Deux récentes réponses ministérielles nous semblent permettre d’effectuer quelques utiles rappels relatifs tant à la volonté du défunt quant à sa sépulture, que pour les exhumations d’urnes…
I - Volonté du défunt et autorisation de crémation par le maire
Réponse ministérielle n° 08653, JO Sénat 9 janvier 2020
Dans cette réponse ministérielle, le parlementaire demande au gouvernement s’il est envisagé de faire évoluer les conditions dans lesquelles un maire peut avoir recours à la crémation, tout particulièrement des personnes dépourvues de ressources suffisantes. Le gouvernement ne répond pas tout à fait à la question posée.
En effet, le parlementaire explique que : "Le recours à la crémation moins onéreuse que l’inhumation est limité par la loi au seul cas où "le défunt en a exprimé la volonté". Cette disposition implique que le maire doit avoir connaissance de la volonté exprimée de son vivant par le défunt. Cette volonté n’est que rarement explicitement formulée et, quand elle l’est, les maires n’en ont pas toujours connaissance, d’autant que les personnes dépourvues de ressources suffisantes sont parfois isolées et sans famille connue. Il peut également s’agir de personnes qui sont décédées dans la commune sans y résider."
Le gouvernement ne lui répond alors que sur la notion de personnes dépourvues de ressources suffisantes, et non sur les possibilités pour le maire de faire procéder à des crémations plus facilement. Il aurait été utile de préciser alors les règles relatives à l’organisation des funérailles, car ce sont bien ces règles qui permettent d’autoriser la crémation, d’ailleurs de toute personne, qu’elle soit dépourvue de ressources suffisantes ou non…
L’organisation des funérailles
L’art. 3 de la loi de 1887 relative aux funérailles dispose que tout majeur ou mineur émancipé en état de tester a le droit de régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. Le juge érigea cette disposition, essentiellement édictée pour faire respecter la volonté d’ordonner des funérailles religieuses ou laïques, en l’obligation de faire respecter l’ensemble des volontés d’un défunt.
Encore faut-il que cette volonté soit légale (refus, par exemple, de la cryogénisation : CE 6 janvier 2006, req. n° 260307), la jurisprudence admettant qu’il n’est pas obligatoire que ce choix ait été fixé par testament, tout indice laissant présumer la volonté du défunt peut être révélateur. L’irrespect de la volonté du défunt étant par ailleurs réprimé par l’art. 433-21-1 du Code pénal : "Toute personne qui donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire, volonté ou décision dont elle a connaissance, sera punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende."
Hypothèse où il n’existe aucun écrit
Le juge judiciaire a admis que, même en l’absence de testament, c’est-à-dire en dehors de la forme prévue à l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887, les volontés exprimées par le défunt quant à ses funérailles et à sa sépulture devaient être respectées (Cass. civ. 1re, 9 novembre 1982, JCP éd. N. 1983, prat. n° 8870). La volonté du défunt peut ainsi se déduire de déclarations faites devant sa famille (Cass. civ. 1re, 17 février 1982, D. 1982, jurisprudence p. 81) ou bien d’un achat de concession funéraire et de l’édification d’un caveau et d’un monument (Cass. civ. 1re, 5 avril 1993, Bull. civ., I, n° 602).
Lorsque que le défunt n’a laissé ni écrit ni possibilité de reconstituer ses vœux, il appartient alors de déterminer quelle sera la personne la plus apte à exprimer ses dernières volontés : on parle alors de "la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles". L’Instruction Générale Relative à l’État Civil (IGREC) du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept. 1999) énonce (paragraphe 426), à propos de la définition de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, que :
1. La loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles pose pour principe que c’est la volonté du défunt qui doit être respectée ; en conséquence, lorsqu’une personne a été nommément désignée par un écrit ou dans le testament du défunt, c’est elle qui est chargée de l’organisation des obsèques ;
2. Lorsque aucun écrit n’est laissé par le défunt, ce sont les membres de la famille qui sont présumés être chargés de pourvoir aux funérailles.
Enfin, lorsqu’il n’y a ni écrit, ni famille ou que celle-ci ne se manifeste pas ou reste introuvable, la personne publique (commune) ou privée qui prend financièrement en charge les obsèques a qualité pour pourvoir aux funérailles. La personne dépourvue de ressources suffisantes n’est pas placée dans un régime juridique différent des autres, et ce sont bien ces règles qui s’appliqueront.
II - L’exhumation de l’urne : les pouvoirs du maire
Réponse ministérielle n° 12707, JO Sénat 24 octobre 2019
Le parlementaire interroge le gouvernement quant à la possibilité pour les enfants du défunt de déplacer l’urne funéraire sans l’accord préalable du titulaire de la concession, en l’espèce la mère du défunt, et il demande alors si le maire de la commune peut s’opposer au transfert de l’urne, sans l’accord de la titulaire de la concession. Le gouvernement répond alors qu’ "en application de l’art. R. 2223-23-3 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), l’autorisation de retirer une urne d’une concession d’un site cinéraire est accordée par le maire dans les conditions prévues par l’art. R. 2213-40".
