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Puisque, récemment, le juge administratif est venu consacrer la nécessité d’un formalisme pour la reprise des concessions échues (cf. édition de Résonance de juin dernier), il nous a paru utile de revenir sur celui, consacré par le législateur, de reprise des concessions abandonnées.
 
Conditions d’application de cette procédure

Cette procédure est prévue par les articles L. 2223-17 et L. 2223-18, et R. 2223-12 à R. 2223-23 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). Il est à noter que le non-respect de ces formalités entraîne la responsabilité de la commune, car la reprise devient irrégulière, et l’arrêté aussi (CE 26 mai 1994, Gras, req. n° 135146). Cette procédure concerne toutes les concessions d’une durée d’au moins trente ans. La reprise est justifiée, alors que le terme de la concession n’est pas échu, par la violation par l’une des parties de ses obligations, à savoir par le concessionnaire : l’obligation d’utiliser le terrain concédé conformément à sa destination et paisiblement. 
La procédure de reprise n’est qu’une faculté pour la commune. Il est donc tout à fait possible, si aucun problème de place ou de sécurité n’existe, de ne pas procéder à ces reprises de concessions (CE 24 novembre 1971, Commune de Bourg-sur-Gironde : Rec. CE, p. 704). Toutefois, la non-utilisation de cette procédure alors qu’une sépulture serait susceptible de provoquer des dommages est sanctionnable par le juge. L’art. R. 2223-17 du CGCT dispose que : "Lorsque, après une période de trente ans, une concession a cessé d’être entretenue, le maire peut constater cet état d’abandon par procès-verbal porté à la connaissance du public et des familles" ; tandis que l’art. R. 2223-12 du CGCT énonce, lui, que : "La procédure prévue […] ne peut être engagée que dix ans après la dernière inhumation faite dans le terrain concédé." C’est donc une procédure cumulative, ces deux éléments doivent être réunis. Il faut de plus que la concession ait cessé d’être entretenue (L. 2223-17 du CGCT). 
Il peut parfaitement advenir qu’aucun titre de concession ne soit retrouvé par la commune. Deux possibilités sont alors envisageables : la première est qu’il est de notoriété publique que la sépulture soit une concession ; dans cette hypothèse, le Code prévoit que le maire puisse dresser un certificat de notoriété attestant l’existence d’une concession. La seconde est tout simplement qu’un tel titre n’ait jamais existé, et que l’on s’est fourvoyé sur la nature juridique de ce qui est en fait une sépulture en terrain commun, sépulture dont il faut rappeler qu’elle ne donne lieu à aucune délivrance de titre.
Il est en effet tout a fait possible qu’une telle sépulture se voit vue, au fil du temps, recevoir un monument et un caveau, et que plusieurs inhumations y aient été faites. Le juge estime alors que l’on est en présence d’une occupation sans titre du domaine public (CAA Nancy, 28 septembre 2006, n° 05NC00285, Consorts V) et donc non concernée par la procédure ici décrite, mais par celle du terrain commun. Il en ira de même en cas de concession délivrée mais au prix non acquitté (CAA Marseille, 25 mars 2011, n° 09MA00288 ) : "Considérant, d’une part, que les emplacements accueillant des sépultures, en l’absence de toute concession, notamment à raison du défaut de versement de la redevance due à ce titre, sont soumis au régime de droit commun des terrains généraux ; que, dès lors que les articles L. 2223-17 et R. 2223-12 à R. 2223-15 du CGCT déterminent les dispositions applicables à la reprise des terrains affectés aux concessions, Mme A. ne peut utilement soutenir que l’arrêté précité qui ne régit que les terrains généraux dans les cimetières de l’Est, l’Ouest et des Crozes, aurait méconnu ces dispositions."

Qu’est-ce qu’une concession abandonnée ?

Il est à noter que le terme "abandon" ne connaît pas de définition juridique, c’est à peine si la jurisprudence fait mention de "signes extérieurs" tels qu’envahissement par les plantes, mauvais état général. Selon la circulaire n° 62-188 du 22 mars 1962, l’abandon résulterait donc, par interprétation littérale de l’art. L. 2223-17 du CGCT, d’un défaut d’entretien constaté trente années après que la concession a été constituée. On ne mentionne aucunement la constatation d’un état de ruine quelconque, mais simplement des signes extérieurs, qui seraient nuisibles au bon ordre et à la décence du cimetière.
Quand le concessionnaire ne fait plus face à cette obligation d’entretien, le contrat peut être alors rompu par la commune. En effet, la concession n’a été constituée que sous réserve de cet entretien, qui est un engagement du concessionnaire. Le Gouvernement n’envisage pas de donner une définition réglementaire de l’abandon, on constatera néanmoins l’importance que revêtent les deux procès-verbaux, l’abandon d’une concession découlant littéralement de la comparaison de l’état de la sépulture entre le premier et le second procès-verbal (question écrite n° 12072 de Mme Virginie Klès, JO Sénat du 18/02/2010).

