Dans son magazine de novembre 2019, l’UFC-Que Choisir, association de consommateurs, révélait les résultats d’une enquête menée par ses bénévoles entre le 23 mars et le 6 avril 2019 auprès de 664 agences de pompes funèbres. Ces résultats devaient pointer de nombreuses irrégularités en matière notamment d’affichages et d’informations, de fournitures et de présentations des devis, ainsi que de fortes disparités dans les prix pratiqués d’un opérateur à l’autre. Revenons sur certains des points soulevés par cette enquête sous un angle juridique…
La fin du monopole communal : de l’usager au consommateur
La loi du 28 décembre 1904 instaurant le monopole communal en matière de prestations du service extérieur des pompes funèbres ne laissait que peu de marges de manœuvre aux familles dans le choix de l’opérateur funéraire et des prestations. En effet, les familles étaient tenues de choisir la régie de la commune de mise en bière ou son délégataire. De même, en matière de prestations, ces dernières étaient organisées par classes avec des tarifs fixes. À mesure que la famille "descendait" de classe, les prestations étaient de moindre apparat, donc de moindre coût.
Faisant suite aux très vives contestations du monopole au cours des années 1984-1985, la loi du 9 janvier 1986 avait néanmoins assoupli ce dernier, permettant aux familles de choisir également la régie ou le délégataire de la commune du domicile du défunt ou du lieu d’inhumation. La liberté de la famille du défunt n’était donc pas totale, et cette dernière demeurait un usager du service public communal des pompes funèbres soumise aux règles de territorialité applicables et aux tarifs fixés par l’opérateur (régie communale ou délégataire) choisi.
Ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur progressive de la loi du 8 janvier 1993, mettant fin au monopole communal et instituant un véritable marché, certes réglementé mais concurrentiel, que la famille acquerra le statut de consommateur au sens de l’art. L. 113-3 du Code de la consommation et le libre choix de l’opérateur funéraire. En contrepartie, l’opérateur funéraire accédait à la liberté de fixer ses prix.
La liberté du consommateur dans le choix de l’opérateur funéraire
L’art. 28 al. 1 de la loi du 8 janvier 1993 prévoyait que son entrée en vigueur serait progressive pendant une durée de 5 ans. En effet, "les régies [pouvaient] durant une période qui ne saurait excéder cinq années à compter de [la date de sa publication], assurer seules le service extérieur des pompes funèbres tel que défini par les dispositions légales précédemment en vigueur". Ce n’est donc qu’à compter du 9 janvier 1998 que l’on peut considérer que le monopole communal est définitivement et totalement aboli.
La première conséquence de taille pour les familles a été de leur laisser le libre choix de leur opérateur funéraire. Depuis lors, ces dernières peuvent à leur guise comparer les prix et les prestations des différentes entreprises du marché avant tout engagement. À cette fin, le Règlement national des pompes funèbres prévu à l’art. 2 de la loi de 1993, repris aujourd’hui dans sa version en vigueur à l’art. L. 2223-20 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), prévoit "les conditions dans lesquelles est assurée l’information des familles, en particulier les mentions que doivent comporter les devis fournis par les prestataires faisant apparaître de façon distincte les prestations obligatoires, et plus généralement les modalités d’application des textes réglementaires pris sur la base de l’art. L. 113-3 du Code de la consommation".
Les dispositions du Règlement national des pompes funèbres ayant vocation à protéger la famille "consommateur" figurent notamment aux articles R. 2223-24 à R. 2223-29, et à l’arrêté du 11 janvier 1999 relatif à l’information sur les prix des prestations funéraires (modifié par l’arrêté du 11 octobre 2011).
La liberté des prix : corollaire de la libre concurrence
L’instauration d’un système de libre concurrence entraîne nécessairement une liberté totale de fixation des prix par les acteurs du marché. Cette liberté des prix trouve néanmoins sa limite dans le marché lui-même. En effet, dans un marché de libre concurrence, c’est en quelque sorte le "consommateur qui fait la loi" en étant libre de choisir son prestataire et d’opérer sa sélection en comparant les prix.
