Récemment, une chaîne de télévision a diffusé un reportage sur l’existence des carrés dédiés dans certains cimetières français aux sépultures des condamnés à mort qui, une fois exécutés, sont réputés être des "suppliciés", d’où le nom générique donné à ce type de lieux d’inhumations.
C’est le cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine qui a fourni aux reporters les images de l’illustration de ces lieux, ouvert en 1874 et qui commença à recevoir dès 1885 les premiers corps des personnes exécutées. Auparavant, à partir de l’an 1700, les suppliciés étaient inhumés dans une fosse creusée dans la bande de terrain près du second gibet de Montfaucon. Il est avéré qu’une fois recouverte de terre, la sépulture devenait difficilement identifiable, d’où la difficulté, dès le lendemain matin, de retrouver la trace du corps.
Mais, le 21 janvier 1790, après que l’Assemblée nationale constituante ait, par décret, autorisé l’inhumation des suppliciés dans les cimetières, mais aussi et surtout le principe de la restitution des corps aux familles des suppliciés qui pouvaient faire procéder au transfert du corps dans un autre cimetière public communal, sans pompe ni cérémonie, il était écrit sans appareil, ainsi que l’inscription sur les registres des cimetières des noms et prénoms des défunts, sans y faire figurer les causes de la mort, on pouvait penser que les principes qui avaient jusqu’alors prévalu pour les inhumations des corps des condamnés à mort devaient substantiellement évoluer.
Or, curieusement, cela ne fut pas le cas. Le cimetière d’Ivry-sur-Seine continua à inhumer anonymement les suppliciés, et cette pratique fut étendue à partir de 1820 au cimetière Saint-Pierre de Marseille.
Dans un article trouvé sur Internet, on peut lire à propos de ce cimetière de Marseille :
"Majestueux cimetière tant au niveau de sa superficie (rappel : 63 hectares) qu’au niveau architectural, le site funéraire de la cité phocéenne présente, également, la particularité de comporter des emplacements de personnes victimes de la peine capitale."
Et plus loin :
"Le 9 octobre 1981, après l’abolition de la peine de mort […], il est judicieux de s’interroger sur le sort des cadavres des criminels exécutés au fil des années et sur leur lieu d’inhumation. Des éléments de réponse se situent au cœur du cimetière Saint-Pierre de Marseille."
Le mur des suppliciés, voilà comment se nomme l’endroit où repose l’ensemble des corps des condamnés à mort, à l’abri des regards. La dernière condamnation a d’ailleurs eu lieu à Marseille. Il s’agissait du Tunisien Hamida Djandoubi, reconnu coupable de plusieurs crimes (assassinat, viol, torture, acte de barbarie…).
S’il est difficile, voire impossible, de situer le lieu d’inhumation d’un condamné à mort, c’est parce que la législation l’interdit. En effet, il est impossible pour une famille de condamné à mort de connaître l’emplacement exact où le défunt a été inhumé […]. Ces affirmations sont manifestement inexactes.
Les raisons
1) Depuis le décret adopté le 21 janvier 1790, après que l’Assemblée nationale constituante avait autorisé l’inhumation des suppliciés dans les cimetières, mais aussi et surtout adopté le principe de la restitution des corps aux familles des suppliciés qui pouvaient faire procéder au transfert du corps dans un autre cimetière public communal, la question qui vient naturellement à l’esprit est la suivante : comment restituer un corps à la famille du supplicié sans que la tombe puisse être identifiée ?
2) Sur ces fondements, dans le cas de l’exécution d’Hamida Djandoubi, dernier supplicié en France, mais aussi de celle de Christian Ranucci, qui eut lieu, également, dans la cour intérieure de la prison des Beaumettes à Marseille, en ma qualité de conservateur des cimetières de Marseille, je mis un terme à cette pratique, à mon sens irrégulière, de l’inhumation de ces deux corps dans le carré dit "des suppliciés".
