L’arrêt qui retient notre attention est intéressant à deux titres : tout d’abord, il valide la propriété de la commune des monuments et emblèmes restés sur la concession échue, mais surtout, il opère un important revirement de jurisprudence quant aux obligations du maire en matière d’informations des titulaires de concessions échues.
Les faits : une reprise pour cause d’échéance de la concession
Le requérant estime avoir subi un préjudice par le comportement de la Ville d’É…, et évalue celui-ci à 25 000 € parce qu’une nouvelle concession funéraire a été attribuée sur l’emplacement de la sépulture de sa fille. Il faut en fait comprendre qu’une reprise pour cause d’échéance de la concession fut diligentée. Le tribunal administratif (TA) de N… rejette sa demande, et le requérant soulève alors une question prioritaire de constitutionnalité.
Il faut comprendre par là qu’il soutient que l’art. L. 2223-15 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), qui prévoit que la concession échue revient dans le patrimoine de la collectivité et qui par là indirectement rend la commune propriétaire de tout ce que la concession comprend comme biens meubles, est contraire à la Constitution. Il appartient alors au Conseil d’État de jouer son rôle de "filtre" du Conseil constitutionnel, et d’apprécier si cette question présente un moyen sérieux justifiant sa transmission.
La reprise pour non-renouvellement et le sort des monuments et emblèmes funéraires
L’art. L. 2223-15 du CGCT dispose que :
Les concessions sont accordées moyennant le versement d’un capital dont le montant est fixé par le conseil municipal. Les concessions temporaires, les concessions trentenaires et les concessions cinquantenaires sont renouvelables au prix du tarif en vigueur au moment du renouvellement. À défaut du paiement de cette nouvelle redevance, le terrain concédé fait retour à la commune. Il ne peut cependant être repris par elle que deux années révolues après l’expiration de la période pour laquelle le terrain a été concédé.
Dans l’intervalle de ces deux années, les concessionnaires ou leurs ayants cause peuvent user de leur droit de renouvellement. Le renouvellement d’une concession funéraire est un droit, un droit contre lequel le maire ne peut s’opposer que pour des raisons tirées de l’ordre public selon la doctrine administrative (Rép. min. n° 43470, JOAN 21 juillet 2009). Il semble bien que même un défaut d’entretien de la sépulture ne puisse suffire au maire pour ne pas l’accorder (TA Paris 9 janvier 2007, n° 0418233, La lettre du tribunal administratif de Paris n° 12, avril 2007, p. 2).
Néanmoins, qu’arrive-t-il quand le concessionnaire n’use pas de ce droit ?
Le troisième alinéa de l’art. L. 2223-15 du CGCT précise alors qu’à défaut du renouvellement dans les deux années qui suivent le terme du contrat, la concession, qui a fait retour dans le patrimoine communal dès cette échéance, ne pourra être reprise que deux années après la survenance de ce terme. Si la sépulture fait retour dans le patrimoine communal, qu’en est-il alors du caveau, de l’éventuel monument et des autres objets présents sur la concession ? Implicitement, ils deviennent la propriété de la commune par application de la théorie de l’accession.
Passé ce délai de deux ans, la commune pourra alors enlever les ornements funéraires et concéder de nouveau l’emplacement après avoir procédé à l’exhumation des restes mortels s’y trouvant. Il paraît néanmoins difficile de refuser un renouvellement après cette période de deux années si un concessionnaire ou un ayant cause vient en faire la demande et que la concession n’a pas encore été reprise. Cette solution pourrait s’envisager, puisque le juge a déjà accepté une telle régularisation d’une occupation sans titre (CAA Nancy, 28 septembre 2006, n° 05NC00285, Consorts V).
Cette position est celle de la doctrine administrative. Les caveaux, monuments et autres objets demeurés sur la concession appartiennent désormais à la commune, et celle-ci a une totale liberté pour les détruire, les utiliser, et les revendre (circulaire n° 93-28 du 28 janvier 1993, reprenant avis du Conseil d’État 4 février 1992, n° 350721, EDCE 1992, p. 409). Il convient d’attirer l’attention sur le fait que, si ces monuments restent en place à l’issue de la reprise juridique de la concession, tout dommage causé par ces biens de par leur mauvais état engagerait la responsabilité de la commune qui en est devenue propriétaire.
