Tous les conseillers funéraires l’ont appris en formation : en cas de désaccord familial, c’est le tribunal d’instance qui est compétent pour trancher les litiges relatifs à l’organisation des funérailles. Mais qu’en est-il en pratique ? Et quels sont les obligations et le rôle de l’opérateur funéraire en la matière ? Revenons donc sur un cas réel(1) et concret en en retraçant le déroulement et les enseignements que l’on peut en tirer.
Les faits
Cela commence par une rencontre banale entre un conseiller funéraire et les enfants d’une mère venant de décéder. Les obsèques sont alors organisées, prévoyant une inhumation dans le cimetière local. Ce qui est en revanche moins banal, c’est l’appel téléphonique de la troisième fille de la défunte reçu quelques heures plus tard par l’opérateur funéraire. C’est en effet une sordide histoire de famille dont le conseiller se trouvera être le confident : un père, toujours vivant, présenté comme un dangereux manipulateur violent et dont l’épouse souhaitait après sa mort être définitivement éloigné.
De son vivant, cette dernière avait remis à sa troisième fille une lettre indiquant son souhait d’être inhumée avec ses parents à quelques centaines de kilomètres du domicile conjugal. Bien qu’informés de l’existence de cette lettre, l’époux et les deux autres enfants avaient décidé de passer outre les dernières volontés de la défunte en organisant ses obsèques selon leurs propres volontés : la construction d’un caveau dans le cimetière local avec une place supplémentaire pour l’inhumation future de son mari.
Face à cette situation de conflit familial, le conseiller funéraire s’est trouvé dans une situation humaine et commerciale délicate, pris en étau entre ses clients, l’époux et les deux premiers enfants d’une part, et la troisième fille portant à sa connaissance les dernières volontés exprimées de la défunte d’autre part.
Le risque pour l’opérateur funéraire, tenté de "suivre" ses clients pour ne pas "perdre le dossier", est de maintenir une organisation d’obsèques contraire aux dernières volontés de la défunte. Mais cela constitue un délit au sens de l’art. 433-21-1 du Code pénal aux termes duquel "toute personne qui donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt […], volonté ou décision dont elle a connaissance, sera punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende".
Il apparaît donc évident qu’en pareille situation, la seule réaction possible pour le conseiller funéraire était de suspendre l’organisation des obsèques telles qu’envisagées, en adoptant une position neutre mais non passive. Après une première tentative infructueuse de conciliation informelle entre les différents protagonistes par le conseiller, ce dernier n’a eu d’autre choix que d’informer le maire de la situation, et la famille de l’unique alternative que constituait une saisine du tribunal d’instance afin de trancher leur différend.
Informé de la situation, le maire ne pouvait que sursoir à délivrer l’autorisation d’inhumer dans le cimetière de la commune et orienter la famille vers le tribunal d’instance (également se serait-il opposé à une éventuelle déclaration préalable de transport pour les mêmes motifs). Cette décision a eu pour effet de rendre impossible le déroulement des obsèques par quelque opérateur que ce soit, faute d’autorisation d’inhumer en attendant que le litige familial soit tranché par le juge.
La procédure
1 - La saisine du tribunal d’instance
Aux termes de l’art. R. 221-7 du Code de l’Organisation Judiciaire (COJ) : "Le Tribunal d’Instance (TI) connaît les contestations sur les conditions des funérailles." Le TI compétent est celui "dans le ressort duquel est situé le dernier domicile du défunt en France" (art. R. 221-47 du COJ). "La demande […] est formée par assignation" (art. 829, Code de Procédure Civile – CPC), c’est-à-dire par voie d’huissier, "le tribunal [étant] saisi à la requête de la partie la plus diligente" (art. 1061-1, CPC). En l’espèce, c’est la troisième fille de la défunte, détentrice de ses dernières volontés écrites, qui a fait porter l’assignation par un huissier de justice contre les autres membres de la famille dont elle contestait les décisions prises dans l’organisation des obsèques.
Le tribunal statuant "dans les vingt-quatre heures", l’audience devant le TI s’est tenue dès le lendemain de l’assignation. À l’audience, le tribunal a entendu successivement les parties afin qu’elles puissent faire valoir leurs arguments et présenter les pièces susceptibles de permettre au juge de forger sa conviction.