En effet, la mère de Christian Ranucci, avait fait valoir auprès du procureur de la République de Marseille son désir de le faire transférer dans une sépulture familiale située dans le cimetière Saint-Véran, à Avignon, où elle résidait. L’exécution eut lieu le 8 juillet 1976, avant le lever du soleil, deux motards de la police nationale m’ayant remis la veille vers 18 heures 30, à mon bureau, rue Saint-Pierre, une réquisition à personne signée du procureur de la République.
À l’origine, elle était libellée à l’ordre de Gaston Defferre, qui me l’avait fait suivre. Il y était indiqué que la commune de Marseille devait le lendemain, à partir de 3 heures 15, organiser l’inhumation du corps du supplicié. Le service des pompes funèbres municipales fit livrer un cercueil en pin de qualité courante, que l’on appelait, dans notre jargon, "le cercueil des pauvres et des indigents", qui fut remis au surveillant concierge du cimetière.
Mais l’évènement le plus important, c’est que, pour la première fois dans l’histoire des exécutions capitales à Marseille, assez nombreuses entre les années 1945 et 1960, période où les sentences étaient généralement appliquées, le corps de Christian Ranucci échappa au carré dit "des suppliciés". En effet, antérieurement, les corps étaient inhumés, sans que l’on sache vraiment pourquoi, dans le carré du cimetière Saint-Pierre, destiné aux suppliciés. Or, de carré, de telle sorte, il n’y en avait point !
En fait, il s’agissait d’une allée mitoyenne du cimetière israélite de la Timone, propriété du Consistoire depuis 1864, où les corps étaient déposés à la hâte dans des fosses qui y étaient creusées la veille.
Plus grave encore !
Il n’existait aucune possibilité d’individualiser ces sépultures. Or, il était courant que, des années après la mise en terre, des demandes d’exhumations soient sollicitées par les familles des défunts, auxquelles l’Administration devait répondre. Mais, en pratique, l’identification du lieu de la tombe nécessitait de longues et fastidieuses recherches, avec la réalisation de sondages ponctuels.
Après avoir étudié les textes en vigueur, dont les articles 12, 13, 14, 15, 16 et 17 du Code pénal, alors en vigueur, et l’art. 713 du Code de procédure pénale, j’acquis la certitude qu’il n’existait aucune disposition légale imposant que le corps d’un supplicié soit inhumé en un lieu spécifiquement dédié à l’oubli, comme le soutenaient mes prédécesseurs. Je pris alors la décision d’affecter une tombe en terrain commun, pour ensevelir Christian Ranucci, avec pour seule indication un piquet en bois comportant le numéro du carré, celui de l’allée, ainsi que le numéro permettant d’identifier la tombe.
Cette situation fut portée sur le registre des inhumations tenu à la Conservation des cimetières (il en existe 21 à Marseille). Le procureur de la République, même s’il ne disposait d’aucun pouvoir spécifique en la matière, me donna son assentiment. C’est ainsi que Marseille rompit avec une pratique illégale que je considérais d’un autre temps. Il en fut de même pour l’inhumation du corps d’Hamida Djandoubi. Enfin, le Code pénal en vigueur avant l’abolition de la peine de mort en 1881 édictait à propos des peines afflictives et infamantes, en ses articles 6 et 7.
Art. 7
"Les peines afflictives et infamantes sont :
1° La mort ;
2° La réclusion criminelle à perpétuité ;
3° La détention criminelle à perpétuité ;
4° La réclusion criminelle à temps ;
5° La détention criminelle à temps."
Mais aussi et surtout en son art. 14 : "Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge pour elles de les faire inhumer sans aucun appareil", ce qui en toute logique aurait dut incliner les gestionnaires des cimetières publics de ne pas inhumer ces corps dans des lieux dévolus à l’oubli.
Force est donc de constater que, durant 106 ans, contrairement à la loi (le Code pénal est bien d’essence législative), les suppliciés furent inhumés dans plusieurs métropoles françaises dans des lieux manifestement inappropriés. À mon sens, ces précisions s’imposaient afin de rétablir, autant que faire se peut, la réalité juridique en ce domaine.
