessions". Le rapprochement entre ces dispositions, à l’aune des principes posés par le Code civil prescrivant le traitement avec "respect, dignité et décence" des cendres issues de la crémation, amène à considérer les opérations de dispersion des cendres au sein d’un site cinéraire aménagé (ou jardin du souvenir) comme assimilables à des opérations d’inhumation d’un corps, lesquelles ne peuvent se dérouler que par l’entremise d’un personnel relevant d’un opérateur funéraire habilité. La demande d’autorisation de dispersion des cendres au sein du jardin du souvenir est en outre formulée par le biais d’un opérateur funéraire habilité, agissant sur la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Dans cette perspective, il apparaît nécessaire que le personnel procédant à la dispersion des cendres au sein du jardin du souvenir soit, à l’égal du personnel mobilisé pour les inhumations, habilité pour procéder aux activités relevant du service extérieur des pompes funèbres. Le guide de recommandations relatif aux urnes funéraires et aux sites cinéraires préconise ainsi que le dispersoir soit manipulé par un maître de cérémonie. En revanche, la dispersion en pleine nature des cendres, qui est soumise à une procédure distincte et n’est notamment pas soumise à autorisation mais à une simple déclaration auprès du maire de la commune du lieu de naissance du défunt (L. 2223-18-3 du CGCT), ne nécessite pas l’intervention d’un opérateur funéraire, la famille pouvant procéder elle-même à cette dispersion, hors cas particulier nécessitant la mise en œuvre de moyens spécifiques (dispersion en mer notamment). |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes
Résonance n° 194 - Août 2023
Résonance n° 194 - Août 2023
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