Droit à la sépulture pour les Français établis hors de France. Voici une réponse ministérielle récente relative à un sujet souvent peu abordé : l’inhumation de catégories de Français qui ont du mal à justifier d’un lien avec une commune en France et qui de ce fait se verraient refuser l’inhumation. Tentons de décortiquer un texte, dont, à vrai dire, l’utilité ne nous paraît pas des plus évidentes…
"Je suis revenu pour canner ici, et pour me faire enterrer à Pantin avec mes vioques.
Les Amériques, c’est chouette pour prendre du carbure. On peut y vivre, à la rigueur. Mais question de laisser ses os, hein, y’a que la France."
(Michel Audiard, Les Tontons flingueurs).
Le droit à inhumation du Français établi hors de France dans le cimetière communal
L’art. L. 2223-3 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) disposait jusqu’à récemment que : "La sépulture dans un cimetière d’une commune est due aux personnes :
- décédées sur le territoire de la commune ;
- domiciliées dans la commune, quel que soit le lieu où elles sont décédées ;
- non domiciliées dans la commune, mais y possédant une sépulture de famille ;
- aux Français établis hors de France n’ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci".
Le dernier alinéa avait été ajouté par la loi du 19 novembre 2008. Il fut ensuite réécrit, et désormais, il dispose que la sépulture dans un cimetière est due : "4° Aux Français établis hors de France n’ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits ou remplissent les conditions pour être inscrits sur la liste électorale de celle-ci en application des articles L. 12 et L. 14 du Code électoral". Ainsi, il ne suffit plus qu’un Français établi hors de France soit inscrit sur la liste électorale, mais simplement qu’il puisse revendiquer une telle inscription.
De quelles catégories de Français s’agit-il ?
Il s’agit ici de permettre l’inhumation de ces Français vivant à l’étranger et inscrits sur les registres consulaires ; et qui, dès lors qu’ils remplissent cette condition, peuvent s’inscrire sur les listes électorales de certaines communes, alors que, pourtant, ils n’y remplissent pas les critères usuels de l’électorat (domicile, résidence, qualité de contribuable la plupart du temps). Dès lors, l’art. L. 12 du Code électoral énonce que : "Les Français et les Françaises inscrits au registre des Français établis hors de France de la circonscription consulaire dans laquelle ils ont leur résidence peuvent, sur leur demande, être inscrits sur la liste électorale de l’une des communes suivantes :
- commune de naissance ;
- commune de leur dernier domicile ;
- commune de leur dernière résidence, à condition que cette résidence ait été de six mois au moins ;
- commune où est né, est inscrit ou a été inscrit sur la liste électorale un de leurs ascendants ;
- commune sur la liste électorale de laquelle est inscrit ou a été inscrit un de leurs parents jusqu’au quatrième degré."
L’art. L. 14 du Code électoral dispose quant à lui que : "Les Français et les Françaises inscrits au registre des Français établis hors de France de la circonscription consulaire dans laquelle ils ont leur résidence et les conjoints des militaires de carrière ou liés par contrat peuvent également, sur justification des liens du mariage, demander leur inscription sur la liste électorale sur laquelle est inscrit leur conjoint."
L’absence d’un droit à obtenir une concession
Il est patent que l’art. L. 2223-3 du CGCT ne traite que de l’hypothèse du terrain commun, c’est-à-dire de sépultures gratuites et normalement individuelles et accordées pour un délai minimum de cinq ans, au bout duquel, et sauf absence de décomposition, il n’existe aucun droit acquis au maintien de la sépulture. On le sait, ce type de concession, dénommée "terrain commun" ou "terrain ordinaire", est le seul service public obligatoire que doivent offrir les communes. Le régime juridique des concessions funéraires n’est absolument pas concerné par cette disposition.
En effet, l’art. L. 2213-13 du CGCT relatif à la délivrance des concessions ne mentionne pas quelles sont les personnes qui ont le droit d’obtenir une concession dans le cimetière. Il est donc possible d’obtenir une concession funéraire dans le cimetière d’une commune, alors même que l’on n’a aucun droit à y être inhumé.
Le juge interdit d’ailleurs de réserver les concessions aux seuls habitants de la commune (TA Orléans 31 mai 1998, Cortier, Juris-Data n° 1988-051006), pas plus d’ailleurs qu’il n’est possible de pratiquer un prix supérieur pour les personnes non domiciliées sur le territoire de la commune sous le nom de "droits d’entrée" (CE 10 décembre 1969, Commune de Nerville-la-Forêt, Rec. CE, p. 564).