D’une part, ainsi que l’indique le jugement, la troisième fille de la défunte (partie demanderesse) "a produit au tribunal l’original du document écrit par sa mère […] et qu’elle-même en avait adressé une copie à sa sœur et son frère […]. Elle a (également) précisé que sa mère lui avait confié qu’elle souhaitait reposer dans le caveau de ses parents, tous deux décédés alors qu’elle était très jeune […]. Sur question du tribunal, elle a fait savoir qu’elle avait pris contact avec une société de pompes funèbres (locale) et qu’il n’y avait aucun obstacle matériel à l’inhumation".
En défense, les autres membres de la famille devaient reconnaître "avoir reçu de (leur) sœur […] le document écrit par (leur) mère", mais "ne pas en avoir parlé avec elle". En outre, ils devaient indiquer que, bien que reconnaissant l’écriture de leur mère, cette dernière "était très mal à l’époque, qu’il était (donc) possible de s’interroger sur les conditions dans lesquelles elle avait écrit et remis ce document (à leur sœur) qui était par ailleurs en conflit avec leur père". Enfin, l’époux de la défunte devait indiquer que sa volonté, après son décès, "était d’être enterré avec son épouse" dans la ville où ils ont vécu près de 58 ans.
Le tribunal, s’estimant insuffisamment éclairé par les arguments présentés en défense, faute de preuve d’un éventuel état de fragilité de la défunte au moment de la rédaction de ses dernières volontés, a estimé, dans une décision rendue dès le lendemain de l’audience, que celle-ci les avait librement exprimées, et décidait de l’inhumation de la défunte dans le caveau de ses parents.
2 - L’appel contre la décision du tribunal
En matière de conditions d’organisation des funérailles, la décision du TI est susceptible d’appel "dans les vingt-quatre heures de la décision devant le premier président de la cour d’appel" (art. 1061-1 du CPC). En l’espèce, les membres de la famille, n’ayant pas obtenu satisfaction, ont interjeté appel. Exposant devant la cour les mêmes arguments sans pouvoir apporter plus d’éléments de preuve qu’en première instance, la décision fut confirmée en appel dans les mêmes termes moins de vingt-quatre heures plus tard.
3 - Les effets de la décision
Dans son dernier alinéa, l’art. 1061-1 du CPC dispose que : "La décision exécutoire sur minute est notifiée au maire chargé de l’exécution." Dès lors, c’est sous la surveillance du maire que les obsèques ont été organisées par l’opérateur funéraire selon les termes de la décision du premier président de la cour d’appel. Ainsi, la défunte a été inhumée dans le caveau familial de ses parents.
Commentaire
Le décès d’une personne fait fréquemment renaître et amplifier des conflits familiaux parfois très anciens auxquels les professionnels du funéraire sont souvent exposés. Heureusement, dans la plupart des cas, ils n’ont qu’une influence limitée sur l’organisation des obsèques. La raison l’emportant généralement sur la passion. Cette affaire, bien qu’anecdotique, est néanmoins riche d’enseignements sur le rôle de l’opérateur funéraire, et nous rappelle également le rôle d’encadrement de la puissance publique dans l’organisation des obsèques en cas de conflit familial.
Le rôle de l’opérateur funéraire : faire primer l’ordre public sur les intérêts commerciaux
En pareilles circonstances, l’opérateur funéraire se trouve de facto dans une situation très délicate pleine de contradictions. D’une part, parce que l’entreprise de pompes funèbres a un caractère commercial, elle veille légitimement comme toute entreprise sur ses intérêts économiques. Elle pourrait donc être tentée de prendre fait et cause pour ses clients. Mais l’opérateur funéraire exerce également une mission de service public dont il ne saurait s’affranchir des règles en passant outre les informations qui lui seraient apportées par un autre membre de la famille dans l’unique but de ne pas fragiliser la relation commerciale avec ses clients.
Dès lors, le conseiller funéraire devra envisager successivement de se placer en médiateur neutre entre les différents membres de la famille (malgré le caractère paradoxal de la situation et potentiellement défavorable pour lui sur le plan économique). En cas d’échec, informer le maire (autorité de police compétente en matière de funérailles) du risque de voir s’exécuter des obsèques contraires aux dernières volontés d’un défunt décédé sur sa commune. Et enfin, conseiller et orienter les membres de la famille vers le TI. Il convient de rappeler l’importance d’alerter le maire de la commune, car lui seul peut sursoir au déroulement des obsèques, en particulier si la famille décidait de changer d’opérateur.