En matière de fixation des prix, l’État ne peut avoir qu’un rôle limité en veillant au respect par les acteurs du marché du libre jeu de la concurrence. Il veillera à ce que ces derniers ne commettent pas d’ententes illicites ou anticoncurrentielles sur les prix, ayant pour effet, par exemple, de favoriser artificiellement la hausse ou la baisse des prix. De même, il veillera à identifier et à sanctionner un éventuel abus de position dominante par un ou plusieurs acteurs du marché.
En matière de protection des consommateurs, le législateur a édicté un arsenal de règles commerciales applicables aux professionnels pour la plupart codifiées dans le Code de la consommation. Mais, en raison de la particulière vulnérabilité du consommateur en matière funéraire, les règles de droit commun ont été renforcées par des règles spécifiques plus protectrices.
Une protection renforcée du consommateur en matière funéraire
En matière funéraire, le consommateur bénéficie d’une protection renforcée découlant de règles figurant aux articles R. 2223-24 et suivants du CGCT, et à l’arrêté du ministre de l’Économie du 11 janvier 1999 :
La documentation générale
Aux termes de l’art. R. 2223-25 du CGCT, "la documentation générale […] [doit] comporter l’indication du nom, du représentant légal, de l’adresse de l’opérateur et, le cas échéant, son numéro d’inscription au registre du commerce ou au répertoire des métiers, ainsi que l’indication de sa forme juridique, de l’habilitation dont il est titulaire et, le cas échéant, du montant de son capital". Et l’art. 2 de l’arrêté du 11 janvier 1999 précise ce texte en indiquant que la documentation générale "devra être constamment présentée à la vue de la clientèle et consultable par elle. Il devra être indiqué en première page de cette documentation générale les prestations rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire pour les inhumations, crémations ou situations particulières nécessitant des mesures supplémentaires".
En outre, "la documentation fait apparaître, élément par élément, les prix et conditions de vente des prestations et fournitures. Les prestations ou fournitures peuvent être regroupées en un ou plusieurs ensembles cohérents : le détail de leurs éléments constitutifs est alors indiqué conformément aux rubriques de la documentation générale. Les éléments obligatoires sont distingués des autres éléments par tout moyen approprié".
La présentation des cercueils au public
Cette présentation doit se conformer aux dispositions de l’art. 3 du l’arrêté du 11 janvier 1999, qui dispose que "la présentation des cercueils au public en vue de la vente doit comporter un étiquetage précisant :
- (1) le prix total du produit,
- (2) le prix total de la prestation obligatoire comprenant le cercueil avec les poignées et sa cuvette étanche [ainsi qu’une plaque gravée indiquant l’année de décès et, s’ils sont connus, l’année de naissance, le prénom et le nom du défunt],
- (3) la liste des accessoires facultatifs compris dans le prix total,
- (4) l’essence du bois ou la nature des autres matériaux agréés dont est composé le cercueil (poignées, cuvette étanche et accessoires facultatifs exclus) et son type de finition si le matériau de base n’est pas brut (placage, impression…).
Ces mentions doivent figurer dans le devis".
Le devis de prestations funéraires. Il est obligatoire
En effet, aux termes de l’art. 4 al. 1 du décret du 11 janvier 1999 : "Avant toute opération funéraire, un devis écrit, gratuit, détaillé et chiffré selon les mêmes rubriques que la documentation générale présentée à la clientèle fait apparaître, pour chaque prestation ou fourniture, la nature et le prix TTC ainsi que le montant total du devis TTC. Il est remis à la clientèle." Ce texte ajoute dans son alinéa 2 que "les devis doivent être conforme aux dispositions des articles R. 2223-26 à R. 2223-29 du CGCT".
Il doit en outre faire figurer des mentions obligatoires. Aux termes de l’art. R. 2223-25 du CGCT, "les devis doivent comporter l’indication du nom du représentant légal, de l’adresse de l’opérateur et, le cas échéant, son numéro d’inscription au registre du commerce ou au répertoire des métiers, ainsi que l’indication de sa forme juridique, de l’habilitation dont il est titulaire et, le cas échéant, du montant de son capital".
