Ce mois-ci, deux arrêts et un jugement retiennent notre attention. Le premier est un arrêt de la cour d’appel de Douai relatif, de nouveau, aux conflits en matière d’exhumation ; le deuxième, cette fois, de la cour administrative d’appel de Douai, sur la prise en charge des frais de chambre mortuaire ; et enfin, d’un jugement du tribunal administratif de Montpellier relatif au contentieux de l’emprise irrégulière.
Exhumation et conflit familial
1. Cour d’appel, Douai 2 février 2023, n° 21/03674
Les faits sont les suivants : En 2018, M. et Mme M ont souhaité transférer l’urne cinéraire d'un enfant sans vie dans un columbarium de leur lieu de résidence, mais, malgré plusieurs démarches amiables, ils se sont heurtés au refus de leur mère et belle-mère de donner son autorisation d'ouverture du caveau.
Le juge d’appel devant ce conflit familial refuse alors l’exhumation au motif qu’il est "constant que l’exhumation d’un corps ou d’une urne cinéraire, par dérogation au principe de l’immutabilité des sépultures, ne peut être effectuée que pour des motifs graves et sérieux, tels le caractère provisoire de la sépulture et le respect de la volonté, exprimée ou présumée du défunt".
Il affirme alors que la volonté du défunt était inconnue, ce qui est patent s'agissant d'un enfant sans vie et que, même si les parents avaient accepté cette inhumation comme temporaire (manque de moyens financiers, urgence, etc.), certains éléments accréditent que la sépulture n'est plus provisoire dès lors qu'existe désormais un monument funéraire avec la gravure du nom de l'enfant et que l'urne y repose depuis 2010, enfin, qu'à l’occasion de l’ouverture du caveau pour y inhumer cette fois le fils du concessionnaire, l’urne ne fut pas retirée
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On pourra toujours utilement rappeler que l'exhumation est toujours demandée par le plus proche parent du défunt : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande" (art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT) et nous savons que l’Administration estime que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation de tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs" (Instruction Générale relative à l’État Civil (IGREC) § 426-7).
On a bien sûr à l’esprit, comme en l’espèce, que le juge judiciaire refusera le plus souvent cette opération autorisée par le maire à la demande du plus proche parent du défunt lorsqu’il y a conflit familial. Il exige le plus souvent la démonstration du non-respect de la volonté du défunt ou du caractère provisoire de la sépulture (voir plus loin CA Riom 26 octobre 1999, JCP G 2000, IV, n° 1709 ; CA Toulouse 7 février 2000, JCP G 2000, IV, n° 2374). Le Conseil d’État, dans un arrêt "Houbdine" (CE 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE, p. 391), a d’ailleurs écarté la possibilité pour le maire de se faire l’interprète de la volonté du défunt.
En quelque sorte, l’exhumation, en l’absence de tout conflit familial, est ainsi, pour reprendre l’expression de Marie-Thérèse Viel ("Droit funéraire et gestion des cimetières", Berger-Levrault, 1999, p. 262), un droit opposable à l’Administration. Ainsi, cet arrêt illustre bien la difficulté à identifier ce plus proche parent, car nécessairement le juge valide que le conflit ici se fait entre personnes qui ont le même lien de parenté, car sinon, il n’y aurait pas de conflit. En quelque sorte, de nouveau, le caractère purement indicatif (qu’elle prévoit d’ailleurs elle-même) de l’énumération de l’IGREC ne résiste pas au travail du juge, même si au moins le conflit ici s’élève entre parents (au contraire de l’arrêt de la CA Paris 1er février 2022, n° 20/00709, commenté dans notre revue de février 2023).
2. Cour administrative d’appel, Douai, 7 février 2023, n° 21DA02205
C’est ici l’occasion de nous intéresser à l'inhumation des corps non réclamés aux établissement de santé : Mme A a demandé au tribunal administratif d’Amiens d’annuler l’avis des sommes à payer émis le 7 octobre 2016 par le centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie pour obtenir le paiement de la somme de 5 850 € au titre des frais de conservation du corps de sa défunte mère en chambre mortuaire pour la période du 31 mai au 27 septembre 2016.
En effet, la fille de la défunte avait précisé qu’elle ne pouvait organiser les obsèques de sa mère faute de moyens financiers et qu'elle récupérerait le corps quand elle aurait les moyens financiers, pour l’inhumer. Le centre hospitalier procéda alors à l'inhumation "dans le cadre d'obsèques en indigence" et émit un titre recouvrement pour le temps de dépôt du corps en chambre mortuaire.
On peut alors rappeler que l’art. R. 2223-89 du CGCT précise que le dépôt et le séjour à la chambre mortuaire d’un établissement de santé public ou privé du corps d’une personne qui y est décédée sont gratuits pendant les trois premiers jours suivant le décès, et que l’art. R. 2223-94 du même Code prévoit que le directeur s’il s’agit d’un établissement public ou son organe qualifié s’il s’agit d’un établissement privé fixe les prix de séjour en chambre mortuaire au-delà du délai de trois jours prévu à l’art. R. 2223-89.