Le déroulement de la procédure

- Première étape : le procès-verbal d’abandon
 
Il faut constater l’état d’abandon, ce qui se fait grâce à un procès-verbal dressé en présence du maire ou de son délégué (sauf à Paris, où c’est le conservateur du cimetière). Les descendants et successeurs du titulaire seront prévenus par lettre recommandée avec accusé de réception de cette démarche. Cette lettre doit les inviter à être présents ce jour ou à s’y faire représenter. La lettre doit être adressée un mois avant. Dans le cas courant où les adresses ne sont pas connues, il pourra être remplacé par un affichage à la mairie ainsi qu’à la porte du cimetière, précisant date et heure de cette visite (CE 6 mai 1995, commune d’Arques c/ Mme Dupuis-Matton, req. n° 111720). C’est une formalité substantielle dont le non-respect entraînera la nullité de la procédure. On notera que le décret du 28 janvier 2011 (R. 2223-13 du CGCT) est toiletté et ne rend plus nécessaire la présence du commissaire de police, remplacé par un fonctionnaire de police délégué par le chef de circonscription, ou même d’un garde champêtre ou d’un policier municipal.

- Deuxième étape : établissement du procès-verbal
 
On établit alors un procès-verbal signé par les personnes présentes. Il doit se voir annexer une copie de l’acte de concession, ou bien un acte de notoriété. Ce procès-verbal doit d’abord constater que la concession a été accordée depuis plus de trente ans.
Il doit contenir les mentions suivantes :
⁃ emplacement exact de la concession ;
⁃ description la plus précise possible de l’état de la concession (le juge refuse les formules trop vagues ; CAA Nancy 3 novembre 1994, M. Gaunet, req. n° 93NC00482) ;
⁃ date de l’acte de concession, noms des parties à cet acte, noms de leurs ayants droit ou des défunts inhumés dans la concession, si connus.

Si certaines des parties présentes refusent de signer le procès-verbal, ce refus doit être mentionné au procès-verbal. Idem pour les personnes qui ont été convoquées mais qui ne se sont pas déplacées. Une copie du procès-verbal doit être notifiée sous huit jours aux descendants, successeurs ainsi qu’une mise en demeure de remise en état de la concession par lettre recommandée avec accusé de réception. Des extraits du procès-verbal seront affichés, et des affiches posées en mairie ainsi qu’au cimetière. Ces affiches seront renouvelées au bout de quinze jours deux fois de suite. Le maire devra dresser un certificat de l’accomplissement de cet acte annexé au procès-verbal. Il y aura donc au total trois affichages d’un mois entrecoupés par deux quinzaines sans affichage (Rép.min. n° 33615, JOAN Q 4 octobre 1999, p. 5783).

Résumé d’un cycle d’affichage
1er PV : affichage un mois
15 jours où il n’y a pas d’affichage
1er renouvellement (qui correspond en fait à un deuxième affichage) : les affiches sont apposées pendant un mois.
15 jours où de nouveau il n’y a pas d’affichage
2nd renouvellement (qui correspond en fait à un troisième affichage) : les affiches sont apposées pendant un mois.

- Troisième étape : établissement du second procès-verbal
 
Au bout d’un délai de trois ans, un second procès-verbal (PV) est établi dans les conditions du premier. Si on a constaté un acte qui peut être qualifié d’entretien de la concession, on suspend la procédure de reprise pour encore trois ans. Si, trois ans après cette constatation, des actes d’entretien sont visibles, on abandonnera définitivement la concession, sinon on reprendra la procédure là où le premier procès-verbal l’avait laissée.
Si rien de tel n’est constaté, un second PV sera dressé, il doit faire ressortir si un acte d’entretien a été effectué grâce à une comparaison des termes contenus dans le premier procès-verbal. La différence avec le premier PV réside dans le fait que la procédure d’affichage n’est plus requise

- Quatrième étape : la décision du conseil municipal
 
Un mois après la notification du second procès-verbal, le maire peut saisir le conseil municipal, qui doit alors se prononcer sur la reprise. Le maire doit ensuite rédiger un arrêté, qui sera publié et notifié. Ici, le maire, s’il est tenu à l’avis favorable du conseil pour prononcer la reprise, peut parfaitement en dépit d’un tel avis décider de ne pas prononcer cette reprise. Le maire devra alors publier et notifier cet arrêté, la publication devra faire l’objet d’un certificat de publicité certifié par le maire. Le juge est exigeant sur ces formalités (CE 6 mai 1995, commune d’Arques c/ Mme Dupuis-Matton, précité). Logiquement, cette saisine n’a pas lieu d’être si le conseil municipal avait délégué au maire le pouvoir de reprendre les concessions (L. 2122-22-8° du CGCT).
 
