Après les scandales qui ont remis en question la procédure et les règles éthiques relatives au don du corps à la science en 2019, le pouvoir réglementaire ne pouvait qu’engager une réforme profonde. Ainsi, c’est à une complète réécriture des dispositions du Code de la santé publique en la matière que procède le décret du 27 avril 2022. Fin de l’anonymat, gratuité, transparence, implication des proches du donneur et surtout restitution des corps aux familles sont les grandes nouveautés de ce texte.
Si donner son corps à la science demeure une liberté testamentaire, les dispositions issues du nouveau décret érigent en principe cardinal le respect de la dignité du défunt. Dorénavant, les corps pris en charge par les établissements de formation, de recherche ou de santé, seront transportés et admis aux frais de ces établissements. L’anonymat du corps est limité à la durée de son utilisation qui ne pourra excéder deux ans.
Enfin, et c’est une nouveauté de taille, les corps seront restitués aux proches des défunts à l’issue de ce délai pour que leurs obsèques puissent avoir lieu. Seul "perdant" de cette réforme : les organismes de formation en thanatopraxie et thanatoplastie. En effet, dorénavant l’utilisation des corps est circonscrite à la seule formation médicale. Dès lors, ils ne pourront plus être utilisés par la formation à la restauration faciale, discipline pourtant utile s’agissant de redonner une apparence présentable des corps accidentés aux familles.
Les principales dispositions du décret du 27 avril 2022, figurant au Code de la Santé Publique (CSP) et intéressant les activités funéraires sont reproduites ci-dessous :
- Principes généraux (art. R. 1261-1, CSP)
"La personne majeure qui souhaite faire don de son corps après son décès à des fins d’enseignement médical et de recherche […] effectue une demande de renseignements auprès de l’établissement de formation et de recherche ou de santé […] le plus proche de son domicile".
"L’établissement remet à la personne un document d’information […]. Il informe notamment la personne de la possibilité de demander la restitution de son corps ou de ses cendres à sa famille ou à se proches à l’issue des activités d’enseignement médical ou de rechercher ou de s’y opposer".
"La personne ainsi informée consent au don de son corps par une déclaration écrite en entier, datée et signée de sa main […]. Ce consentement est révocable à tout moment dans les mêmes conditions. La déclaration est co-signée par le responsable de la structure d’accueil des corps […] qui, d’une part accepte le don et, d’autre part, s’engage à respecter la volonté du donneur s’agissant de la restitution de son corps ou de ses cendres. L’établissement remet au donneur une copie de cette déclaration et li délivre également une carte de donneur, que ce dernier s’engage à porter en permanence.
Lorsqu’il délivre cette carte, l’établissement s’engage à accueillir le corps après le décès du donneur, qui intervient en tout lieu du territoire national, sauf si les circonstances du décès ou l’état de conservation du corps le rendent impossible. Si l’établissement n’est pas en mesure, pour quelque raison que ce soit, d’accueillir le corps après le décès du donneur, celui-ci est acheminé vers l’établissement autorisé en capacité de le recevoir le plus proche […]".
"Le donneur est encouragé à informer sa famille ou ses proches de sa démarche de don. Le donneur peut désigner une personne référente, parmi sa famille ou ses proches, qui sera l’interlocuteur de l’établissement. Lorsqu’une personne référente a été désignée par le donneur, celle-ci est destinataire, au plus tard immédiatement après le décès, du document d’information […] et si le donneur ne s’y est pas opposé, d’une information relative aux conditions de restitution du corps ou des cendres".
"Aucun paiement, quelle qu’en soit la forme, ne peut être alloué à la personne qui consent au don de son corps après son décès […]. Aucune somme d’argent ne peut lui être demandée par l’établissement".
- Le transport et l’accueil du corps (art. L. 1261-2 à L. 1261-4 C SP)
"Lors de la déclaration de décès, l’exemplaire de la déclaration [de don] […] est conservée par le donneur et, le cas échéant, sa carte de donneur, sont remis à l’officier d’état civil. L’opérateur de pompes funèbres choisi par l’établissement […] assiste la famille, les proches, ains que, le cas échéant, la personne référente […] jusqu’à l’enlèvement du corps. Un exemplaire du document d’information […] leur est remis".
"Après le décès, le transport est déclaré préalablement, par tout moyen écrit, auprès du maire de la commune du lieu de décès ou de dépôt. La déclaration est subordonnée à la détention d’un extrait du certificat de décès […] attestant que le décès ne pose pas de problème médico-légal et que le donneur n’était pas atteint de l’une des infections transmissibles […]".
"L’établissement […] qui a recueilli le consentement […] s’assure que les opérations de transport sont achevées dans un délai maximum de quarante-huit heures à compter du décès […](1). Les frais afférents à l’acheminement du corps sont intégralement pris en charge par l’établissement ayant recueilli le consentement".
"À l’arrivée du corps dans l’établissement, celui-ci est pris en charge par la structure d’accueil des corps qui assure sa conservation jusqu’au terme des activités d’enseignement médical et de recherche […]. Un numéro identifiant est attribué afin de garantir la confidentialité de l’identité du donneur pendant la durée des activités d’enseignement médical et de recherche. Ce numéro constitue l’unique moyen d’identifier les corps pour la durée de son utilisation. Le numéro identifiant est inscrit dans [un] registre […] que tient le responsable de la structure d’accueil des corps. L’identité du corps du donneur lui est restituée à l’issue des activités d’enseignement médical et de recherche en vue des opérations funéraires ou de la restitution du corps ou des cendres à la personne référente […], à la famille ou aux proches".