De plus, l’art. R. 2223-26 précise que "les devis doivent mentionner la commune du lieu de décès, de la mise en bière, du service funéraire, de l’inhumation ou de la crémation, ainsi que la date à laquelle ces devis ont été établis". S’agissant des prestations proposées, "les devis doivent regrouper les fournitures et services de l’opérateur en les distinguant des sommes versées à des tiers en rémunération de prestations assurées par eux et des taxes. Ils doivent indiquer le cas échéant, l’entreprise ou le service tiers qui réalise l’ouverture et la fermeture du monument funéraire, le creusement et le comblement de la fosse".
À cet égard, l’art. 4 de l’arrêté du 11 janvier 1999 ajoute que "le montant des sommes avancées doit pouvoir en être justifié auprès du client lors du paiement de la facture" : il conviendra donc pour l’opérateur funéraire de s’assurer de la bonne réception et de la conservation des justificatifs afférents aux prestations confiées à des tiers.
Par ailleurs, "les devis doivent faire apparaître le nombre d’agents exécutant l’une des prestations funéraires et affectés au convoi" (art. R. 2213-28 du CGCT). Enfin, le devis doit respecter le modèle type. L’art. L. 2223-21-1 du CGCT, issu de la loi du 19 décembre 2008, dispose que "les devis fournis […] doivent être conformes à des modèles de devis établis par arrêté du ministre chargé des Collectivités territoriales".
Les règles générales applicables aux prestations obligatoires sont posées à l’art. R. 2223-29, aux termes duquel "les devis doivent faire apparaître de manière distincte les prestations obligatoires, qui comportent dans tous les cas le cercueil, ses poignées, sa plaque d’identité et sa cuvette étanche, à l’exclusion de ses accessoires intérieurs et extérieurs, ainsi que soit les opérations d’inhumation, soit les opérations de crémation et l’urne cinéraire ou cendrier".
C’est l’arrêté du 23 août 2010 (modifié par l’arrêté du 3 août 2011) qui a mis en œuvre les dispositions de l’art. L. 2223-21-1 du CGCT en définissant le "modèle de devis applicable aux prestations fournies par les opérateurs funéraires". Comme l’indique la circulaire du 15 mars 2013 relative aux modèles de devis et aux contrôles dans le secteur funéraire, l’arrêté du 23 août 2010 "définit une terminologie commune obligatoire destinée à faciliter les comparaisons par les familles, des tarifs pratiqués par les opérateurs de pompes funèbres […]. Les devis établis par les opérateurs funéraires doivent être conformes au tableau annexé à l’arrêté du 23 août 2010".
Le maintien de la solidarité : les taxes communales
Bien que largement critiqué, le système du monopole était bâti sur un principe de solidarité entre les familles, usagers du service public funéraire communal. En effet, les bénéfices réalisés dans le cadre communal par la vente des prestations finançaient les obsèques des personnes les plus démunies. La loi du 8 janvier 1993 qui a mis fin au monopole communal n’a pas pour autant supprimé ce principe de solidarité.
En effet, l’art. L. 2223-27 du CGCT dispose que : "Le service est gratuit pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes" et "lorsque la mission de service public définie à l’art. L. 2223-19 n’est pas assurée par la commune, celle-ci prend en charge les frais d’obsèques de ces personnes. Elle choisit l’organisme qui assurera ces obsèques."
Bien que le nombre de personnes dépourvues de ressources ait beaucoup diminué depuis le milieu du XXe siècle pour ne représenter aujourd’hui qu’une fraction très limitée des obsèques, certaines communes, dont la population est économiquement très modeste, ou ayant sur leur territoire un hôpital important, doivent faire face à de lourdes charges relatives au financement des obsèques des indigents. Afin de ne pas affecter le budget des communes de façon excessive, le législateur a laissé la possibilité à ces dernières de percevoir des taxes sur les convois, les inhumations et les crémations (art. L. 2223-22 du CGCT). Ceci explique en grande partie la forte disparité, relevée par l’UFC-Que Choisir dans son enquête, entre les montants des taxes perçues, très variables d’une commune à l’autre.
Xavier Anonin
Docteur en droit
Résonance n° 156 - Janvier 2020
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