Selon la réglementation en vigueur, dans l’attente de la crémation ou de l’inhumation définitive dans un lieu de sépulture déterminé par le défunt ou la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les corps des personnes décédées peuvent faire l’objet, après leur mise en bière, d’un dépôt temporaire. Le cercueil peut ainsi être déposé dans un édifice cultuel.
Qu’est-ce qu’un édifice cultuel pour le dépôt provisoire du cercueil ?
C’est cette question que pose un parlementaire au ministre. En effet, l’art. R. 2213-29 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose que : "Après la fermeture du cercueil, effectuée conformément aux dispositions de l’art. R. 2213-20, celui-ci peut être déposé temporairement dans un édifice cultuel, une chambre funéraire, au crématorium, dans un dépositoire, à la résidence du défunt ou celle d’un membre de sa famille, dans les conditions prévues aux articles R. 2213-33 et R. 2213-35 du CGCT. Le cercueil peut également être déposé dans un caveau provisoire, le cas échéant après accord du propriétaire du caveau, dans l’attente de l’inhumation définitive.
L’autorisation du dépôt est donnée par le maire de la commune du lieu du dépôt, après vérification que les formalités prescrites par l’art. R. 2213-17 du CGCT et par les articles 78 et suivants du Code civil ont été accomplies. Le dépôt prévu au deuxième alinéa ne peut excéder six mois. À l’expiration de ce délai, le corps est inhumé ou fait l’objet d’une crémation dans les conditions prévues aux articles R. 2213-31, R. 2213-34, R. 2213-36, R. 2213-38 et R. 2213-39 du CGCT. Le dépôt d’un cercueil hermétique dans un dépositoire ne peut excéder six mois. À l’expiration de ce délai, le corps est inhumé".
Le parlementaire s’inquiétait alors de l’inexistence d‘une définition précise de l’édifice cultuel, il en tirait les conséquences suivantes : "[…] la liste des religions n’est pas limitative et n’importe quel groupe de personnes peut se réclamer de telle ou telle religion ou même créer une nouvelle religion. Ensuite, pour une religion donnée, la notion d’édifice cultuel n’a pas non plus de définition juridiquement précise.
Dans ces conditions, si une commune qui dispose d’un dépositoire décide avec l’accord du responsable de telle ou telle religion que dorénavant le dépositoire est un édifice cultuel, par exemple une chapelle, il lui demande sur quel fondement les services préfectoraux pourraient s’opposer à ce que ledit dépositoire soit dorénavant un édifice cultuel pouvant, à ce titre, bénéficier des dérogations prévues par le décret susvisé du 28 janvier 2011".
La réponse du ministre est alors que certes il n’existe pas de définition légale ou réglementaire mais que : "Sont ainsi considérés comme édifices cultuels les édifices affectés ou servant à l’exercice public du culte (voir, par exemple : l’art. 1382 4° du Code Général des Impôts (CGI) ; titre III de la loi du 9 décembre 1905) de façon exclusive et pérenne (CE, 19 juillet 2011, n° 313518, commune de Montpellier).
Cela n’exclut toutefois pas que ces édifices puissent également être utilisés à d’autres fins, notamment culturelles (voir, par exemple : CE, 19 juillet 2011, n° 308544, commune de Trélazé). Ces édifices peuvent être la propriété d’une personne publique, en application des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, ou d’une personne privée, qui est le plus souvent une association. Le même régime juridique est applicable aux dépendances nécessaires, fonctionnellement indissociables de l’édifice cultuel (CE, 20 juin 2012, n° 340648, commune des Saintes-Maries-de-la-Mer). Tout lieu ne peut donc pas être qualifié en opportunité d’édifice cultuel".
Par le passé, pourtant, à l’occasion d’une autre réponse ministérielle (Rép. Min. n° 79114, JO, AN du 1er septembre 2015), le Gouvernement était venu nous donner une autre définition du terme "édifice cultuel" puisque, selon lui, il s’agirait des lieux visés par l’art. L. 2223-10 du CGCT, c’est-à-dire "les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement […] des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, dans l’enceinte des villes et bourgs".