La solution ici adoptée par le Conseil d’État s’inscrit dans cette logique. C’est ce que le juge énonce : "En prévoyant […] que les monuments et emblèmes funéraires intègrent le domaine privé de la commune lorsque, au cours des deux années suivant la fin de la concession funéraire, le concessionnaire ou ses ayants droit n’ont pas manifesté le souhait de la renouveler, les dispositions contestées n’entraînent pas une privation de propriété au sens de l’art. 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789."
Le formalisme de la reprise : l’exigence d’une information des anciens concessionnaires
Au sein du cimetière, on sait que, par le passé et dans le silence du CGCT, la jurisprudence organisa pour le terrain commun un formalisme obligatoire (Cass. crim., 3 octobre 1862, Chapuy : Bull. crim. 1862, II, p. 908), et le ministre de l’Intérieur le rappela opportunément : "Si une commune souhaite reprendre des sépultures en terrain commun alors même que le délai de rotation est expiré, elle doit publier l’arrêté de reprise dans lequel sont précisés la date effective de la reprise et le délai laissé aux familles pour enlever les objets, signes et monuments funéraires sur la sépulture." (Rép. min. n° 36690, JOAN 9 décembre 1991)
La jurisprudence administrative se rallia à cette position plus récemment, puisqu’un tribunal administratif est venu réitérer ce formalisme souple, résidant essentiellement en la publication d’un arrêté publié en mairie sans avoir à rechercher la famille du défunt, fort logiquement d’ailleurs, puisque celle-ci ne bénéficie d’aucun droit sur le terrain, à expiration du délai de rotation (TA Montreuil, 27 mai 2011, n° 1012029, Mmes F… et J… R…). Force est de constater qu’il en allait différemment pour les concessions funéraires échues. C’est donc ici, surtout, que l’arrêt innove.
En effet, traditionnellement pour ces concessions échues et à la différence des concessions perpétuelles dont la reprise est soumise à un lourd et contraignant formalisme, le terrain faisait retour à la commune sans aucune formalité, aucune publicité, et ce, quel que soit son état général à la fin de la durée de la concession (CE 26 juillet 1985, M. L… et autres : Juris-Data n° 1985-605744 ; Rec. CE, tables, p. 524 ; CE 20 janvier 1988, Mme C…-L… c/ Ville de P… : Dr. adm. 1988, comm. n° 128). Pratiquement, les communes, alors que ce n’était en aucun cas une obligation, cherchaient à prendre contact avec le titulaire de la concession. Il convenait en revanche de remarquer que, si la commune décidait, en général par son règlement de cimetière, d’inventer une procédure spécifique, elle était obligée de la respecter, sous peine de sanction (CAA V. 17 septembre 2008, n° 08VE00240).
Nous ne pouvions alors que recommander de s’en tenir à la position du juge dans l’arrêt "Lefevre", car, en inventant une procédure ad hoc, la commune devenait responsable de son irrespect. Il nous semblait préférable dans tous les cas de ne pas nous priver de la souplesse de la procédure prévue par les textes, et à tout le moins de ne pas inscrire dans le règlement les aménagements à la rusticité de la reprise des concessions échues.
Néanmoins, cette position ne peut plus être soutenue, car, au considérant 3 de cet arrêt, le juge affirme qu’il "appartient au maire de rechercher par tout moyen utile d’informer les titulaires d’une concession ou leurs ayants droit de l’extinction de la concession et de leur droit à en demander le renouvellement dans les deux ans qui suivent" ; et qu’au considérant 6, il renouvelle cette remarque à l’identique en prenant soin de préciser qu’ainsi les droits de l’ancien concessionnaire étaient garantis.
