La liberté des funérailles, et à travers elle la consécration des dernières volontés du défunt, trouve son origine dans la loi du 15 novembre 1887, faisant ainsi écho à la célèbre maxime d’Auguste Comte selon laquelle "Les morts gouvernent les vivants". Depuis, les principes posés par la loi de 1887 n’ont eu de cesse d’irriguer notre législation funéraire moderne, et en particulier les textes régissant la prévoyance funéraire (Rencontre nationale de l’Union du Pôle Funéraire Public (UPFP) 2023 – Conférence du 16 mai). Suite.
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Deuxième partie
L’organisation des obsèques en présence de dernières volontés précises : le compromis impossible ?
La situation la plus fréquente dans laquelle le défunt avait matérialisé par écrit ses dernières volontés se rencontre en matière de contrats de prévoyance obsèques en prestations. En effet, l’art. L. 2223-34-1 al. 1 créé par la loi du 10 décembre 2004 dispose que : "Toute clause d’un contrat prévoyant des prestations d’obsèques à l’avance sans que le contenu détaillé et personnalisé de ces prestations soit défini est réputée non écrite."
La finalité d’un contrat de prévoyance obsèques est, d’une part, de donner la certitude au souscripteur que ses obsèques se dérouleront selon sa volonté et, d’autre part, de garantir au souscripteur que ses frais d’obsèques seront couverts au titre du contrat conclu.
"À titre illustratif", la circulaire du 20 décembre 2006 dispose que : "Les prestations obsèques peuvent comprendre tout ou partie des éléments ci-après :
- le matériau pour la composition du cercueil, tout comme l’épaisseur, le nombre de poignées, ou la couleur et la nature du capiton, la plaque d’identité, les signes et les emblèmes fixés sur le cercueil ;
- la composition de l’urne ;
- la mise à disposition des moyens humains et logistiques pour l’organisation des obsèques et l’accomplissement des démarches administratives ;
- le transport du corps en indiquant le nombre de kilomètres couverts par le contrat ;
- le corbillard avec le nombre de porteurs ;
- la présence d’un maître de cérémonie ;
- la toilette et l’habillage du défunt ;
- la réalisation de soins de conservation ou la mise à disposition de matériel réfrigérant ;
- l’ouverture et la fermeture de la sépulture existante ou le creusement d’une fosse ;
- l’achat ou non d’une concession en indiquant sa durée ;
- la prise en charge des taxes diverses ;
- les faire part, le registre de condoléances."
La précision des prestations exigée par le pouvoir réglementaire (la circulaire émanant du ministre de l’Intérieur et du ministre des Finances) a clairement pour but de garantir une totale application de loi de 1887, mais également de garantir le financement des prestations.
Cette "extrême" précision est très strictement appliquée par les juridictions.
À titre d’exemple, la cour d’appel d’Angers, dans un arrêt du 10 décembre 2013, avait conclu qu’en présence de stipulations du contrat ne prévoyant pas l’habillement du défunt et présentant la case "non" cochée à la rubrique "soins de conservation", assorties d’une mise en bière anticipée, le défunt n’avait pas souhaité être présenté à ses proches, qui étaient à l’origine de ce contentieux.
Au-delà du caractère anecdotique de cette affaire et dont les contours demeurent assez flous à la lecture de l’arrêt, on peut néanmoins s’interroger sur la question de savoir si une telle exigence de précision n’est pas de nature à aboutir à exiger du souscripteur une trop grande projection dans l’organisation de ses obsèques et parfois au détriment, malgré lui, de souhaits de ses proches auxquels le souscripteur ne se serait pas nécessairement opposé s’il en avait eu connaissance. Au fond, exiger une grande précision du souscripteur n’est-il pas de nature à le forcer à exprimer des volontés qu’il n’a pas ?
Dans la pratique, les opérateurs funéraires sont de plus en plus confrontés à des demandes de la famille contraires aux stipulations du contrat.
Et l’on peut ainsi s’interroger sur la question de savoir si des contrats constitués de cases à cocher, souvent matérialisées par "oui" ou "non" n’aboutissent pas parfois à dénaturer l’expression des volontés du défunt. En somme, la forme des contrats n’en dénature-t-elle pas le fond en appréhendant des détails comme des conditions essentielles d’organisation des obsèques ?
À l’instar de la famille, l’opérateur funéraire peut également se trouver en difficulté pour exécuter le contrat lorsque son organisation interne a changé ou lorsque l’offre de services dans sa zone de chalandise a évolué depuis la souscription. La quasi-totalité des postes relatifs à l’organisation des obsèques peuvent potentiellement aboutir à une difficulté.
Quelques exemples
• Le choix du cercueil : lorsque le défunt a choisi un modèle précis et que l’opérateur funéraire a supprimé de son offre le cercueil, doit-il fournir un cercueil équivalent en caractéristiques ou en prix ? Si l’opérateur a changé de fournisseur et que son ancien fournisseur propose toujours le modèle choisi par le souscripteur, l’opérateur funéraire doit-il faire une commande exceptionnelle à son ancien fournisseur, ou peut-il fournir un cercueil plus ou moins équivalent provenant de son nouveau fournisseur ?