Ainsi, le retrait d’une urne d’un columbarium ou d’un cavurne est régi par les règles relatives à l’exhumation. Conformément à l’art. R. 2213-40 précité, "toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte, que celui-ci soit ou non titulaire de la concession". Jusque-là, rien d’étrange, mais plus loin, il précise que si : "le maire a connaissance d’un conflit familial au sujet de l’exhumation, il est préférable, afin d’éviter d’engager la responsabilité de la commune, qu’il sursoie à la délivrance de l’autorisation d’exhumation, renvoie les parties devant le tribunal de grande instance et attende que celui-ci ait tranché le différend (CAA de Nantes, 20 septembre 2013, M. Perrigault, req. n° 12NT00236).
En effet, conformément à l’art. R. 221-7 du Code de l’organisation judiciaire, il appartient au juge d’instance de connaître des litiges familiaux relatifs aux funérailles. Le cas échéant, le maire motive son refus d’autorisation d’exhumer en informant les demandeurs de l’existence de cette saisine".
Sans revenir sur la dévolution du contentieux relatif à l’organisation des funérailles et celui postérieur à celle-ci (nécessairement rénovée depuis la fusion des TI et des TGI dans le nouveau tribunal judiciaire), il ne saurait être question d’employer le terme "préférable", pas plus d’ailleurs que de motiver le "cas échéant" par un conflit un refus d’exhumation. En effet, l’art. R. 2213-40 du CGCT énonce que : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande."
Le problème est que le CGCT ne donne aucune définition de cette notion de plus "proche parent du défunt". Par contre, il existe une tentative de définition dans l’IGREC du 11 mai 1999 (annexée au JO du 28 sept. 1999) paragraphe 426-7, qui énonce que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation des tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs." La difficulté que les communes rencontrent, c’est qu’elles n’ont que peu de moyens de vérifier cette qualité. C’est la raison pour laquelle, depuis un arrêt (CE 9 mai 2005, Rabau, req. n° 262977), le juge administratif exige une attestation sur l’honneur, où celui qui sollicite cette exhumation affirme qu’il est le plus proche parent du défunt, ou, s’il en existe d’autres, atteste que ceux qui viennent au même rang que lui sont d’accord.
Néanmoins, cet ordre retenu par l’IGREC ne semble pas satisfaire le juge, pas plus que la promesse de porte-fort dont l’utilité relève plutôt du droit notarial que du droit funéraire. Ainsi, le juge refuse que le maire, en cas de conflit, arbitre et vienne dire qui lui semble le plus proche parent du défunt (TA d’Amiens 23 mai 2005, M. M…, req. n° 0400344) et surtout, plus récemment, le juge d’appel (CAA Bordeaux 5 juin 2008 req. n° 07BX00828), vient exiger que ce formulaire comporte de plus des "précisions sur le degré de parenté". Ainsi, l’ordre de l’IGREC est complètement facultatif entre certains parents, et le respect de cet ordre ne pourra être invoqué devant le juge administratif.
En cas de conflit familial : surtout, il ne faut pas exhumer !
L’exhumation ne doit donc surtout pas être accordée par le maire en cas de conflit familial. Dans ce cas, il faut renvoyer les parties devant le juge judiciaire, qui alors tranchera le différend. Il faut savoir alors que le juge, en général, refusera d’ailleurs l’exhumation dans la plupart des cas, pour ne pas que le repos des morts soit troublé par les divisions des vivants. Il semble alors que l’exhumation ne sera accordée que dans deux cas (CA Toulouse, 7 février 2000 : JCP G 2000, IV, n° 2374) :
- soit la sépulture est provisoire,
- soit la volonté du défunt n’a pas été respectée quant aux modalités de son inhumation.
Dans tous les cas, la commune attendra la notification du jugement pour décider d’exhumer ou, au contraire, de ne pas exhumer. Le maire n’a aucune marge de manœuvre.
Ainsi, pour en revenir à l’hypothèse de la question parlementaire, soit aucun conflit ne se produit au moment de l’exhumation et il doit autoriser l’exhumation ; soit au contraire la mère vient manifester son opposition, et il n’appartiendra qu’au juge de trancher ; évidemment, comme il devra opposer une réponse négative dans ce cas aux enfants, il devra motiver en droit et en fait son refus à ceux-ci, car il est de règle qu’une décision administrative défavorable explique de façon non stéréotypée les causes du refus…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n° 157 - Février 2020
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