Ainsi, il appartiendra, à cette aune, de mettre en place une procédure de publicité de ces reprises, sans doute par le biais du règlement de cimetière, qui ménage le droit à l’information du concessionnaire sans pour autant verser dans la lourdeur et la longueur de la reprise des concessions en état d’abandon…
Le requérant estime avoir subi un préjudice par le comportement de la Ville d’É…, et évalue celui-ci à 25 000 € parce qu’une nouvelle concession funéraire a été attribuée sur l’emplacement de la sépulture de sa fille. Il faut en fait comprendre qu’une reprise pour cause d’échéance de la concession fut diligentée. Le tribunal administratif (TA) de N… rejette sa demande, et le requérant soulève alors une question prioritaire de constitutionnalité.
Il faut comprendre par là qu’il soutient que l’art. L. 2223-15 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), qui prévoit que la concession échue revient dans le patrimoine de la collectivité et qui par là indirectement rend la commune propriétaire de tout ce que la concession comprend comme biens meubles, est contraire à la Constitution. Il appartient alors au Conseil d’État de jouer son rôle de "filtre" du Conseil constitutionnel, et d’apprécier si cette question présente un moyen sérieux justifiant sa transmission.
La reprise pour non-renouvellement et le sort des monuments et emblèmes funéraires
L’art. L. 2223-15 du CGCT dispose que :
Les concessions sont accordées moyennant le versement d’un capital dont le montant est fixé par le conseil municipal. Les concessions temporaires, les concessions trentenaires et les concessions cinquantenaires sont renouvelables au prix du tarif en vigueur au moment du renouvellement. À défaut du paiement de cette nouvelle redevance, le terrain concédé fait retour à la commune. Il ne peut cependant être repris par elle que deux années révolues après l’expiration de la période pour laquelle le terrain a été concédé.
Dans l’intervalle de ces deux années, les concessionnaires ou leurs ayants cause peuvent user de leur droit de renouvellement. Le renouvellement d’une concession funéraire est un droit, un droit contre lequel le maire ne peut s’opposer que pour des raisons tirées de l’ordre public selon la doctrine administrative (Rép. min. n° 43470, JOAN 21 juillet 2009). Il semble bien que même un défaut d’entretien de la sépulture ne puisse suffire au maire pour ne pas l’accorder (TA Paris 9 janvier 2007, n° 0418233, La lettre du tribunal administratif de Paris n° 12, avril 2007, p. 2).
Néanmoins, qu’arrive-t-il quand le concessionnaire n’use pas de ce droit ?
Le troisième alinéa de l’art. L. 2223-15 du CGCT précise alors qu’à défaut du renouvellement dans les deux années qui suivent le terme du contrat, la concession, qui a fait retour dans le patrimoine communal dès cette échéance, ne pourra être reprise que deux années après la survenance de ce terme. Si la sépulture fait retour dans le patrimoine communal, qu’en est-il alors du caveau, de l’éventuel monument et des autres objets présents sur la concession ? Implicitement, ils deviennent la propriété de la commune par application de la théorie de l’accession.
Passé ce délai de deux ans, la commune pourra alors enlever les ornements funéraires et concéder de nouveau l’emplacement après avoir procédé à l’exhumation des restes mortels s’y trouvant. Il paraît néanmoins difficile de refuser un renouvellement après cette période de deux années si un concessionnaire ou un ayant cause vient en faire la demande et que la concession n’a pas encore été reprise. Cette solution pourrait s’envisager, puisque le juge a déjà accepté une telle régularisation d’une occupation sans titre (CAA Nancy, 28 septembre 2006, n° 05NC00285, Consorts V).
Cette position est celle de la doctrine administrative. Les caveaux, monuments et autres objets demeurés sur la concession appartiennent désormais à la commune, et celle-ci a une totale liberté pour les détruire, les utiliser, et les revendre (circulaire n° 93-28 du 28 janvier 1993, reprenant avis du Conseil d’État 4 février 1992, n° 350721, EDCE 1992, p. 409). Il convient d’attirer l’attention sur le fait que, si ces monuments restent en place à l’issue de la reprise juridique de la concession, tout dommage causé par ces biens de par leur mauvais état engagerait la responsabilité de la commune qui en est devenue propriétaire.