• Le transport de corps avant mise en bière et le séjour en chambre funéraire : un contrat de prévoyance visant à couvrir l’intégralité des frais d’obsèques, il apparaît incontournable pour l’opérateur de proposer au souscripteur le scénario d’obsèques classiques le plus coûteux que constitue le décès à domicile ou en EHPAD, impliquant le plus souvent un transport avant mise en bière et un séjour en chambre funéraire. Dans l’hypothèse où le défunt devait finalement décéder dans un hôpital équipé d’une chambre mortuaire, l’opérateur funéraire est-il tenu par le contrat de procéder à son transport en chambre funéraire malgré tout ?
• Les soins de conservation : ils sont souvent prévus par précaution dans le cas où le corps viendrait à se dégrader, en particulier lors d’un décès à domicile. Mais, si le souscripteur décède à l’hôpital et qu’il est transféré de façon rapide dans un très bon état en chambre mortuaire, l’opérateur funéraire est-il tenu de réaliser des soins ?
• Le choix de la chambre funéraire et/ou du crématorium : au moment de la souscription, il est courant de faire choisir au souscripteur une chambre funéraire et/ou un crématorium, notamment pour pouvoir réaliser un chiffrage précis du devis dont dépend le montant du capital à assurer. Mais si, entre la souscription et le décès, une nouvelle chambre funéraire et/ou un nouveau crématorium a ouvert beaucoup plus près du lieu de décès ou de résidence de la famille, l’opérateur funéraire peut-il satisfaire une demande de la famille de changer de chambre funéraire et/ou de crématorium ?
• Enfin, La destination des cendres : il peut être "tentant" pour le souscripteur de choisir, pour des raisons économiques, la solution la moins coûteuse que constitue la dispersion, au risque, au moment du décès, de se heurter au souhait de ses proches d’avoir un lieu de recueillement physique. En pareilles circonstances, l’opérateur funéraire n’aura d’autre alternative que d’organiser la dispersion contre le gré de la famille, alors même qu’il ne s’agirait peut-être que de satisfaire de prétendues volontés du défunt animées par des considérations exclusivement économiques que la famille se propose pourtant de pallier.
La question se pose donc de savoir s’il n’existerait pas des "volontés essentielles" opposées à des "volontés accessoires ou optionnelles". En l’état de la réglementation sur les contrats de prévoyance en prestations, la seule alternative réside dans la conclusion d’un contrat partiel, précis sur les prestations choisies mais muet sur les prestations non choisies. En outre, la conclusion d’un contrat partiel aurait pour conséquence de ne pas couvrir la totalité des obsèques. Or il s’agit bien souvent de la première motivation du souscripteur : soulager financièrement sa famille. Dans ces conditions, la forme des contrats de prévoyance en prestations n’aurait-elle pas vocation à évoluer vers une meilleure expression des volontés du défunt non plus seulement sur le seul choix des prestations, mais également sur la réalité de ses volontés.
Ainsi coexisteraient les volontés essentielles auxquelles l’opérateur funéraire et les proches du défunt ne sauraient déroger, et les volontés accessoires ou optionnelles dont l’expression testamentaire dans le contrat aurait pour principale raison d’être le chiffrage des prestations pour déterminer le capital à assurer, tout en laissant aux proches du défunt la possibilité d’y déroger, au besoin en prenant en charge eux-mêmes les éventuels surcoûts engendrés. De timides initiatives sont d’ores déjà prises en ce sens par des opérateurs funéraires s’agissant des soins de conservation, par exemple. Au moment de la signature du contrat, le souscripteur indique qu’il ne s’oppose pas aux soins de conservation, laissant ainsi, en fonction des circonstances, la possibilité à la famille de prendre l’initiative d’en réaliser ou non.
Une plus grande flexibilité de la forme des contrats de prévoyance en prestations permettrait ainsi :
- de mieux cerner les réelles volontés du défunt ;
- d’apporter une plus grande autorité à l’opérateur s’agissant de les imposer à la famille ;
- et de laisser une plus grande place aux proches du défunt dans l’organisation des obsèques sans porter atteinte aux volontés du défunt.
Troisième partie
Le contentieux de l’organisation des funérailles
Le contentieux portant sur l’organisation des funérailles peut revêtir deux formes. La première portant sur l’organisation des funérailles immédiatement après le décès, bénéficiant de règles de procédure à caractère exclusivement civil très accélérées, l’autre portant a posteriori sur l’organisation des funérailles, relevant des procédures civiles et pénales de droit commun. Précisons en premier lieu qu’en l’état actuel des publications des décisions de justice, il est extrêmement difficile de déterminer avec précision le volume qu’occupe le contentieux relatif à l’organisation des obsèques.