Une procédure judiciaire rapide
Il existe de nombreuses procédures d’urgence dans tous les domaines du droit. Mais il est fréquent que nos juridictions ne puissent matériellement pas les traiter dans les délais prévus par les textes. En revanche, s’il est un domaine dans lequel la célérité est de mise, c’est le domaine des funérailles. En l’espèce, entre la délivrance de l’assignation et la décision de la cour d’appel, il ne s’écoulera finalement que quatre jours, sans qu’il ait été nécessaire de repousser la date des obsèques.
Bien qu’heureusement peu familier de ce type de situation exceptionnelle, l’opérateur funéraire et la famille ne doivent pas prendre peur à l’idée de s’orienter vers cette procédure. Elle constitue en effet la seule voie de droit susceptible de garantir le respect des dernières volontés du défunt, mais également de garantir une totale sécurité juridique pour l’opérateur funéraire (et la famille) dans l’organisation et la réalisation des obsèques.
La prédominance des dernières volontés du défunt
Parmi les règles régissant les activités funéraires, il en est sans conteste une qui se place au-dessus des autres : le respect des dernières volontés du défunt. Issue de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, elle constitue en quelque sorte la "loi fondamentale" de notre droit funéraire.
En l’espèce, le juge d’instance devait également prendre en compte les dernières volontés de l’époux vivant de la défunte qui étaient d’être inhumé avec elle dans le cimetière local. Mais le futur lointain n’a semble-t-il pas réellement pesé dans la décision, le juge ayant privilégié le strict respect des dernières volontés de la personne décédée, au détriment de celles, futures, de son conjoint survivant.
Il est à noter, cependant, que l’exécution des dernières volontés d’un défunt sont conditionnées par leur faisabilité technique. En l’espèce, le juge a en effet pris le soin de s’en assurer en interrogeant la troisième fille de la défunte sur l’absence "d’obstacle matériel à l’inhumation" dans le caveau de ses parents.
L’importance de l’écrit
Pour pouvoir prendre valablement sa décision, le juge doit pouvoir se fonder sur des preuves. Si en principe la preuve est libre, il va de soi qu’un écrit signé de la main du défunt primera sur de simples témoignages non étayés par un écrit. En l’espèce, c’est donc l’écrit de la défunte qui a prévalu. Bien que l’on ne puisse totalement écarter qu’en réalité l’état psychique de la défunte ait été dégradé au moment de l’écriture du document, les membres de la famille en défense n’ont pu en apporter la preuve. Sur ce point, cette affaire nous rappelle le caractère éminemment protecteur de l’écrit.
Outre sa force probante en matière contentieuse, l’écrit apporte également une réelle sécurité psychologique à la famille dans le choix des prestations d’obsèques, et apporte une plus grande stabilité d’organisation pour l’opérateur funéraire en évitant les hésitations de la famille. Il apparaît donc important pour notre profession de rappeler aux "vivants" non seulement de communiquer sur leurs dernières volontés, mais aussi et surtout de ne pas hésiter à sauter le pas de l’écrit. Il peut en effet paraître regrettable qu’à ce jour, seule la prévoyance obsèques propose une réelle formalisation efficace de l’expression des dernières volontés.
Le rôle central du maire
Depuis l’entrée en vigueur du décret du 28 janvier 2011, le maire est devenu un acteur discret en matière d’opérations funéraires. Mais ce dernier n’en reste pas moins l’autorité centrale en matière de police des funérailles, gardien de l’ordre public dans d’application de la réglementation funéraire. C’est la raison pour laquelle il demeure incontournable de l’alerter dès lors qu’un différend familial majeur affectant l’organisation des obsèques se fait jour, en particulier si ce différend fait apparaître un risque pénal de donner "aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt".
Les compétences de police administrative du maire lui donneront tous pouvoirs pour empêcher la commission de l’infraction, au besoin en suspendant provisoirement l’inhumation ou en s’opposant à un transport du corps hors de la commune. Enfin, et sur ces mêmes compétences, il est logique que le maire soit chargé par le juge de veiller à l’exécution de sa décision. De même, ses pouvoirs de police lui permettront de prendre toutes les dispositions utiles au bon déroulement des obsèques et dans les conditions décidées par l’autorité judiciaire.
Nota :
(1) Dans un souci de discrétion, les protagonistes de cette affaire ont été anonymisés. Les faits se sont déroulés en mars 2019 dans le département du V… Les décisions commentées ont été rendues par le tribunal d’instance de N… et par la Cour d’appel de P…
Xavier Anonin
Docteur en droit
Résonance n° 151 - Juin 2019
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