Enfin que l’art. R. 1112-76 du Code de la santé publique précise qu'en cas de non-réclamation du corps dans le délai de dix jours mentionné à l’art. R. 1112-75, l’établissement dispose de deux jours francs pour faire procéder à l’inhumation du défunt dans des conditions financières compatibles avec l’avoir laissé par celui-ci ; en l’absence de ressources suffisantes, il est fait application des dispositions de l’art. L. 2223-27 du CGCT.
Surtout, c’est l’occasion de se souvenir que la chambre mortuaire ne participe pas du service extérieur des pompes funèbres, mais bien du service public de la santé, et qu'à ce titre les sommes dues pour le dépôt du corps en chambre mortuaire ne sont pas concernées par l'application du régime juridique des obsèques des personnes dépourvues de ressources suffisantes. C'est ce qu'énonce opportunément le juge : "De la même manière, Mme A ne peut utilement soutenir que les frais de conservation du corps en chambre mortuaire doivent être pris en charge par la collectivité en application des dispositions des articles L. 2223-19 et L. 22223-27 du CGCT dès lors que celles-ci ne sont pas relatives aux chambres mortuaires mais concernent le service extérieur des pompes funèbres."
Il est également possible de rappeler que l’art. R.1112-75 du Code de la santé publique dispose désormais que : "La famille ou, à défaut, les proches disposent d’un délai de dix jours pour réclamer le corps de la personne décédée dans l’établissement. La mère ou le père dispose, à compter de l’accouchement, du même délai pour réclamer le corps de l’enfant pouvant être déclaré sans vie à l’état civil."
Cette rédaction soulève deux remarques
La première, et la plus importante, est que ce délai de dix jours pour réclamer le corps ne concorde pas avec les dispositions prévues au CGCT pour l’inhumation des personnes décédées ailleurs qu’à l’hôpital. En effet, ce laps de temps, quand il est survenu en France, doit être compris dans un délai de vingt-quatre heures au moins et six jours au plus depuis la constatation du décès (art. R. 2213-33 du CGCT). Il ne peut être dérogé à cela que par décision préfectorale (art. L. 2213-33) ; ou bien si le défunt est mort à l’étranger ou dans un territoire d’outre-mer, ce délai se comptera alors à partir de l’entrée sur le territoire du corps du défunt (art. R. 2213-33 du CGCT).
Le second point qui doit retenir notre attention est relatif aux personnes qui peuvent solliciter la remise du corps. Le décret précise que seuls la famille et secondairement les proches du défunt peuvent réclamer le corps. Cette affirmation pourrait potentiellement être source de conflit quant au respect de la volonté du défunt pour ce qui touche à l’organisation de ses funérailles. Il peut en effet arriver que la personne la plus apte à exécuter la volonté du défunt ne soit pas un membre de la famille, mais un proche (CA Paris 20 mai 1980 Dame Nijinski et autre c/ Serge Lifar). Il faut enfin remarquer que ces corps seront remis sans délai, nous dit l’art. R. 1112-76 du Code de la Santé Publique (CSP), ce qui pourrait aussi sembler bien rapide eu égard aux nombreuses formalités auxquelles sont confrontées les familles.
Quant à l’art. R. 1112-76 du CSP, il dispose par ailleurs que "II. − En cas de non-réclamation du corps dans le délai de dix jours mentionné à l’art. R. 1112-75, l’établissement dispose de deux jours francs :
"1° Pour faire procéder à l’inhumation du défunt dans des conditions financières compatibles avec l’avoir laissé par celui-ci ; en l’absence de ressources suffisantes, il est fait application des dispositions de l’art. L. 2223-27 du CGCT […]
"2° Pour prendre les mesures en vue de procéder, à sa charge, à la crémation du corps de l’enfant pouvant être déclaré sans vie à l’état civil ou, lorsqu’une convention avec la commune le prévoit, en vue de son inhumation par celle-ci."
Cette nouvelle formulation est claire quant aux obligations de chacun. Si, au bout de dix jours, le corps n’est pas réclamé, l’établissement de santé a deux jours pour pourvoir aux obsèques compatibles financièrement avec les avoirs laissés par le défunt. Il faut noter que le décret ne prévoit que l’inhumation (et écarte donc la crémation). Si la personne est dépourvue de ressources suffisantes, c’est alors la commune qui y pourvoira, directement ou par l’intermédiaire de son délégataire officiel.
