Retour sur la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Les évolutions récentes du marché funéraire ont fait apparaître de nouvelles pratiques : le règlement des obsèques à domicile. Si, en apparence, cette activité peut sembler répondre à la demande d’une certaine clientèle âgée ou pressée, il n’en demeure pas moins que le démarchage en matière de prestations funéraires est, de longue date, très encadré.
Les dispositions en vigueur découlent de l’art. L. 2223-33 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). Mais ce texte, quoique clair, demeure imprécis quant à sa portée. Cependant, à l’occasion de divers contentieux, la chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté quelques précisions, encore trop souvent méconnues dans la pratique.
La nécessité de protéger les familles endeuillées en matière de démarchage commercial n’est pas une nouveauté de la loi du 8 janvier 1993 mettant fin au monopole communal. En effet, déjà tout au long des XIXe et XXe siècles, les familles constituaient une clientèle captive et fragilisée susceptible de faire l’objet de pratiques commerciales peu orthodoxes.
Le premier texte codifié de notre législation moderne découle d’un décret du 7 mars 1977 créant un art. L. 362-10 au Code des communes interdisant : "les offres de services faites à l’occasion d’un décès en vue d’obtenir, soit directement, soit à titre d’intermédiaire, la commande de fournitures funéraires ou le règlement de convois".
Ce premier texte a, par la suite, subi plusieurs modifications et enrichissements aboutissant à sa version en vigueur figurant aujourd’hui à l’art. L. 2223-33 du CGCT.
L’art. L. 2223-33 du CGCT : le texte de référence
Sa version en vigueur découle de la loi du 19 décembre 2008, et dispose que : "À l’exception des formules de financement d’obsèques, sont interdites les offres de services faites en prévision d’obsèques ou pendant un délai de deux mois à compter du décès en vue d’obtenir ou de faire obtenir, soit directement, soit à titre d’intermédiaire, la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès. Sont interdites les démarches à domicile […]"
Les prestations concernées
On constatera en premier lieu que ce texte fait référence à "la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès". Ainsi, il apparaît clairement que l’intention du législateur n’était pas de limiter les fournitures et prestations concernées à celles visées à l’art. L. 2223-19 du CGCT relevant du seul service extérieur des pompes funèbres.
Dès lors, les fournitures et prestations visées au 8o de la disposition précitée comme ne relevant pas du service extérieur sont également interdites de démarchage dans les conditions de l’art. L. 2223-33 du CGCT : "plaques funéraires, emblèmes religieux, fleurs, travaux divers d’imprimerie et de marbrerie funéraire".
Cette interprétation a été établie par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 29 juin 2004 (n° 03-85.190), implicitement confirmé par un second arrêt rendu le 27 juin 2006 (n° 05-85.627).
La notion de démarchage à domicile
De prime abord, l’on pourrait considérer que la notion de démarchage implique une démarche active de l’entrepreneur, ce dernier faisant en quelque sorte le "premier pas" vers le client potentiel dans le cadre d’un déplacement physique au domicile de ce dernier. Il n’en est cependant rien. En effet, les juges font, en la matière, une interprétation très stricte des textes applicables, en particulier en matière funéraire.
En premier lieu, il découle d’un arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 février 2015 (n° 14-11.002) que l’offre commerciale faite par le simple envoi d’une lettre, sans déplacement du vendeur, peut être à elle seule constitutive d’un démarchage.
Mais de façon encore plus stricte, la chambre criminelle a considéré, dans un arrêt rendu le 13 février 2007 (n° 06-85.076), que : "Constituent également un démarchage à domicile, au sens de l’art. L. 2223-33 du CGCT, les visites pratiquées à l’invitation de la personne intéressée".
Il en découle ainsi que, même explicitement invité à se rendre au domicile de la famille endeuillé par cette dernière, l’opérateur funéraire commet un démarchage prohibé au sens de l’art. L. 2223-33 si sa visite a pour objet la proposition d’offres commerciales en vue de l’organisation d’obsèques.
Les sanctions pénales encourues
L’alinéa 2 de l’art. L. 2223-35 du CGCT punit d’une amende de 75 000 € le démarchage à domicile en matière funéraire dès lors que ce dernier viole les dispositions de l’art. L. 2223-33.
Conclusion
Il découle des précisions apportées par la jurisprudence que le législateur a clairement considéré que le domicile de la famille d’une personne endeuillée n’est pas un lieu adapté à l’organisation d’obsèques, quand bien même cette dernière aurait de façon claire sollicité le déplacement de l’opérateur funéraire.
Est-ce à dire que tout déplacement à vocation commerciale de l’opérateur serait prohibé ? Assurément non, mais ses déplacements ne seront licites que dans des cas très limités :
- Les déplacements au domicile autorisés : l’offre de contrats de prévoyance obsèques, la communication d’informations sans proposition d’offres commerciales et la proposition d’offres commerciales dans un délai de deux mois à compter du décès.
- Les déplacements au domicile interdits : la proposition d’offres commerciales en prévision d’un décès non survenu en dehors de tout cadre de prévoyance obsèques (c’est-à-dire, par exemple, l’établissement d’un simple devis pour un décès imminent) et la proposition d’offres commerciales à l’occasion d’un décès venant de survenir, que le déplacement de l’opérateur soit spontané ou à la demande de la famille.
Il apparaît donc clairement que l’activité de pompes funèbres, s’agissant de l’organisation d’obsèques, ne peut être valablement exercée que dans des locaux commerciaux dédiés impliquant le déplacement de la famille ou d’un proche du défunt. Ainsi, le développement de services de pompes funèbres "à domicile" sans agence semble devoir tomber sous le coup de la loi pénale.
Xavier Anonin
Docteur en droit
Résonance n° 155 - Novembre 2019
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