Traditionnellement en droit administratif, les actes tels des arrêtés doivent être soit notifiés, soit publiés, selon leur nature juridique. La publication est un mode de publicité impersonnel réservé aux actes de portée générale, comme les arrêtés de police. La publicité doit être adéquate, in extenso. La notification est un mode de publicité concernant des actes individuels. Elle se fait le plus souvent par lettre recommandée avec accusé de réception, quoi qu’il soit permis de procéder par voie administrative soit par un reçu, soit par une signature d’émargement. La date de la notification est celle de la signature de l’intéressé ou de son préposé sur l’accusé de réception. Lorsque la lettre recommandée retourne à l’administration, la date de notification est celle de la première présentation du courrier.
Il est des cas où il existe des modes de publicité spéciaux. C’est le cas par exemple pour la transmission au préfet des actes des collectivités décentralisées en vertu des articles L. 2131-2, L. 3131-2 et L. 4141-2 du CGCT, car la transmission au préfet s’analyse comme une mesure de publicité. Il est à noter que, si la publication ou la notification n’a pas été faite ou a été mal faite, l’acte n’est pas illégal : il n’est tout simplement jamais entré en vigueur (ce qui bien sûr le rend attaquable au-delà du délai de deux mois du recours en excès de pouvoir, puisque le point de départ de ce délai n’a jamais été ouvert).
De surcroît, lorsqu’un acte est individuel, il doit expressément mentionner les informations relatives aux voies de délais et de recours, sinon, derechef, le recours en excès de pouvoir n’est pas ouvert, et le recours est alors possible ad vitam aeternam. Néanmoins, par un arrêt particulièrement remarqué, la plus haute formation du Conseil d’État (CE, Ass., 13 juillet 2016, n° 387763) vient de décider que, même dans l’hypothèse où cette mention des délais et voies de recours n’est pas mentionnée, le recours ne pourrait plus s’exercer au-delà d’un délai "raisonnable" d’une année. Le juge administratif appliqua ce nouveau principe à la reprise des concessions funéraires (CAA Douai, 16 novembre 2017, n° 17DA00147).

Limites de la procédure de reprise
 
La procédure ne peut intervenir avant un délai de cinquante ans décompté à partir de la date d’inhumation, pour les concessions cinquantenaires ou perpétuelles pour lesquelles l’acte de décès porte la mention "Mort pour la France" en application des articles L. 488 et L. 489 du Code des pensions militaires (R. 2223-22 du CGCT). Puis, lorsqu’une concession centenaire ou perpétuelle est entretenue en exécution d’une disposition testamentaire ou une donation, le recours à la procédure d’abandon est impossible (R. 2223-23 du CGCT).
 
La reprise matérielle se traduit par deux opérations 
 
1 - Enlèvements des monuments
La commune a une totale liberté pour détruire, utiliser, revendre les monuments et caveaux (circulaire n° 93-28 du 28 janvier 1993, reprenant avis du Conseil d’État 4 février 1992, EDCE 1992, p. 409). Un récent arrêt du Conseil d’État (Conseil d’État 11 mars 2020, n° 436693) vient confirmer cette position. L’art. R. 2223-20 du CGCT dispose en effet que : "Trente jours après la publication et la notification de l’arrêté, le maire peut faire enlever les matériaux des monuments et emblèmes funéraires restés sur la concession." Ces biens repris feront partie du domaine privé de la commune, qui en disposera comme elle le souhaite : destruction, revente… Il convient d’attirer l’attention sur le fait que, si ces monuments restent en place à l’issue de la reprise, tout dommage causé par eux de par leur mauvais état engagerait la responsabilité de la commune qui en est devenue propriétaire.
 
2 - Exhumation des restes 
Le même article, en son second alinéa, énonce que : "Il [le maire] fait procéder à l’exhumation des restes des personnes inhumées. Pour chaque concession, ces restes sont réunis dans un cercueil de dimensions appropriées." Il convient de noter qu’ici la présence de la famille n’est pas obligatoire. Désormais, l’art. L. 2213-14 du CGCT, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, vient, dans son alinéa premier, exclure expressément cette opération de celles devant être obligatoirement surveillées.

Attention, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé qu’au cours de ces travaux de reprise matérielle, le corps et la sépulture sont toujours protégés par le délit d’atteinte à l’intégrité du cadavre et de violation de sépulture visé à l’art. 225-17 du Code pénal (Cass. crim. 25 octobre 2000, X, pourvoi n° 00-82.152, Collectivités territoriales – Intercommunalité 2001, comm. 139, note D. Dutrieux).
Enfin, les restes exhumés seront reinhumés dans l’ossuaire, sauf si le maire décide d’une crémation et d’une dispersion dans le lieu aménagé à cet effet (lorsque c’est possible). S’il n’existe aucun ossuaire, il est possible de décider d’un transfert dans un autre cimetière communal, voire d’une structure intercommunale dont la commune est membre (R. 2223-6 du CGCT). Les noms des personnes ainsi exhumées seront consignés dans un registre tenu à cet effet, et devront aussi être mentionnés dans le jardin du souvenir ou pourront être gravés au-dessus de l’ossuaire, sur un matériau durable.
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’Université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance numéro spécial n°10 - Août 2020

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