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Le litige est singulier : il s’agit de la contestation de la transformation d’un caveau en ossuaire. On comprend à lire le jugement qu’une concession funéraire munie d’un caveau fut reprise et transformée en ossuaire par la commune. Les ayants droit du concessionnaire contestent cette mesure et en souhaiteraient le renouvellement…


Tribunal administratif - Grenoble 19 septembre 2022 - Numéro de requête : 2007896

L’ossuaire : un équipement public obligatoire

L’art. L. 2223-4 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) énonce que : "Un arrêté du maire affecte à perpétuité, dans le cimetière, un ossuaire aménagé où les restes exhumés sont aussitôt réinhumés. Le maire peut également faire procéder à la crémation des restes exhumés en l’absence d’opposition connue, attestée ou présumée du défunt. Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l’ossuaire."

Il faut rappeler que le CGCT permet à la commune de ne pas disposer d’autant d’ossuaires qu’elle ne possède de cimetières, puisque l’art. R. 2223-6 dispose que  : "Lorsque le cimetière n’offre pas d’emplacement suffisant pour la construction de l’ossuaire visé au premier alinéa de l’art. L. 2223-4, les restes peuvent être transférés par décision du maire dans l’ossuaire d’un autre cimetière appartenant à la commune".

On soulignera néanmoins, que dans cette hypothèse des transports de corps après mise en bière seront alors obligatoires. Enfin, les mêmes dispositions rendent possible le recours à l’intercommunalité : "Lorsque la commune est membre d’un syndicat de communes, d’un district ou d’une communauté urbaine, le transfert peut avoir lieu dans les mêmes conditions sur le territoire d’une autre commune appartenant au même groupement de communes".

Cet ossuaire selon une réponse ministérielle (n° 5973 du 6 décembre 1993, JOAN Q p. 4378) peut consister en pratique en un ancien caveau ou en une simple fosse, les restes qui y sont inhumés devront au préalable avoir été introduits dans une boîte à ossements. Il est malgré tout à fait possible que les services municipaux construisent un édicule à cette fin.

Cet ossuaire, ou en tout cas, au vu de ce qui précède, l’accès à un ossuaire par la commune est obligatoire depuis que la réforme du 19 décembre 2008 interdit de crématiser les restes repris lorsque ces personnes avaient manifesté leur opposition à la crémation. Cette opposition pouvant être connue ou attestée. On notera enfin qu’il est loisible aux communes de faire procéder à la gravure des noms des personnes sur un dispositif établi en matériaux durables (art. R. 2223-6 du CGCT) au-dessus de l’ossuaire.

En revanche, il existe une obligation communale (même article) de consigner dans un registre ces mêmes noms quand bien même d’ailleurs aucun reste n’aurait été retrouvé lors de l’exhumation.

L’ossuaire : une compétence de création du maire

La lecture de l’art. L. 2223-4 CGCT ne laisse que peu de doutes sur la qualité de celui qui peut créer cet équipement ; il s’agit du maire : "Un arrêté du maire affecte à perpétuité …" ; la requête dirigée alors contre une délibération "approuvant la proposition du maire" ne pouvait être accueillie ainsi que l’énonce le juge : "La requête présentée par M. A est dirigée contre la délibération du conseil municipal de la commune de Saint-Julien-Montcenis du 29 octobre 2020 qui "approuve la proposition" du maire relative à l’utilisation du caveau situé à l’emplacement 2.G.02 pour être transformé en ossuaire communal.

Cette délibération est superfétatoire et ne présente pas le caractère d’une décision, celle-ci étant intervenue par un arrêté du maire du 5 novembre 2020. Par suite, la requête de M. A est dirigée contre un acte qui ne lui fait pas grief et n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Dans ces conditions, cette requête, qui ne saurait être régularisée, est entachée d’une irrecevabilité manifeste et doit, dès lors, être rejetée".

C’est bien cet arrêté qui aurait dû être attaqué et non la délibération émanant d’une autorité incompétente pour la création de cet équipement. La délibération ne s’est ainsi bornée qu’à approuver la proposition du maire et ne peut être considérée comme susceptible d’être attaquée devant le juge.

Ainsi, c’est l’occasion de rappeler que pour le cimetière, il faut faire la part de ce qui relève du pouvoir du maire et de ce qui relève du conseil municipal. D’ailleurs, le juge administratif a étendu, pour mieux les contrôler, les pouvoirs de police du maire jusqu’au pouvoir de gestion de cette portion du domaine public qu’est le cimetière (CE, 20 février 1946, Cauchoix, Rec. CE, p. 53, voir sur toutes ces questions : M.-T. Viel, Droit funéraire et gestion des cimetières : Berger-Levrault, coll. "Administration locale", 2e éd., 1999, p. 255 et ss).) et ce au détriment des compétences du conseil municipal.

Fondamentalement, nonobstant les attributions que la loi a conférées au conseil municipal, tout y relève du pouvoir de police et donc du contrôle maximum du juge. Pour illustrer jusqu’à l’absurde ce propos, par cet arrêt Cauchoix, le juge a reconnu qu’un conseil municipal était incompétent pour décider de la taille de rosiers dans le cimetière, compétence de police et donc ressortant exclusivement du pouvoir du maire.

Si le maire dispose donc évidemment du pouvoir de police administrative générale énoncé par le CGCT (art. L. 2212-2) : "La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques", il y dispose de plus d’une police spéciale, car l’art. L. 2213-8 du CGCT pose le principe suivant lequel : "le maire assure la police des funérailles et des cimetières", tandis que l’art. L. 2213-9 CGCT affirme que "sont soumis au pouvoir de police du maire, le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations".

On y relèvera en effet des buts distincts de la police générale : cet art. L. 2213-9 évoquant "l’ordre", là où l’art. L. 2212-2 mentionne le "bon ordre", il fait référence à la "décence" au lieu de la "moralité". Il convient de mentionner que ce pouvoir de police s’applique même dans l’hypothèse d’une sépulture en terrain privé (L. 2213-10 du CGCT). Dans le même ordre d’esprit, l’art. R. 2223-8 du CGCT dispose que : "Aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l’approbation du maire".

Par exemple, seul le maire peut légitimement interdire une inscription sur un monument funéraire de la mention : "victime innocente", alors que la personne avait été jugée et exécutée à la Libération (CE, 4 février 1949, Dame Moulis c/maire de Sète, Rec. CE, p. 52). In fine, le maire dispose d’un pouvoir de police largement étendu, puisque cela conduit à l’absorption des pouvoirs de gestion du conseil municipal.

Néanmoins, le conseil municipal reste seul compétent pour les matières suivantes dévolues par la loi :
- création, agrandissement, translation (nonobstant les pouvoirs du préfet) ;
- création des concessions funéraires ;
- durée des concessions ;
- tarifs divers et variés : taxes funéraires, prix des concessions, etc. ;
- délivrance des concessions (si cela n’a pas été délégué au maire) ;
- prononcé des reprises en état d’abandon.

Enfin, si le jugement ne s’attarda pas sur ce point et qu’il rejeta la requête comme dirigée contre une délibération qui ne constituait pas un acte juridique, il ne fait que peu de doutes que si la procédure de reprise fut menée correctement, ce caveau ressortait alors du domaine privé de la commune qui était alors libre d’en disposer comme elle le désirait par exemple en le transformant en ossuaire (avis du Conseil d’État 4 février 1992, n° 350721, EDCE 1992, p. 409, a contrario : CAA de NANCY 23 novembre 2021, n° 19NC02091).
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 184 - Octobre 2022

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