Il est vrai que cet article ne concerne que les interdictions d’inhumation, et ne nous semble pas, même si l’énumération est des plus larges (énumération d’ailleurs tronquée), refléter l’infinie possibilité des édifices cultuels, surtout en ne visant expressément que des édifices cultuels clos. La réponse ministérielle de mars 2021 semble ainsi plus satisfaisante sur ce point…
Néanmoins, c’est ici l’occasion de relever la différence de formulation entre l’art. R. 2213-29 du CGCT, qui autorise le dépôt provisoire du cercueil dans un édifice cultuel, d’avec l’art. L. 2223-18-1 du même Code, qui autorise le dépôt provisoire de l’urne, cette fois dans un lieu de culte. Faut-il alors penser que ces deux termes sont synonymes, ou bien, au contraire, ne faut-il pas comprendre que ce second terme recoupe de plus larges possibilités que le premier, étant entendu qu’un lieu de culte ne serait pas obligatoirement un édifice clos et fermé comme l’exige l’art. L. 2223-10 du CGCT ?
D’autre part, si l’art. R. 2223-29 du CGCT est muet sur ce point, l’accord de l’association chargée de l’exercice du culte est requis à l’art. L. 2223-18-1 du CGCT. Évidemment, cette omission ne modifie en rien le fait que l’accord du gestionnaire de l’édifice cultuel devrait être requis tant pour le dépôt des cendres que pour celui des corps. Dans une église catholique affectée au culte, la solution est ancienne puisque nous sommes en présence le plus souvent d’un propriétaire public : la commune, et d’un affectataire privé : le culte catholique.
À titre d’illustration, le conseil municipal
pourrait fort bien, par exemple, vouloir organiser la visite d’églises et du patrimoine communal qui s’y trouve. Néanmoins, il faudra que le conseil municipal recueille l’assentiment du prêtre affectataire, qui, lui, a la police de l’édifice. Cette solution est classique et affirmée régulièrement par la jurisprudence, par exemple dans l’arrêt du Conseil d’État Abbé Chalumey du 4 novembre 1994 (req. n° 135842).
Pour les autres cultes, la plupart des lieux de culte appartenant à des associations cultuelles, leur accord sera demandé. D’autre part, l’art. L. 2223-18-1 du CGCT, en ne visant que l’accord de l’association chargée de l’exercice du culte, omet que la quasi-totalité des églises catholiques ne sont pas gérées par des associations cultuelles puisqu’en droit, si elles le sont par le truchement d’association diocésaines régies par une loi de 1924, elles le sont le plus souvent sous le régime de la réunion publique, prévue par une loi du 2 janvier 1907 qui autorise l’exercice d’un culte "par voie de réunion tenues par initiatives individuelles". Il s’agira alors de nouveau de recueillir plutôt l’assentiment de l’affectataire que d’une association inexistante…
Enfin, pour en revenir à notre réponse ministérielle, nous ne sommes pas sûr que les jurisprudences citées par le ministre suffisent à couvrir le champ des possibles, d’autant plus qu’aucune d’elles ne concerne une problématique de droit funéraire. Nous avouons ainsi partager le questionnement du parlementaire. En effet, il conviendrait peut-être de s’interroger sur la signification même du mot "culte".
Le droit français n’utilise que rarement le terme "religion", lui préférant celui de culte, c’est-à-dire l’envisageant sous l’angle des pratiques cultuelles publiques. Dans un avis (n° 187122, 24 octobre 1997), le Conseil d’État considère alors que l’exercice d’un culte consiste dans "la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou pratiques".
L’édifice cultuel ne devrait-il alors pas être l’édifice où s’exerce cette activité ? Il n’existe pas plus d’ailleurs de définition du terme "secte", ce qui d’ailleurs semble normal dans un pays laïque où la croyance n’est pas l’affaire de l’État. La jurisprudence ne distingue pas la religion de la secte, et elle ne traite des dérives sectaires que lorsqu’une infraction est commise.
D’ailleurs, le juge n’affirme-t-il pas "qu’il est vain de s’interroger sur le point de savoir si l’Église de Scientologie constitue une secte ou une religion, la liberté de croyance étant absolue. Dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence de deux éléments, un élément objectif, l’existence d’une communauté même réduite, et un élément subjectif, une foi commune, l’Église de Scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités y compris missionnaires voire de prosélytisme (CA Lyon 28 juillet 1997)".
Ces quelques remarques, d’ordre juridique, n’obèrent en rien de développements plus pratiques quant aux modalités de l’organisation de tels dépôts dans des endroits qui sont notoirement peu ou pas surveillés, et pour lesquels il peut exister certes des indemnités de gardiennage (c’est le cas des églises communales), mais dont le montant relève plutôt de l’aumône…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n° 169 - Avril 2021
Résonance n° 169 - Avril 2021
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