La solution ici adoptée par le Conseil d’État s’inscrit dans cette logique. C’est ce que le juge énonce : "En prévoyant […] que les monuments et emblèmes funéraires intègrent le domaine privé de la commune lorsque, au cours des deux années suivant la fin de la concession funéraire, le concessionnaire ou ses ayants droit n’ont pas manifesté le souhait de la renouveler, les dispositions contestées n’entraînent pas une privation de propriété au sens de l’art. 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789."
Le formalisme de la reprise : l’exigence d’une information des anciens concessionnaires
Au sein du cimetière, on sait que, par le passé et dans le silence du CGCT, la jurisprudence organisa pour le terrain commun un formalisme obligatoire (Cass. crim., 3 octobre 1862, Chapuy : Bull. crim. 1862, II, p. 908), et le ministre de l’Intérieur le rappela opportunément : "Si une commune souhaite reprendre des sépultures en terrain commun alors même que le délai de rotation est expiré, elle doit publier l’arrêté de reprise dans lequel sont précisés la date effective de la reprise et le délai laissé aux familles pour enlever les objets, signes et monuments funéraires sur la sépulture." (Rép. min. n° 36690, JOAN 9 décembre 1991)
La jurisprudence administrative se rallia à cette position plus récemment, puisqu’un tribunal administratif est venu réitérer ce formalisme souple, résidant essentiellement en la publication d’un arrêté publié en mairie sans avoir à rechercher la famille du défunt, fort logiquement d’ailleurs, puisque celle-ci ne bénéficie d’aucun droit sur le terrain, à expiration du délai de rotation (TA Montreuil, 27 mai 2011, n° 1012029, Mmes F… et J… R…). Force est de constater qu’il en allait différemment pour les concessions funéraires échues. C’est donc ici, surtout, que l’arrêt innove.
En effet, traditionnellement pour ces concessions échues et à la différence des concessions perpétuelles dont la reprise est soumise à un lourd et contraignant formalisme, le terrain faisait retour à la commune sans aucune formalité, aucune publicité, et ce, quel que soit son état général à la fin de la durée de la concession (CE 26 juillet 1985, M. L… et autres : Juris-Data n° 1985-605744 ; Rec. CE, tables, p. 524 ; CE 20 janvier 1988, Mme C…-L… c/ Ville de P… : Dr. adm. 1988, comm. n° 128). Pratiquement, les communes, alors que ce n’était en aucun cas une obligation, cherchaient à prendre contact avec le titulaire de la concession. Il convenait en revanche de remarquer que, si la commune décidait, en général par son règlement de cimetière, d’inventer une procédure spécifique, elle était obligée de la respecter, sous peine de sanction (CAA V. 17 septembre 2008, n° 08VE00240).
Nous ne pouvions alors que recommander de s’en tenir à la position du juge dans l’arrêt "Lefevre", car, en inventant une procédure ad hoc, la commune devenait responsable de son irrespect. Il nous semblait préférable dans tous les cas de ne pas nous priver de la souplesse de la procédure prévue par les textes, et à tout le moins de ne pas inscrire dans le règlement les aménagements à la rusticité de la reprise des concessions échues.
Néanmoins, cette position ne peut plus être soutenue, car, au considérant 3 de cet arrêt, le juge affirme qu’il "appartient au maire de rechercher par tout moyen utile d’informer les titulaires d’une concession ou leurs ayants droit de l’extinction de la concession et de leur droit à en demander le renouvellement dans les deux ans qui suivent" ; et qu’au considérant 6, il renouvelle cette remarque à l’identique en prenant soin de préciser qu’ainsi les droits de l’ancien concessionnaire étaient garantis.
Ainsi, il appartiendra, à cette aune, de mettre en place une procédure de publicité de ces reprises, sans doute par le biais du règlement de cimetière, qui ménage le droit à l’information du concessionnaire sans pour autant verser dans la lourdeur et la longueur de la reprise des concessions en état d’abandon…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n° 161 - Juin 2020
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