Lors du dernier examen théorique en vue de l’obtention du diplôme national de thanatopracteur, une question a été posée aux candidats dans le cadre d’un QCM, afférente au régime de la responsabilité, à l’égard des tiers, des gestionnaires de chambres funéraires, lorsque des personnes, autres que les propres personnels, interviennent dans la partie technique.
Outre le fait qu’à notre sens cette question était manifestement hors programme, tel qu’instauré par l’arrêté en date du 22 janvier 2013, en son annexe n° 2, "Réglementation funéraire : le service public des pompes funèbres ; le règlement national des pompes funèbres ; l’habilitation dans le domaine funéraire ; les autorisations administratives délivrées par le maire ; la chambre funéraire et la chambre mortuaire ; la réglementation des produits pour soins de conservation."
Il n’en demeure pas moins que la réponse à lui apporter nécessitait des connaissances juridiques approfondies, peu en phase avec le programme suscité, et à tout le moins inconnues de candidats profanes en cette matière. En effet, plusieurs propositions figuraient en point n° 2, dont, notamment et d’abord, l’affirmation selon laquelle les chambres funéraires devaient être considérées comme des établissements relevant de la réglementation des Établissements Recevant du Public (ERP).
Or, cette réponse n’était pas évidente si l’on se réfère à la réglementation afférente aux prescriptions techniques, telle qu’elle résulte, désormais, du décret n° 99-662 du 28 juillet 1999, établissant ces prescriptions applicables aux chambres funéraires, car ce texte a abrogé le décret du 20 décembre 1994, lequel édictait cette qualité d’ERP, alors que le nouveau décret ne contient plus, désormais, aucune référence à la réglementation relative aux Établissements Recevant du Public (ERP).
Nous considérons, à juste titre, que la réponse à cette question relevait de la connaissance de l’art. R. 123-2 du Code de la Construction et de l’Habitation (CCH), modifié par le décret n° 2019-873 du 21 août 2019, qui énonce :
"Pour l’application du présent chapitre, constituent des établissements recevant du public tous bâtiments, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non. Sont considérées comme faisant partie du public toutes les personnes admises dans l’établissement à quelque titre que ce soit en plus du personnel."
A contrario, un établissement qui ne reçoit que ses personnels, et point le public, ne constitue pas un ERP. Or, manifestement, le CCH n’appartient pas à la catégorie des Codes, dont essentiellement le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), qui constitue et comporte les fondements textuels du programme de formation des candidats au diplôme de thanatopracteur, alors que l’arrêté du 22 janvier 2013, précité, implique que la durée de la formation théorique à la réglementation funéraire soit au minimum de 15 heures, ce qui limite nécessairement le champ des enseignements, et surtout les matières auxquelles le formateur doit se référer.
Certes, de par sa finalité, la chambre funéraire doit impérativement permettre aux opérateurs habilités, selon le dispositif de l’art. L. 2223-3 du CGCT, de déposer ou retirer des corps de ladite chambre, ce qui leur permet d’accéder aux locaux techniques, mais dans le strict respect du règlement intérieur de la chambre funéraire, qui n’a pas été évoqué dans cette question, alors que force est de constater que l’art. R. 2223-67 du CGCT fait obligation à ces gestionnaires, ainsi que ceux d’une chambre mortuaire ou d’un crématorium, d’adopter un règlement intérieur conforme aux dispositions prévues par le présent paragraphe, et de le déposer auprès du préfet qui leur a délivré l’habilitation.
Plus grave encore
Les dispositions réglementaires afférentes aux chambres funéraires sont énoncées aux articles R. 2223-67 à R. 2223-79, puis à l’art. R. 2223-88 du CGCT, et aux articles D. 2223-80 à D. 2223-87 du CGCT. Aucun de ces articles ne fournit la réponse relative à la proposition formulée en B de la question n° 2, concernant le régime de la responsabilité du gestionnaire d’une chambre funéraire.
L’art. R. 2223-69 du CGCT énonce que les personnels de régies, entreprises, associations et de leurs établissements habilités ont accès aux chambres funéraires dans les conditions fixées au quatrième alinéa de l’article : Les personnels des régies, entreprises ou associations de pompes funèbres habilitées conformément à l’art. L. 2223-23 mandatés par toutes personnes qui a qualité pour pourvoir aux funérailles ont accès aux chambres funéraires pour le dépôt et le retrait des corps et la pratique des soins de conservation prévus à l’art. R. 2213-2-2 et de la toilette mortuaire.