Mais, le 21 janvier 1790, après que l’Assemblée nationale constituante ait, par décret, autorisé l’inhumation des suppliciés dans les cimetières, mais aussi et surtout le principe de la restitution des corps aux familles des suppliciés qui pouvaient faire procéder au transfert du corps dans un autre cimetière public communal, sans pompe ni cérémonie, il était écrit sans appareil, ainsi que l’inscription sur les registres des cimetières des noms et prénoms des défunts, sans y faire figurer les causes de la mort, on pouvait penser que les principes qui avaient jusqu’alors prévalu pour les inhumations des corps des condamnés à mort devaient substantiellement évoluer.
Or, curieusement, cela ne fut pas le cas. Le cimetière d’Ivry-sur-Seine continua à inhumer anonymement les suppliciés, et cette pratique fut étendue à partir de 1820 au cimetière Saint-Pierre de Marseille.
Dans un article trouvé sur Internet, on peut lire à propos de ce cimetière de Marseille :
"Majestueux cimetière tant au niveau de sa superficie (rappel : 63 hectares) qu’au niveau architectural, le site funéraire de la cité phocéenne présente, également, la particularité de comporter des emplacements de personnes victimes de la peine capitale."
Et plus loin :
"Le 9 octobre 1981, après l’abolition de la peine de mort […], il est judicieux de s’interroger sur le sort des cadavres des criminels exécutés au fil des années et sur leur lieu d’inhumation. Des éléments de réponse se situent au cœur du cimetière Saint-Pierre de Marseille."
Le mur des suppliciés, voilà comment se nomme l’endroit où repose l’ensemble des corps des condamnés à mort, à l’abri des regards. La dernière condamnation a d’ailleurs eu lieu à Marseille. Il s’agissait du Tunisien Hamida Djandoubi, reconnu coupable de plusieurs crimes (assassinat, viol, torture, acte de barbarie…).
S’il est difficile, voire impossible, de situer le lieu d’inhumation d’un condamné à mort, c’est parce que la législation l’interdit. En effet, il est impossible pour une famille de condamné à mort de connaître l’emplacement exact où le défunt a été inhumé […]. Ces affirmations sont manifestement inexactes.
Les raisons
1) Depuis le décret adopté le 21 janvier 1790, après que l’Assemblée nationale constituante avait autorisé l’inhumation des suppliciés dans les cimetières, mais aussi et surtout adopté le principe de la restitution des corps aux familles des suppliciés qui pouvaient faire procéder au transfert du corps dans un autre cimetière public communal, la question qui vient naturellement à l’esprit est la suivante : comment restituer un corps à la famille du supplicié sans que la tombe puisse être identifiée ?
2) Sur ces fondements, dans le cas de l’exécution d’Hamida Djandoubi, dernier supplicié en France, mais aussi de celle de Christian Ranucci, qui eut lieu, également, dans la cour intérieure de la prison des Beaumettes à Marseille, en ma qualité de conservateur des cimetières de Marseille, je mis un terme à cette pratique, à mon sens irrégulière, de l’inhumation de ces deux corps dans le carré dit "des suppliciés".
En effet, la mère de Christian Ranucci, avait fait valoir auprès du procureur de la République de Marseille son désir de le faire transférer dans une sépulture familiale située dans le cimetière Saint-Véran, à Avignon, où elle résidait. L’exécution eut lieu le 8 juillet 1976, avant le lever du soleil, deux motards de la police nationale m’ayant remis la veille vers 18 heures 30, à mon bureau, rue Saint-Pierre, une réquisition à personne signée du procureur de la République.
À l’origine, elle était libellée à l’ordre de Gaston Defferre, qui me l’avait fait suivre. Il y était indiqué que la commune de Marseille devait le lendemain, à partir de 3 heures 15, organiser l’inhumation du corps du supplicié. Le service des pompes funèbres municipales fit livrer un cercueil en pin de qualité courante, que l’on appelait, dans notre jargon, "le cercueil des pauvres et des indigents", qui fut remis au surveillant concierge du cimetière.