- Opérations funéraires
(art. R. 1261-5 à R. 1261-10, CSP)
"Les activités d’enseignement médical et de recherche organisées au sein de la structure d’accueil des corps de l’établissement […] doivent être réalisées dans un délai maximal de deux ans suivant l’accueil du corps dans l’établissement"(2).
"Les personnels de la structure d’accueil des corps assurent la meilleure restauration possible du corps avant que l’établissement ne procède aux opérations funéraires ou à la restitution du corps ou des cendres"(3).
"Au terme des activités d’enseignement médical et de recherche, l’établissement détermine le type d’opération funéraire le plus adapté en fonction de la nature de l’activité pratiquée sur le corps. Il tient compte de la préférence exprimée par le donneur lors de son consentement au don et, le cas échéant, de la demande exprimée par la personne référente qu’il a désignée, par sa famille ou ses proches".
"En l’absence d’opposition expresse du donneur, l’établissement informe […] la personne référente désignée par le donneur, ou à défaut, sa famille ou ses proches de la date à laquelle il envisage de procéder au type d’opération funéraire qu’il a retenu. Il les informe, selon la nature de l’activité pratiquée sur le corps, de la possibilité de demander la restitution de son corps ou de ses cendres, ou au contraire du caractère impossible de cette restitution […]".
"Lorsque la restitution du corps ou des cendres est possible, l’établissement les informe, à l’occasion de cette demande, ou au plus tard au terme du délai de deux ans […], sur les conditions de cette restitution et sur la possibilité de faire appel à l’opérateur de pompes funèbres de leur choix. Aucune restitution n’est possible tant que les activités d’enseignement médical et de recherche ne sont pas achevées".
"L’établissement procède à cette restitution, selon la nature de l’activité pratiquée sur le corps. Un délai de prévenance suffisant est observé avant d’engager ces opérations".
"Lorsque le donneur ne s’est pas opposé à une telle restitution, l’établissement en informe la personne référente désignée par le donneur, la famille oules proches, auteurs d’une demande de restitution. Il est procédé dans les meilleurs délais à la crémation ou à l’inhumation du corps du donneur selon le type d’opération funéraire retenu par l’établissement […]".
"Dans les autres situations, notamment lorsque l’établissement n’a pas été saisi d’une demande de restitution du corps ou des cendres, il est procédé dans les meilleurs délais à l’issue des activités d’enseignement médical et de recherche conduites sur le corps à la crémation ou à l’inhumation du corps".
"L’établissement organise chaque année une cérémonie du souvenir en hommage aux donneurs à laquelle peuvent participer les personnes référentes désignées par les donneurs, leurs familles ou leurs proches, à la condition que les donneurs ne s’y soient pas opposés en consentant au don […]".
"Lorsque le corps est restitué à la personne référente désignée par le donneur, à un membre de la famille ou à un proche, cette personne est désignée comme celle ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. La restitution est assurée par l’opérateur de pompes funèbres désigné aux frais de cette personne […]".
"Le corps est préalablement placé dans un cercueil fermé […] aux frais et sous la responsabilité de l’établissement […]. La personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles assure sans délai l’inhumation ou la crémation du corps du donneur […](4).
"Les délais d’inhumation ou de crémation [de 6 jours] […] courent à partir de la date de restitution du corps à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles".
"Lorsque l’établissement procède à la crémation du corps, notamment lorsqu’elle est rendue nécessaire par la nature des activités liées à l’utilisation du corps, les cendres sont restituées à la personne référente désignée par le donneur, à un membre de la famille ou à un proche. Cette personne est désignée comme celle ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. La restitution est assurée par l’opérateur de pompes funèbres désigné aux frais de cette personne".
Une utilisation des corps limitée à la formation médicale
Jusqu’à présent, les corps donnés à la science pouvaient servir de support à la formation en thanatopraxie, mais aussi et surtout à la formation en thanatoplastie (reconstruction faciale). Mais l’art. R. 1261-12 al.2, dans sa version issue du décret du 27 avril 2022 dispose que : "Les programmes de formation faisant appel à une utilisation de corps donnés à des fins d’enseignement médical et de recherche concernent exclusivement la formation des membres des professions médicales, des personnels qui interviennent dans les blocs opératoires sous la supervision des premiers, et des personnes qui se destinent à l’exercice de ces professions".
Dorénavant donc, les laboratoires d’anatomie des établissements d’enseignement et de recherche, ne pourront plus accueillir les stagiaires en thanatoplastie. Bien que cette activité ne soit pas centrale dans le métier de thanatopracteur, la reconstruction faciale de corps accidentés permet, lorsqu’elles le souhaitent, la présentation des corps aux familles.
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris
(1) Sans qu’il ne soit fait application des règles relatives aux délais d’inhumation ou de crémation de 6 jours, prévues aux articles R. 2213-33 et R. 2213-35 du CGCT.
(2) "Lorsque le déroulement du projet de formation ou de recherche rend nécessaire la conservation du corps au-delà du délai [de deux ans, celui-ci peut faire l’objet d’une] prolongation pour une durée de six mois renouvelable une fois" (art. R. 1261-18 III, CSP).
(3) "Le comité d’éthique, scientifique et pédagogique est obligatoirement consulté lorsque la restauration du corps ou sa restitution sont impossibles du fait de l’utilisation du corps pour les activités de la structure d’accueil. À titre exceptionnel, la conservation de pièces anatomiques [est possible et doit être] approuvée par le comité" (art. R. 1261-18 IV, CSP).
(4) Conformément aux dispositions des articles R. 2213-31 (relatif à la délivrance de l’autorisation d’inhumation) et R. 2213-34 (relatif à la délivrance de l’autorisation de crémation).
Résonance n° 180 - Mai 2022
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