Sauf à estimer que ce serait sur le fondement d’une hypothèse aléatoire selon laquelle le règlement intérieur de la chambre funéraire pourrait comporter des conditions afférentes à la responsabilité du gestionnaire de chambre funéraire à l’égard des personnels intervenant dans la partie technique, y compris pour les personnes étrangères à ses salariés (ce qui paraît logique, mais vraisemblablement le gestionnaire serait alors tenté d’y incorporer des dispositions d’exclusion de responsabilité en cas de transgression dudit règlement, qui n’auraient juridiquement aucune valeur, la loi et les règlements (art. 37 de la Constitution) ayant une valeur juridique supérieure).
En fait et en droit, la résolution de cette question faisait intervenir de larges connaissances étrangères au droit funéraire, donc au programme de l’examen théorique, puisqu’il convenait de se référer à plusieurs régimes juridiques de la responsabilité, soit civile, soit pénale, des dirigeants d’entreprises ou dirigeants sociaux, lorsque l’opérateur funéraire a adopté le statut de société, voire d’association, le cas des régies municipales ou intercommunales étant assujetti à un cadre juridique propre au droit administratif.
Au plan civil
Il existe une obligation universelle, telle celle de réparer les dommages que l’on a causés à autrui. Elle se distingue de la responsabilité pénale, qui est engagée lorsqu’une infraction est commise (contravention, délit ou crime), laquelle sera abordée infra.
- Le principe de la réparation :
Il est fondé sur le fait que tout dommage causé à autrui doit être réparé. Ainsi, la responsabilité civile est engagée dans de très nombreux cas : lors de dommages provoqués par soi-même (art. 1382, ou 1383 en cas de négligence), ou par ses préposés dans l’exercice de leurs activités, ici, au sein de la chambre funéraire. Elle peut aussi être engagée par "les choses que l’on a sous sa garde", selon les dispositions de l’art. 1384 alinéa 1 du Code civil.
- Trois conditions sont nécessaires pour qu’il y ait responsabilité civile :
- un dommage subi par la victime,
- un fait dit "générateur de responsabilité" imputé à l’auteur de ce dommage,
- un lien de causalité entre ce fait et le dommage. Les causes d’exonération : la faute de la victime, le cas fortuit ou la force majeure.
Mais il convient, également, de prendre en considération l’hypothèse de la forme juridique de l’entreprise ou de l’association, en raison du régime spécifique de responsabilité, applicable aux dirigeants de société, qui a été longtemps controversé(e), puisque c’est depuis l’arrêt du 20 mai 2003 de la chambre commerciale de la Cour de cassation que les juristes sont en mesure de faire le point sur la notion de faute des dirigeants séparable des fonctions.
Sans être tenté d’administrer un cours magistral sur la notion de faute séparable des fonctions qui est une construction jurisprudentielle, en principe, le dirigeant d’une société qui n’a commis aucune faute séparable de ses fonctions ne peut pas voir sa responsabilité personnelle engagée par un tiers. Ainsi, en l’absence de faute séparable des fonctions, le tiers lésé ne peut engager la responsabilité personnelle du dirigeant, et doit engager la responsabilité civile de la société. Il est apparu, très tôt, difficile de définir la notion de faute séparable des fonctions et d’identifier une telle faute dans la pratique.
- Les apports de l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2003
Par un arrêt du 20 mai 2003, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence sur la faute séparable des fonctions, et apporte, enfin, une nouvelle définition d’une telle faute, au travers de trois critères cumulatifs. Aux termes de son attendu de principe, la Cour de cassation retient ainsi que "la responsabilité personnelle d’un dirigeant à l’égard des tiers ne peut être retenue que s’il a commis une faute séparable de ses fonctions ; qu’il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales".
C’est pourquoi, trois critères doivent être réunis pour engager une action en responsabilité personnelle d’un dirigeant d’entreprise, en droit judiciaire, étant entendu que le régime juridique applicable à un gestionnaire "public", ainsi qu’énoncé précédemment, relève de la responsabilité administrative, qui a ses propres règles.
Il s’agit :
- D’une faute intentionnelle ;
- D’une faute d’une particulière gravité ;
- D’une faute incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales. Par ailleurs, il existe, également dans le Code civil, un régime de responsabilité quasi délictuelle, tel que résultant de l’art. 1384, alinéa 1 : "On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde […], puis, en son alinéa 7, cet article comporte une clause d’exonération, ainsi libellée : "La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité."
- Au plan pénal : La mise en cause de la responsabilité pénale des personnes morales peut être engagée sur le fondement de l’art. L. 2223-36 du CGCT, celles-ci pouvant être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’art. 121-2 du Code pénal, des infractions définies à l’art. L. 2223-35 du même Code (il s’agit de la traduction dans la loi du 8 janvier 1993 du délit de corruption), soit lorsque c’est l’opérateur funéraire qui est le corrupteur, soit lorsqu’une personne à raison de ses fonctions a connaissance d’un décès et le fait connaître à un opérateur funéraire en vue d’en retirer des promesses et des dons, ou autres avantages frauduleux.