Mais l’évènement le plus important, c’est que, pour la première fois dans l’histoire des exécutions capitales à Marseille, assez nombreuses entre les années 1945 et 1960, période où les sentences étaient généralement appliquées, le corps de Christian Ranucci échappa au carré dit "des suppliciés". En effet, antérieurement, les corps étaient inhumés, sans que l’on sache vraiment pourquoi, dans le carré du cimetière Saint-Pierre, destiné aux suppliciés. Or, de carré, de telle sorte, il n’y en avait point !
En fait, il s’agissait d’une allée mitoyenne du cimetière israélite de la Timone, propriété du Consistoire depuis 1864, où les corps étaient déposés à la hâte dans des fosses qui y étaient creusées la veille.
Plus grave encore !
Il n’existait aucune possibilité d’individualiser ces sépultures. Or, il était courant que, des années après la mise en terre, des demandes d’exhumations soient sollicitées par les familles des défunts, auxquelles l’Administration devait répondre. Mais, en pratique, l’identification du lieu de la tombe nécessitait de longues et fastidieuses recherches, avec la réalisation de sondages ponctuels.
Après avoir étudié les textes en vigueur, dont les articles 12, 13, 14, 15, 16 et 17 du Code pénal, alors en vigueur, et l’art. 713 du Code de procédure pénale, j’acquis la certitude qu’il n’existait aucune disposition légale imposant que le corps d’un supplicié soit inhumé en un lieu spécifiquement dédié à l’oubli, comme le soutenaient mes prédécesseurs. Je pris alors la décision d’affecter une tombe en terrain commun, pour ensevelir Christian Ranucci, avec pour seule indication un piquet en bois comportant le numéro du carré, celui de l’allée, ainsi que le numéro permettant d’identifier la tombe.
Cette situation fut portée sur le registre des inhumations tenu à la Conservation des cimetières (il en existe 21 à Marseille). Le procureur de la République, même s’il ne disposait d’aucun pouvoir spécifique en la matière, me donna son assentiment. C’est ainsi que Marseille rompit avec une pratique illégale que je considérais d’un autre temps. Il en fut de même pour l’inhumation du corps d’Hamida Djandoubi. Enfin, le Code pénal en vigueur avant l’abolition de la peine de mort en 1881 édictait à propos des peines afflictives et infamantes, en ses articles 6 et 7.
Art. 7
"Les peines afflictives et infamantes sont :
1° La mort ;
2° La réclusion criminelle à perpétuité ;
3° La détention criminelle à perpétuité ;
4° La réclusion criminelle à temps ;
5° La détention criminelle à temps."
Mais aussi et surtout en son art. 14 : "Les corps des suppliciés seront délivrés à leurs familles, si elles les réclament, à la charge pour elles de les faire inhumer sans aucun appareil", ce qui en toute logique aurait dut incliner les gestionnaires des cimetières publics de ne pas inhumer ces corps dans des lieux dévolus à l’oubli.
Force est donc de constater que, durant 106 ans, contrairement à la loi (le Code pénal est bien d’essence législative), les suppliciés furent inhumés dans plusieurs métropoles françaises dans des lieux manifestement inappropriés. À mon sens, ces précisions s’imposaient afin de rétablir, autant que faire se peut, la réalité juridique en ce domaine.
Jean-Pierre Tricon
Chevalier dans l’Ordre national du Mérite
Maître en droit
DESS en gestion des collectivités locales
Co-auteur du Traité de Législation et Réglementation Funéraire
Consultant/Formateur
Résonance numéro spécial n°10 - Août 2020
Chevalier dans l’Ordre national du Mérite
Maître en droit
DESS en gestion des collectivités locales
Co-auteur du Traité de Législation et Réglementation Funéraire
Consultant/Formateur
Résonance numéro spécial n°10 - Août 2020
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