Il apparaît alors que le seul motif valable pour refuser à une personne qui en fait la demande une concession funéraire, quand bien même elle ne serait pas domiciliée sur le territoire de la commune et sous réserve, bien sûr, que le conseil municipal ait permis l’octroi de ces concessions, soit le manque de place dans le cimetière (CE 5 décembre 1987, Commune de Bachy c/ Mme Saluden-Laniel, AJDA 1998, p. 258, conclusions Piveteau). Le juge administratif acceptera d’ailleurs d’indemniser le préjudice tant matériel que moral naissant du refus d’octroi d’une concession funéraire (CAA Marseille 20 mai 1998, Commune de Saint-Étienne-du-Grès, req. n° 96MA00906).
En tout état de cause, devant un conflit, il appartiendra au juge de statuer sur le bien-fondé d’une telle demande. Il pourra néanmoins être validé des refus dans certains cas, par exemple le refus d’un emplacement représentant une trop grande superficie (CE 25 juin 2008, Consorts Schiocchet, req. n° 297914) : "Considérant qu’un maire, qui est chargé de la bonne gestion d’un cimetière, peut, lorsqu’il se prononce sur une demande de concession, prendre en considération un ensemble de critères, parmi lesquels figurent notamment les emplacements disponibles, la superficie de la concession sollicitée au regard de celle du cimetière, les liens du demandeur avec la commune, ou encore son absence actuelle de descendance". Ainsi, c’est bien l’existence de liens plus que le critère du domicile ou de la résidence qui est opérant lors de la délivrance d‘une concession funéraire.
Les familles n’ont aucun droit sur les terrains mis à leur disposition, le maire détermine ainsi l’emplacement qu’il juge le plus propice, inspiré uniquement du bon ordre dans le cimetière et du bon aménagement de celui-ci. Le juge administratif va accepter que les familles clôturent ces sépultures tout en permettant au maire, par le biais de ses pouvoirs de police, d’en réglementer les dimensions et positionnements dans l’intérêt de la circulation dans le cimetière.
Cette limitation s’exprimera, par exemple, par :
- l’impossibilité de retenir un emplacement à l’avance ;
- l’emplacement est attribué par le maire une fois le décès survenu ;
- l’impossibilité d’exiger l’inhumation de plusieurs cercueils au même emplacement, au même moment ou à des dates ultérieures ;
- l’impossibilité de se maintenir en place au-delà du délai de rotation du terrain. La famille du défunt ne dispose d’aucun droit pour imposer un délai plus long ou un maintien en place, même si elle propose un paiement. Ce dernier ne pourrait pas être institué par le conseil municipal, puisque le terrain général doit être mis gratuitement à la disposition de l’utilisateur (Trib. civil Dôle 14 février 1883, GP 1884, 1, 1351) ;
- l’impossibilité de réclamer l’utilisation de l’emplacement pour autrui ;
- l’impossibilité de transmission de droits à des tiers.
De surcroît, le formalisme de la reprise de ces sépultures n’est pas prévu par le CGCT. Néanmoins, la jurisprudence institua un formalisme souple, résidant essentiellement en la publication d’un arrêté publié en mairie sans avoir à rechercher la famille du défunt, fort logiquement d’ailleurs, puisque celle-ci ne bénéficie d’aucun droit sur le terrain, à expiration du délai de rotation (Cass. crim., 3 octobre 1862, Chapuy : Bull. crim. 1862, II, p. 908 ; TA Montreuil, 27 mai 2011, n° 1012029, Mmes Françoise et Juliana R.).
Alors certes, ce mode de sépulture est ouvert aux Français établis hors de France, mais il faut bien convenir du peu d’attrait de celui-ci lorsqu’il est comparé à la concession funéraire. On ne peut que rester dubitatif sur la volonté d’un Français vivant à l’étranger depuis des années de se faire inhumer en terrain commun pour une durée limitée à cinq ans dans le cimetière d’une commune où a été inscrit sur la liste électorale son arrière-arrière-petit-cousin, alors qu’il serait parfaitement légitime à demander l’octroi d’une concession funéraire dans un lieu de son choix dès lors qu’il pourra démontrer qu’il a avec ce lieu un minimum d’attaches.
On pourra objecter que ce lien avec une commune française, certes ténu, mais s’il est le seul, pourrait permettre au juge, en cas de refus d’octroyer une concession funéraire par une commune, de justifier d’une attache permettant alors l’octroi d’une concession, mais le chemin emprunté nous paraît tortueux et source de conflits potentiels.
Droit à la sépulture pour les Français établis hors de France 15e législature Question écrite n° 07991 de Mme Évelyne Renaud-Garabedian (Français établis hors de France – Les Républicains-R) publiée dans le JO Sénat du 06/12/2018 – page 6118. Voir Résonance n° 151 de juin page 77. |
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours
à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire
pour les fonctionnaires territoriaux au sein
des délégations du CNFPT.
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