La question de savoir à partir de quel moment une personne est dépourvue de ressources suffisantes étant délicate, car aucun texte ne vient en donner une définition précise. Néanmoins, la jurisprudence ainsi que la doctrine (note F.-X. Testu sous Cass. civ. 1re, 14 mai 1992, Société des pompes funèbres générales c/ Sauvageot, JCP éd. N, 1994, II, 56) y voient une personne qui n’a pas d’actif successoral et aucun créancier alimentaire. En effet, les héritiers acceptant une succession doivent contribuer financièrement aux frais d’obsèques ; s’ils se libèrent de cette obligation en renonçant à la succession, ils ne se libèrent pas, par contre, de la créance alimentaire qui pèse encore sur eux dans la limite de leurs ressources. On pourra juste remarquer à l’aune de ces remarques que l’on a du mal à comprendre le temps nécessaire à l’établissement de santé pour organiser les obsèques dans notre affaire…
Concession funéraire et emprise irrégulière
Tribunal administratif, Montpellier, 5e chambre, 31 janvier 2023 – n° 2104395
Le maire de Fontiers-Cabardès a accordé le 22 novembre 2018 à Mme A une concession perpétuelle sur l’emplacement n° 128 du plan du cimetière communal, jouxtant l’emplacement n° 129 où se trouve la sépulture particulière de la mère de la requérante. Mme A a constaté en mai 2020 qu’un tiers était inhumé à l’emplacement qui lui était attribué. La requérante demande la condamnation de la commune de Fontiers-Cabardès à lui payer la somme de 10 032 € en réparation de ses préjudices.
Le juge énonce alors qu’il : "résulte de l’instruction que si la concession funéraire n° 128 a été attribuée à un tiers qui y a fondé une sépulture, en méconnaissance du contrat d’occupation du domaine public conclu avec Mme A et alors qu’il incombe au maire, dans l’exercice des compétences qu’il détient en matière de police des cimetières, de veiller à ce qu’une personne ne soit pas inhumée à un emplacement ayant fait l’objet d’une concession acquise par un tiers, sans l’accord du titulaire de la concession, Mme A a été dépossédée de manière définitive du droit réel immobilier dont elle était titulaire sur cette concession.
La juridiction judiciaire est dès lors seule compétente pour connaître des conclusions de Mme A tendant à la condamnation de la commune, tant sur le fondement de la responsabilité contractuelle que de celui de la police des cimetières ou de l’emprise, à réparer les conséquences de cette dépossession dont elle soutient qu’elle est irrégulière. Par suite, les conclusions indemnitaires de Mme A doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître".
Implicitement, il applique donc le principe dit de "l’emprise irrégulière". Celle-ci est caractérisée par une occupation ou une dépossession commise sans titre par une personne publique. Or, l’on sait que la concession funéraire confère au concessionnaire à défaut de la pleine propriété un droit réel immobilier dont la dépossession par la commune est donc constitutive d’une emprise irrégulière (TC 6 juillet 1981 Jacquot : Rec. CE, p. 507).
Il en ira par exemple ainsi lorsque la commune édifie un caveau qui empiète sur une parcelle déjà concédée (Cass. Civ. 29 mai 2001, Camy, JCP G 2002, II, 1010, note S. Fromont), ou le fait de vendre par erreur une concession déjà attribuée (CE 12 décembre 1986, Barjot, DA 1987, n° 89). Or, si l’emprise irrégulière se constate par le juge administratif, c’est au juge judiciaire d’être ensuite saisi de l’action en dommages et intérêts (CE 15 février 1961 Werquin, rec. p. 118). Il existe néanmoins toujours l’hypothèse où le caractère indubitablement clair de l’emprise permet au juge judiciaire de la constater et de la réparer (TC 17 décembre 1962 Société civile du Domaine de Conteville, rec. p. 831).
On pourrait également citer comme constitutifs d’une telle emprise :
- l’autorisation d’inhumer deux personnes d’une famille étrangère au titulaire de la concession (CE, 22 avril 1983, Laporte, rec. 160) ;
- le fait pour une commune d’attribuer une concession à des tiers qui en prennent possession et détruisent la sépulture de famille du véritable concessionnaire (jurisprudence "Jacquot" précitée).
Le justiciable peut en cas d’urgence saisir le président du tribunal administratif afin que celui-ci désigne un expert pour constater sans délai les faits reprochés à la commune (art. R. 531-1 du CJA).
Enfin, à titre d’exemple de conflit résolu, on pourrait l’illustrer par l’affaire "Commune de Soignolles-en-Brie" qui expose explicitement ce partage de compétence entre juge administratif et juge judiciaire : la commune avait attribué une nouvelle concession funéraire sans respecter la procédure de reprise pour état d’abandon (R. 2223-12 et suivants du CGCT) de l’ancienne concession et sans effectuer la reprise matérielle de celle-ci.
Le tribunal administratif de Versailles, saisi par la famille, a par jugement du 19 décembre 1989 relevé que l’exhumation des restes avait été effectuée sans autorisation régulière, sans qu’il y ait eu reprise régulière du terrain, et que les aménagements de la sépulture avaient été détruits. Le tribunal administratif a ainsi constaté l’existence d’une emprise irrégulière du fait que, "par ces graves négligences, la commune avait dépossédé la concessionnaire de son droit réel immobilier". Saisie en appel du jugement du TGI de Melun du 6 novembre 1991, la cour d’appel de Paris a confirmé la responsabilité de la commune et a condamné celle-ci à verser 70 000 € de dommages et intérêts à la concessionnaire (CA Paris, 18 juin 1993, Commune de Soignolles-en-Brie c/ Flageolet-Lardenois, RG : 92-4914).
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes
Résonance n° 189 - Mars 2023
Résonance n° 189 - Mars 2023
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