Cet art. 121-2 du Code pénal énonce : "Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’art. 121-2 du Code pénal, des infractions définies à l’art. L. 2223-35, encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’art. 131-38 du Code pénal, les peines prévues par les 2° à 9° de l’art. 131-39 du même Code. L’interdiction mentionnée au 2° de l’art. 131-39 du même Code porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise."
Que dit l’art. 121-2 du Code pénal ?
"Les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’art. 121-3."
Sur les incriminations :
- Art. 121-4 du Code pénal : "Est auteur de l’infraction la personne qui : 1° Commet les faits incriminés ; 2° Tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit."
- Art. 121-5 du Code pénal : "La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur."
- Art. 121-6 : "Sera puni comme auteur le complice de l’infraction, au sens de l’art. 121-7."
- Art. 121-7 : "Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué une infraction ou donné des instructions pour la commettre."
- Sur les pénalités applicables, (art. 131-38 du Code pénal) : "Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction. Lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques, l’amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 €."
Et, en vertu de l’art. 131-39 du même code, alinéas 2o à 9° : "Lorsque la loi le prévoit à l’encontre d’une personne morale, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs des peines suivantes :
Alinéa 2° et suivants jusqu’au 9° : "L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales :
- Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ;
- La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
- L’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ;
- L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé ;
- L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés, ou d’utiliser des cartes de paiement ;
- La peine de confiscation, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’art. 131-21 ;
- L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.
Les peines définies au 3o ci-dessus ne sont pas applicables aux personnes morales de droit public dont la responsabilité pénale est susceptible d’être engagée. Elles ne sont pas non plus applicables aux partis ou groupements politiques ni aux syndicats professionnels. La peine définie au 1o n’est pas applicable aux institutions représentatives du personnel."
Dans un tel cadre juridique contraignant, c’est particulièrement l’art. 131-39 alinéa 2 qui se révèle pour l’entreprise, lorsqu’elle constitue une personne morale (tel est le cas des sociétés commerciales, et des associations habilitées dans le domaine funéraire), le plus contraignant, car, à terme, il met fin à ses activités, puisqu’elle est passible d’une interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales.
En d’autres termes, c’est la fin de l’entreprise ou de l’association qui en résulte avec son fardeau de pertes d’emplois, donc de licenciements, qui bénéficieront aux concurrents, sans que le surcroît d’activités soit compensé par des recrutements compensateurs. Il est donc important que les opérateurs funéraires soient conscients des enjeux afférents au régime de leur responsabilité pénale, dès lors que certaines situations ambiguës (à cet égard, nous avons toujours émis des réserves sur les facultés données par les textes réglementaires aux dirigeants ou responsables d’établissements de santé publics ou privés ou, depuis le décret du 28 janvier 2011, aux responsables d’établissements sociaux ou médico-sociaux qui ne sont point tenus de disposer d’une chambre mortuaire, de solliciter à l’expiration d’un délai de dix heures, le transfert des corps des personnes décédées dans ces établissement dans une chambre funéraire, même si, uniquement pour les établissements de santé publics ou privés, les frais qui en résultent sont pris en charge par eux).
Il sera rappelé, qu’aux termes d’un récent arrêt de la Cour de cassation, s’agissant des établissements sociaux ou médico-sociaux, qui relèvent du Code de l’action sociale et de la famille, et qui ne sont pas visés dans l’article du CGCT prévoyant la prise en charge par les seuls établissements de santé des frais de transfert des corps, ceux-ci seront supportés par la famille du défunt.
Mais, dans un tel contexte, c’est la nature des relations "commerciales et juridiques", entre l’établissement et l’opérateur funéraire, qui est le gestionnaire de la chambre funéraire d’accueil des corps, qui peut donner lieu à une qualification pénale, car la contrepartie des transferts des corps doit être significative d’une juste rémunération du service rendu, étant entendu que le gestionnaire de la chambre funéraire, qui est un opérateur habilité, bénéficie alors, d’une réelle position dominante, et qu’il pourrait être tenté d’en abuser, ou plus simplement s’attacher la collaboration des dirigeants des établissements dans lesquels les décès se produisent, contre une irrégulière forme de rémunération.
Jean-Pierre Tricon
Chevalier dans l’Ordre national du Mérite
Maître en droit
DESS en gestion des collectivités locales
Co-auteur du Traité de Législation et Réglementation Funéraires
Consultant/Formateur
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