En effet, on ne dispose à ce jour que de bases de données, le plus souvent privées, publiant en principe la totalité des arrêts de la Cour de cassation et la quasi-totalité des décisions des cours d’appel. Ce faisant, on ne peut étudier la question sur le terrain jurisprudentiel que de façon partielle et l’on ne peut que douter de l’exhaustivité de la publication des décisions de cours d’appel en la matière. Néanmoins, les échantillons jurisprudentiels étudiés ont en commun d’être tous fondés sur la loi du 15 novembre 1887 selon un raisonnement rigoureusement identique appliqué aux faits de chaque espèce.
Ainsi, sous le contrôle de la Cour de cassation, rarement saisie de pourvois, les juridictions du fond tendent systématiquement à rechercher, en premier lieu, toute expression de volonté du défunt et, en second lieu, la personne avec laquelle le défunt entretenait les liens affectifs les plus étroits, pour décider des modalités de l’organisation des obsèques. Sur le terrain probatoire, il semble que tous les modes de preuves ont vocation à être examinés par les juges du fond s’agissant de mettre en évidence une quelconque volonté non équivoque exprimée par le défunt, même minime.
En revanche, lorsque les éléments de preuves soumis aux juges ne permettent pas de dégager l’expression d’une volonté, les juges se borneront à rechercher la personne avec laquelle le défunt entretenait les liens affectifs les plus étroits, et lui laisseront toute latitude quant aux modalités d’organisation des obsèques.
- Ainsi, les juges se garderont de toute interprétation des lois religieuses et tendront à rejeter les témoignages fondés sur la pratique religieuse du défunt (Cass, civ. 1, 2 février 2010, n° 10-11.295) ;
- En présence de multiples témoignages divergents, les juges rechercheront les plus crédibles et les plus récents, à l’aune notamment "de l’usage et de l’intérêt de la famille" (CA Paris, 26 février 2012, n° 12/02800), de l’étroitesse des liens entretenus avec les témoins (CA Paris, 24 août 2018, n° 18/19223), écartant ainsi les témoignages de l’épouse avec laquelle le défunt avait cessé sa vie commune, au profit de ses enfants (CA Angers, 26 avril 2019, n° 19/00815).
Si les raisonnements tenus par les juridictions en matière de contentieux des funérailles peuvent éclairer l’opérateur funéraire confronté à un litige familial, il n’en demeure pas moins que ce dernier ne saurait se substituer au juge pour trancher le litige. Néanmoins en pratique, le rôle du conseiller funéraire est loin d’être à négliger face à un différend familial.
Afin de prendre les décisions qui s’imposent, il conviendra pour l’opérateur funéraire de définir sur quel terrain se situe le différend :
- Si le différend se situe sur le terrain de l’organisation des obsèques, le conseiller funéraire devra faire preuve de la plus grande prudence. En premier lieu, il devra informer le maire de la commune afin que celui-ci puisse surseoir à la délivrance des autorisations en attendant que le différend soit réglé par la famille ou, le cas échéant, par le juge. Évitant ainsi que d’autres membres de la famille n’aillent organiser discrètement les obsèques chez un autre opérateur.
- Si le différend se situe sur le terrain de l’ordre public (risque d’esclandres ou de violence, par exemple) et est donc susceptible de perturber le bon déroulement des obsèques, le conseiller funéraire devra en informer le maire ou la police municipale afin que des précautions soient prises (présence policière même discrète, par exemple). Il conviendra également d’en informer toute la chaîne des obsèques : chambre funéraire ou mortuaire, église, cimetière et/ou crématorium.
- Enfin, si le différend se situe sur le terrain de la "logistique" de l’organisation des obsèques, tel que le refus de certains proches de croiser telle ou telle personne, le conseiller funéraire devra avoir à cœur de chercher à concilier les différents blocs de la famille en conflit pour que ces derniers ne se croisent pas à la chambre funéraire et soient placés de façon séparée à l’église ou au crématorium, en informant également l’ensemble de la chaîne qui pourra relayer le conseiller funéraire dans ses tentatives de conciliation.
En conclusion, en dehors des très rares cas où le juge est appelé à statuer sur l’organisation des obsèques, c’est l’opérateur funéraire qui se trouve malgré lui en première ligne. Le principal piège dans lequel il devra se garder de tomber est de prendre parti pour l’un ou l’autre des deux blocs de la famille qui s’opposent, au risque d’entretenir les tensions. Le conseiller funéraire devra avoir à cœur de s’efforcer de tenter de rapprocher les parties par une écoute active, et de proposer systématiquement toutes les options susceptibles d’être mises en œuvre.
Enfin, il devra s’efforcer de ne pas porter seul la gestion de la situation en sollicitant ses collègues et les différents intervenants de la chaîne des obsèques : personnel de la chambre funéraire, maître de cérémonie, équipe paroissiale…
Me Xavier Anonin
Docteur en droit
Résonance n° 193 - Juillet 2023
Résonance n° 193 - Juillet 2023
Avocat au barreau de Paris
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